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LA PASSION DU CHRIST DIVISÉE EN SEPT HEURES CANONIALES
CHAPITRE
LXXII DE L'OFFICE DE MATINES OU DE NUIT ; DE CE QUE LE SEIGNEUR A FAIT ET SOUFFERT A CETTE HEURE, ET DE CF QUE LES FIDÈLES DOIVENT EUX-MÊMES FAIRE AU MÊME TEMPS. Le premier office dans
la sainte Église est de nuit, ce sont les Matines.
À ce moment les bons fidèles doivent ouvrir
leur livre d'heures et lire la légende de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ils tourneront leur
attention vers Dieu avec un amour de cur et un esprit
élevé ; et ils diront chacun avec ferveur
« Seigneur, ouvrez mon cur et ma bouche
j'annoncerai votre louange et votre gloire. Seigneur,
regardez-moi et hâtez-vous de me secourir, pour que je
puisse accomplir votre louange et votre service. Seigneur,
de toute éternité vous m'avez regardé,
appelé et élu, observé et aimé,
afin que je croie en vous et que je veuille vous servir
librement jusqu'à la mort. Car vous nous avez
créés à votre image,
c'est-à-dire, pour que, moyennant votre grâce,
nous puissions vous ressembler par tous les modes de vertu.
Et vous vous êtes abaissé au-dessous de tout ce
que vous avez créé ; et vous nous avez tant
aimés, que vous nous avez visités dans cet
exil. Vous avez pris et revêtu notre humanité.
Vous êtes né de la Vierge Marie, au milieu de
la nuit, et l'on vous a mis dans une crèche, petit et
humble, entre deux animaux. Vous avez par votre naissance
illuminé la nuit. Les anges ont chanté votre
gloire les hommes de bonne volonté qui vivent pour
vous possèdent en vous la paix éternelle.
» Ici nous
commençons le premier nocturne de nos Matines, en
faisant mémoire de la passion du Seigneur, alors
qu'il avait donné sa chair et son sang à ses
disciples dans le sacrement, leur avait humblement
lavé les pieds et les avait servis avec un grand
respect. Il fit ensuite un long discours que saint Jean nous
décrit dans son Évangile, et après
cela, prenant ses disciples avec lui, il traversa un
torrent, appelé Cédron, et entra dans un
jardin où il avait coutume d'aller souvent. Là
il dit à ses disciples : « Asseyez-vous ici,
veillez et priez, afin de ne pas tomber en tentation
(1). » Prenant
alors à part avec lui Pierre et les fils de
Zébédée, Jacques et Jean, il
avança un peu, devint triste et leur dit : « Mon
âme est triste jusqu'à la mort attendez-moi ici
et veillez avec moi (2) » Et
s'éloignant d'eux l'espace d'un jet de pierre, il
fléchit les genoux, tomba la face contre terre, et
pria d'un cur humble et affligé, en disant
« Abba, Père, toutes choses sont en votre
pouvoir : s'il est possible, éloignez de moi cette
heure et ce calice. Cependant ce n'est pas ma volonté
qui doit s'accomplir, mais ce que vous voulez
(3). » Il se leva
alors de sa prière et vint à ses apôtres
qu'il trouva endormis. Et il dit à Pierre « Vous
n'avez pas pu veiller avec moi une heure ? veillez et priez,
afin de ne pas tomber en tentation. Mon esprit est
prêt, mais la chair est faible (4). » Par là
Jésus-Christ nous apprend lui-même que nous
devons veiller avec lui et prier, lutter avec notre esprit
et la grâce divine, et vaincre la chair et la nature,
et obéir à Dieu en toute patience
jusqu'à la mort. Et c'est là la
première heure de la nuit, par laquelle nous suivons
le Christ et lui ressemblons. La
deuxième heure Jésus s'éloigna de ses
disciples pour prier seul. Et levant les yeux au ciel, il
dit : « Père, si ce calice ne peut
s'éloigner de moi sans que je le boive, que votre
volonté se fasse (5) . », et il se
rendit, obéissant et humble, corps et âme, en
toute sa nature créée, aux mains souveraines
de son Père, désirant que tout
s'accomplît en lui, de ce qui d'avance avait
été vu et réglé en la sagesse
éternelle de Dieu. Et il se remit librement, sans
nulle préférence, à la très
chère volonté de Dieu, et là il trouva
le repos et la paix dans l'esprit. Mais lorsqu'il
considérait la délicatesse de son corps et de
sa nature, la rigueur de la passion et des souffrances qu'il
devait et voulait endurer, son cur se sentit
profondément opprimé, attristé et
épouvanté, ainsi que toute sa vie sensible,
âme et corps, cur et sens : car il était
fort, de bonne santé et jeune, l'homme le plus beau
et le plus gracieux qui vînt jamais au monde. Il tomba
à terre par tristesse et affliction, car selon
l'esprit il voulait mourir et selon la chair il voulait
vivre. Alors un ange descendit du ciel et le consola dans
son agonie. L'esprit du Seigneur était
élevé au-dessus de tout,
dépouillé et affranchi, bienheureux et uni
à Dieu en amour. Son âme raisonnable
était pleine de grâce, de sagesse et de
clarté, et de dévotion intime, et elle aimait
ceux pour lesquels il allait mourir et priait pour eux. Mais
toute sa partie sensible était dans l'angoisse et la
crainte, et son imagination était remplie de la
passion et de la mort amère. Pour cette raison il
pria longtemps, et par l'amour il vainquit la chair et le
sang, et s'abandonna à la volonté de son
Père ; et dans cette victoire le labeur était
si grand, que de tous ses membres coulait une sueur de sang
jusque sur la terre. De nouveau il se leva et revint
à ses disciples, qu'il trouva endormis. Leurs yeux
étaient alourdis, et ils ne savaient pas que lui
répondre. À la
troisième heure de la nuit il quitta ses disciples
puis rendit grâces à son Père
céleste et le loua de ce que par sa grâce il
avait vaincu sa propre volonté ; et il pria pour tous
ceux qui devaient l'imiter par amour et se renoncer, afin
que par lui ils soient baptisés dans le Saint-Esprit
et que leur vie intime soit remplie de la grâce
divine. Alors il se leva de ses prières, et revenant
à ses disciples, il leur dit : « Maintenant
dormez et reposez-vous. C'est assez. Les premières
veillées de la nuit, trois heures, sont
passées. Maintenant vient la quatrième heure
de la nuit, lorsque le Fils de l'homme sera livré au
pouvoir des pécheurs. Levez-vous et partons : celui
qui doit me livrer à eux approche de nous (6). » Lorsque
Jésus eut fini de parler, Judas, qui avait
été un des douze, vint, et avec lui une grande
foule de gens, munis de lanternes, d'armes, de glaives et de
torches, envoyés par les princes des prêtres et
les anciens du peuple. Et le traître leur avait
donné un signe : « Celui à qui je
donnerai un baiser c'est lui : tenez-le, et conduisez-le
avec précaution (7). » Il alla
vers Jésus, et lui donna le baiser en disant : «
Salut, Maître (8). »
Jésus lui répondit : « Judas, vous
trahissez le Fils de l'homme par un baiser ? Ami, comment
êtes-vous venu jusque-là (9) ? » Alors il
s'avança et dit : « Qui cherchez-vous ? »
Ils répondirent : « Jésus de Nazareth.
» Et Jésus répondit : « C'est moi.
» À ce mot
ils perdirent tout leur pouvoir et tombèrent à
terre à la renverse. Jésus leur demanda de
nouveau « Qui cherchez-vous » ? Ils dirent :
« Jésus de Nazareth. Jésus
répondit : « Je vous ai dit que c'est moi. Si
donc c'est moi que vous cherchez, laissez ceux-ci s'en
aller. » Alors ils s'avancèrent, le saisirent et
le tinrent. Les disciples, en le voyant, dirent «
Seigneur, frapperons-nous avec le glaive ? » Et
Simon-Pierre tira son glaive, et coupa l'oreille droite du
serviteur du pontife. Mais Jésus dit à Pierre
: « Remettez votre glaive : le calice que mon
Père m'a donné, je le boirai. Et ne savez-vous
pas que je pourrais prier mon Père, pour qu'il
m'envoie douze légions d'anges ? Comment
s'accompliraient alors les Écritures, puisque c'est
ainsi que cela doit arriver (10) ? » Et Jésus remit l'oreille du serviteur et le
guérit. Vient ensuite la
cinquième heure de la nuit, à laquelle
Jésus dit à la foule venue pour le prendre :
« Vous êtes venus me saisir avec des glaives et
des bâtons, comme si j'étais un meurtrier. Tous
les jours j'étais avec vous, enseignant au Temple, et
vous ne m'avez pas pris : mais ceci est votre heure, et le
pouvoir des ténèbres. Mais tout cela est
arrivé, afin que les Écritures des
prophètes s'accomplissent (11). » Alors les
disciples l'abandonnèrent et s'enfuirent tous loin de
lui. À la
sixième heure de la nuit les serviteurs des juifs se
saisirent de lui, le foulèrent aux pieds et
lièrent ses mains bénies. Ainsi lié ils
le conduisirent à la maison d'Anne, le
beau-père de Caïphe, pontife cette
année-là. Simon-Pierre le suivit de loin avec
un autre disciple jusque devant le palais du pontife.
L'autre disciple était connu du pontife, et entra
avec le Seigneur dans le vestibule du palais, mais Pierre
resta dehors devant la porte. Alors l'autre
disciple qui était connu du pontife, sortit et dit
à la servante qui gardait la porte, de laisser entrer
Pierre. En voyant Pierre, la servante lui demanda : «
N'étiez-vous pas un des disciples de cet homme ?
