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nouvelle évangélisation-retour

Pastorale : proposer la foi ?

 

 

Par Henri Derroitte

 

 

 

 

J’ignore si vous avez fait ce constat : de plus en plus, l’Église contemporaine, en Belgique, en France, en Allemagne, en Amérique du Nord, parle avec abondance de la mission. Tout ce qui se fait ou devrait se faire dans la pastorale s’explique par « la mission ». C’est vrai tout particulierement pour un chantier prioritaire fréquemment ouvert : celui du réaménagement des paroisses. Voila que ce mot vieilli, honni par beaucoup, évité depuis la décolonisation, retrouve une nouvelle jeunesse ! Faut-il s’en réjouir ? Les éveques belges dans leur déclaration « le semeur est sorti pour semer » n’hésitent pas a écrire : « Dans la mesure ou nous prenons a bras le corps notre mission d’annoncer l’Évangile, celle-ci devient une source de renouveau pour l’Église entiere »1.

 

 

Les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît a premiere vue. Alors que la plupart des projets de renouveau paroissial justifie des changements a opérer par référence a un objectif missionnaire a tenir2, une réflexion fondamentale sur ce qu'implique en un lieu et en un temps une démarche "missionnaire" est finalement peu présente. Stimulé par ce qui s'est passé pour la catéchese, il s'agirait, par exemple, de penser aux rapports entre la "proposition" (je propose a l'autre) et l'écoute (l'autre me parle), entre la stabilité d'une communauté réunie chaque dimanche pour célébrer l'eucharistie et la mobilité des premiers contacts missionnaires, etc. Plus profondément sans doute, c'est une invitation a lier en paroisse le désir d'annoncer missionnaire et le besoin incessant d'auto-évangélisation des évangélisés3.

 

 

Le plan de cet exposé est divisé en quatre parties. Nous commencerons par explorer le sens qu’a pris au début de ce siecle le mot « mission ». Plus exactement, nous nous interrogerons sur les implications pastorales d’une juste perception de ce concept.

 

 

La deuxieme partie examinera 5 verbes utilisés actuellement pour décrire la maniere de transmettre le message chrétien a nos contemporains. Quelle forme peut prendre aujourd’hui cette formule des éveques belges : « envoyés pour annoncer » ?

 

 

Notre troisieme partie traitera des projets pastoraux : a nouveau, nous évoquerons cinq scénarios, cinq maniere de concrétiser l’engagement chrétien au service de la mission . Alors que la deuxieme partie envisageait la mission dans la démarche existentielle qui la sous-tend, celle-ci l’envisage dans ses aspects globaux : comment les projets pastoraux actuels traitent-ils les relations Église-monde et comment conçoivent-ils la mission de l’Église ?

 

 

Enfin, notre quatrieme et derniere partie, plus spirituelle, examinera les liens entre mission et dépouillement, entre kénose et pudeur. La perte du prestige social encouru par le christianisme occidental est peut-etre une chance pour la foi chrétienne : elle lui facilite le retour a l’intuition premiere, Dieu ne s’impose pas, il se cherche et se désire ; la discrétion de Dieu manifestée dans le parcours de Jésus est une invitation a une spiritualité missionnaire neuve.

 

 

 

 

1. Mission : que signifie ce mot en 2003 ?

 

 

« En fin de compte, l’enjeu de la mission est un enjeu théologique. Son but n’est pas la survie, l’expansion, la glorification de l’Église, mais la révélation plus entiere du Dieu de Jésus Christ dans son dessein de salut pour tous les hommes »4 . Dieu offre a l’homme une nouveauté de vie. En Christ, Dieu se communique lui-meme aux hommes. Animée par l’Esprit de Jésus, l’Église témoigne et annonce, depuis la Pentecôte, le salut en Jésus-Christ.

 

 

La deuxieme moitié du 20eme siecle a fait profondément évoluer concept de la "mission" évangélisatrice. Pour simplifier, on se contentera ici de noter quatre mouvements évolutifs.

