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 nouvelle évangélisation-retour

La « nouvelle évangélisation » :

Souffle nouveau, pratiques nouvelles !

 

Qui a dit que l'Église catholique était moribonde ? Il y a certes des choses qui meurent. Mais ici et la naissent aussi des initiatives nouvelles. Jean-Paul II a qualifié ces dernieres de « nouvelle évangélisation ». De quoi s'agit-il ? Quels en sont les traits et les lignes de force ? Comment cela se traduit-il dans des pratiques évangélisatrices actuelles ? Quels défis pour le catholicisme d'ici ?

 

Dans les lignes qui suivent, nous commencerons par présenter l'origine et le sens de l'expression « nouvelle évangélisation ». Par la suite, et c'est le coeur de notre propos, nous présenterons des grands traits ou des lignes de force de l'évangélisation contemporaine. Notre analyse portera la marque particuliere de l'évangélisation telle qu'elle se vit présentement en contexte québécois. Les divers cas de terrain présentés pourront etre approfondis par les lecteurs eux-memes au moyen des sites internet auxquels nous renvoyons.

 

1. « Nouvelle évangélisation » : origine et sens de l'expression

 

1.1 Origine

 

L'idée de la « nouvelle évangélisation » vient tout a la fois du pape Paul VI et du pape Jean-Paul II [1].

 

En décembre 1975, le pape Paul VI lance une exhortation apostolique intitulée en français : Annoncer l'Évangile (Evangelii Nuntiandi) [2]. Paul VI y parle des « temps nouveaux pour l'évangélisation ». Il précise que « les conditions de la société nous obligent a réviser les méthodes, a chercher par tous les moyens, a étudier comment faire arriver a l'homme moderne le message chrétien » [3]. Paul VI lançait ainsi un appel a un renouveau missionnaire !

 

Quatre ans plus tard, soit le 9 juin 1979, alors qu'il est en voyage en Pologne, le pape Jean-Paul II emploie pour la premiere fois, de maniere explicite, l'expression « nouvelle évangélisation » [4].

 

Un peu apres, en 1983, nous retrouvons Jean-Paul II a Port-au-Prince, dans le cadre du 500 ieme anniversaire du travail missionnaire en Amérique latine. Il y disait, et cette citation est importante : « La commémoration du demi-millénaire d'évangélisation aura sa pleine signification dans la mesure ou elle est un engagement [...] non de ré-évangélisation, mais d'une nouvelle évangélisation. Nouvelle en son ardeur, dans ses méthodes, dans son expression » [5]. Au fil des années, Jean-Paul II va populariser l'expression « nouvelle évangélisation » et il en précisera le sens [6].

 

1.2 Sens

 

Mais justement, quel est le sens de l'expression « nouvelle évangélisation » ? Pour le comprendre, il peut etre utile de passer par son contraire, c'est-a-dire, l'évangélisation plus traditionnelle, ou ce que Benoît XVI appellera l'évangélisation « classique » [7].

 

L'évangélisation traditionnelle ou classique désigne principalement l'annonce de l'Évangile aux nations qui n'en ont pas entendu parler (ad gentes). C'est généralement l'activité missionnaire traditionnelle de l'Église, ou ce a quoi nous faisons probablement spontanément référence quand nous pensons a la « mission » et aux « missionnaires ».

 

Or, note l'éveque américain Edward Clark, un grand nombre de convertis dans nos pays ont été évangélisés de cette maniere. Malheureusement, nombre d'entre eux ne sont pas demeurés des membres actifs dans la foi catholique. Plus triste encore, dit Clark, des pays jadis fervents, sont devenus des nations qui n'ont de chrétien que le nom ou sont meme devenues post-chrétiennes [8]. C'est cette situation que Paul VI et Jean-Paul II avaient en vue en parlant du besoin d'une évangélisation nouvelle.

 

Cela signifie donc, en contraste avec l'évangélisation plus traditionnelle, que la nouvelle évangélisation vise principalement les personnes qui ont déja eu contact avec l'Évangile et l'Église. Ces personnes, pour des raisons diverses, n'ont toutefois pas fait la rencontre personnelle avec le Christ et leur foi n'a pas eu l'occasion de se développer. La nouvelle évangélisation s'adresse prioritairement a ces personnes, par un effort de revitalisation ou de réveil de la foi dans des milieux déja porteurs d'une certaine tradition ou du moins d'une imprégnation chrétienne. Mais c'est un christianisme endormi !

 

2. Traits de la nouvelle évangélisation

 

Cette distinction faite, j'en viens a la seconde étape de notre démarche : certains traits caractéristiques de la nouvelle évangélisation. Je dis bien « certains » traits. Autrement dit, les traits que j'ai retenus ne sont pas les seuls et ils ne disent pas tout. Ils me semblent toutefois dominants et sont représentatifs d'un courant de fond.