» Pierre répondit à la femme : « Je
ne le connais point, et je ne sais pas ce que vous dites
(12). » Là
dans le vestibule les domestiques et les serviteurs se
tenaient près du feu pour se chauffer, car il faisait
froid. Pierre se joignit à eux et se chauffa, parce
qu'il voulait voir ce qu'on ferait de Jésus. Une
autre servante vint, et voyant Pierre, elle dit à
ceux qui se tenaient là : « Celui-ci
était aussi avec Jésus de Nazareth. » Et
de même alors les autres qui étaient là,
dirent à Pierre : « Vraiment, vous êtes un
des disciples : votre voix vous accuse
(13). » Mais
Pierre renia Jésus avec serment et jura qu'il ne
connaissait point cet homme. Quelques instants après,
un des serviteurs du pontife lui dit : « Mais ne vous
ai-je pas vu avec lui dans le jardin (14) ? » Et Pierre le nia
une troisième fois. Alors le coq chanta pour la
seconde fois de cette nuit, et Jésus se retourna et
regarda Pierre. Et Pierre se souvint de la parole que
Jésus lui avait dite : « Avant que le coq chante
deux fois, vous m'aurez renié trois fois, aujourd'hui
même (15). » Il sortit
et pleura amèrement. À la
septième heure les serviteurs conduisirent
Jésus devant le pontife Anne, qui l'interrogea sur
ses disciples et sur sa doctrine. Jésus
répondit : « J'ai parlé publiquement dans
le monde ; j'ai toujours enseigné dans les synagogues
et dans le Temple, où tous les juifs se
réunissent ; et je n'ai point parlé en des
lieux cachés. Pourquoi m'interrogez-vous ? interrogez
ceux qui ont entendu ce que j'ai dit. » Lorsque
Jésus eut ainsi parlé, un des serviteurs du
pontife, qui se tenait là, lui donna un soufflet en
disant : « C'est ainsi que vous répondez au
pontife ? » Jésus lui répondit : «
Si j'ai dit mal, rendez témoignage du mal ; mais si
j'ai bien dit, pourquoi me frappez-vous
(16) ? » À la
huitième heure de la nuit, Anne envoya Jésus
lié à CaIphe, qui était pontife cette
année. Là se réunirent devant le
pontife les princes des prêtres et la foule avec les
scribes, cherchant de faux témoignages contre
Jésus pour le faire condamner à mort ; mais
ils n'en trouvèrent point, bien que se
présentèrent grand nombre de faux
témoins et que beaucoup rendirent témoignage ;
car ils ne s'accordaient pas entre eux. À la
neuvième heure vinrent deux faux témoins qui
dirent : « Nous avons entendu celui-ci dire : J'ai le
pouvoir de détruire le temple de Dieu, fait de main
d'homme et d'en construire un autre en trois jours qui ne
sera pas fait par les hommes (17). » Mais
Jésus se tut et ne leur répondit pas. Alors le
prince des prêtres se leva, et se tenant au milieu
devant Jésus, il lui demanda : « Vous ne
répondez donc point à ce que ceux-ci
témoignent contre vous (18) ? » Et
Jésus se tut et ne répondit pas. Alors le
prince des prêtres lui demanda de nouveau : « Je
vous adjure par le Dieu vivant, de nous dire si vous
êtes le Christ, le Fils de Dieu
(19). »
Jésus lui répondit et dit : « Vous le
dîtes : en effet, je le suis. Si je vous le dis, vous
ne me croyez pas ; si je vous interroge, vous ne me
répondez pas, ni ne me laissez aller. Cependant je
vous le dis : vous verrez désormais le Fils de
l'homme assis à la droite de la majesté
divine, et revenir sur les nuages du ciel
(20). » À
ces paroles le prince des prêtres déchira ses
vêtements et dit : « Il a blasphémé
: qu'avons-nous encore besoin de témoins ?
Voilà, vous avez entendu le blasphème de sa
bouche : que vous en semble (21) ? » Tous
répondirent : « Il est digne de mort. »
Puis ils lui crachèrent à la figure, et ceux
qui le tenaient se moquèrent de lui, lui couvrirent
le visage et lui donnèrent des soufflets. Et
lorsqu'ils se furent ainsi raillés de lui, il en vint
d'autres qui lui donnèrent aussi des soufflets au
visage, et se moquant de lui ils dirent : « Christ,
prophétisez-nous, qui vous a frappé
(22) ? » Et
beaucoup d'autres injures encore lui furent faites qui n'ont
pas été écrites. Et cela dura trois
heures, jusqu'au jour. Au temps
où Jésus voulut souffrir pour nous, la nuit se
divisait en douze heures, partagées en quatre
veilles, chacune de trois heures. À la
première veille de la nuit Jésus
renonça à lui-même et à sa propre
volonté, s'abandonnant à la volonté de
son Père, humble et obéissant, pour souffrir
d'une façon ignominieuse, sans choix, jusqu'à
la mort. La deuxième veille de la nuit vit
Jésus donner aux serviteurs des juifs le pouvoir de
le saisir, de le lier, et de le conduire
enchaîné à la maison d'Anne. À la
troisième veille, Jésus supporta sans
contredire, en silence et dans l'humilité, les faux
témoins et traîtres qui l'accusaient devant
Caïphe le pontife : c'est parce que Jésus disait
la vérité devant le pontife et la foule, qu'il
fut méprisé et maltraité par eux tous
comme un impie, qui avait blasphémé Dieu et
qui avait justement mérité la mort. À
la quatrième Jésus s'abandonna librement
à toute la foule, humble, innocent et patient, afin
qu'ils pussent le mépriser, le railler et le couvrir
de crachats tant qu'ils voulurent et que Dieu le leur
permit. C'est ainsi que le Christ veut que nous nous
méprisions nous-mêmes et que nous le suivions
en toute souffrance, humblement, avec obéissance et
abandon à la volonté divine, aux serviteurs de
péché et aux prélats de la sainte
Église, tant spirituels que séculiers, et
à tous ceux qui nous haïssent et
méprisent, nous tourmentent et persécutent,
jusqu'à la mort. C'est là notre office de nuit, que nous
appelons Matines.CHAPITRE
LXXIII CE QUE LE SEIGNEUR A SOUFFERT A L'HEURE DE PRIME. Le premier office du jour est appelé Prime ; il s'étend sur deux heures. À la
première heure du jour les serviteurs des juifs
conduisirent Jésus lié au prétoire et
le livrèrent au juge Ponce Pilate ; mais
eux-mêmes n'y entrèrent pas pour ne pas se
souiller et pour pouvoir manger l'agneau pascal. Pilate
alors sortit au-devant d'eux et demanda « Quelle
accusation apportez-vous contre cet homme ? » Ils
répondirent : « Si ce n'était pas un
criminel, nous ne l'aurions pas livré. Car nous
l'avons trouvé provoquant notre peuple et
défendant de donner le tribut à César ;
et il dit de lui-même qu'il est le Christ
(23). » Pilate
leur dit : « Prenez-le vous-mêmes et jugez-le
selon votre loi. Les juifs répondirent : « Il ne
nous est pas permis de mettre quelqu'un à mort
(24). » Lorsque Judas, qui
l'avait trahi, vit que Jésus était
condamné à mort, il se repentit et rendit aux
princes des prêtres et aux anciens du peuple les
trente pièces d'argent pour lesquelles il avait
livré Jésus, et il dit « J'ai
livré le sang du juste. » Ils répondirent
: « Qu'est-ce que cela nous regarde ? Voyez
vous-même (25). » Alors
Judas, jetant les trente pièces dans le Temple, s'en
alla et se pendit à une corde. Bien que Judas se
repentît de ce qu'il avait fait, il ne chercha pas le
pardon et ne mit pas sa confiance dans la miséricorde
divine ; et c'est pourquoi son repentir ne lui profita
point, de sorte qu'il demeure damné et fils de
l'enfer pour toujours. Pilate rentra de
nouveau dans le prétoire, et mandant Jésus
devant lui, il l'interrogea « Vous étiez roi des
juifs ? » Jésus répondit «
Dites-vous cela de vous-même, ou est-ce que d'autres
vous l'ont dit de moi ? » Pilate répondit :
« Est-ce que je suis un juif ? Votre peuple et vos
princes vous ont livré à moi qu'avez-vous fait
? Jésus
répondit « Mon royaume n'est pas de ce monde. Si
mon royaume était de ce monde, mes serviteurs
n'auraient pas souffert que je fusse livré aux juifs.
Mais maintenant mon royaume n'est pas de ce monde. »
Pilate dit « Vous êtes donc roi ? »
Jésus répondit : « Vous le dîtes,
car je suis roi. Je suis né et je suis venu pour
rendre témoignage à la vérité ;
et tous ceux qui sont nés de la vérité
entendent ma voix. » Pilate alors dit : «
Qu'est-ce la vérité (26) ? » et
sortant de nouveau vers les juifs, il dit aux princes des
prêtres et au peuple : « Je ne trouve pas de
cause de mort en cet homme. » Les juifs
s'écrièrent : « Il a provoqué le
peuple, enseignant par toute la Judée, depuis la
Gaulée jusqu'ici (27). » Lorsque
Pilate entendit parler de la Galilée, il demanda si
cet homme était de là. Apprenant qu'il
était du pouvoir d'Hérode, il l'envoya vers
celui-ci, qui était en ces jours à
Jérusalem. Lorsque Hérode vit Jésus, sa
joie fut grande : déjà depuis longtemps il
désirait le voir, car il avait entendu beaucoup
parler de lui et il espérait être témoin
de quelque miracle. Il l'interrogea en beaucoup de paroles,
mais Jésus ne lui répondit pas. Les princes
des prêtres et les scribes se tinrent là et
l'accusèrent faussement de beaucoup de choses.
Hérode alors et les siens le
méprisèrent et le raillèrent, le
revêtirent d'un habit blanc et le renvoyèrent
à Pilate. De ce jour Hérode et Pilate
devinrent amis, d'ennemis qu'ils étaient. À la
seconde heure du jour, lorsque Jésus était
revenu chez Pilate, celui-ci sortit et convoqua les princes
des prêtres et du peuple et leur dit : « Vous
m'avez amené cet homme comme s'il provoquait le
peuple ; je l'ai interrogé devant vous, mais je ne
trouve en lui nulle cause de tout ce dont on l'accuse. De
même pour Hérode, car il nous l'a
renvoyé, n'ayant pas trouvé en lui de cause de
mort. Je vais donc le flageller et puis le laisser partir
(28). » Alors
tout le peuple s'écria : « Prenez-le, et
crucifiez-le. » Pilate répondit : «
Prenez-le vous-mêmes et crucifiez-le ; car moi je ne
trouve pas de cause en lui (29). » Les juifs
alors répondirent : « Nous avons une loi, et
d'après cette loi il doit mourir ; car il s'est fait
le Fils de Dieu. » Lorsque Pilate entendit cette
parole, il eut peur, et rentrant de nouveau au
prétoire, il dit à Jésus : «
D'où êtes-vous ? » Mais Jésus ne
lui répondit rien. Pilate reprit : « Ne
voulez-vous pas me parler ? Ne savez-vous pas que j'ai le
pouvoir de vous faire crucifier ou de vous délivrer ?
» Jésus répondit : « Vous n'auriez
aucun pouvoir sur moi, s'il ne vous était
donné d'en haut. C'est pourquoi celui qui m'a
livré à vous est plus coupable. » Pilate
dès lors chercha une occasion pour délivrer
Jésus de la mort. Lorsque les juifs s'en
aperçurent, ils crièrent à Pilate :
« Si vous délivrez cet homme, vous n'êtes
point l'ami de César : car quiconque se fait roi, est
l'ennemi de l'empereur (30). » Lorsque
Pilate entendit ceci, il eut plus peur encore, et il amena
Jésus au dehors, et s'assit à son tribunal,
à l'endroit appelé Lythoostrotos, en
hébreu Gabbatha. Ce premier office du jour a été
orné par Dieu en mainte façon : car c'est
à l'heure de Prime qu'il mit le premier homme dans le
paradis, lui donnant la grâce et l'innocence, et lui
ordonnant de travailler et de garder le paradis ; et il lui
défendit de manger le fruit de l'un des arbres.