 

 

Premier trait : Du côté de l'Eglise catholique, c'est autour du concile Vatican II que la mission a cessé d'etre une fonction spécialisée, presque extérieure et exotique de l'Eglise pour devenir une dimension intrinseque de l'Eglise de partout. La mission n'était plus perçue comme une simple activité de l'Eglise, mais comme une expression de l'etre véritable de l'Eglise. On ne pouvait plus couper le monde en deux blocs: celui des territoires "responsables de la mission" et celui des terres "objets de mission". Le monde entier est devenu un champ missionnaire, de sorte que la théologie, y compris la théologie occidentale ou la catéchese, doivent etre elles aussi pratiquées dans une situation missionnaire. « Dire que l'Église est essentiellement missionnaire ne signifie pas que la mission est centrée sur l'Église. (…) La mission est «l'expression de la vie du Saint-Esprit auquel aucune limite n'a été imposée. La mission concerne donc le monde aussi au-dela des limites de l'Église. Il s'agit du monde que Dieu aime et dont la communauté chrétienne est appelée a etre le sel et la lumiere (Jean 3 : 16 ; Matt 5 : 13) » 5. On connaît la formule-choc de Paul VI dans Evangelii Nuntiandi: "L'Église n'existe que pour évangéliser". Cette extension du vocabulaire de la mission évangélisatrice au cour des activités de l'Église est le sous-bassement théologique des textes essentiels sur le Ministere de la Parole, de Redemptoris Missio6 au récent Directoire général pour la Catéchese. Et meme, quand Redemptoris Missio, n° 33 distingue 3 situations missionnaires spécifiques (a savoir la missio ad gentes, l’activité pastorale et la nouvelle évangélisation), ce sera a l’intérieur de l’unique mission de l’Eglise7.

 

 

Deuxieme trait : Allant de pair avec cette extension du souci missionnaire en application a l'ensemble de la vie de l'Eglise, la réflexion a conduit a confier une responsabilité missionnaire a tous les baptisés. Le missiologue sud-africain David Bosch écrit a ce propos: « une des mutations les plus spectaculaires intervenues dans l'Église est celle qui a fait passer d'une conception d'un ministere monopolisé par des hommes spécialisés a cet effet a la notion de responsabilité de l'ensemble du peuple de Dieu, consacré ou non »8. Dans Lumen Gentium, on trouvera cette présentation de l’apostolicité de l’Eglise: « Tout comme il a été envoyé par le Pere, le Fils lui-meme a envoyé ses apôtres (cfr Jn 20,21 ainsi que Mt 28, 18-20) (...). Ce solennel commandement du Christ d'annoncer la vérité du salut, l'Eglise l'a reçu des apôtres pour en poursuivre l'accomplissement jusqu'aux extrémités de la terre (cfr Ac 1,8). C'est pourquoi elle fait siennes les paroles de l'Apôtre : "Malheur a moi si je ne prechais pas l'Evangile" (1 Cor 9,16): elle continue donc inlassablement a envoyer les hérauts de l'Evangile jusqu'a ce que les jeunes Eglises soient pleinement établies. A tout disciple du Christ incombe pour sa part la charge de l'expansion de la foi »9.

 

 

C'est donc bien l'Eglise entiere, toute l'Eglise, qui est apostolique. La ligne fondamentale est celle de l'apostolicité de toute l'Eglise. « Toute l'Eglise est apostolique dans la mesure ou elle se tient dans la fidélité au témoignage des Apôtres et vit des dons de l'Esprit »10.