 

Je les mentionne succinctement. 1) Une mise en valeur de la communauté 2) Une nouvelle ardeur spirituelle 3) Une audace a prendre la parole 4) Un souci de l'éducation de la foi. Je reprends chacun des traits, et les illustrerai par des exemples ou des cas concrets.

 

2.1 Une mise en valeur de la communauté

 

Un chrétien seul est un chrétien en danger ! Rien n'est plus vrai, surtout dans un contexte ou, comme catholiques, nous sommes devenus — de fait — une minorité religieuse. C'est pourquoi le premier trait de la nouvelle évangélisation concerne la mise en valeur de la communauté. En ce sens, j'aimerais donner cinq caractéristiques de l'Église qui entre dans cette dynamique.

 

2.1.1 Une Église qui mise sur la jeunesse

 

On entend aisément dire : les jeunes ne s'intéressent plus a l'Église. Il peut encore etre plus aisé de le croire ! Et pourtant, les Églises qui font partie prenante de la nouvelle évangélisation ont des jeunes, et des jeunes qui évangélisent a leur tour.

 

D'abord une observation. Jean-Paul II, je l'ai mentionné plus haut, a été le grand protagoniste de la nouvelle évangélisation. Et il a particulierement misé sur la jeunesse. En ce sens, la création, a partir de 1985 [9], des Journées mondiales de la jeunesse (JMJ), a marqué un tournant non négligeable dans l'horizon du catholicisme actuel.

 

Le théologien Gilles Routhier souligne qu'il y a un constat récurrent : « les jeunes que l'on croyait —a tort — perdus pour l'Église sont au rendez-vous » [10]. Le ton du discours de Jean-Paul II est a la confiance et a la responsabilité. « Jean-Paul II, écrit Routhier, arrive a inscrire la singularité de son discours dans le flot de paroles adressées aux jeunes, non seulement en raison de la radicalité de ses propositions, mais du fait qu'il considere les jeunes comme des acteurs importants de la vie sociale et ecclésiale et de véritables participants a la construction du monde [11] ». C'est une incitation a faire de l'évangélisation de la jeunesse (c'est-a-dire les 18-35 ans) une priorité pour les Églises.

 

Un exemple : la Famille Marie-Jeunesse au Québec, en Belgique et dans les Antilles (www.marie-jeunesse.org). Il s'agit, au point de départ (au début des années 1980), d'un mouvement de jeunes axé sur la priere et le partage. Au fil des ans, le groupe s'accroît. Il naît ainsi des « auberges », c'est-a-dire, des maisons qui sont des lieux d'accueil, de passage et de vie pour des jeunes en quete de Dieu.

 

Aujourd'hui, le mouvement est devenu une école d'évangélisation ou chaque année une vingtaine de jeunes âgés entre 18 et 30 ans peuvent vivre une année de ressourcement et de formation appelé l' « Année Pentecôte ». Un grand rassemblement annuel, le « Concile des jeunes », rassemble plus de 400 jeunes pour quatre jours de priere, d'enseignement, de fraternité et de fete.

 

De plus, du mouvement est né une communauté de vie et d'engagement qui rassemble une centaine de jeunes, hommes et femmes, consacrés dans le célibat ou dans le mariage. Ils ont plusieurs jeunes pretres et un nombre encore croissant de jeunes hommes en formation en vue de l'ordination. Leur mission est l'évangélisation des jeunes par les jeunes. Un exemple frappant de l'engagement des jeunes dans la nouvelle évangélisation.

 

2.1.2 Une Église qui croit a la diversité et a la complémentarité des vocations

 

S'il est un theme préoccupant dans nos Église, c'est bien celui des vocations. Mais attention ! Dans l'Église qui entre dans la dynamique de la nouvelle évangélisation, la notion de vocation ne se restreint pas au ministere ordonné ou a la vie religieuse. C'est une notion beaucoup plus englobante, ou l'on voit notamment — et je le souligne — une requalification des vocations laiques (mariées ou célibataires).

 

Depuis les années 1970, a titre d'exemple, sont nées dans l'Église catholique un certain nombre de communautés, dont la réalité s'apparente aux communautés religieuses, mais qui en meme temps innovent. On les appelle communément les « communautés nouvelles » [12]. Ce sont des communautés de vie, fondées par des laiques, des pretres, des religieux-ses ou encore par des couples, et qui regroupent simultanément des hommes et des femmes. Certains s'engagent dans une vie consacrée par les trois voeux traditionnels de pauvreté, de chasteté et d'obéissance; d'autres s'engagent dans le mariage et vivent au sein de la communauté — ou en lien avec elle — comme couple, le cas échéant comme famille; parmi eux nous retrouvons également des ministres ordonnés (diacres, pretres).