L'homme désobéit sous l'empire des conseils du
démon et de la femme, qui s'accordaient, et pour cela
il fut jeté hors du paradis en cet exil, lui et toute
sa race. Une bonne conscience
remplie de grâce est notre paradis. Tant que nous
pratiquons la vertu et nous gardons du péché,
nous plaisons à Dieu et vivons dans le paradis de
notre bonne conscience. C'est aussi
à l'heure de Prime que le sage maître de maison
sortit afin d'engager des ouvriers pour un denier par jour
et les envoyer travailler à sa vigne. La vigne de
Dieu c'est la sainte Église : le denier par jour
c'est la grâce divine, donnée par le Christ qui
est chargé de la vigne. Les ouvriers qui travaillent
sans regarder la récompense, sont payés les
premiers ; car ils sont les premiers dans la grâce et
les plus proches du soir et du repos de la gloire
éternelle, que l'on achète avec les deniers de
la grâce. Celui qui persévère en elle
aura le royaume de Dieu en propre. À l'heure
de Prime Jésus entra au Temple et expulsa tous ceux
qui y achetaient et vendaient, en disant : « Ma maison
est une maison de prière (31). » Aussi
tous ceux qui sont avares et ladres, et qui servent le
monde, sont incapables de plaire à Dieu, car ils ne
peuvent ni prier ni adorer : tout leur désir va vers
les choses de la terre. Le troisième jour après
sa mort, à l'heure de Prime, le Christ ressuscita de la mort. C'est une grande joie pour nous tous. C'était l'aurore la plus joyeuse qui fût jamais trouvée, lorsqu'il se montra à ses bien-aimés. Si nous abandonnons le péché, et vivons pour lui en toutes vertus, nous recevrons sa récompense. L'office de Prime s'étend sur deux heures : qui y persévèrent dans les vertus, vivent sans crainte. La première heure est de vivre les préceptes de Dieu et d'adhérer à lui en amour ; car alors on ne désire rien d'autre. La seconde heure est de se soumettre à toute sa volonté, car ainsi on peut toujours progresser en vertu et vivre sans tristesse. CHAPITRE
LXXIV CE QUE LE SEIGNEUR A SOUFFERT A L'HEURE DE TIERCE, ET CE QUE NOUS DEVONS FAIRE. Nous arrivons
maintenant à la troisième heure parmi les
sept, et nous l'appelons Tierce, parce que c'est la
troisième heure du jour. Cet office s'étend
sur trois heures, de Tierce jusqu'à Sexte. À la
première heure de Tierce, Pilate chercha l'occasion
de délivrer Jésus de la mort. Lorsque les
juifs s'en aperçurent, ils dirent à Pilate :
« Si vous délivrez cet homme, vous n'êtes
pas l'ami de l'empereur : car quiconque se fait roi s'oppose
à César
(32).
» Pilate en l'entendant, craignit davantage, et il fit
venir Jésus au dehors, là où il
était assis à son tribunal pour le jugement,
à l'endroit appelé Lythoostrotos, en
hébreu Gabbatha. Mais lorsque les
juifs virent Jésus, ils crièrent d'une seule
voix : « Ôtez-le, ôtez-le et crucifiez-le !
» Pilate répondit : « Crucifierai-je votre
roi ? » Les princes du peuple répondirent :
« Nous n'avons pas d'autre roi que César
(33). » Et les
princes des prêtres et les pontifes
commencèrent à accuser Jésus de
beaucoup de choses ; Jésus pourtant ne leur
répondit rien, de sorte que le juge s'étonna
grandement. Ce fut le vendredi, aussitôt avant la
sixième heure du jour. Or, c'était la coutume
que pour la fête de Pâques le juge remit au
peuple un des prisonniers, à leur choix. Il y avait
alors quelqu'un qui avait été
arrêté pour avoir commis un meurtre, et il
s'appelait Barrabbas. Pilate donc convoqua les juifs et leur
dit : C'est la coutume que l'on vous délivre un
prisonnier pour la fête de Pâques : qui
voulez-vous que je vous donne, Barrabbas ou Jésus
qu'on appelle le Christ ? Tous crièrent d'une seule
voix : « Barrabbas » Pilate reprit : « Que
ferai-je de Jésus appelé le Christ ? »
Tous crièrent : « Crucifiez-le, crucifiez-le
(34) ! » À la
quatrième heure du jour Pilate dit aux juifs
acharnés : « Quel mal vous a-t-il fait ? »
Tous crièrent davantage : « Qu'il soit
crucifié » Lorsque Pilate vit qu'il ne gagnait
rien, mais que les cris du peuple allaient croissant, il se
fit verser de l'eau devant tout le peuple, se lava les mains
et dit : « Je suis innocent du sang de ce juste ; vous
le voyez bien. » Tout le peuple s'écria d'une
seule voix : « Que son sang retombe sur nous et sur nos
enfants (35). » Alors
Pilate porta la sentence afin qu'il fût
crucifié et que l'on délivrât Barrabbas.
Il livra Jésus à ses serviteurs pour le
flageller : ceux-ci le conduisirent dans le prétoire,
lui ôtèrent tous ses vêtements, et de
leurs verges le frappèrent de blessures innombrables
sur tout son corps béni. À la
cinquième heure du jour on le fit sortir devant tout
le peuple. Pilate dit alors : « Voici l'homme ! »
Mais tous crièrent : « Ôtez-le,
ôtez-le ! crucifiez-le ! crucifiez-le
(36) ! Alors toute la
populace s'assembla devant lui, et on lui mit une tunique de
pourpre ; on pendit à ses épaules un manteau
d'écarlate rouge sang et couleur d'or ; et
après avoir tressé une couronne
d'épines, on la lui plaça sur la tête.
Dans sa main on mit un roseau, et tous s'agenouillant devant
lui disaient par raillerie : « Salut, roi des Juifs
(37) ! » Puis on
lui cracha à la figure et avec un roseau on lui
frappa sur la tête, de sorte que son sang coulait
à terre. Lorsqu'on l'eut suffisamment raillé,
on lui ôta le manteau et la tunique de pourpre, et on
lui remit ses propres vêtements. Il chargea sa croix
sur ses épaules, et il fut conduit au lieu dit
Calvaire, où il devait être
crucifié. À cet
office de Tierce Jésus veut que nous le suivions au
tribunal de notre conscience, pour y voir et
reconnaître, corriger, mépriser et
détester tout ce qu'il y a de péché en
nous. Nous devons détester et fuir l'apparence feinte
de sainteté qui est sans pratique de vertus, mais au
contraire nous montrer à la vérité
éternelle dans une simplicité sans feinte ; et
nous devons nous juger nous-mêmes, nous accuser et
confesser de tous nos péchés et défauts
devant Jésus, notre juge et notre pontife, devant
notre Père céleste et devant notre confesseur,
qui tient la place de Dieu. Si nous avons regret et repentir
de nos péchés, nous devons avoir foi, espoir
et confiance ferme en la miséricorde divine. Et nous
devons nous livrer librement par pénitence à
la justice divine et à tous les pécheurs qui
nous détestent et nous calomnient, nous condamnent,
persécutent et flagellent, qui nous privent de notre
bonheur et de notre bien ; nous devons nous livrer aussi aux
esprits damnés et aux hypocrites, qui désirent
leur propre gloire et qui nous détestent, et à
toutes les créatures dont nous souffrons. Tout cela
nous le supporterons en silence et patience pour la gloire
de Dieu et en pénitence de nos péchés.
D'autre part, nous ne détesterons ni ne
mépriserons personne, quoi qu'on nous fasse ; mais
nous supporterons toutes choses pour Dieu. C'est avancer
dans l'amour. Voyez, c'est ainsi que nous suivrons
Jésus et lui ressemblerons par nos vertus ; ainsi
vivrons-nous en lui et lui en nous. Et il nous enverra son
Esprit qu'il a donné à ses disciples à
cette heure de Tierce, au jour de la Pentecôte. CHAPITRE
LXXV DE CE QUE LE SEIGNEUR JÉSUS A SOUFFERT A L'HEURE DE SEXTE ; DES BIENFAITS QU'IL NOUS A CONFÉRÉS ET DE SON TESTAMENT. Ensuite vient la sixième heure de la passion du seigneur, que nous appelons midi dans nos offices. À cette heure
les soldats de Pilate et les serviteurs des juifs saisirent
Jésus et le conduisirent au lieu impur du Calvaire,
où l'on avait coutume de mettre à mort les
criminels. Et parce que Jésus fut le premier
prêtre de la chrétienté, il voulut qu'on
préparât l'autel sur lequel il devait offrir le
sacrifice suprême et la plus noble oblation qui fut
jamais offerte ou qui doit l'être encore. Cette
oblation est le principe, la fin et la cause de tout notre
salut. Les soldats
firent alors trois trous dans la croix de Notre-Seigneur ;
et ils avaient apporté trois gros clous, à
peine moindres qu'un doigt d'homme. Puis ils
dévêtirent Jésus entièrement et
le posèrent sur le bois de la croix, et ils
clouèrent ses deux pieds d'un seul clou sur le bois
de la croix et les fixèrent au trou inférieur.
Ils étendirent ses mains et ses bras, comme on
étire le drap sur le cadre, et transpercèrent
chacune de ses mains d'un gros clou, de chaque
côté de la croix, et ainsi ils
l'élevèrent pour le placer entre deux larrons.
Du sang précieux qui coulait de ses mains et de ses
pieds Jésus consacra et sanctifia l'autel de la
croix, sur lequel il servait Dieu et s'offrait
lui-même à la mort. Les soldats
divisèrent ses habits en quatre parts, une pour
chaque soldat ; quant à la tunique qui était
tissée sans couture, ils ne voulurent pas la diviser.
Ils tirèrent donc au sort pour voir à qui elle
reviendrait. Puis Pilate écrivit un titre, contre la
volonté des juifs. au-dessus de la tête de
Jésus : « Jésus de Nazareth, roi des
juifs. » Les prêtres et les anciens du peuple
passaient devant la croix, et crachant en l'air à la
figure du Seigneur ils disaient « Hé, vous qui
détruisez le temple de Dieu et le reconstruisez en
trois jours : si vous êtes le Fils de Dieu, descendez
de la croix et nous croirons en vous. Et ils disaient
entre eux : « Il guérit les autres et
lui-même il ne peut se sauver : s'il est le Fils de
Dieu, que Dieu le sauve, s'il veut de lui. Roi
d'Israël, descendez de la croix, afin que nous voyions
et croyions en vous. Le soleil alors
cessa de luire, et l'air s'obscurcit sur toute la terre.
D'autres injures et traitements indignes lui furent
infligés en paroles et en actes, mais lui se tut et
ne dit mot : cloué à la croix par les mains et
par les pieds, il voulait sauver tous ceux qui cherchaient
la grâce auprès de lui. Vers la
septième heure du jour Jésus voulut laisser
son testament, car le moment de sa mort approchait.