 

 

Troisieme trait: La condition du disciple est bien de partager la mission évangélisatrice (Ac 8, 4-12; 10, 36; 11, 20). Mais cette prétention, cette audace missionnaire s'accompagne forcément toujours d'un temps d'arret autour des qualités des évangélisateurs. Comme le rappelle volontiers le Cardinal Danneels, l'évangélisation suppose l'auto-évangélisation des baptisés. Cette auto-évangélisation concerne tous les chrétiens, dans toutes les dimensions de leur vie de disciple: la foi, la priere, l'espérance, la générosité doivent etre évangélisées11. Gilbert Adler a bien montré que dans une société pluraliste, la vérité est en permanence a l’épreuve de sa validation. “Une pensée juste doit faire la preuve de son ajustement, de son authenticité, de sa crédibilité, de sa véracité”12. On accepte une chose non en raison de son prestige, de l’autorité de celui qui la promeut, mais en fonction de sa capacité a répondre a nos attentes, nos besoins.

 

 

Quatrieme trait : « La mission de l’Eglise prolonge celle du Christ et ainsi, mutatis mutandis, est la meme »13 . Karl Rahner a raison d’écrire : « Le chrétien et l’Église expriment leur foi de telle sorte que l’indicible, ce qui n’a pas de frontieres, n’est pas seulement l’absolument lointain, mais la proximité aimante et bienheureuse qui se communique elle-meme »14. Il reste que les historiens et les théologiens affirment nettement qu’un certain type d’Église génere un certain type de parole. Dans une Église de surplomb, d’encadrement et de puissance, on proposera ou pire on imposera ses vérités et ses valeurs, on se prétendra seuls détenteurs d’une autorité divine pour trancher tous les problemes. Dans une Église de dialogue, on ne peut, on ne veut pas définir seul et contre l’avis du monde ou est le bien et ou est le mal. On ne peut le faire qu’au sein d’un dialogue institué dans l’Église entiere et avec les non-chrétiens15. C’est dans un contexte interconvictionnel que la missiologie relit la péricope johannique :« Que tous soient unis a nous comme toi tu es en moi et moi en toi » (Jn 17, 21). Le rassemblement chrétien, l’Église, cherchera a unir les femmes et les hommes au-dela de leurs divisions culturelles, sans supprimer leurs différences, mais en les intégrant dans l’amour et le service mutuel, respectueux des personnes et de leur liberté. Pour traduire ceci en une application pastorale, on peut s’interroger : Est-ce que nous communautés paroissiales sont au service d’une telle fraternité ? Cessons de rever pour nos communautés de se constituer en communautés alternatives, en société parfaite. Michaël Amaladoss décrit ce que je veux dire par le vocable de « communauté-frontiere » : « il est nécessaire, écrit-il, de refonder les communautés chrétiennes comme des communautés-frontieres symboliques et prophétiques, des communautés qui ne vivent pas hors du monde mais qui se consacrent a vivre les valeurs de l’Évangile dans le monde » 16.

 

 

Pour simplifier, on peut désigner l'évolution missiologique de ces dernieres années de cinq formules:

 

- d'une théologie de la mission a une théologie missionnaire;

 

- d'un corps de missionnaires spécialisés a une responsabilité commune a tous les baptisés.

 

- d’une parole d’autorité et de prestige a une parole authentifiée.

 

- d’une mission monopolistique a une mission en dialogue.

 

 

Cette nette mutation va se retrouver dans le secteur de la catéchétique, aux memes dates, sous les memes influences.

 

 

Le recentrage de toute activité ecclésiale autour de la responsabilité missionnaire évangélisatrice aura bien sur des conséquences sur le mandat catéchétique et pastoral dans les Églises locales. Désormais, la missiologie pourrait etre appelée a exercer une fonction critique dans le cadre des disciplines de la théologie pratique, en l'incitant continuellement a accompagner l'Évangile dans son parcours a travers les nations et a travers les époques. Le rôle de la missiologie est a cet égard, avec toute l’humilité requise, d'agir comme un tamis qui purifie, au niveau des objectifs, des publics-cibles et des méthodes, les projets pastoraux et catéchétiques: la missiologie pose des jalons neufs. Celle-ci doit résister a « l'autosatisfaction et s'opposer a toute tendance ecclésiastique au conservatisme, a tout désir de rester tel que l'on est, a toute inclination au provincialisme et a l'esprit de clocher; elle doit refuser toute fragmentation de l'humanité en blocs régionaux ou idéologiques, toute exploitation de secteurs de l'humanité par les puissants de ce monde; elle doit repousser tout impérialisme religieux, idéologique ou culturel, et toute surévaluation de l'autonomie de l'individu aux dépens d'autres peuples ou d'autres parties de la création »17

