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Jésus au DESERT (Jacques GUILLET)

 "L'Esprit pousse Jésus au désert. »

L'homme, quand il fait l'expérience de Dieu, la fait souvent dans des conditions particulières, dans un bouleversement ou une distance plus ou moins sentie dans son monde habituel. Dieu est présent dans le monde, et si nous ne le trouvons pas dans notre vie, c'est que notre recherche de Dieu est illusoire. Dieu pourtant est autre chose que le monde, et il ne suffit pas de vivre pour le trouver. Dieu n'est pas simplement la vérité que nous poursuivons, l'espoir qui nous fait vivre. Dieu ne vient pas de ce que nous faisons. Dieu vient à nous. Un autre nous parle et nous appelle, un autre dont la parole nous surprend toujours, bien que notre coeur reconnaisse toujours sa voix. Cette distance entre Dieu et nous, cet écart entre nos rêves et les siens, le désert des évangiles en est l'image. Le Christ ne s'éloigne pas des hommes en les rassemblant au désert, il les fait entrer dans les espaces de Dieu.

L'Esprit pousse Jésus au désert. Et il demeura dans le désert quarante jours. Le premier geste de l'Esprit, sitôt après la manifestation du baptême, est de pousser Jésus au désert. Le mot de Marc est plus violent que la traduction ne le laisse supposer; mieux vaudrait dire : L'Esprit le chasse au désert. Cette violence est bien dans la ligne de l'Esprit de Dieu dans l'Ancien Testament ; il fond sur sa proie comme un fauve, il tombe comme la foudre, il enlève comme l'ouragan. Ainsi Jésus est emporté au désert par le souffle qui le possède. Que va-t-il y chercher ?

Certainement, une expérience analogue à celle que connut son peuple à la sortie d'Égypte, après le baptême de la mer Rouge, quand il dut, pendant quarante ans, vivre au désert, sans pouvoir fixer son itinéraire, ni compter sur ses provisions et ses ressources. Cette expérience de la foi devait rester fondamentale pour le peuple d'Israël. Au moment d'engager son action, Jésus doit connaitre une expérience semblable. Elle est ici poussée jusqu'au bout : il faut bien qu'il accomplisse en totalité la loi et les prophètes. Le jeûne est absolu: pas de nourriture miraculeuse. La présence du tentateur, voilée dans les épisodes de l'Exode où la tentation parait monter des coeurs durcis et enténébrés, est ici dévoilée. Le Christ est sans doute le seul homme au monde à avoir pu affronter en face le visage de Satan, le démasquer derrière les séductions qu'il nous offre et les raisonnements où il nous engage. Jésus voit paraître la puissance du mal sur le monde, il en prend les dimensions, et il n'a pas peur. Il est venu pour libérer les hommes de son pouvoir, il n'a pour armes que sa fidélité à Dieu, sa certitude d'appartenir à son Père et d'être entre ses mains ; le prince de ce monde est sans pouvoir contre cette dépendance parfaite.

Ainsi le désert est-il une étape normale de l'itinéraire de la foi. Il y a des heures où le monde apparaît vide, inhabitable. Vide de tout ce dont nous avons besoin, vide de tout sens. Plus rien à manger, plus rien qui puisse nourrir nos forces, entretenir le goût de vivre. Et ce vide du monde parait n'être que le premier plan d'un vide plus effroyable, l'absence de Dieu. Pour que le monde soit si inhumain, il faut que Dieu s'en soit mêlé, dirait-on. Il doit être là; mais il fait exprès de se cacher. Est-ce qu'il ne se rirait pas de la plainte des hommes ? C'est le reproche de Job, c'est la déclaration qu'on entend aujourd'hui partout sous bien des formes. Dans ce monde que Dieu semble avoir abandonné, la seule figure visible est celle du mal, la seule issue raisonnable est celle que propose le tentateur : profiter de son pouvoir, s'imposer aux hommes, prendre possession du monde. Le Christ a passé par cette tentation, nous donne le moyen de la surmonter. Ce moyen est la foi.

 

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