Élevant les yeux au ciel, il offrit à son
Père céleste en humble obéissance sa
nature créée, sa vie et tout ce qu'il avait
reçu, en une louange de reconnaissance ; et il montra
aux anges qu'il était le Fils de Dieu, Dieu et homme,
élevé au-dessus de tout ce que Dieu a
créé, et selon sa nature d'homme, serviteur
avec ceux-ci, au service de Dieu et de tous les hommes pour
la gloire de Dieu. Ce fut pour tous une joie nouvelle, telle
qu'ils n'en avaient pas auparavant, et un testament nouveau,
qui devait leur demeurer éternellement. Il nous a
aimés avant que nous fussions ; et c'est pour cela
qu'il nous a créés à son image et
ressemblance, pour que nous lui rendions amour pour
l'éternité, et c'est là pour nous aussi
un nouveau et éternel testament qui nous rend saints
et bienheureux. Il nous apprend
par ses uvres qu'il accorde également tous les
hommes ce dont ils ont besoin pour le corps, car il a
créé le ciel et la terre, et toutes les
créatures ensemble pour les besoins de tous afin
qu'ils l'aiment et servent seul au-dessus de tout, et qu'ils
usent d'eux--mêmes et de toutes les créatures
en les ordonnant à louange ainsi ils
acquièrent la vie éternelle. Il a
témoigné encore un plus grand amour envers
tous les hommes par lui-même. Car il est descendu du
haut des cieux en cet exil, où il a pris notre nature
à tous et il nous a enseignés ; il a
vécu et travaillé pour nous jusqu'à la
mort, à cause de nos péchés, afin
qu'à notre tour nous détestions le
péché jusqu'à la mort et que nous
l'aimions et gardions ses préceptes. Jésus,
Dieu et homme, poursuit le salut du monde entier, car il
veut sauver tous les hommes et n'en veut perdre aucun. Ceux
qui veulent ce qu'il veut seront tous sauvés : dans
ce but il a donné à tous les hommes une
volonté libre, une nature intelligente et une
inclination vers leur principe qui est Dieu. C'est
l'alliance éternelle de Dieu, pratiquée depuis
le commencement du monde par les anges et les hommes.
Jésus a renouvelé cette alliance en son temps,
en envoyant ses apôtres, ses docteurs ses
prophètes par le monde entier témoigner et
enseigner qu'il est venu en rédempteur et sauveur de
toutes les créatures. Ceux qui veulent croire
librement en lui, être baptisés dans sa mort,
se confier à lui, l'aimer et le servir seront tous
sauvés ; car il est le Fils de Dieu et sa grâce
est prête pour tous ceux qui veulent venir à
lui. Mais les incrédules et ceux qui le
méprisent, lui et son Père céleste, qui
repoussent la loi chrétienne et les préceptes
divins, et qui servent le monde, les péchés,
le démon leur chair en y persistant jusqu'à la
mort, sont tous damnés. Celui qui choisit le Christ
comme objet de son amour est élu, mais celui qui le
rejette est damné pour toujours. C'est là le
testament que Jésus a laissé
communément à chacun dans le monde entier. Le jour
où Jésus acheva son testament et le confirma
en y mettant le sceau de sa mort, un grand nombre
d'écrivains étaient venus de tous pays et de
toutes langues (car c'était la plus grande fête
de toute l'année). Ils observèrent et
écrivirent ce qu'ils voyaient de passion du Seigneur
et de la grande merveille qui arrivait en ce jour ; mais
tous leurs écrits ne sont pas reçus dans la
sainte Église. L'Évangile écrit par les
quatre évangélistes a été
annoncé, prêché et répandu dans
le monde entier, et a été reçu avec foi
par toute la sainte chrétienté. CHAPITRE
LXXVI DE SIX ESPÈCES D'HOMMES QUI PÈCHENT CONTRE LE SEIGNEUR JÉSUS. Soyez maintenant
attentif et écoutez, si vous voulez vivre pour Dieu
et garder le testament du Seigneur. Le jour où
Jésus est mort pour nos péchés, il y
avait six espèces de pécheurs opposés
à Dieu et à Jésus, en autant de
façons. Les trois premières espèces de
pécheurs reçurent la grâce et le pardon
de leurs péchés par la mort du Seigneur ; les
trois autres espèces, ceux qui rejetèrent
Jésus et sa mort, et persistèrent en ce
péché, sont tous damnés. Regardez donc,
choisissez et réfléchissez bien de quel
côté vous voulez vivre et mourir : car les six
espèces de pécheurs, qui pèchent de six
façons, règnent encore dans le monde tant que
Dieu le permet. Les premiers
pécheurs opposés au Seigneur furent ses
propres disciples, qui s'enfuirent loin de lui lorsque les
serviteurs des juifs le saisirent et le lièrent. Ils
avaient pourtant l'esprit d'amour envers l'humanité
du Seigneur, puisqu'ils avaient tout quitté et
méprisé pour être avec lui. Mais leur
angoisse et leur crainte étaient si grandes, que leur
cur et leurs sens étaient frappés,
distraits et refroidis par la crainte de la mort ; ainsi
tombèrent-ils ; cependant tout leur amour ne
délaissa pas leur âme mais demeura toujours.
Cette chute, en effet, fut permise par Dieu à cause
du fruit qui plus tard devait en sortir. Il leur manqua
l'esprit de la force divine, qui remporte la victoire sur
toutes choses. Ils hésitèrent dans la foi, car
l'esprit de la sagesse divine, qui éclaire toutes
choses, leur faisait défaut. Il leur manqua encore
l'esprit de charité parfaite, qui consume et expulse
toute crainte : aussi restèrent-ils dans la crainte
et le souci jusqu'au jour de la Pentecôte, lorsqu'ils
reçurent le Saint-Esprit. Bien qu'ils eussent
abandonné Jésus, celui-ci ne les quitta pas,
mais resta avec eux, et leur envoya des anges et des
messagers, et il se manifesta à eux en maintes
façons : ainsi demeurèrent-ils toujours dans
l'espoir et la crainte, en attendant le Saint-Esprit, le
consolateur du salut éternel, qu'il leur avait
promis. Cette
première espèce de pécheurs pour
lesquels Jésus est mort par amour, ce sont les hommes
de bonne volonté qui suivent Jésus avec
intention droite et un amour sincère ; ils sont
simples, innocents, doux et humbles de cur. S'ils
tombent dans le péché à cause de
l'infirmité de leur amour, la grandeur de la
tentation, la crainte de la mort ou le mauvais entourage,
ils ne persistent pas longtemps dans le péché,
car la sainte Écriture les blâme et les corrige
du dehors, tandis que le Saint-Esprit divin les appelle et
les excite intérieurement dans leur cur : c'est
comme s'ils avaient bu du poison, et qu'ils ne pussent
trouver tranquillité et repos avant de l'avoir
rejeté. La
deuxième espèce de pécheurs
opposés à Jésus au jour de son martyre
était celle des soldats de Pilate et des serviteurs
des juifs, qui le saisirent, le lièrent, le
flagellèrent, le crucifièrent et le mirent
à mort ; ils y furent contraints par leurs chefs, de
sorte qu'ils étaient obligés de le faire,
quoiqu'ils eussent pitié de lui et que ce fût
contre leur volonté, car ils hésitaient et
craignaient qu'il ne fût le Fils de Dieu. Pour
ceux-là Jésus pria son Père
céleste, car ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient.
Il fut exaucé, car après sa mort ils
reçurent la grâce. Mais pour ceux qui savaient
bien qu'ils faisaient mal, qui étaient
méchants et envieux, sans crainte et malicieux, qui
flagellaient Jésus, le frappaient, le crucifiaient et
le mettaient à mort sans pitié, pour
ceux-là Jésus ne demanda pas qu'ils obtinssent
leur pardon. Cette abominable
espèce de pécheurs existe encore de nos jours
: ce sont ceux qui persécutent, frappent et
emprisonnent les bons, qui prennent et volent tout ce qu'ils
peuvent atteindre, sans crainte de l'enfer ou de la mort.
C'est le monde mauvais qui méprise Jésus et
ses membres, et pour lequel Jésus ne prie pas,
puisque ces gens sont incapables de recevoir la grâce
divine. Cette vie sera suivie pour eux de la peine de
l'enfer et de la tristesse éternelle. La
troisième espèce de pécheurs
c'étaient les meurtriers crucifiés avec
Jésus. En voulant mourir au milieu deux,
Jésus montrait qu'il ne rejetait aucun
pécheur. Il n'est pas venu pour condamner, mais pour
sauver tous les pécheurs, qu'il appelle tous à
la pénitence et à sa grâce ; et sa mort
a plus de valeur que tous les péchés, et elle
donne la vie éternelle à tous ceux qui ont le
regret de leurs fautes, en font pénitence et ont foi
en lui. Mais le larron crucifié à gauche du
Seigneur était mauvais et impie, et il
méprisait le Seigneur et il aurait fait encore plus
de péchés s'il avait vécu plus
longtemps ; il n'avait pas le vrai regret de ses fautes ni
la volonté de ne plus en commettre. Il ne croyait pas
que Jésus fût le Fils de Dieu, et le regardant
avec impiété et mépris de cur, il
dit « Si vous êtes le Fils de Dieu, sauvez-vous
vous--même avec nous. » Jésus se tut et ne
lui répondit pas, parce que sa demande n'était
ni spirituelle, ni bonne, ni raisonnable. L'autre larron, au
contraire, celui qui était à droite,
regrettait ses péchés, et il blâma son
compagnon en disant : « Vous ne craignez pas Dieu, vous
qui partagez la même condamnation ; pour nous nous
recevons la peine de nos uvres. Mais celui-ci n'a rien
fait de mal. » Alors il se
tourna vers Jésus, d'un cur humble et d'une
voix plaintive il dit : « Seigneur, souvenez-vous de
moi, lorsque vous entrerez dans votre royaume. » Et
Jésus le regarda comme s'il avait été
toujours fidèle et un vrai ami et il lui dit «
Aujourd'hui même vous serez avec moi dans le paradis.