 

 

 

 

2. Annoncer, témoigner, transmettre, proposer ou cheminer: les enjeux d'un verbe

 

 

 

On peut affirmer sans risque de se tromper que la question de savoir comment communiquer un message religieux stimulant taraude les communautés chrétiennes avec une acuité, voire une angoisse qui n'a cessé de croître depuis la seconde guerre mondiale. De 1945 a 2003, ce souci et les efforts qu'il fait naître a suscité au minimum cinq logiques, cinq attitudes, cinq types de comportements que l'on peut présenter grâce a cinq verbe: annoncer, témoigner, transmettre, proposer et cheminer.

 

 

Les premiers indices nets d'un retrait de la question religieuse et de l'adhésion aux propositions ecclésiales sont anciens. Les mouvements d'apostolat qui ont suivi la guerre 39-45 attestent du réflexe de beaucoup de chrétiens a été une prise de conscience de leurs responsabilités dans l’annonce de la foi. En voyant la baisse de la pratique, il fallait annoncer la parole, surtout de maniere verbale.

 

 

Hors, malgré de nombreuses conversions individuelles, malgré l’immense bonne volonté et le savoir-faire, on constate que depuis la guerre cette hémorragie n’a jamais cessé. Il est certain que ce n’est pas cette prise de responsabilité missionnaire qui en est la cause, c’est sans doute le modele dans lequel il a été moulé.

 

 

On a dit: «C’est l’Église qui fait obstacle.» Certes beaucoup d’éléments dans la vie de l’Église, a tous ses niveaux, sont et doivent etre réexaminés. Mais on peut sans risque de se tromper dire que l’Église est aujourd’hui plus proche de ce qu’on voudrait qu’elle soit qu’il y a 30 ans, et la baisse continue.

 

 

Parmi de nombreux facteurs de causalité, deux méritent toute notre attention.

 

 

Le langage: le vocabulaire du christianisme dépend d’un contexte civilisationnel completement étranger au nôtre. La Bible utilise les images d’un univers pastoral tout a fait différent. La théologie, les textes liturgiques, les textes du pape et des éveques sont, pour la plupart des gens, en partie incompréhensibles. L’assimilation n’est pas immédiatement possible.

 

 

Le post-christianisme: dans une conférence qu'il a donnée a Liege, le Pere Jossua estimait que les gens a évangéliser chez nous sont mieux décrits par la qualification de post-chrétiens (préférable a celle de non-chrétiens). Nos contemporains ont entendu parler de la question religieuse et de la réponse chrétienne, mais ils ont dépassé ce moment. Quand on arrive, ils connaissent déja (plus exactement ils croient connaître). Ca ne les intéresse plus, c’est une question vieillotte, réglée. Ils ne sont ni pour, ni contre, mais au-dela.

 

 

Les textes du Nouveau Testament qui évoquent la mission peuvent etre divisés en deux couches18. Les textes les plus anciens sont ceux du modele du : «Allez, enseignez ...» Il y a a ce moment, un public attentif, ce sont les «craignants Dieu», des paiens qui tournent autour des synagogues. Les textes les plus récents (Épîtres pastorales, Jn, épîtres catholiques) sont construits sur le modele du :«Soyez prets a rendre compte, avec douceur, de l’espérance qui est en vous ...». Les gens qui étaient disponibles ont déja été convertis, il s’agit maintenant de vivre19.

 

 

Nous voila mis en présence d'un deuxieme verbe: témoigner. A propos de l'évangélisation du Ier au Veme siecle, le missiologue A. Seumois parle d'une diffusion cellulaire. C'est le témoignage des membres des communautés chrétiennes qui attire de nouveaux convertis. L'apostolat ne se signale qu'exceptionnellement par des mouvements de masse: il est généralement individuel ou familial. L'évangélisation se fait le plus souvent des grands centres vers les zones rurales et le long des axes commerciaux20.

