Dans le temps de l'Église.
Le jour de la Pentecôte, l'Esprit de la promesse a été répandu sur les disciples, « assemblés en un même lieu »(Ac 2, 1), l'attendant « tous d'un même coeur, assidus à la prière » (Ac 1, 14). L'Esprit, qui enseigne l'Église et lui rappelle tout ce que Jésus a dit1, va aussi la former à la vie de prière. Dans la première communauté de Jérusalem, les croyants « se montraient assidus à l'enseignement des apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Ac 2, 42). La séquence est typique de la prière de l'Église fondée sur la foi apostolique et authentifiée par la charité, elle est nourrie dans l'Eucharistie. Ces prières sont d'abord celles que les fidèles écoutent et lisent dans les Écritures, mais ils les actualisent, celles des Psaumes en particulier, à partir de leur accomplissement dans le Christ. L'Esprit Saint, qui rappelle ainsi le Christ à son Église orante, la conduit aussi vers la Vérité tout entière et suscite des formulations nouvelles qui exprimeront l'insondable mystère du Christ à l'oeuvre dans la vie, les sacrements et la mission de son Église. Ces formulations se développeront dans les grandes traditions liturgiques et spirituelles. Les formes de la prière, telles que les révèlent les Écritures apostoliques canoniques, resteront normatives de la prière chrétienne.
I. La bénédiction et l'adoration.
La bénédiction exprime le mouvement de fond de la prière chrétienne elle est rencontre de Dieu et de l'homme; en elle le Don de Dieu et l'accueil de l'homme s'appellent et s'unissent. La prière de bénédiction est la réponse de l'homme aux dons de Dieu parce que Dieu bénit, le coeur de l'homme peut bénir en retour Celui qui est la source de toute bénédiction. Deux formes fondamentales expriment ce mouvement : tantôt, elle monte, portée dans l'Esprit Saint, par le Christ vers le Père (nous Le bénissons de nous avoir bénis) tantôt, elle implore la grâce de l'Esprit Saint qui, par le Christ, descend d'auprès du Père (c'est Lui qui nous bénit). L'adoration est la première attitude de l'homme qui se reconnaît créature devant son Créateur. Elle exalte la grandeur du Seigneur qui nous a faits et la Toute-Puissance du Sauveur qui nous libère du mal. Elle est le prosternement de l'esprit devant le « Roi de gloire » (Ps 24, 9-10) et le silence respectueux face au Dieu « toujours plus grand ». L'adoration du Dieu trois fois saint et souverainement aimable confond d'humilité et donne assurance à nos supplications.
Il. La prière de demande.
Le vocabulaire de la supplication est riche en nuances dans le Nouveau Testament demander, réclamer, appeler avec insistance, invoquer, clamer, crier, et même « lutter dans la prière ». Mais sa forme la plus habituelle, parce que la plus spontanée, est la demande. C'est par la prière de demande que nous traduisons la conscience de notre relation à Dieu : créatures, nous ne sommes ni notre origine, ni maîtres des adversités, ni notre fin ultime, mais aussi, pécheurs, nous savons, comme chrétiens, que nous nous détournons de notre Père. La demande est déjà un retour vers Lui. Le Nouveau Testament ne contient guère de prières de lamentation, fréquentes dans l'Ancien Testament. Désormais dans le Christ ressuscité la demande de l'Église est portée par l'espérance, même si nous sommes encore dans l'attente et que nous ayons chaque jour à nous convertir. C'est d'une autre profondeur que jaillit la demande chrétienne, celle que S. Paul appelle le gémisse-ment: ceIni de la création « en travail d'enfantement » (Rm 8,22), le nôtre aussi « dans l'attente de la rédemption de notre corps, car notre salut est objet d'espérance » (Rm 8, 23-24), enfin « les gémissements ineffables» de l'Esprit Saint Lui-même qui «vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons que demander pour prier comme il faut » (Rm 8, 26). La demande du pardon est le premier mouvement de la prière de demande (cf. le publicain : « Aie pitié du pécheur que je suis », Lc 18, 13). Elle est le préalable d'une prière juste et pure. L'humilité confiante nous remet dans la lumière de la communion avec le Père et son Fils Jésus-Christ, et les uns avec les autres1 alors, « quoi que nous Lui demandions, nous le recevrons de Lui » (1 Jn 3, 22). La demande du pardon est le préalable de la liturgie eucharistique, comme de la prière personnelle. La demande chrétienne est centrée sur le désir et la recherche du Royaume qui vient, conformément à l'enseignement de Jésus. Il y a une hiérarchie dans les demandes: d'abord le Royaume, ensuite ce qui est nécessaire pour l'accueillir et pour coopérer à sa venue. Cette coopération à la mission du Christ et de l'Esprit Saint, qui est maintenant celle de l'Église, est l'objet de la prière de la communauté apostolique. C'est la prière de Paul, l'apôtre par excellence, qui nous révèle comment le souci divin de toutes les Églises doit animer la prière chrétienne. Par la prière, tout baptisé travaille à la Venue du Royaume. Quand on participe ainsi à l'amour sauveur de Dieu, on comprend que tout besoin puisse devenir objet de demande. Le Christ qui a tout assumé afin de tout racheter est glorifié par les demandes que nous offrons au Père en son Nom1. C'est dans cette assurance que Jacques et Paul nous exhortent à prier en toute occasion.
III. La prière d'intercession.
L'intercession est une prière de demande qui nous conforme de près à la prière de Jésus. C'est Lui l'unique Intercesseur auprès du Père en faveur de tous les hommes, des pécheurs en particulier. Il est «capable de sauver de façon définitive ceux qui par Lui s'avancent vers Dieu, étant toujours vivant pour intercéder en leur faveur » (He 7, 25). L'Esprit Saint Lui-même « intercède pour nous et son intercession pour les saints correspond aux vues de Dieu » (Rm 8, 26-27). Intercéder, demander en faveur d'un autre, est, depuis Abraham, le propre d'un coeur accordé à la miséricorde de Dieu. Dans le temps de l'Église, l'intercession chrétienne participe à celle du Christ elle est l'expression de la communion des saints. Dans l'intercession, celui qui prie ne « recherche pas ses propres intérêts, mais songe plutôt à ceux des autres » (Ph 2, 4), jusqu a prier pour ceux qui lui font du mal. Les premières communautés chrétiennes ont vécu intensément cette forme de partage. L'apôtre Paul les fait participer ainsi à son ministère de l'Évangile, mais il intercède aussi pour elles. L'intercession des chrétiens ne connaît pas de frontières « pour tous les hommes, pour les dépositaires de l'autorité » (1 Tm 2, 1), pour ceux qui persécutent, pour le salut de ceux qui repoussent l'Evangi1e.
IV. La prière d'action de grâces.
L'action de grâces caractérise la prière de l'Église qui, en célébrant l'Eucharistie, manifeste et devient davantage ce qu'elle est. En effet, dans l'oeuvre du salut, le Christ libère la création du péché et de la mort pour la consacrer de nouveau et la faire retourner au Père, pour sa Gloire. L'action de grâces des membres du Corps participe à celle de leur Chef. Comme dans la prière de demande, tout événement et tout besoin peuvent devenir offrande d'action de grâces. Les lettres de S. Paul commencent et se terminent souvent par une action de grâces, et le Seigneur Jésus y est toujours présent. « En toute condition, soyez dans l'action de grâces. C'est la volonté de Dieu sur vous dans le Christ Jésus » (1 TII 5, 18). « Soyez assidus à la prière; qu'elle vous tienne vigilants dans l'action de grâces» (Col 4, 2).