 

La Communauté du Chemin-Neuf (www.chemin-neuf.org), fondé par un jésuite en France en 1973, fait partie de ces nouvelles formes de communautés. Cette communauté catholique a vocation oecuménique regroupe quelques milliers de membres dans plus d'une vingtaine de pays. On y retrouve une majorité de laiques. Ils sont engagés dans la nouvelle évangélisation au sein de leur milieu de travail professionnel ou dans des paroisses (comme la paroisse Ste-Rose de Laval pres de Montréal). Ils organisent des sessions appelées « Cana » qui préparent et soutiennent des couples dans le mariage. Ils offrent de la formation biblique, organisent des spectacles et produisent des articles divers pour l'évangélisation (c.d., livres, images), etc.

 

La note particuliere que je veux souligner ici est, d'une part, qu'un grand nombre de laiques sont engagés dans l'évangélisation. Comme le notait Jean-Paul II dans Redemptoris Missio : « L'engagement des laics dans l'évangélisation est en train de modifier la vie ecclésiale » (no. 2). D'autre part, cette mission se vit toujours dans la complémentarité et la valorisation de toutes les vocations dans l'Église. C'est une donnée fondamentale pour la nouvelle évangélisation.

 

2.1.3 Une Église qui est attentive aux cheminements personnels

 

Parmi mes étudiants actuellement a l'Institut de pastorale des Dominicains, je suis frappé par le témoignage d'adultes — des personnes dans la quarantaine — qui se disent « recommençants ». C'est-a-dire qu'ils ont été baptisés, souvent jeunes, mais au gré de leur vie et des circonstances ils ont rompu avec la foi ou du moins ils ont mis cette dimension en veilleuse. Puis, le plus souvent a la suite d'une expérience personnelle ou ils ont été saisis par Dieu, leur cheminement spirituel est réactivé. Dans une Église qui entre dans la dynamique de la nouvelle évangélisation, les parcours de ce type sont appelés, a mon avis, a devenir fréquents.

 

Or, ces croyants régénérés, revivifiés, ont besoin d'etre accueillis au sein de vraies communautés : des lieux ou on rompt avec l'anonymat et ou on se connaît par nos noms. Plus encore, et cela est beaucoup plus large que les besoins des seuls recommençants, un nombre grandissant de croyant(e)s expriment le besoin d'etre accompagnés personnellement dans leur démarche de foi.

 

J'aimerais donner ici l'exemple du Centre Le Pelerin a Montréal (www.lepelerin.org). Créé en 2001 par le diocese de Montréal, piloté par les Peres de Sainte-Croix et de multiples partenaires, le Centre Le Pelerin répond a un besoin de cheminement et d'accompagnement spirituels personnalisés. D'année en année, le Centre ne cesse de se développer. Actuellement pres d'une centaine de personnes (laiques, religieux-ses, pretres) sont en formation pour devenir accompagnateurs-trices spirituelles. En plus, plus de 300 personnes bénéficient d'un service d'accompagnement spirituel personnalisé ou en groupe.

 

Ce projet représente, a mon sens, une avenue féconde dans la nouvelle évangélisation : on ne se préoccupe pas seulement des masses, mais on s'intéresse aux individus et a leur enracinement spirituel personnel.

 

2.1.4 Une Église ouverte a l'interculturalité

 

Saviez-vous que dans un diocese comme celui de Montréal, pres de la moitié des dits « pratiquants » du dimanche sont issus de l'immigration ? Et qu'un certain nombre de pretres desservant des dioceses au Québec viennent de l'étranger comme missionnaires chez nous ?

 

Vous me direz peut-etre : c'est une réalité urbaine, typiquement montréalaise. C'est en partie vrai. On ne retrouve pas cela partout. Cependant, dans la dynamique de la nouvelle évangélisation, meme les communautés les plus homogenes sont appelées a etre saisies par la dimension internationale de l'Église.

 

D'ailleurs, au regard du nombre de pays ou l'Église est présente actuellement, jamais l'Église catholique n'a si bien porté son nom : « catholicos », en grec, qui signifie « universel ». On peut aussi mentionner, au passage, que l'Église catholique connaît actuellement une croissance au plan mondial. L'Afrique, par exemple, a connu une augmentation de 151 % de catholiques entre 1978 et 2002 [13].