 

 

Le recours au vocabulaire du témoignage constitue un des axes majeurs de la récente déclaration des éveques belges. Cette approche renferme chez eux, a la fois un grand respect et une courageuse lucidité : « témoigner est tout autre chose que de vouloir convaincre a tout prix. (...) Mais ce respect n’a pas toujours existé. Le zele des fils de l’Église n’a pas, en effet, toujours été dénué de sentiments de supériorité »21.

 

 

Ce mode de transmission suppose de longs délais, de la patience, une attitude centrée sur l’existence, un long partage qui vient de la vie avec les gens. On peut dialoguer longtemps avant que ne naisse une question vitale pour l’autre: «toi, ta maniere de vivre m’intéresse, dis-moi donc en quoi tu crois, dis-moi ce qui t e fait vivre ainsi ?»

 

 

Les conditions du témoignage sont celles d’une grande gratuité; certains historiens affirment meme que, pour la premiere fois depuis Constantin, l’adhésion de foi se fait dans un maximum de liberté.

 

 

Le témoignage est en opposition complete avec toute forme de prosélytisme. Étant respectueux de l’autre, le témoignage ne dissimule pas d’arriere-pensée.

 

 

Il ne s’agit pas d’etre le témoin d’une idéologie ou d’une morale, il s’agit d’âtre le témoin de Jésus. Cette idée en entraîne automatiquement une seconde: seul celui qui vit de la découverte de l’Autre peut en témoigner. La priere personnelle a ici une place décisive.

 

 

Dans un texte publié en juin 2001 par la Documentation Catholique, Mgr Michel Dubost, éveque d’Évry et responsable de la Commission épiscopale française pour la catéchese, invite a se pencher sur la communication de la foi a la suite de deux autres verbes, transmettre et proposer22.

 

 

L'éveque d'Evry considere que le modele de la transmission considere la foi "comme un héritage qui passe de génération en génération et auquel chacun doit etre fidele". Le risque de cette approche dit-il encore est que pour les tenants de ce verbe "il serait nécessaire et suffisant de reproduire ce qui a toujours été fait". Je trouve cette analyse particulierement sévere et, a tout dire, partiellement injuste. Apres tout, derriere le désir de transmettre se révele aussi un souci tres positif: celui de désirer offrir la possibilité a nos contemporains une rencontre qui peut etre source de joie, de salut et de libération. Celui qui veut transmettre est quelqu'un qui se dit: "il y a des choses tellement importantes que je souhaite en faire part aux générations suivantes". La transmission chrétienne n'appelle pas forcément une pédagogie autoritaire et des méthodes archaiques. Nous connaissons tous des femmes et des hommes avides de connaître, désireux d'obtenir une information large sur le mystere chrétien.

 

 

Mais, convaincu que « la plupart des propositions catéchétiques se maintiennent au « pourtour » de la quete de sens et comportent une référence inaperçue a une problématique de « chrétienté », ou la foi va de soi et est culturellement évidente et plausible, voila qu'en France surtout, dans d'autres pays aussi, se développe la logique de la proposition.. De nos jours, la prétention a se reposer sur l’évidence culturelle de la foi chrétienne ne tient pas »23.

 

Il s'agira des lors de donner les éléments d'un discernement, d'offrir un temps d'initiation qui s'en remette in fine a la liberté des destinataires. Mgr Dubost parle de "proposer la foi comme d'un appel a la liberté de celui a qui on la propose et qui pourrait en disposer comme il l'entend." A la suite de la « Lettre aux catholiques de France »24, une suggestion est de plus en plus fréquemment évoquée : passer d’une pastorale de la demande a une pastorale de la proposition. Divers textes importants de l'épiscopat français, des rencontres franco-allemandes ont récemment donné du corps a ce nouveau paradigme.