V. La prière de louange.
La louange est la forme de prière qui reconnaît le plus immédiatement que Dieu est Dieu. Elle Le chante pour Lui-même, elle Lui rend gloire, au-delà de ce qu'Il fait, parce qu'IL EST. Elle participe à la béatitude des coeurs purs qui L'aiment dans la foi avant de Le voir dans la Gloire. Par elle, l'Esprit se joint à notre esprit pour témoigner que nous sommes enfants de Dieu1, il rend témoignage au Fils unique en qui nous sommes adoptés et par qui nous glorifions le Père. La louange intègre les autres formes de prière et les porte vers Celui qui en est la source et le terme « Le seul Dieu, le Père, de qui tout vient et pour qui nous sommes faits » (1 Co 8, 6). S. Luc mentionne souvent dans son Évangile l'émerveillement et la louange devant les merveilles du Christ, les souligne aussi pour les actions de l'Fsprit Saint que sont les Actes des apôtres : la communauté de Jérusalem, l'impotent guéri par Pierre et Jean, la foule qui en glorifie Dieu les païens de Pisidie qui, « tout joyeux, glorifient la Parole du Seigneur » (Ac 13, 48). Récitez entre vous des psaumes, des hymnes et des cantiques inspirés ; chantez et célébrez le Seigneur de tout votre coeur » (Ep 5, 19; Col 3, 16). Comme les écrivains inspirés du Nouveau Testament, les premières communautés chrétiennes relisent le livre des Psaumes en y chantant le mystère du Christ. Dans la nouveauté de l'Esprit, elles composent aussi des hymnes et des cantiques à partir de l'Evénement-inouï que Dieu a accompli en son Fils: son Incarnation, sa vie victorieuse, sa mort, sa Résurrection et son Ascension à sa droite. C'est de cette « merveille » de toute l'économie du salut que monte la doxologie, la louange de Dieu. La Révélation « de ce qui doit arriver bientôt », l'Apocalypse, est portée par les cantiques de la liturgie céleste, mais aussi par l'intercession des « témoins » (martyrs : Ap 6, 10). Les prophètes et les saints, tous ceux qui furent égorgés sur la terre pour le témoignage de Jésus, foule immense de ceux qui, venus de la grande tribulation, nous ont précédés dans le Royaume, chantent la louange de gloire de Celui qui siège sur le Trône et de l'Agneau. En communion avec eux, l'Église de la terre chante aussi ces cantiques, dans la foi et l'épreuve. La foi, dans la demande et l'intercession, espère contre toute espérance et rend grâce au « Père des lumières de qui descend tout don excellent » (Jc 1,17). La foi est ainsi une pure louange. L'Eucharistie contient et exprime toutes les formes de prière : elle est « l'offrande pure » de tout le Corps du Christ « à la gloire de son nom »; elle est, selon les traditions d'Orient et d'Occident, « le sacrifice de louange »
EN BREF
L 'Esprit Saint, qui enseigne l'Église et lui rappelle tout ce que Jésus a dit, l'éduque aussi à la vie de prière, en suscitant des expressions qui se renouvellent au sein de formes permanentes: bénédiction, demande, intercession, action de grâce et louange. C'est parce que Dieu le bénit que le coeur de l'homme peut bénir en retour Celui qui est la source de toute bénédiction. La prière de demande a pour objet le pardon, la recherche du Royaume ainsi que tout vrai besoin. La prière d'intercession consiste en une demande en faveur d'un autre. Elle ne connaît pas de frontière et s'étend jusqu'aux ennemis. Toute joie et toute peine, tout événement et tout besoin peuvent être la matière de l'action de grâce qui, participant à celle du Christ, doit emplir toute la vie : « En toute condition, soyez dans l'action de grâce » (1 Th 5, J8). La prière de louange, toute désintéressée, se porte vers Dieu; elle Le chante pour Lui, elle Lui rend gloire, au-delà de ce qu'Il fait, parce qu'IL EST.