index

La Prière du Seigneur: «Notre Père! »

« Notre Père qui es aux cieux ».

« Oser nous approcher en toute confiance ».

Dans la liturgie romaine, l'assemblée eucharistique est invitée à prier Notre Père avec une audace filiale; les liturgies orientales utilisent et développent des expressions analogues : « Oser en toute assurance », « Rends-nous dignes de ». Devant le Buisson ardent, il fut dit à Moïse «N'approche pas. Ote tes sandales» (Ex 3, 5). Ce seuil de la Sainteté divine, Jésus seul pouvait le franchir, Lui qui, « ayant accompli la purification des péchés » (Re 1, 3), nous introduit devant la Face du Père « Nous voici, Moi et mes enfants que Tu M'as donnés » (Re 2, 13) La conscience que nous avons de notre situation d'esclaves nous ferait rentrer sous terre, notre condition terrestre se fondrait en poussière, Si l'autorité de notre Père Lui-même et l'Esprit de son Fils ne nous poussaient a proférer ce cri «Abba, Père! » (Rm 8, 15). (...) Quand la faiblesse d'un mortel oserait-elle appeler Dieu son Père, sinon seulement lorsque l'intime de l'homme est animé par la Puissance d'en haut. Cette puissance de l'Esprit qui nous introduit à la Prière du Seigneur est exprimée dans les liturgies d'Orient et d'Occident par la belle expression typiquement chrétienne : parrhésia, simplicité sans détour, confiance filiale, joyeuse assurance, humble audace, certitude d'être aimé.

« Père! »

Avant de faire nôtre ce premier élan de la Prière du Seigneur, il n'est pas inutile de purifier humblement notre coeur de certaines fausses images de « ce monde-ci ». L'humilité nous fait reconnaître que « nul ne connaît le Père, Si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien Le révéler », c'est-à-dire « aux tout-petits » (Mt 11, 25-27). La purification du coeur concerne les images paternelles ou maternelles, issues de notre histoire personnelle et culturelle, et qui influencent notre relation à Dieu. Dieu notre Père transcende les catégories du monde créé. Transposer sur Lui, ou contre Lui, idées en ce domaine serait fabriquer des idoles, à adorer ou à abattre. Prier le Père c'est entrer dans son mystère, tel qu'Il est, et tel que le Fils nous L'a révélé. L'expression Dieu le Père n'avait jamais été révélée a personne. Lorsque Moïse lui-même demanda a Dieu qui Il était, il entendit un autre nom. A nous ce nom a été révélé dans le Fils, car ce nom implique le nom nouveau de Père. Nous pouvons invoquer Dieu comme « Père » parce qu'il nous est révélé par son Fils devenu homme et que son Esprit nous Le fait connaître. Ce que l'homme ne peut concevoir ni les puissances angéliques entrevoir, la relation personnelle du Fils vers le Père, voici que l'Esprit du Fils nous y fait participer, nous qui croyons que Jésus est le Christ et que nous sommes nés de Dieu. Quand nous prions le Père, nous sommes en communion avec Lui et avec son Fils, Jésus-Christ. C'est alors que nous Le connaissons et Le reconnaissons dans un émerveille-ment toujours nouveau. La première parole de la Prière du Seigneur est une bénédiction d'adoration, avant d'être une imploration. Car c'est la Gloire de Dieu que nous le reconnaissions comme « Père », Dieu véritable. Nous Lui rendons grâce de nous avoir révélé son nom, de nous avoir donné d'y croire et d'être habités par sa Présence. Nous pouvons adorer le Père parce qu'Il nous a fait renaître à sa Vie en nous adoptant comme ses enfants dans son Fils unique : par le Baptême, Il nous incorpore au Corps de son Christ, et, par l'onction de son Esprit qui s'épanche de la Tête dans les membres, Il fait de nous des Christs » Dieu, en effet, qui nous a prédestinés à l'adoption de fils, nous a rendus conformes au Corps glorieux du Christ. Désormais donc, participants du Christ, vous êtes à juste titre appelés « Christs ». L'homme nouveau, qui est rené et rendu à son Dieu par la grâce, dit d'abord « Père! », parce qu'il est devenu fils. C'est ainsi que, par la Prière du Seigneur, nous sommes révélés à nous-mêmes en même temps que le Père nous est révélé. O homme, tu n'osais pas lever ton visage vers le ciel, lu baissais les yeux vers la terre, et soudain lu as reçu la grâce du Christ : tous tes péchés t'ont été remis. De méchant serviteur lu es devenu un bon fils.(...) Lève donc les yeux vers le Père qui t'a racheté par son Fils et dis Notre Père (...). Mais ne te réclame d'aucun privilège. Il n'est le Père, d'une manière spéciale, que du Christ seul, tandis que nous, Il nous a créés. Dis donc toi aussi par grâce : Notre Père, pour mériter d'être son fils. Ce don gratuit de l'adoption exige de notre part une conversion continuelle et une vie nouvelle. Prier notre Père doit développer en nous deux dispositions fondamentales. Le désir et la volonté de Lui ressembler. Créés à son image, c'est par grâce que la ressemblance nous est rendue et nous avons à y répondre. Il faut nous souvenir, quand nous nommons Dieu « notre Père » que nous devons nous comporter en fils de Dieu. Vous ne pouvez appeler votre Père le Dieu de toute bonté de vous gardez un coeur cruel et inhumain; car dans ce cas vous n'avez plus en vous ta marque de la bonté du Père céleste. Il faut contempler sans cesse la beauté du Père et en imprégner notre âme. Un coeur humble et confiant qui nous fait « retourner à l'état des enfants » (Mt ~8, 3) : car c'est aux « tout-petits »que le Père se révèle (Mt 11, 25): C'est un regard sur Dieu seul, un grand feu d'amour. L'âme s'y fond et s'abîme en la sainte dilection, et s'entretient avec Dieu comme avec son propre Père, très familièrement, dans une tendresse dé piété toute particulière. Notre Père : ce nom suscite en nous, tout à la fois, l'amour, l'affection dans la prière, (...)et aussi l'espérance d'obtenir ce que nous allons demander (...). Que peut-Il en effet refuser à la prière de ses enfants, quand Il leur a déjà préalablement permis d'être ses enfants?