» L'un des pécheurs fut ainsi justement
reçu dans la miséricorde divine ; quant
à l'autre, Jésus le livra à la justice
de Dieu. Cette mauvaise
espèce de pécheurs est demeurée encore
chez nous jusqu'à présent : ce sont les
incrédules qui ne respectent pas Dieu, qui ne
craignent pas l'enfer et qui n'ont pas d'espoir pour le
ciel. Ils bafouent la passion, la mort et les souffrances du
Christ, le Fils de Dieu, par leurs jurons impies et
grossiers, par leur vie de luxure au dedans comme au dehors,
par leurs crimes et leurs paroles honteuses. Ceux qui sans
regretter ni confesser leurs péchés restent
dans cette mort, n'obtiendront plus jamais la
grâce. La
quatrième espèce de ceux qui péchaient
contre le Seigneur, c'étaient les pontifes et les
prêtres des juifs, les scribes et les anciens du
peuple, qui tous étaient extérieurement
personnes spirituelles et de ces disciples de Moïse,
qu'il avait fait sortir d'Égypte par la puissance de
Dieu. Ils étaient orgueilleux,
désobéissants, mauvais, envieux, avares et
ladres. Car ils adoraient un veau d'or qu'ils avaient
fabriqué et les idoles des gentils, et les veaux que
jéroboam, le roi d'Israël, faisait faire. Ils
méprisaient Moïse et Aaron, et la loi divine,
pour observer la loi des gentils ; et ils rejetaient les
prophètes qui leur annonçaient et enseignaient
la venue de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et tout ce
qu'il devait souffrir et endurer par leurs mains. Ils ne
voulaient pas que Jésus les instruisît ou leur
reprochât leurs péchés ; par haine et
envie ils achetèrent Jésus afin de le mettre
à mort, ce qu'ils firent, parce qu'il leur
était opposé en sa vie et sa doctrine. Néanmoins
il y avait encore en ce temps de bons prélats, de
bons prêtres et beaucoup d'hommes de bien, dont la vie
était conforme aux prescriptions de la loi juive. Et
il en est de même en notre temps : on trouve encore
grand nombre de bons prélats, de bons prêtres
et d'autres hommes vertueux, disciples du Christ et
successeurs des apôtres dans leur vie, leurs paroles
et leurs uvres. Nombreux sont toutefois les
prélats, les prêtres et les clercs, qui bien
qu'ils doivent gouverner la sainte Église et bien
qu'ils vivent du patrimoine que le Christ s'est acquis par
son sang, méprisent le Christ, sa vie et son
enseignement, pour servir volontairement et sciemment le
démon, le monde et la chair. Quoiqu'ils connaissent
l'Écriture sainte, ils ne possèdent pas
l'Esprit de Dieu, et sont dès lors semblables
à Judas. Ils sont incrédules, ennemis de Dieu
et infidèles, car au-dessus de Dieu ils
préfèrent l'argent et l'or, et les
dignités du monde, idoles auxquelles ils se
consacrent jour et nuit. Tout ce qui est en leur pouvoir et
même tout ce qui dépasse leur pouvoir est
à vendre aux riches qui apportent de l'argent. Il n'en
était pas ainsi à l'origine de la foi
chrétienne, lorsqu'à la suite du Christ et de
ses disciples grand nombre de saints papes,
d'évêques, de prêtres et de saints
personnages méprisaient le monde, prêchant par
leur enseignement et leur vie la vérité et la
foi chrétienne dans le monde entier. Ceux-là
étaient humbles, pleins de charité, patients
dans la souffrance. Le monde entier les méprisait et
les détestait, mais ils étaient pleins de
miséricorde et fidèles envers tous, priant
pour amis et ennemis, et pour ceux qui les
persécutaient et mettaient à mort. Grande fut
la persécution, et elle dura de nombreuses
années ; mais Dieu opérait par eux des
merveilles, des prodiges et des miracles si grands, que
leurs ennemis devaient céder : car ces merveilles
s'accomplissaient sous les yeux des empereurs, des rois et
des princes du monde, de sorte qu'ils entendaient la
vérité, y ajoutaient foi et se faisaient
baptiser dans la foi chrétienne. Ils donnaient alors
à la sainte Église grande liberté et
ils honoraient les prêtres et le sacerdoce au-dessus
de toute autre dignité. Ils fondaient des
églises et des monastères, donnant de grands
bénéfices et de hautes dignités
à ceux qui étaient au service de Dieu. Et
ainsi la religion grandissait et venait en grand honneur ;
et la sainte Église croissait et fleurissait,
produisant de grands fruits de sainteté et de vertu.
Tant que les prélats de la sainte Église et
les prêtres restaient humbles et aimaient la
pauvreté, même ne l'ayant plus, tant qu'ils
vivaient pour le Christ, l'aimaient et le servaient au
dehors et dans l'intime, le Christ régnait sur eux et
la sainte Église était en honneur et en paix
avec tous. Mais lorsque les prélats et les
prêtres s'élevèrent et se complurent en
eux-mêmes, à cause de la richesse et de
l'honneur qu'on leur donnait, méprisèrent Dieu
et son service, ce fut Satan qui régna sur eux, car
ils devinrent orgueilleux, avares et ladres, et sans
miséricorde envers leurs sujets, ainsi que je l'ai
dit plus haut. Ils achetaient et vendaient l'héritage
du Christ, comme ils le font encore de nos jours. C'est la
simonie presque partout : évêchés,
abbayes et riches prébendes, il faut les acheter ;
tant est grand aujourd'hui le pouvoir de l'argent et de
l'or, au-dessus même de Dieu, de la justice, de la
grâce et des préceptes divins. Les bons
prêtres sont des vases de sainteté,
surabondamment remplis de dons célestes, parce qu'ils
sont purs d'âme et de corps, sobres et
modérés en tous leurs besoins. Ils sont
ordonnés pour le service du Seigneur, dont ils
portent l'image dans leur cur par la méditation
quotidienne de sa passion, de sa mort, de sa
fidélité et de son amour.
Intermédiaires entre les pécheurs et Dieu, ils
sont pleins de miséricorde et de bienveillance envers
tous ceux qui ont besoin d'eux, et offrent pour les vivants
et pour les morts au Père céleste ce
Jésus qui a souffert et qui est mort par amour. Avec
une dévotion ardente ils prient et intercèdent
auprès du Dieu tout-puissant pour tous les besoins de
la sainte chrétienté et pour tout ce qui lui
est utile. Jamais ils ne cherchent la complaisance de
personne pour en avoir de la consolation ou des biens
temporels, mais ils désirent uniquement la gloire de
Dieu et le salut de tous. Le Christ leur a confié le
trésor et le bénéfice de la sainte
Église, c'est-à-dire les sept sacrements,
qu'ils dispensent et donnent à chacun selon ses
besoins, conformément à la manière et
à l'ordonnance de la sainte Église, sans les
vendre ni en exiger quelque récompense. Ce sont les
riches dons de Dieu que le Christ a accordés et
laissés à son peuple dans la sainte
Église, comme loi et norme de la sainteté, et
de l'honnêteté de murs dans tous les
états de vie. Les bons
prêtres sont un miroir pour la sainte Église et
pour tous les hommes de bien qui veulent mener une vie
raisonnable et sage : pour les yeux ils donnent le bon
exemple, pour les oreilles les bonnes paroles, et pour
l'odorat la bonne renommée d'une vie sainte. Le saint
Sacrement est de bon goût dans la bouche de ceux qui
sont en santé. Aux âmes nobles tes
prêtres donnent aussi une nourriture et un breuvage
éternels, qui sont le corps et le sang du Christ :
c'est-à-dire à ceux qui ont faim et soif, qui
soupirent et languissent, qui sont blessés d'amour.
Cette nourriture et ce breuvage éternels conservent
l'esprit aimant en santé. Ceux qui aiment Dieu sont
toujours doux et joyeux de cur, de sorte que tout leur
profite pour le bien. Maintenant, avec les anges et tous les
saints, rendons hommage au Christ et adorons-le, ainsi que
son Père céleste : cela nous mettra sans cesse
à l'abri d'un dommage éternel. Voilà la règle des bons clercs Qui vit d'une façon contraire pourrait bien dormir trop longtemps. La cinquième
espèce de pécheurs qui livrèrent le
Seigneur à la mort, ce furent les deux rois
païens et le juge infidèle, païen lui
aussi. Le premier de ces rois était Hérode,
qui, au nom de l'empereur, régnait sur la
Judée et sur Jérusalem lorsque Jésus
naquit. En entendant que le roi des juifs était
né, il s'affligea beaucoup et tout son peuple avec
lui : car il craignait de perdre son royaume, parce qu'il
était un étranger et que ce royaume ne lui
appartenait pas de droit. Ayant appris que le Christ
naîtrait à Bethléhem, la ville de David,
et de la race de Juda, il attendit encore quelque temps, et
envoya alors ses soldats, ses serviteurs et son peuple pour
immoler à Bethléhem et dans ses environs, tous
les petits enfants mâles qui n'avaient pas encore
atteint l'âge de deux ans. Ainsi Hérode fut-il
le premier qui, dès la naissance de Jésus,
chercha à le mettre à mort. Plus tard venait
son fils qui s'appelait aussi Hérode roi de
Gaulée à l'heure où le Christ souffrit
et mourut pour nous. C'est cet Hérode qui mit
à mort saint Jean-Baptiste, à cause de sa
vertu et de sa justice, et après la mort du Christ,
l'apôtre saint Jacques, frère de saint Jean
l'Évangéliste ; et lorsque Pilate
s'était saisi du Christ, il l'envoya
enchaîné à cet Hérode, pour voir
ce qu'il lui ferait. Mais Hérode le renvoya
lié à Pilate avec mépris et raillerie,
afin qu'il le crucifiât. Il était le second
roi, cet Hérode de Galilée, qui livra le
Christ à la mort. Cette mauvaise espèce de
pécheurs régna de longues années encore
après la mort du Christ, parmi les empereurs, les
rois, les païens et les juifs qui ont
persécuté jusqu'à la mort le Christ et
tous ceux qui croyaient en lui. Le Christ, la
Sagesse éternelle de Dieu, a bien ordonné
toutes choses au ciel et sur la terre, divisant son royaume
entre bons et mauvais. Aux mauvais, ses ennemis, il a
laissé la terre avec toutes les richesses du monde ;
car ils sont ses frères bâtards nés dans
la nature humaine, comme lui selon son humanité ;
mais ceux-là sont les envoyés et les
serviteurs de l'antéchrist. Ils sont impies et
infidèles à l'égard du Christ, leur
frère, et envers ses serviteurs. À ceux
qui croient en lui et qui le servent, le Christ a
donné et promis le royaume des cieux, dont il est
lui-même l'ornement avec toute sa gloire. Ici-bas dans
le temps, il a orné et rempli de multiples dons
spirituels ceux qui le servent et qui lui appartiennent. CHAPITRE
LXXVII DES TROIS DONS QUE DIEU, PAR LE MÉRITE DE LA PASSION, CONFÈRE À SES ÉLUS, ET DES TROIS MODES DE L'AMOUR PARFAIT. Le premier don que le
Christ accorde à ses élus, est une toi
sincère, qui ne connaît pas de doute. La foi
chrétienne est le fondement de toute sainteté
et de toutes les vertus. Celui qui aime
Dieu et croit en lui ressent dans son esprit une
béatitude constante, que personne ne saurait lui
enlever. Le deuxième don spirituel, que Dieu donne
à ses fidèles, est une sagesse céleste,
qui fait connaître toute vérité et
grâce à laquelle on méprise le monde et
tout ce qui pourrait remplir l'âme d'images, et
l'empêcher de se recueillir, d'aimer, de
connaître et de posséder Dieu dans une absolue
simplicité. Le troisième don est une force
intérieure, au moyen de laquelle on domine toute
affection désordonnée ; il confère un
triple mode d'amour qui élève l'homme
jusqu'à Dieu, qui le dirige et le perfectionne en
tous les modes de vertu et de sainteté, selon la
très chère volonté de Dieu. Le premier mode
est l'amour ressenti pour Dieu il méprise le plaisir
et la satisfaction, et tout ce qui est
désordonné dans la pratique de l'amour de
Dieu, et il établit l'homme dans une humble
démission et un déplaisir de soi-même,
et il le fait crier avec un désir ardent : «
Seigneur, aidez-moi, afin que je vous aime. » Plus il
crie et désire, plus il aime ; plus son désir
d'aimer est grand plus il y trouve de goût, et ce
désir et ce goût lui pénètrent le
cur et les sens, l'âme et le corps. Dieu convie tous
les hommes et leur ordonne d'aimer ceux qui entendent sa
voix et lui obéissent répondent : «
Seigneur, donnez-moi votre grâce et aidez-moi afin que
je puisse vous aimer. » Celui qui aime n'est pas
mercenaire il ne cherche ni récompense ni gain, mais
il aime d'amour. Plus il reçoit de dons de Dieu, plus
il devient pauvre ; car tous les dons exigent le retour.
