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Attendre DIEU espérer l'homme. (Paut TILLICH) 

L'Ancien et le Nouveau Testament décrivent tous deux notre existence dans ses rapports avec Dieu comme une attente. Attendre signifie n'avoir pas et avoir au même rnoment. Car nous n'avons pas ce que nous attendons; ou, comme dit l'apôtre, espérant ce que rious ne voyons pas, alors nous l'attendons. La condition de l'homme dans sa relation avec Dieu, c'est avant tout la condition de quelqu'un qui n'a pas, qui ne voit pas, qui ne sait pas et ne prend pas. Une religion où l'on oublie cela, luelque contemplative qu'elle soit, quelque active ou raisonnable qu'elle soit, remplace Dieu par la création d'une image de Dieu. Notre vie religieuse se caractérise plus par cette sorte de création que par quoi que ce soit d'autre.Je pense, par exemple, au théologien qui n'attend pas Dieu puisqu'il le possède, enfermé dans une doctrine. Je pense à celui qui étudie la Bible, qui n'attend pas Dieu parce qu'il le possède, enfermé dans un livre. Je pense à l'homme d'Église qui n'attend pas Dieu parce qu'il le possède, enfermé dans une institution. Je pense au croyant qui n'attend pas Dieu parce qu'il le possède, enfermé dans sa propre expérience.

On supporte difficilement de ne pas posséder Dieu, d'attendre Dieu. Il n'est pas facile de parler de Lui, sans se convaincre soi-même, ainsi que les autres, que nous possédons Dieu et que nous pouvons en disposer. Il n'est pas facile d'annoncer Dieu et de faire comprendre en même temps que nous-mêmes nous ne le possédons pas, que, nous aussi, nous l'attendons. Je suis convaincu que la révolte contre le christianisme est due en grande partie à la prétention, visible ou dissimulée, qu'ont les chrétiens de posséder Dieu, et à la perte de l'élément d'attente, Si décisif chez les prophètes et les apôtres. Ils ne possédaient pas Dieu, ils l'attendaient. Car comment Dieu peut-il être possédé ? Dieu est-il une chose qui peut être saisie et connue parmi d'autres choses ? Dieu est-il moins qu'une personne humaine? Un être humain on doit toujours l'attendre. Même dans la communion la plus intime entre des êtres humains, il reste un élément de non-possession, de non-connaissance et d'attente. Ainsi puisque Dieu est infiniment caché, libre et imprévisible, nous devons l'attendre de la façon la plus absolue et la plus radicale. Pour nous, il est Dieu, précisément dans la mesure ou nous ne le possédons point. Le psalmiste dit que son être tout entier attend le Seigneur. Il indique ainsi que l'attente de Dieu ne fait pas seulement partie de notre relation à Dieu, mais qu'elle en est la condition. Le moyen d'avoir Dieu, c'est de ne pas l'avoir. Mais, bien qu'attendre soit n'avoir pas, c'est aussi avoir. Le fait que nous attendions quelque chose montre que de quelque manière nous la possédons déjà. L'attente anticipe ce qui n'est pas encore réel. Si nous attendons dans l'espérance et dans la patience, le pouvoir de ce que nous attendons agit en nous. Celui qui attend, dans le sens le plus élevé, n'est pas loin de ce qu'il attend. Celui qui attend avec un sérieux absolu est déjà saisi par ce qu'il attend. Celui qui attend dans la patience a déjà reçu la puissance de ce qu'il attend. Celui qui attend passionnément est déjà pu sance d'action, et même la plus grande puissan de transformation possible dans sa vie intérie et extérieure. Nous sommes plus forts dans l'attente que da la possession.

Lorsque nous possédons Dieu, nous le réduisons à cette petite parcelle de Lui que nous avons cru connaitre et saisir, et nous en faisons une idole. C'est seulement en servant des idoles que l'on peut croire à la possession de Dieu. Il y a beaucoup d'idolâtries de cette sorte parmi les chrétiens. Mais, si nous savons que nous ne connaissons pas Dieu et si nous attendons qu'il se fasse connaître à nous, alors nous avons réellement quelque connaissance de lui, alors nous sommes connus, saisis et possédés par Lui. N'oublions pas néanmoins que l'attente est une énorme tension. Elle exclut toute satisfaction qu'on tirerait de ne posséder rien, toute indifférence ou tout mépris à l'égard de ceux qut possèdent quelque chose, tout abandon au doute ou au désespoir. Que notre fierté de ne rien posséder ne devienne pas une nouvelle possession. Là se trouve une des grandes tentations de notre temps, car il reste peu de chose dont nous puissions revendiquer la possession. Nous cédons à la même tentation lorsque, dans notre effort pour posséder Dieu, nous nous vantons de ne pas le posséder. La réponse divine à cet effort est le vide absolu. L'attente n'est pas le désespoir. Attendre c'est accepter de n'avoir point, au nom de ce que nous avons déjà. Notre temps est un temps d'attente; l'attente est son destin particulier. Tout temps d'ailleurs est un temps d'attente, il attend l'irruption de l'éternité. Le temps court toujours en avant. Le temps, dans l'histoire comme dans la vie personnelle, est toujours attente. Le temps est attente en soi, attente non pas d'un autre temps, mais de ce qui est éternel.

 

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