« Notre » Père

« Notre » Père concerne Dieu. Cet adjectif, de notre part, n'exprime pas une possession, mais une relation toute nouvelle à Dieu. Quand nous disons « notre » Père, nous reconnaissons d'abord que toutes ses promesses d'amour annoncées par les Prophètes sont accomplies dans la nouvelle et éternelle alliance en son Christ nous sommes devenus « son »Peuple et Il est désormais « notre » Dieu. Cette relation nouvelle est une appartenance mutuelle donnée gratuitement c'est par l'amour et la fidélité, que nous avons à répondre à « la grâce et à la vérité » qui nous sont données en Jésus-Christ (Jn 1, 17). Puisque la Prière du Seigneur est celle de son Peuple dans les « derniers temps », ce « notre » exprime aussi la certitude de notre espérance en l'ultime promesse de Dieu dans la Jérusalem nouvelle Il dira au vainqueur « Je serai son Dieu et lui sera mon fils » (Ap 21, 7). En priant « notre » Père, c'est au Père de notre Seigneur Jésus-Christ que nous nous adressons personnellement. Nous ne divisons pas la divinité, puisque le Père en est « la source et l'origine », mais nous confessons par là qu'éternellement le Fils est engendré par Lui et que de Lui procède l'Esprit Saint. Nous ne confondons pas non plus les Personnes, puisque nous confessons que notre communion est avec le Père et son Fils, Jésus-Christ, dans leur unique Esprit Saint. La Trinité Sainte est consubstantielle et indivisible. Quand nous prions le Père, nous L'adorons et Le glorifions avec le Fils et le Saint-Esprit. Grammaticalement, « notre » qualifie une réalité commune à plusieurs. Il n'y a qu'un seul Dieu et Il est reconnu Père par ceux qui, par la foi à son Fils unique, sont renés de Lui par l'eau et par l'Esprit. L'Église est cette nouvelle communion de Dieu et des hommes : unie au Fils unique devenu « l'aîné d'une multitude de frères » (Rm 8, 29), elle est en communion avec un seul et même Père, dans un seul et même Esprit Saint3. En priant « notre » Père, chaque baptisé prie dans cette communion « La multitude des croyants n'avait qu'un seul coeur et qu'une seule âme »(Ac 4, 32). C'est pourquoi, malgré les divisions des chrétiens, la prière à « notre » Père demeure le bien commun et un appel urgent pour tous les baptisés. En communion par la foi au Christ et par le Baptême, ils doivent participer à la prière de Jésus pour l'unité de ses disciples. Enfin, si nous prions en vérité « Notre Père », nous sortons de l'individualisme, car l'amour que nous accueillons nous en libère. Le « notre » du début de la Prière du Seigneur, comme le « nous » des quatre dernières demandes, n'est exclusif de personne. Pour qu'il soit dit en vérité, nos divisions et nos oppositions doivent être surmontées. Les baptisés ne peuvent prier « notre » Père sans porter auprès de Lui tous ceux pour qui Il a donné son Fils bien-aimé: L'amour de Dieu est sans frontière, notre prière doit l'être aussi. Prier « notre » Père nous ouvre aux dimensions de son amour manifesté dans le Christ prier avec et pour tous les hommes qui ne Le connaissent pas encore, afin qu'ils soient « rassemblés dans l'unité » (Jn 11, 52). Ce souci divin de tous les hommes et de toute la création a animé tous les grands priants il doit dilater notre prière en largeur d'amour lorsque nous osons dire « notre » Père.