 

Lors des JMJ de Toronto — je reviens encore a un exemple tiré de ce cadre ! — j'étais en compagnie d'un groupe de jeunes provenant de plusieurs pays. J'y ai entendu des témoignages forts. Comme celui d'un jeune québécois qui dans son milieu finissait par croire qu'il était le seul de son espece ! C'est comme si l'Église catholique se résumait pour lui a l'Église paroissiale qu'il connaissait. Toronto a été pour lui, comme pour beaucoup d'autres personnes — je pense aussi aux familles qui accueillaient des jeunes pelerins dans leur maison —, une occasion de s'ouvrir a l'universalité de l'Église. La nouvelle évangélisation est marquée par l'ouverture aux autres cultures.

 

Elle tend ainsi a briser les repliements locaux et situe du meme coup les problématiques de l'Église d'ici dans une perspective beaucoup plus large.

 

2.1.5 Une Église qui accepte des modalités d'appartenance diversifiées

 

Qui pense Église, pense paroisse. Et qui pense paroisse, pense le plus souvent a la communauté célébrante du dimanche ! N'est-ce pas vrai ? Or, dans la dynamique de la nouvelle évangélisation, la réalité est plus large, plus diversifiée.

 

Un exemple. Au printemps 1997, la paroisse St-Louis-de-France (www.st-louis-de-france.org) a Montréal organise une « mission paroissiale », une forme de retraite urbaine axée sur la priere, l'enseignement et le témoignage. Des jeunes se sont alors présentés et ont exprimé le souhait de cheminer dans la foi. De la est née la Bande FM (F pour foi; M pour mission). Il s'agit d'une sorte d'école de la foi, qui comprend tout a la fois quatre fraternités de vie pour jeunes étudiants et travailleurs, un groupe de partage biblique, une équipe missionnaire engagée dans l'évangélisation directe ou l'implication sociale, un groupe axé sur la foi vécue en famille, etc. Ce que je veux mettre en relief ici, c'est que sous la coupole de la paroisse traditionnelle a surgi un fourmillement de groupes affinitaires, de réseaux, d'activités variées qui forment ensemble une maniere diversifiée et intégrée de faire Église.

 

L'Église de la nouvelle évangélisation prône tout a la fois les grands rassemblements (les hauts lieux et les temps forts), et les petites communautés de partage et de foi. Petites communautés qui sont souvent des lieux intermédiaires entre la grande paroisse et les milieux familiaux. C'est notamment la vision de la paroisse développée par les Cellules paroissiales d'évangélisation [14]. Cette perspective me semble prometteuse. Il en résulte que l'Église de la nouvelle évangélisation aura pour défi d'« accepter de voir la paroisse traditionnelle se transformer progressivement en une communion de communautés restreintes » [15]. Un nouveau modele d'Église est possiblement en train de voir le jour.

 

2.2 Une nouvelle ardeur spirituelle

 

Si j'avais a exprimer, pour ma part, ce qu'évoque pour moi la nouvelle évangélisation, je répondrais par deux mots : sourire et conviction.

 

La nouvelle évangélisation, ce ne sont pas seulement des pratiques. C'est une attitude, un esprit, une mentalité que je qualifierais globalement de nouvelle ardeur spirituelle [16]. Un Souffle nouveau ! Il y a deux aspects que j'aimerais mettre en relief. Premierement, que la nouvelle évangélisation se ressource dans la priere. Et deuxiemement, que la nouvelle évangélisation privilégie le témoignage personnel et collectif

 

2.2.1 Le ressourcement dans la priere

 

Sans enracinement dans la priere, il est inutile de parler d'évangélisation ! Fondamentalement, l'évangélisation commence par une disposition intérieure a nous laisser transformer par l'Esprit Saint; Esprit Saint qui nous rendra lui-meme capable de témoigner avec les mots, les gestes et les attitudes appropriées a la situation et aux personnes vers qui nous sommes envoyées [17].

 

Par ailleurs, la priere demande un investissement réel. Cela demande du temps et nécessite de la constance. Sans cela, n'espérons produire aucun fruit [18] ! Le risque encouru est de faire de l'évangélisation une entreprise humaine, alors qu'il s'agit de prolonger et d'actualiser pour aujourd'hui le message, les attitudes et les gestes du Seigneur lui-meme.

 

Comment cela se vit-il concretement dans une Église qui entre dans la dynamique de la nouvelle évangélisation ? Nous entrons la dans un univers aussi riche que diversifié !

 

La priere liturgique, commune — comme la messe du dimanche —, demeure une forme incontournable de la priere. Mais encore faut-il que ce temps laisse véritablement place a la priere... Quelqu'un me partagea l'autre jour avoir rencontré un jeune scientifique tout emballé d'aller dans un monastere au Tibet. Il demande au jeune homme ce qui le pousse a aller la-bas, et les deux commencent a échanger sur la spiritualité. Mais pourquoi aller au Tibet ? Le catholicisme n'a-t-il rien a offrir ? La réponse fut lapidaire : le catholicisme c'est trop institutionnel... pas assez spirituel !