Plus il mange d'aliments célestes, plus il a faim ;
plus il boit, plus il a soif ; plus il goûte, plus il
désire. Car le cur aimant reste vide et
inapaisé, jamais satisfait ; mais recevoir ainsi et
donner de retour c'est le commencement des murs de
l'amour. L'afflux des dons est si grand qu'il inonde la vie
sensible. Les sens ne peuvent supporter les délices
de l'âme ; mais le cur aimant désire
mourir pour la gloire de Dieu et le profit de la sainte
chrétienté. La vie sensible est dans l'ivresse
et ne connaît plus de mesure ; mais plus elle est
enivrée, plus la faculté intelligente est
perspicace et sage : elle méprise toute
volonté propre en disant : « Seigneur, faites de
moi tout ce que vous voulez », car elle ne
préfère ni la vie, ni la mort, ni rien de
particulier. Les sens alors défaillent dans ces
délices, et dans le sentiment et le plaisir qu'ils
éprouvent, ils sont terrassés et sans force ;
car ils ne peuvent comprendre les flots de la grâce
divine. L'âme raisonnable s'oublie elle-même
avec toutes les vertus distinctes, et s'évanouit
devant la majesté divine. Elle ne connaît plus
qu'amour ressenti et révérence pour Dieu. Tel est le
premier mode des exercices d'amour et de la vie spirituelle.
Tout ce que Dieu peut donner en dehors de lui-même,
l'âme ne l'estime plus. Car elle s'est
abandonnée elle-même avec toutes choses, et
elle en a choisi une qui lui échappe. Ici commence le
deuxième mode des exercices d'amour. L'Esprit de Dieu
y dit à l'âme aimante : « Donne-moi, moi
je te donne. » Alors l'âme tombe dans un tout
humble abaissement d'elle-même au-dessous de tout ce
qui est créé et elle dit : « Seigneur,
non pas ma gloire, mais votre gloire doit être
procurée. » Cet humble abaissement c'est
l'habitation de Dieu avec tous ses dons. Et il montre
à l'âme aimante sa grandeur éternelle
au-dessus de tous les dons et de tout ce qui est
créé. Celui qui
au-dessus des préceptes veut vivre selon les conseils
divins, doit se renoncer et s'abandonner lui-même
humblement au-dessous de toutes les créatures, en cet
humble abaissement où le Christ vit et nous avec lui.
La vie du Christ fut toujours et est encore un humble
abaissement. Celui qui vit pour lui, vit de l'esprit de
force ; et il domine toutes choses, et il demeure insensible
en son fond à la joie comme à la douleur, au
gain comme à la perte. Il ne méprise personne
et se laisse volontiers mépriser. Il porte et
supporte toutes choses dans son cur sans
s'émouvoir. Le Christ demeure en lui et c'est
pourquoi il lui fait produire de grands fruits de vertu, et
il lui montre la hauteur infinie où il habite avec le
Christ en Dieu au-dessus de tous dons, au-dessus de toute
vertu et de tout être créé. Les
pratiques qui s'y rapportent sont la louange et l'action de
grâce, le respect et la révérence envers
Dieu. Mais il ne peut pas les accomplir pleinement, car son
esprit défaille dans l'amour et trépasse en
Dieu et est réduit à rien, mais il recommence
sans cesse et sans trêve ces mêmes pratiques.
C'est là le plus haut mode d'amour et de pratiques
envers Dieu dans l'humble abaissement il triomphe du monde
et de tous les péchés, car le Christ vit en
lui avec l'esprit de sa force, et dans la hauteur infinie il
vit avec le Christ en Dieu, et ressent en lui-même une
béatitude que rien ne peut troubler. Tel est le
deuxième mode d'amour parfait selon la très
chère volonté de Dieu, et il demeure toujours
et ne périra jamais ni dans le temps ni dans
l'éternité. Ensuite vient le
troisième mode d'amour, qui est caché pour
tous ceux qui ne sont pas anéantis dans l'exercice de
l'amour. Ici l'Esprit de la Sagesse de Dieu enseigne et
montre et fait ressentir ce que c'est qu'unité en
amour avec le Christ en Dieu, et différence avec le
Christ lorsqu'on se tient en éternelle
révérence devant Dieu. Unité en amour
ne peut pas devenir différence, ni différence
unité, ainsi les deux sont-elles
séparées dans un même esprit. La
différence est bienheureuse dans sa tenue devant Dieu
et sa contemplation en révérence
éternelle ; l'unité avec Dieu en amour est
béatitude, repos, jouissance pour
l'éternité. Ceci est le plus haut mode qu'on
puisse ressentir ici-bas dans le temps, au moyen de la
grâce et de la miséricorde de Dieu. Et il est
achevé et éternel avec Dieu dans la gloire
divine. Tous ceux qui
sont nés de Dieu sont héritiers et fils
légitimes de Dieu : ils sont baptisés dans le
Saint-Esprit et dans le sang vivifiant de Notre-Seigneur
Jésus-Christ ; ainsi sont-ils nés à
nouveau et ils vivent avec le Christ en Dieu. Mais les fils
naturels qui sont nés de la chair et sang, sont fils
de Dieu selon la nature. Bien qu'ils soient nés pour
son royaume, ils méprisent Dieu et le royaume des
cieux, préférant le monde et tout ce qui est
périssable. parce qu'ils ne sont pas nés de
nouveau du Saint-Esprit, ils ne peuvent ni voir ni
posséder le royaume de Dieu ; car ils
méprisent et haïssent les fils légitimes,
qui sont nés de Dieu. On peut le remarquer dès
le commencement du monde. Car Adam avait deux fils, et le
mauvais poursuivait le bon de sa haine à cause de sa
vertu. Abraham aussi avait deux fils : Ismael, le
bâtard, haïssait fils légitime Isaac.
Isaac avait deux fils Ésau et Jacob ; Ésau
détestait et méprisait Jacob pour sa vertu.
Jacob avait un grand nombre de fils : ils haïssaient et
méprisaient le vertueux joseph. Les bâtards
luttent entre eux et se disputent le royaume du monde : un
roi en combat un autre, un état fait la guerre
à l'autre, les familles, les voisins et les hommes se
battent entre eux. Ceux qui sont puissants et riches ont des
fils illégitimes et des serviteurs, et souvent ils
méprisent sans motif l'innocent et ils disent
à leurs bâtards et à leurs serviteurs :
« Allez, coupez-lui le pied, la main ; crevez-lui les
yeux ; ôtez-lui la vie et tout ce qu'il
possède. » Voilà la vie des bâtards
qui sont plus puissants et plus riches que les autres
hommes. Ils sont cruels et sans pitié, semblables au
démon : difficilement ils chercheront ou trouveront
miséricorde. Les fils
légitimes de Dieu, qui sont nés de Dieu, ne
font tort à personne ils sont sans malice, et ils
souffrent et supportent tout le mal qu'on leur fait ; ils
demandent et souhaitent le salut pour leurs ennemis comme
pour tous les hommes ; aussi vivent-ils en paix et en repos
avec Dieu pour le temps et pour
l'éternité. Tous ceux qui
sont morts à eux-mêmes en Dieu, à leur
propre volonté et à toute
propriété pour la très chère
volonté de Dieu, trouvent en eux-mêmes la vie
éternelle, et une béatitude sans fin : ils
sont élevés au-dessus de répugnance,
au-dessus d'attrait, au-dessus de toute vertu et pratique
d'amour, dans le repos sans image : là ils ont
reçu la richesse sans fond et la liberté sans
entrave, qui leur permet de pratiquer toutes les uvres
bonnes extérieures, et de se recueillir en toutes les
vertus et pratiques d'amour, car ils demeurent immobiles en
eux-mêmes, fixés avec Dieu dans une
unité d'amour que personne ne peut leur enlever. Ils
habitent en Dieu et Dieu en eux ; dès lors ils sont
assurés de la vie éternelle, car par amour ils
ont comme échappé à eux-mêmes,
perdus pour toujours, et personne ne peut plus les atteindre
: aussi ont-ils la certitude de la vie éternelle,
personne ne pouvant la leur ravir. Et ils ne peuvent pas
tomber dans le péché mortel, à cause de
cette inhabitation divine qu'ils ressentent, qu'ils
possèdent et qu'ils expérimentent en eux, jour
et nuit. Tous leurs péchés véniels sont
consumés dans ce retour amoureux vers Dieu,
lorsqu'ils possèdent l'unité d'amour avec
Dieu, sans obstacle, et qui ne peut leur être
enlevée par personne. Ce mode
élevé de vie ne peut être
enseigné à ancun ; il est caché et
inconnu. Mais ceux à qui Dieu le donne et qui en sont
capables peuvent le recevoir : ce sont ceux qui au moyen de
la grâce divine renoncent à eux-mêmes et
meurent en Dieu et dans l'amour essentiel sans images. Ils
trouvent le royaume de Dieu en eux, car dans leur esprit vit
la révélation divine, et Dieu se manifeste
dans leur pensée élevée au-dessus des
images. On appelle ceci la vie contemplative. La richesse y
est grande sans mesure ; là brille le jour de
l'amour, que Dieu seul peut donner et qu'ici bas on ne peut
exprimer en paroles. La
charité parfaite comprend deux modes ; le
précédent est le mode le plus
élevé d'amour qu'on puisse vivre, ainsi qu'il
a été expliqué ci-dessus. L'amour y est
achevé et en Dieu y est aimé sans fin. Un
autre mode de vivre et d'aimer qui s'y ajoute est celui que
Dieu impose de façon rigoureuse à tous les
hommes, à savoir qu'il doit être aimé
au-dessus de tout ce qu'il a créé. Ce mode
d'amour fut pratiqué par le Christ selon sa nature
humaine ; il nous l'a enseigné en paroles et en
uvres, il est mort pour cet amour et il l'a
emporté avec lui au ciel ; les anges, les saints et
tous les justes le pratiquent ; et il durera
éternellement. La charité parfaite est
enracinée et établie en Dieu, et c'est le
Saint-Esprit lui-même qui est son fondement. L'âme
raisonnable comprend par nature, la raison enseigne, ainsi
que la pure nature, la sainte Écriture et toutes les
créatures, que Dieu doit être aimé
par-dessus tout. L'âme raisonnable qui fait choix
d'aimer le Christ par-dessus toutes choses, possède
en elle la vie du Christ avec tous ses dons, et il lui
enseigne la vérité et toutes les vertus. La
charité envers Dieu est de si grand poids, qu'elle
l'emporte sur toutes choses ; et elle si agréable
à Dieu, que s'il lui donnait en échange tout
ce qu'il a créé, il ne lui donnerait pas
suffisante récompense, et elle ne pourrait
elle-même être satisfaite si elle ne
possédait pas celui qu'elle aime par-dessus tout
L'âme raisonnable est semblable à un marchand
qui cherche des perles précieuses et lorsqu'il en a
trouvé une il vend tout ce qu'il a et il
achète cette précieuse gemme. Qui aime Dieu
par-dessus tout, a trouvé la perle ; il
méprise aisément tout ce qu'il peut aimer et
l'empêche d'aimer Dieu par-dessus tout. Aimer Dieu
par-dessus toutes choses, c'est le trésor des anges,
des saints et des hommes parfaits ; il est caché dans
le champ de la sagesse de Dieu. Le don de sagesse de Dieu
montre le trésor de l'amour à l'âme,
trésor que la sagesse du monde ne peut trouver. Car
la sagesse du monde est folie devant Dieu et en son temps,
elle se change en tristesse éternelle. La sagesse de
Dieu enseigne l'amour éternel et procure la gloire et
la béatitude pour l'éternité. L'âme
raisonnable possède trois manières de vivre
pour Dieu. Le mode le plus élevé est celui du
pur amour par lequel l'esprit est uni à Dieu sans
images. L'esprit qui est né de Dieu, a fait retour en
lui, et il a trouvé la béatitude
éternelle : dès lors il lui est impossible de
tomber en péché mortel. Le deuxième
mode consiste en ceci que l'âme raisonnable
s'élève vers Dieu en action de grâces
louange et révérence. En le faisant elle ne
peut non plus commettre de péchés, de
même que l'arbre bon ne peut produire de fruits
mauvais. Car adhérer à Dieu avec amour,
hommage et respect c'est la vie éternelle, qui
reçoit Dieu et ne peut pas mourir. L'homme
raisonnable qui cherche et qui aime Dieu et qui
désire vivre selon la très chère
volonté de Dieu en toutes les vertus selon la
discrétion, est enraciné en Dieu et né
de Dieu : il produit de multiples fruits en vertus, en amour
et en pratiques. Car le Christ vit en lui par sa grâce
et opère avec lui ce qui est de précepte comme
ce qui est de conseil. Cet homme commence par l'humble
abaissement, l'obéissance docile, la
mansuétude clémente ; il est innocent et
juste, désireux d'accomplir promptement la
très chère volonté de Dieu, il n'est
pour personne méchant ni cruel. Le retour amoureux
vers Dieu lui est facile : il vit dans la charité ;
quoi qu'on lui fasse, il ne peut haïr ; il supporte
l'injustice sans murmure, et reste patient en toutes choses.
