559

INCARNATION ET VIE SPIRITUELE. (Emile MERSCH)

Le Verbe a assumé notre nature tout entière.

« Jésus grandissait en sagesse, en taille et en grâce, sous le regard de Dieu et des hommes. » 

Il a pris notre substance, notre façon humaine d'agir. « Rien de Dieu, en lui, n'est séparé de l'homme; rien de l'homme n'est séparé de Dieu », dit le Concile de Florence.

Si quelque chose de nous avait été dédaigné par le Sauveur, cela serait demeuré en dehors du Salut, et la vie divine aurait été donnée, non à la véritable descendance d'Adam, mais à quelque autre. Mais le Sauveur a tout pris: corps, âme, volonté, intelligence, tout. Donc rien d'humain ne demeure exclusivement nôtre. La totale consécration de notre être ne va pas sans de totales exigences filiales. Tout l'humain, en notre esprit et en notre corps, est matière d'holocauste, et Dieu ne veut pas de rapines dans le sacrifice.

Le Verbe donc n'a rien méprisé de notre nature. Donc, nous non plus, pour nous unir à Lui, nous n'avons rien à dédaigner en nous, ni rien à détruire.

Tout pécheurs que nous sommes, nous devons aller à Dieu de tout notre coeur « pauvre, de toutes nos forces « lamentables, de tout notre esprit « compliqué et obtus . Pour vraiment prendre les hommes et les servir, ne doit-on pas toujours les prendre comme ils sont ?

Ainsi a fait Dieu : tels que nous étions, tels que nous sommes encore, il nous a pris et il nous prend tous les jours. Ainsi faut-il faire avec soi-même pour imiter Dieu et sa sagesse. La sainteté, comme le Christ, est totalement humaine. Elle doit calquer l'ascétisme sur la méthode divine, qui, pour réparer l'homme, ne commence pas par le détruire.

Dieu ne nous façonne pas à coup d'explosifs.

Austérité et mortification, oui, et totales. Mais pour guérir et mieux conserver. Toutes les délicatesses de nos sentiments, toutes les nuances de notre psychologie doivent être respectées. Plus encore : toutes nos ressources, chacune selon son importance évidemment, doivent être cultivées et développées. La loi de notre nature est de grandir, et le Dieu Fils qui a voulu, comme un enfant, croître, en âge et en sagesse devant Dieu et devant les hommes, nous demande de devenir hommes en plénitude pour devenir semblables à Dieu.

A laisser vibrer son âme à l'unisson des va1eurs, on se fait un coeur plus humain, et l'on reproduit le geste du Verbe incarné qui s'est attardé lui aussi devant ces splendeurs créées pour y contempler les traces d'un éternel amour. Il ne faut pas renoncer par perfection à l'amour de sa patrie, il ne faut pas non plus extirper l'amitié de son âme, mais respecter ces affections humaines, exiger au'elles soient limpides comme des regards d'enfant, et fortes comme la mort, puisque Jésus aimé les siens jusqu'à donner sa vie pour eux. La vie chrétienne, vie des fils, est donc simple, comme le mystère de l'Incarnation. Qu'on soit homme seulement, qu'on le soit joyeusement, et pieusement, mais qu'on le soit à cause de Lui. Il qui s'est fait homme pour nous, qu'on le soit à sa manière.

 

559