 

La liturgie de la nouvelle évangélisation, pour variée qu'elle puisse etre, insiste habituellement sur la beauté ainsi que sur les espaces de silence. Le frere Roger, fondateur de la communauté oecuménique de Taizé (www.taize.fr), l'a bien saisi en privilégiant le silence, entrecoupé de chants, de textes bibliques et d'un commentaire qui évite une inflation de mots. Il n'est pas étonnant que les rassemblements de priere de Taizé réunissent un peu partout dans le monde des foules de jeunes avides de spiritualité.

 

Par ailleurs, la formule plus simple des groupes de priere tient également une place importante dans la nouvelle évangélisation. Ce sont des groupes plus restreints, qui se réunissent durant la semaine, parfois dans les foyers familiaux. Ce cadre plus convivial permet de développer une priere intense et personnalisée.

 

Et enfin, je ne peux omettre de souligner le caractere festif de la priere. Les groupes de la nouvelle évangélisation peuvent parfois démontrer une exubérance qui n'est pas sans liens de parenté avec les Églises pentecôtistes ou évangéliques — qui, soit dit en passant, connaissent une croissance actuellement dans plusieurs milieux, attirant entre autres d'anciens catholiques... Le courant de la nouvelle évangélisation a meme développé tout un répertoire musical, rythmé, joyeux, une liturgie festive qui fait place aux émotions et au corps dans le vécu de la priere.

 

2.2.2 Privilégier le témoignage personnel

 

La priere, avons-nous dit, est source de transformation intérieure et elle conduit normalement au témoignage : « Quand on allume une lampe, ce n'est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son support et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison » (Mt 5,15). Ce qui nous amene au second aspect de la ferveur spirituelle : la nouvelle évangélisation privilégie le témoignage personnel et collectif.

 

Paul VI avait phrase percutante. Je vous la lis : « L'homme moderne écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, ou s'il écoute les maîtres, il le fait parce que ce sont des témoins » [19]. S'il y a une chose qui ne trompe pas, au-dela des idées, c'est bien la valeur d'un témoignage personnel : ce que le Seigneur a fait pour moi, il peut le faire pour toi aussi ! Les personnes et les groupes engagés dans la nouvelle évangélisation l'ont bien saisi. Aussi le témoignage personnel — individuel ou en groupe, discret ou public — est une donnée incontournable de l'évangélisation aujourd'hui.

 

Il y a deux ans, dans le cadre d'un cours que je donnais sur les « communautés nouvelles », j'ai invité des membres de trois communautés différentes a donner un témoignage a mes étudiants. J'avais demandé un témoin par communauté; je me suis retrouvé avec deux ou trois témoins par groupe ! A la fin de la rencontre, je leur ai fait part de ma surprise (heureuse !) de les voir aussi nombreux. Tous s'entendaient pour me donner cette réponse : « Tu sais, l'expérience nous apprend que notre témoignage a toujours plus de force lorsque nous sommes a plusieurs ». Je me demande si dans un grand nombre de nos milieux catholiques nous n'avons pas perdu ce sens du témoignage ensemble ?

 

2.3 Une audace a prendre la parole

 

Témoigner, c'est engager sa parole. C'est de cette maniere que l'évangélisation a commencée : le Christ a parlé, les apôtres ont parlé, l'évangile de Jean parle du Christ comme le Verbe — la Parole — faite chair (Jn 1,14). Nous sommes une religion de la Parole !

 

Mais oser prendre la parole, c'est risqué, et si vous etes comme moi, ça fait peur... Pourtant, c'est une peur que l'Esprit Saint nous amene a dépasser. Pensez a ce que les apôtres ont vécu au jour de la Pentecôte (Ac 2,1-13) ! La nouvelle évangélisation est caractérisée par une audace a prendre la parole.

 

Il y a trois aspects que j'aimerais mettre en relief.

 

2.3.1 Une prise de parole visible, claire et affirmée

 

Ces dernieres décennies on a d'une certaine maniere privilégié le témoignage par la présence discrete, plus visible dans les gestes que dans les paroles.

 

Peut-etre qu'apres un trop plein de visibilité de l'Église institutionnelle dans le passé, il a fallu apprendre a devenir plus humble. C'est bien. Cependant, les temps ont changé. Non qu'il faille retourner a une visibilité ostentatoire révolue, mais nous ne sommes pas faits non plus pour vivre dans un placard ! L'Évangile est pour la place publique.

 

Jean Rigal, dans un texte consacré a la nouvelle évangélisation, écrit : « La nouvelle évangélisation est basée généralement sur l'affirmation identitaire de la foi, aux antipodes de tout souci d'enfouissement "dans la pâte humaine". Pour reprendre deux images bibliques bien connues, "la ville sur la montagne" est prédominante par rapport au "sel de la terre" » [20].