Sans cesse il doit croître et monter dans la
charité et dans la vertu ; il aime les
pécheurs et déteste les péchés,
comme l'exige la justice divine. Pour tous il est affable,
serviable et bienfaisant, car en lui vit l'esprit de
miséricorde. Il est intimement et uniquement uni
à Dieu pour toujours là il a trouvé la
paix et le bonheur Il ne peut ni mourir, ni tomber en
corruption, ni pécher mortellement, car il vit en
Dieu et Dieu en lui de façon immuable. Ses
péchés véniels lui sont facilement
pardonnés ; car sa pratique est vie
éternelle. CHAPITRE
LXXVIII DES TROIS MODES DE PRATIQUE DE VIE ÉTERNELLE. La pratique de vie
éternelle a un triple mode : deux modes spirituels et
un mode sensible. Le Christ mettait trois modes en pratique
et il les enseigna aux apôtres durant sa vie il les
enseigne encore à tous ceux qui le suivent et qui
renoncent à eux-mêmes : Il conduit ses
disciples avec lui au ciel vers son Père
céleste, et celui-ci leur apprend à choisir et
à prendre pour eux avec le Christ et en lui ce qu'il
a choisi lui-même pour la vie éternelle. Le
Christ leur enseigne à remercier avec lui, à
louer, à servir et à aimer le Père
céleste dans un respect infini, et à
posséder avec lui et avec son Père
céleste l'unité du Saint-Esprit pour en jouir
dans la béatitude éternelle. C'est la
clôture de l'amour : penser sans images et pratiquer
le pur amour dans un repos éternel. Tel est le
premier mode spirituel enseigné par le Christ, et
dans lequel nous possédons la sublime nature divine.
Dans le deuxième mode spirituel le Christ nous fait
descendre avec lui et nous apprend à mourir à
nous-mêmes et à notre propre volonté,
par une humble démission devant le libre vouloir
divin, de sorte que nul homme, méchant ou cruel, ne
puisse nous découvrir. Le Christ donne son esprit, sa
vie, et son sentiment vertueux à ceux qui le servent
par leurs vertus, sans défaillance. Son esprit est
commun à tous ceux qui se gardent purs du
péché et qui le servent avec respect : la vie
éternelle leur est préparée. Leur vie
consiste à vivre pour Dieu et à supporter
l'injustice sans murmurer ni se plaindre. C'est ce que
donne le Christ à celui qui peut le porter. Le
sentiment vertueux qu'il confère consiste dans
l'humble abaissement au-dessous de tous les hommes ;
demander et souhaiter le salut de tous ; vivre et mourir
pour accomplir la justice divine. Ceux qui le suivent ainsi
lui sont semblables. Il veut que nous soyons
obéissants, dociles, soumis et patients
jusqu'à la mort. Ceux qui vivent ainsi pour lui
s'alimentent du pain céleste. Il veut que nous soyons
de murs honnêtes et que nous accomplissions les
bonnes uvres : alors nous serons toujours en paix avec
lui. Il veut que nous soyons raisonnables et discrets : et
tous les vices nous viendront en dégoût ; il
veut que nous soyons dociles, écoutant volontiers les
paroles de Dieu tant du dehors que de l'intérieur
elles nous sont un moyen de combattre les
péchés d'acquérir toutes les vertus. Il
veut que nous soyons rapports agréables avec tous les
gens de bien, d'une seule volonté et de
charité unanime avec eux : alors nous trouverons avec
lui toute vérité et toute vertu. Il ne faut
pas être bourru ni grincheux, mais doux de cur,
d'un esprit joyeux, d'une âme généreuse,
rempli de vertus et de bonnes uvres envers tous ceux
qui ont besoin de nous : alors il nous donne son esprit de
miséricorde, qui s'écoule en multiples
fleuves. Ceux qui en boivent sont bienveillants : jamais ils
ne méprisent quelqu'un sans raison, ni ne l'oppriment
ou lui font violence, ni injustice, ni tristesse ; mais ils
arrangent toutes choses au mieux. Ce sont
là les disciples du Seigneur capables d'enseigner et
d'apprendre, de corriger, de consoler et de diriger les
autres, de les reprendre et de les amener à toutes
les vertus, car ils sont remplis des grâces de Dieu.
Le Christ supporte et tolère le pécheur en ses
péchés ; mais les hommes de bonne
volonté lui sont unis en amour. Le
pécheur qui cherche et désire la grâce
est cher et agréable à Dieu. Mais le
pécheur qui méprise le Christ et sa
grâce, et vit ainsi jusqu'à la fin, ne peut
trouver pardon auprès de Dieu. D'autres portent une
apparence dévote et se croient les disciples du
Christ ; les mélancoliques, les faibles et qui ne
peuvent rien supporter ont de la joie et de la douleur ; en
beaucoup de choses ils sont mauvais et cruels, et certains
tout particulièrement : souvent ils ont souffrance et
tristesse. S'ils étaient d'âme simple, ils
n'auraient rien de semblable. Dieu, notre
Père céleste, en créant la nature
humaine, a donné à tous liberté et
faculté de choisir librement, de se détourner
ou de se retourner, de faire le bien ou le mal, et c'est
là la plus haute noblesse de notre nature. Dieu et
avec lui tous les saints et tous les anges, veulent que nous
nous retournions vers lui par l'amour, l'action de
grâces et la louange, et il veut nous accorder la
grâce de pouvoir le faire. Il veut et ordonne que nous
lui rendions action de grâces et louange : dans cette
condition nous sommes ses disciples et lui nous donne la vie
éternelle. Mais ceux qui méprisent sa
volonté, ses préceptes et sa grâce, pour
servir le démon, le monde et la chair, sa justice les
livre au feu éternel et à la peine d'enfer.
Ici est la distinction entre le bien et le mal, l'aversion
et la conversion des disciples de Dieu et des disciples de
Satan. De plus Dieu
donne ordre à tous les hommes de pratiquer la
charité mutuelle, la fidélité et la
justice entre eux. Cette loi et ce précepte ont leur
principe en Dieu et demeurent éternellement. Ceux qui
dès le commencement du monde ont aimé,
honoré et adoré Dieu, ont trouvé et
possèdent la béatitude éternelle. Ceux
qui se sont détournés de lui, qui adorent le
bois et la pierre, et les statues qu'ils fabriquent, sont
damnés pour l'éternité. Ceux qui aiment
tous les hommes pour Dieu et pour sa grâce sont les
disciples du Seigneur, pleins de grâce et de
miséricorde. Mais les disciples de Satan sont
impitoyables et remplis de malice ; ils font uvre de
brigands, tuent, volent, se battent, et sont pleins
d'actions mauvaise Certains portent un extérieur
dévot et veulent être les disciples du Christ,
mais ils sont méchants et sans pitié,
mélancoliques et faibles, incapables de toute vertu.