 

 

Une logique de la proposition tire les premieres leçons du renouveau du catéchuménat dans les sociétés occidentales. La ou les gens savent qu’on « peut se faire baptiser a tout âge », l’expérience montre qu’il y a des personnes qui se manifestent pour en savoir davantage. Ce catéchuménat réintroduit une dimension missionnaire aux communautés. Par la, il les oblige a s’interroger sur leur propre aptitude a dire la foi avec les mots des gens d’aujourd’hui ; il les oblige a ne pas se contenter de formules stéréotypées et leur réapprend a réfléchir au sens de la vie et aux appels de Dieu ; il les invite a personnaliser leur langage en reconnaissant l’ouvre de Dieu chez l’autre. « L’Eglise en mission ne vient pas apporter un christianisme tout fait, (…) elle cherche la grâce de Dieu déja au travail dans une vie d’homme »25.

 

 

Une logique de la proposition consent, en outre, a s’inscrire a l’intérieur d’une société laique. Elle est convaincue qu’elle peut y offrir une ressource réelle « pour inspirer le vouloir-vivre de cette société, surtout a une époque ou le manque de reperes pour vivre se fait sentir gravement »26. Cette conviction est source d’une double exigence pour la catéchese: d’un part, elle invite a faciliter le travail en commun des traditions laique et chrétienne dans la sauvegarde de certaines convictions communes; d’autre part, elle suppose qu'on ne néglige d'écouter les sciences humaines, a commencer par l'anthropologie27.

 

 

A tout dire, a côté des espoirs suscités, immédiatement aussi, certaines remarques inquietes ont vu le jour. Mgr Dubost craint, par exemple, que "l'insistance sur la liberté soit telle que la foi n'ait plus de contenu"28. D'autres chrétiens, échaudés sans doute par un zele parfois trop ardent, craignent que la logique de la proposition monopolise la parole chez celui qui propose avec le risque de ne pas prendre le temps d'entendre la consistance de l'itinéraire existentiel des destinataires.

 

 

C'est sans doute les memes qui invitent avec insistance a envisager le concept de cheminement. A l'exemple du Christ sur la route d'Emmaüs, il s'agira ici de cheminer. Je cite un extrait du message d’envoi qu’André Fossion a adressé en fin d’année académique, en juin 2001, aux finalistes de l’institut Lumen Vitae a Bruxelles « La capacité premiere de l’évangélisateur est d’entrer dans la conversation en cours, de se meler a la conversation des hommes, de prendre langue avec ceux que nous rencontrons, de s’intéresser a ce qui les intéresse, de pouvoir parler de choses communes, de se laisser interroger aussi. Et cela a l’exemple de Jésus lui-meme sur le chemin d’Emmaüs : « De quoi parliez-vous donc en chemin? » (Lc 24,17). Il n’y a pas d’évangélisation possible - ni d’inculturation de la foi - sans cette aptitude au dialogue amical avec quiconque a propos de tout ce qui fait la vie elle-meme. On dit parfois que nos contemporains sont indifférents au discours chrétien, mais la réciproque n’est-elle pas également vraie? Ne sommes-nous pas indifférents a ce qui les fait vivre, incapables de parler avec eux de ce qui les passionne dans le concret de leur existence, de leurs loisirs, de leur travail ou de leurs relations. La Constitution Gaudium et Spes de Vatican II, dans une phrase admirable, nous indique le chemin a suivre : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n'est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cour (n°1)."29

 

 

Le rappel des cinq verbes n'est pas, selon mon analyse, un tour d'horizon chronologique et progressif, il ne s'agit pas de dire qu'un concept s'impose contre les autres. Il s'agit plutôt de vérifier qu'une formulation trop lapidaire risque de priver la recherche et le débat d'une série de composantes intrinseques a la communication religieuse. Il s'agit en outre de peser si les nouveaux modeles rencontreront a la fois les attentes de nos contemporains, l'épaisseur et la richesse de toute la tradition chrétienne et éviteront les impasses relevées par nos prédécesseurs.

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