 

Ce qui est souligné ici, c'est une tendance. Tendance qui correspond a une situation nouvelle, nommément d'une déchristianisation de nos milieux, d'ou le besoin d'une annonce plus explicite de l'Évangile. Il va sans dire que cela n'exclut aucunement l'importance du témoignage par la présence discrete qui garde toute sa valeur. La richesse de l'approche est dans la complémentarité des moyens !

 

2.3.2 Un faisceau de moyens

 

Cela m'amene a souligner un autre aspect de la prise de parole dans la nouvelle évangélisation : celle-ci passe par un faisceau de moyens

 

La nouvelle évangélisation ne déclasse pas les méthodes qui ont fait leurs preuves jusqu'a maintenant. Cependant, nous assistons a une profusion d'initiatives qui pour certaines sont tout a fait nouvelles. Je ne prends qu'un exemple : l'évangélisation via internet.

 

L'un de mes confreres dominicains, Yves Bériault, est devenu un webmestre professionnel [21]. Il est a la source de plusieurs sites web, dont le plus important est le site www.spiritualite2000.com. Il s'agit essentiellement d'un magazine — un webzine ! — de spiritualité chrétienne auquel collaborent une vingtaine de personnes. On y retrouve une galerie d'art, des commentaires bibliques, un programme catéchétique, des témoignages, une chronique cinéma, une chronique sur le couple et une autre intitulée « Dieu en famille », et on y offre meme un service d'accompagnement spirituel assuré par cinq freres dominicains. Ce site est visité par plus d'un millier d'internautes par jour. Un exemple parmi bien d'autres qui montre que l'évangélisation prend des voies nouvelles.

 

2.3.3 Une Parole Bonne

 

Je termine avec un troisieme aspect de la prise de parole : l'importance d'annoncer une Parole Bonne ! Évangéliser par la parole comporte deux conditions.

 

La premiere réside dans l'attitude que nous adoptons envers ceux et celles a qui nous nous adressons. Qu'on me permette une enfilade de mots : amour, respect, ouverture, dialogue, proposition de l'Évangile. Aussi convaincus que nous soyons, rien ne peut justifier l'impérialisme évangélique, la croisade ou encore toute forme d'imposition de l'Évangile. Cela, les pages sombres de notre passé nous l'apprennent...

 

Mais il est une deuxieme condition pour pouvoir évangéliser par la parole : c'est que cette parole soit bonne ! Daniel Cadrin parle en ce sens de la nécessité pour notre Église de « changer d'obsession ». Je me permets de le citer :

 

Un défi majeur pour l'Église (au Québec), est de sortir de l'obsession morale (vie privée et sexualité), a laquelle elle est identifiée. Etre chrétien, ce n'est pas d'abord etre pour ou contre la cohabitation avant le mariage, le divorce, l'avortement, le mariage gai, etc. Ces sujets occupent le devant de la scene a cause de l'Église elle-meme, tres intervenante dans le passé et le présent autour de ces questions, et la culture actuelle et des médias obsédés aussi par ces questions et réduisant l'Église a ses positions la-dessus. Etre chrétien est d'abord une affaire de foi en Christ, d'espérance et d'amour. Dans l'évangélisation, il s'agit d'annoncer le Dieu vivant, qui n'est pas n'importe qui, de proposer un horizon de signification a l'existence humaine [22].

 

Autrement dit, si l'Évangile trouve parfois peu échos dans nos milieux, ne serait-ce pas parce que la parole que nous annonçons n'est pas suffisamment Bonne ?

 

2.4 Un souci de l'éducation de la foi

 

Il y a un quatrieme et dernier trait caractéristique de la nouvelle évangélisation : c'est le souci de l'éducation de la foi.

 

Il ne suffit pas de prendre la parole. Encore faut-il que nous ayons quelque chose a dire, un contenu ! Je me souviens d'avoir entendu un jour la phrase suivante : « L'annonce de la Parole de Dieu ne tolere pas l'amateurisme ! ». Sans verser dans un purisme intellectuel, cette phrase est de nature, me semble-t-il, a inciter a ne jamais cesser d'approfondir le contenu de la foi. Une foi qui est en quete d'intelligence.

 

Cette quete d'intelligence de la foi est généralement prise au sérieux dans les milieux impliqués dans la nouvelle évangélisation. On voit surgir ici et la des écoles de la foi (comme la Bande FM ou encore le Centre Agape de Québec, www.centreagape.org), il existe des centres de formation théologique (comme l'Institut de pastorale ou je travaille), ou encore des parcours d'initiation a la vie chrétienne pour tous les âges de la vie. Non seulement pour les enfants, mais également — et meme prioritairement — pour les adultes [23] (comme les cours Alpha : www.coursalpha.fr).