Ils injurient, se fâchent, se battent, mentent,
jurent, blasphèment, et ne peuvent se corriger de
leurs vices. Il en est d'autres encore qui ont pour autrui
de la mésestime et le montrent en paroles, en
procédés, en affectation de silence, par des
signes ou des attitudes méprisantes ; et ce sont tous
des vases vides de grâce et remplis de
péchés. Ils ont délaissé Dieu :
ils sont tous disciples de Satan et rejetés de
Dieu. Le Christ
ordonne à ses disciples, qui l'aiment et le servent,
de supporter et de souffrir toute injustice, sans murmure ni
plainte : ainsi peuvent-ils en Dieu obtenir toute
béatitude et avec tous les saints se réjouir
éternellement. Certains disciples ne sont pas encore
trépassés en Dieu : le royaume de Dieu leur
est caché ; ils ont encore craintes et soucis, et
s'affligent grandement de beaucoup de choses. S'ils
étaient des disciples parfaits, ils n'auraient rien
de tout cela. Ils ne veulent de mal à personne, n'ont
aucune intention de causer des humiliations ni de nuire
à quiconque, d'amoindrir ni de mépriser
personne ; mais sont faibles et facilement
déprimés. Le Christ donne
sa grâce à ses disciples ; il veut qu'ils
méprisent les choses de la terre et suivent ses
conseils ; qu'ils s'observent attentivement, abandonnent le
péché et s'en purifient ainsi son esprit
peut-il progresser en eux. Ils se mépriseront
eux-mêmes et confesseront devant Dieu leurs
péchés, et ils les révéleront au
prêtre sans les cacher ni les excuser ; et sans
hésiter ils mettront en Dieu leur confiance c'est
là un signe de vrai repentir. Avec une charité
sincère ils lui rendront grâce, le loueront, et
commenceront la pratique des vertus. Ceux qui
agissent ainsi auront la vie éternelle. Le Christ
leur montre sa bonté sans fin, la grâce qui
s'écoule de lui et son inhabitation avec eux pour
l'éternité. Cela augmente en eux le vrai
repentir, l'espérance et la confiance. Devant sa face
et remplis de respect, ils pratiquent l'amour ardent,
connaissent toute vérité, et avec lui ils
aiment tous les hommes, pour la béatitude
éternelle. Ils ne peuvent
se battre ni se disputer avec personne, mais ils supportent
en silence toutes choses. S'ils font ainsi, ils sont sages
et prudents et ont la facilité pour toute vertu. Les
hommes qui ont l'esprit orgueilleux et qui n'ont pas
dompté leur propre sang, sont vite irrités ;
ceux qui en prennent l'habitude, toute leur vie est en
adversité. Ceux qui ne cherchent ni n'aiment Dieu
sont aveugles dans leur connaissance. Ils ne peuvent pas se
vaincre et toute leur vie est folie. Ceux qui n'ont pas le
déplaisir d'eux-mêmes et qui portent volontiers
des soucis étrangers ont souvent un sentiment de joie
et de tristesse ; ils sont vis-à-vis de toutes vertus
sans disposition, ils ont souvent peines et
mécontentements. S'ils étaient morts à
eux-mêmes, ils ne souffriraient pas. Volontiers ils se
plaignent des autres, mais s'ils se regardaient
eux-mêmes, ils garderaient le silence et
supporteraient tout, et ils vivraient soucieux
d'eux-mêmes et de Dieu, supportant tout sans
tristesse. Ceux qui se
déplaisent eux-mêmes confessant et
reconnaissant leurs péchés sont bénis
de Dieu. Jésus nous a donné sa mort par
laquelle il a acheté la vie éternelle, afin
que nous l'offrions à son Père céleste,
et dès lors nous serons tous les enfants de Dieu par
la grâce. Beaucoup de gens qui s'exaltent
eux-mêmes ne supportent personne au-dessus d'eux. Ils
ont une volonté propre et orgueilleuse, et ils
préfèrent leur propre opinion à celle
des autres hommes : ceux-là ne sont pas nés de
Dieu rarement leur vie est sans tristesse et douleur, car
ils veulent dominer les autres, les enseigner, faire des
remarques, et ils veulent qu'on les suive dans leurs
opinions : si l'on refuse, ils se fâchent. Lorsqu'ils
se rencontrent avec ceux qui leur ressemblent par leurs
vices, ils doivent s'injurier et se battre, car l'un ne veut
pas céder à l'autre. Volontiers se plaindre,
ne rien supporter : telle est leur vie ; mentir, menacer,
avoir le visage hautain, jurer, blasphémer, car ils
ne sont que des vases vides. Être infidèle et
sans repentir, c'est vivre en opposition avec la
charité. Mais l'humilité, fille du Christ, est
morte à elle-même, sage et prudente ; elle a
foulé le monde aux pieds, et sait supporter
patiemment toute injustice : ce qui la fait monter sans
cesse dans la vertu. Elle s'est chargée de sa propre
croix et suit le Christ par ses bonnes actions. Elle sait
tout supporter, et suivre le Christ jusqu'à la mort :
ceux qui agissent de la sorte, auront une grande
récompense. Ils attendront, en s'y préparant,
leur fin pour trouver la vie éternelle avec le
Christ. Rien ne peut les atteindre : ils sont fixés
dans le repos avec Dieu et personne ne peut les troubler.
Ils compatissent aux besoins de tous : c'est pourquoi ils
sont aimés des riches comme des pauvres ; et le
Christ leur promet la vie éternelle : Il ne peut
mentir et il la leur donnera. Ceux-là sont
généreux et riches devant les yeux du Christ
qui servent les pauvres de tout leur pouvoir. Dieu, notre
Père céleste, est une source de grâce
sans fond : il a fait le ciel et la terre et toutes les
créatures ; Il a envoyé son Fils dans notre
nature, afin de nous purifier des péchés et de
nous amener avec lui dans sa gloire. Le Christ, notre ami
éternel, nous a servis par sa mort ; il veut nous
communiquer ses mérites, si avec lui nous usons de la
grâce. Sa vie nous a été décrite,
ainsi que ses paroles, son enseignement et la manière
dont il vivait. Il veut que nous le suivions sans cesser
jamais. Sa vie sensible était innocence, endurait
faim, soif, chaleur et froid, peine et labeur. Sa vie
intérieure était sagesse, contemplant
distinctement toute vérité ; sa
fidélité, son amour se répandaient en
grâce. Sa vie contemplative était au-dessus de
toute hauteur et consistait à remercier et à
louer son Père, à l'honorer et à
l'aimer dans un respect sans fin. Sa vie passible
était soumise à la volonté de son
Père et aux mains de ses ennemis, en grande patience
; disposée à mourir et à vivre, en
même temps qu'à tout supporter en soumission
absolue. Sa vie parfaite était un abandon volontaire
aux mains du Père jusqu'à la mort ; sa
passion, l'effusion de son sang, sa nourriture ; sa boisson,
du vinaigre mêlé de fiel ; tout endurer et
porter patiemment, mourir enfin en humble
obéissance. Il nous a
légué pour après son départ, par
pure charité, sa chair vivante et son sang
précieux. Nous pouvons manger et boire, et faire
mémoire de lui avec un goût
pénétrant. Il nous donne son âme
glorieuse, pleine de beauté, de gloire, de dons, qui
peuvent nous remplir de grâces et de bienfaits. Il nous donne
son esprit créé, qui nous a
mérité la vie éternelle. Il nous donne
aussi son Esprit incréé, qui est un seul Dieu
avec lui et avec le Père céleste, qui
pénètre et inonde tout notre intérieur
de suavité divine ; ceux qui le servent ressentent la
douceur éternelle. Tout ce qu'il est et tout ce qu'il
peut, il nous l'a donné. Mais être Dieu et
homme en une seule personne, cela il ne peut le communiquer
à quiconque cette majesté et cette noblesse ne
sont qu'à lui seul. Il n'y a qu'un Christ, qui est
Dieu et homme en deux natures : c'est lui que nous devons
aimer, remercier et louer pour l'éternité. Il
nous a donné sa divinité, au-dessus de tout
être créé, et sa superessence, que nous
possédons dans la béatitude éternelle,
au-dessus de nous-mêmes, en nous-mêmes ;
voulez-vous en avoir l'expérience : là
s'achève toute raison, là il y a vie sans
labeur. Telles sont la
règle du Christ, sa doctrine et sa vie si nous
voulons le suivre, il nous enseignera toute
vérité. Il nous montrera dans le royaume de
son Père son être glorieux. Il veut qu'avec lui
nous portions son joug, et que nous aimions les bons et les
mauvais pour le service de Dieu et pour sa grâce. Le
joug de l'amour est doux et suave il est la rançon de
tous les péchés. Le fardeau du Christ est
léger de poids : tout ce dont il charge, il aide
à le porter. Il envoie ses disciples dans le monde
comme des agneaux au milieu des loups : ils ne veulent
dominer sur personne ; ils sont les moindres selon leur
sentiment ; vivre d'orgueil ne peut entrer chez eux, alors
même que le monde entier leur serait profit. Ils se sont
humiliés avec le Christ et sont devenus les
serviteurs du monde entier : c'est l'état le plus
haut, en toute vérité et justice. Ils ne sont
pas avares : ils ont abandonné toutes les choses
terrestres ; ils ne sont pas ladres : bien qu'ils soient
pauvres de richesses, avec Dieu ils donnent au ciel et sur
la terre tout ce qu'ils ont ; ils ne sont pas irritables :
ils ne cherchent pas à se venger ; tout ce qu'on leur
fait de mal est aussitôt oublié ; en eux la
haine et la colère ne peuvent entrer, car ils sont
nés de Dieu. C'est là une extraction
très noble, riche en vertus et de grand pouvoir. Ils
prennent la place la plus humble : tous les gens de bien
s'en trouvent mieux. Avec le Christ ils sont morts à
eux-mêmes en humble soumission ; ils se sont engloutis
et se sont réfugiés avec tous les esprits
aimants dans la béatitude sans fond. Ici commence le
troisième mode de vie éternelle dans les
exercices sensibles de la vérité sans fin. La
raison éclairée par Dieu ordonne aux hommes de
dominer et de régir la vie des sens et de l'ordonner
à la gloire du Seigneur. Et à cause de cela
ils haïssent et méprisent toutes les
inclinations désordonnées de la nature :
bien--être, plaisir, satisfaction et consolation,
complaisance en toutes créatures. Ils donnent
à la partie inférieure, comme à un
serviteur, ce qui lui est nécessaire ; ils sont
sobres et purs ; ils servent Dieu seul par leurs bonnes
uvres et demeurent bien ordonnés jusqu'à
la mort. Voir, entendre, sentir, goûter, toucher,
éprouver, autant de moyens de servir Dieu sans
diminuer de ferveur. Ils usent de leurs sens pour les bonnes
uvres, par lesquelles ils servent Dieu et qui leur
servent à eux-mêmes jusqu'à la mort :
c'est là grande sagesse. Ils méprisent et
haïssent les inclinations désordonnées de
la nature, ce qui est de toute nécessité. Car
ceux qui méprisent Dieu et obéissent aux sens,
pour leur commodité, leur plaisir, leurs
délices, sont pires que des morts. Les hommes
éclairés de Dieu aiment les vertus et les
bonnes uvres, par lesquelles ils servent Dieu et se
servent eux-mêmes avec les autres hommes en mainte
manière. Tous leurs péchés
véniels leur sont facilement pardonnés, car
ils sont unis à Dieu par amour. Rentrer en Dieu par
amour et sortir pour les bonnes uvres, ce leur est
également facile : car ils sont unis à Dieu
au-dessus de joie et de douleur. Toute défaillance,
en cette vallée de larmes, se change et se consume en
amour et en retour vers Dieu car leurs vertus et bonnes
uvres sont sans nombre. Ces hommes ont obtenu la
victoire au-dessus de la lutte ceux qui la leur envient ont
tort. (1)
MATTH., XXVI, 36 et 41.NOTES : (2) Ib. XXVI, 38. (3) MARC, XIV, 36. (4) MATTH., XXVI, 40-41. (5) MATTH., XXVI, 42. (6)MARC, XIV, 41 et 42. (7)MARC, XIV, 44. (8)Ib.,45. (9)LUC, XXII, 48 ;MATTH., XXVI, 50. (10) JOA., XVIII, 4-8; LUC, XXII, 49; MATTH., XXVI, 52-54. (11) LUC, XXII, 52-53; MATTH., XVII, 56. (12) JOA., XVIII, 17; Luc, XXII, 57 et 60. (13) MATTH., XXVI,71-73. (14) JOA., XVIII, 26. (15) MARC, XIV, 72. (16) J0A., XVIII, 20-23. (17) MARC XIV, 58. (18) MARC,XVI, 63. (19) MATTH., XXVI, 63-64. (20) LUC, XXII, 68-70 (21) MATTH XXVI, 65-66. (22) Ib., XXVI,68. (23) JOA., XVIII, 29-30; LUC, XXIII, 2. (24) Id. XVIII, 31. (25) MATTH., XXVII, 4. (26) JOA., XVIII, 33-38. (27) LUC, XXIII, 5. (28) LUC, XXIII, 14-16. (29) JOA., XIX, 15. (30) JOA., XIX, 6-12. (31) MATTH., XXI, 13. (32) JOA., XIX, 12.. (33) Ib., XIX, 15. (34) MATTH., XXVII, 15-22. (35) MATTH., XXVII, 23-25. (36) JOA., XIX, 5. (37) MATTH.,XXVII, 29. nouvelle évangélisation-retour |
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