 « Qui es aux cieux »

Cette expression biblique ne signifie pas un lieu (« l'espace »), mais une manière d'être; non pas l'éloignement de Dieu mais sa majesté. Notre Père n'est pas « ailleurs », Il est « au-delà de tout » ce que nous pouvons concevoir de sa Sainteté. C'est parce qu'Il est trois fois Saint, qu'Il est tout proche du coeur humble et contrit. C'est avec raison que ces paroles « Notre Père qui es aux cieux » s'entendent du coeur des justes, où Dieu habite comme dans son temple. Par là aussi celui qui prie désirera voir résider en lui Celui qu'il invoque. Les « cieux » pourraient bien être aussi ceux qui portent l'image du monde céleste, et en qui Dieu habile et se promène. Le symbole des cieux nous renvoie au mystère de l'alliance que nous vivons lorsque nous prions notre Père. Il est aux cieux, c'est sa Demeure, la Maison du Père est donc notre « patrie ». C'est de la terre de l'alliance que le péché nous a exilés et c'est vers le Père, vers le ciel que la conversion du coeur nous fait revenir. Or c'est dans le Christ que le ciel et la terre sont réconciliés, car le Fils « est descendu du ciel », seul, et Il nous y fait remonter avec Lui, par sa Croix, sa Résurrection et son Ascension. Quand l'Église prie « notre Père qui es aux cieux », elle professe que nous sommes le Peuple de Dieu déjà « assis aux cieux dans le Christ Jésus » (Ep 2, 6), « cachés avec le Christ en Dieu » (Col 3, 3), et, en même temps, « gémissant dans cet état, ardemment désireux de revêtir, pardessus l'autre nôtre habitation céleste » (2 Co 5, 2). Les chrétiens sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur terre, mais sont citoyens du ciel.

EN BREF

La confiance simple et fidèle, l'assurance humble et joyeuse sont les dispositions qui conviennent à celui qui prie le Notre Père. Nous pouvons invoquer Dieu comme « Père » parce que le Fils de Dieu fait homme nous L'a révélé, en qui, par le Baptême, nous sommes incorporés et adoptés en fils de Dieu. La prière du Seigneur nous met en communion avec le Père et avec son Fils, Jésus-Christ. Elle nous révèle en même temps à nous-mêmes. Prier notre Père doit développer en nous la volonté de Lui ressembler, ainsi qu'un coeur humble et confiant. En disant « Notre » Père, nous invoquons la Nouvelle Alliance en Jésus-Christ, la communion avec la Sainte Trinité et la charité divine qui s'étend par l'Église aux dimensions du monde. « Qui es aux cieux » ne désigne pas un lieu mais la majesté de Dieu et sa présence dans le coeur des justes. Le ciel, la Maison du Père, constitue la vraie patrie où nous tendons et à laquelle, déjà, nous appartenons.