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« LE SEIGNEUR VA VENIR en grande puissance. »(Friedrich HEER)

La recherche scientifique et la technique moderne nous ont révélé un nouveau visage du cosmos, un visage d'Avent, d'attente, de disponibilité et d'obéissance la nature recèle encore les profondeurs et de dimensions inexploitées, tant de forces capables de guérir, d'assainir de mûrir la vie! Tant de corps et de structures à découvrir, tant de couleurs inconnues, de formes, de parfums et de sons! Cette nature se révèle comme « virtualité », attente et obéissance (S. Weil ne disait-elle pas que la substance de la matière c'est l'obéissance ?) est l'image de la condition réelle de l'humanité et de chaque individu; car l'homme, une fois délivré de ses angoisses et de son instinctif besoin de s'affirmer et de se faire illusion à lui-même, l'homme est lui aussi attente.

Le monde vit dans l'espérance, l'homme aussi: aussi bien l'agitateur politique qui appelle à la grève que le représentant de commerce ou le grand patron, aussi bien le chercheur et le savant que la petite fille ou l'exilé loin de sa patrie; tous travaillent, produisent, vivent, parce qu'ils ont chacun l'espoir, parce que l'homme est lui-même espoir d'une vie meilleure.

Mais, peut-on réellement vivre dans l'espérance, et comment? Tout le destin de l'homme se joue ici. Tels penseront que cette espérance n' est rien de plus qu'un rêve, une vaine image, une chimère: que n'ont pas espéré les chrétiens d'Europe, et les non-chrétiens avec eux, depuis cent cinquante ans? Autant de songes en l'air, emportés dans des flots de sang sur les champs de bataille!... Mais vivre dans l'espérance, c'est porter en soi un fruit à venir; seul, vit dans l'espérance celui qui a conçu. C'est là une exigence que les hommes apeurés et mal mûris récusent nerveusement; ils veulent bien produire, créer, penser et être maîtres de leur vie; ils veulent bien enfanter, mais sans avoir conçu et longtemps porté en eux-mêmes leur fruit; ils veulent la connaissance, mais sans s'être d'abord donnés eux-mêmes; la vie des sens leur est un moyen de tout tirer à eux-mêmes, la foi une façon de dominer, l'amour c'est exiger... Et parce que les hommes d'Europe ont eu peur de vivre dans l'espérance, notre civilisation moderne s'est engourdie, oppressée et paralysée par l'angoisse, les psychoses, les obsessions, etc., et le monde a perdu la joie et la liberté.

Si l'homme ne veut pas porter longtemps en lui-même son fruit, en s'abandonnant aux possibilités que lui offre la réalité quotidienne, c'est qu'il n'a pas le courage de la patience.

Heureusement la vie nous apprend la patience : les oeuvres humaines les plus humbles et davantage encore les plus hautes, requièrent du temps générateur de patience.

 

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