 

Conclusion

 

J'ai tenté d'esquisser a grands traits un horizon de la nouvelle évangélisation. Ce portrait, j'en suis conscient, n'est pas complet. Il aurait encore fallu parler du dialogue interreligieux, de l'oecuménisme, de l'engagement social des chrétiens, de l'importance de la famille, du rapport entre les générations, de la question des ressources financieres, du leadership, du partenariat homme-femmes, etc. Autant d'aspects constitutifs de la nouvelle évangélisation mais que je n'ai pas pu développer.

 

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[1] Cf. Jean Rigal, « La nouvelle évangélisation. Comprendre cette nouvelle approche. Les questions qu'elle suscite », in Nouvelle revue théologique, no. 127, 2005, pp. 436-437.

 

[2] Paul VI, L'évangélisation dans le monde moderne. Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi (8 décembre 1975), in La documentation catholique, no. 1689, 4 janvier 1976, pp. 1-21.

 

[3]Evangelii nuntiandi, 3.

 

[4] Cf. Luc Baresta, « Jean-Paul II et la Nouvelle Évangélisation », in Frédéric Aimard et Samuel Pruvot, Enquete sur la Nouvelle Évangélisation, Paris, Le Sarment, pp. 13-21. Homélie a Nowa Huta (Pologne) : « En ces temps nouveaux, en cette nouvelle condition de vie, l'Évangile est de nouveau annoncé. Une Nouvelle Évangélisation est commencée, comme s'il s'agissait d'une nouvelle annonce, bien qu'en réalité ce soit toujours la meme. La croix se tient debout sur le monde qui change » (« Aux travailleurs de Nowa Huta », in La documentation catholique, no. 1767, 1 er juillet 1979, p. 638.)

 

[5] Le 9 mars 1983 au CELAM (conseil épiscopal latino-américain), « Pour une nouvelle évangélisation de l'Amérique Latine », in La documentation catholique, no. 1850, 17 avril 1983, p. 438.

 

[6] Nous pouvons signaler deux documents qui explicitent la pensée du pape: La mission du Christ rédempteur. Lettre encyclique Redemptoris Missio sur la valeur permanente du précepte missionnaire (7 décembre 1990), in La documentation catholique, no. 2022, 17 février 1991, pp. 152-191 — l'expression « nouvelle évangélisation » revient pas moins de quinze fois. Au début du nouveau millénaire. Lettre apostolique Novo milleniio ineunte (6 janvier 2001), in La documentation catholique, no. 2240, 21 janvier 2001, pp. 67-89.

 

[7] « … nous cherchons, outre l'évangélisation permanente, jamais interrompue, et ne devant jamais l'etre, une nouvelle évangélisation, capable de se faire entendre de ce monde qui ne trouve pas acces a l'évangélisation "classique" » (Joseph Ratzinger, « La nouvelle évangélisation », in La documentation catholique, no. 2240, 21 janvier 2001, p. 91).

 

[8] « Vast numbers of converts were evangelized in just this fashion and, sadly, many of them did not remain active members of the Catholic faith. Sadder yet, once-vibrant Christian countries have become nominally Christian or even post-Christian nations » (Edward Clark, «What is New About the New Evangelisation ?», in Origins, CNS documentary service, vol. 36, no. 1, May 18, 2006, p. 3).

 

[9] Cf. La documentation catholique, no. 1888, 20 janvier 1985, p. 165; no. 1895, 5 mai 1985, pp. 469-472. 476.

 

[10] Gilles Routhier, « Une nouvelle donne en pastorale de la jeunesse », in Lumen Vitae, vol. LXI, no 2, 2006, p. 132.

 

[11] Gilles Routhier, « Une nouvelle donne en pastorale de la jeunesse », in Lumen Vitae, vol. LXI, no 2, 2006, p. 132.

 

[12] Sur le sujet des nouvelles communautés religieuses au Québec, voir notre étude : Les nouvelles communautés religieuses dans l'Église catholique du Québec. Une étude de cas : Services Myriam Beth'léhem, mémoire de maîtrise (M.A., sociologie), Québec, Université Laval, Programme de maîtrise en sciences humaines de la religion, Université Laval, 4 e édition, 1996, 329 p., ainsi que nos articles suivants : « Vitalité de la vie consacrée dans les nouvelles communautés religieuses », dans La vie des communautés religieuses, vol. 60, no 5, novembre-décembre 2002, pp. 301-311 et « Vocations et nouvelles communautés religieuses », dans Repartir du Christ. Congres de l'ACRCV / ACRF, 14-16 octobre 2005, Montréal, Centre vocationnel, pp. 29-47.

 

[13] « Le nombre de fideles baptisés s'est progressivement accru au niveau mondial, passant, au cours de la période considérée, de 757 millions en 1978 a 1.070 millions en 2002 ». (L'Osservatore romano, no. 18, 4 mai 2004, pp. 6-8). Le dernier Annuaire des statistiques de l'Église (mis a jour le 31 décembre 2003) indique que le nombre de catholiques est de 1.085.577.000 (source : www.fides.org/fra/statistiche/index.html).

 

[14] Cf. Giusseppe Macchioni et Pigi Perini, Évangéliser en paroisse. L'expérience des Cellules Paroissiales d'Évangélisation, Nouan-le-Fuzelier, Pneumatheque, 1996, 184 p. Le site internet des Cellules paroissiales d'évangélisation au Québec : www.oikos-evangelisation.com. D'un point de vue plus théorique, du point de vue étasunien ou le mouvement a commencé , voir également : Joel Comiskey, Home Cell Group Explosion — How Your Group Can Grow and Multiply, Houston, Touch Publications, 1998; Daver Earley, The 8 habits of effective small group leaders — transforming you ministry outside the cell meeting, Houston, Cell Group Ressources, 2001; Thomas G. Kirkpatrick, Small groups in the church : A handbook for creating community, Bethesda, Alban Institute, 1995; Robert Logan, Beyond Church Growth, Grand Rapids, Zondervan, 2003; Ralph Webster Neighbour et Lorna Jenkins, Where do we go from here ?: A guidebook for cell group churches, Houston, Touch Publications, 1990; Larry Stockstill, The Cell Church, Ventura, Regal Books, 1998; Scott Boren, Making cell groups work — navigating the transformation to a cell-based church, Houston, Cell Group Ressources, 2002.

 

[15] Comité de recherche de l'Assemblée des éveques du Québec sur les communautés chrétiennes locales, Voies d'avenir. Résumé de la recherche, Montréal, Fides, 1992, p. 29. Voir également : Pierre Goudreault, Faire Église autrement, Ottawa, Novalis, 2006, 162 p.

 

[16] « A maintes reprises, j'ai répété ces dernieres années l'appel a la Nouvelle Évangélisation. Je le reprends maintenant, surtout pour montrer qu'il faut raviver en nous l'élan des origines, en nous laissant pénétrer de l'ardeur de la prédication apostolique qui a suivi la Pentecôte. Nous devons revivre en nous le sentiment enflammé de Paul qui s'exclamait : Malheur a moi si je n'annonce pas l'Évangile (1 Co 9, 16) » (Novo milleniio ineunte, 40).

 

[17] « Il n'y aura jamais d'évangélisation possible sans l'action de l'Esprit Saint » (Evangelii Nuntiandi, 75).

 

[18] « Toutes les méthodes sont vides sans le fondement de la priere. La parole de l'annonce doit toujours baigner dans une intense vie de priere » (Joseph Ratzinger, « La nouvelle évangélisation », in La documentation catholique, no 2240, 21 janvier 2001, p. 92).

 

[19]Evangelii Nuntiandi, 41.

 

[20] Jean Rigal, « La nouvelle évangélisation. Comprendre cette nouvelle approche. Les questions qu'elle suscite », in Nouvelle revue théologique, no. 127, 2005, p. 442.

 

[21] Cf. Yves Bériault, o.p., Évangélisation et internet, conférence a l'assemblée annuelle de la SEDOS, 4 décembre 2001 (www.sedos.org/french/beriault.htm).

 

[22] Daniel Cadrin, o.p., « Communautés chrétiennes locales : situation et défis », in Réseau — Bulletin des Dominicains du Canada, juin 2005, p. 26. Le frere Yves Congar, dominicain, était « persuadé que l'incroyance tenait, en partie, au fait que l'Église avait présenté aux hommes un visage défiguré, trop juridique et autoritaire, insuffisamment humaniste, pas assez attentif au progres, trop sur la défensive et pas assez fidele aux exigences de l'Évangile » (Gilles Routhier, 40 ans apres Vatican II Espérer !, Ottawa, Novalis, 2007, p. 137, note 31 — Y. Congar, « Une conclusion théologique a l'enquete sur les raisons actuelles de l'incroyance », in Vie intellectuelle, 37 (1935), pp. 214-249.

 

[23] « L'Église doit s'adresser en priorité aux adultes. Parce que choisir une voie difficile et exigeante comme le sera la vie chrétienne dans les années qui viennent est le propre de l'adulte, l'Église devra investir d'abord aupres des adultes plutôt qu'aupres des enfants » (Comité de recherche de l'Assemblée des éveques du Québec sur les communautés chrétiennes locales, Voies d'avenir. Résumé de la recherche, Montréal, Fides, 1992, p. 27).

 

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