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La Prière du Seigneur: «Notre Père! »

Les sept demandes.

Après nous avoir mis en présence de Dieu notre Père pour L'adorer, L'aimer et Le bénir, l'Esprit filial fait monter de nos coeurs sept demandes, sept bénédictions. Les trois premières, plus théologales, nous attirent vers la Gloire du Père, les quatre dernières, comme des chemins vers Lui, offrent notre misère à sa Grâce. « L'abîme appelle l'abîme » (Ps 42, 8). La première vague nous porte vers Lui, pour Lui ton Nom, ton Règne, ta Volonté! C'est le propre de l'amour que de penser d'abord à Celui que nous aimons. En chacune de ces trois demandes, nous ne « nous» nommons pas, mais c'est « le désir ardent », « l'angoisse » même, du Fils bien-aimé pour la Gloire de son Père, qui nous saisit. Que soit sanctifié (...). Que vienne (...). Que soit faite... » ces trois supplications sont déjà exaucées dans le Sacrifice du Christ Sauveur, mais elles sont tournées désormais, dans l'espérance, vers leur accomplissement final, tant que Dieu n'est pas encore tout en tous. La seconde vague de demandes se déroule dans le mouvement de certaines épiclèses eucharistiques elle est offrande de nos attentes et attire le regard du Père des miséricordes. Elle monte de nous et nous concerne dès maintenant, en ce monde-ci : « Donne-nous (...) pardonne-nous (...) ne nous laisse pas (...) délivre-nous. » La quatrième et la cinquième demande concernent notre vie, comme telle, soit pour la nourrir, soit pour la guérir du péché; les deux dernières concernent notre combat pour la victoire de la Vie, le combat même de la prière. Par les trois premières demandes, nous sommes affermis dans la foi, emplis d'espérance et embrasés par la charité. Créatures et encore pécheurs, nous devons demander pour nous, ce « nous » aux mesures du monde et de l'histoire, que nous offrons à l'amour sans mesure de notre Dieu. Car c'est par le nom de son Christ et le Règne de son Esprit Saint que notre Père accomplit son dessein de salut, pour nous et pour le monde entier.

« Que ton nom soit sanctifié ».

Le terme « sanctifier » doit s'entendre ici, non d'abord dans son sens causatif (Dieu seul sanctifie, rend saint) mais surtout dans un sens estimatif: reconnaître comme saint, traiter d'une manière sainte. C'est ainsi que, dans l'adoration, cette invocation est parfois comprise comme une louange et une action de grâces. Mais cette demande nous est enseignée par Jésus comme un optatif: une demande, un désir et une attente où Dieu et l'homme sont engagés. Dès la première demande à notre Père, nous sommes plongés dans le mystère intime de sa Divinité et dans le drame du salut de notre humanité. Lui demander que son nom soit sanctifié nous implique dans « le dessein bienveillant qu'Il avait formé par avance » pour que « nous soyons saints et immaculés en sa présence, dans l'amour ». Aux moments décisifs de son économie, Dieu révèle son nom, mais Il le révèle en accomplissant son oeuvre. Or cette oeuvre ne se réalise pour nous et en nous que si son nom est sanctifié par nous et en nous. La Sainteté de Dieu est le foyer inaccessible de son mystère éternel. Ce qui en est manifesté dans la création et l'histoire, l'Écriture l'appelle la Gloire, le rayonnement de sa Majesté. En faisant l'homme « à son image et à sa ressemblance » (Ga 1, 26), Dieu « le couronne de gloire (Ps 8, 6), mais en péchant l'homme est « privé de la Gloire de Dieu» (Rm 3, 23). Dès lors, Dieu va manifester sa Sainteté en révélant et en donnant son nom, afin de restaurer l'homme « à l'image de son Créateur » (Col 3, 10). Dans la promesse faite à Abraham, et le serment qui l'accompagne, Dieu s'engage Lui-même mais sans dévoiler son nom. C'est à Moïse qu'Il commence à le révéler, et Il le manifeste aux yeux de tout le peuple en le sauvant des Egyptiens : « Il s'est couvert de Gloire » (Ex 15, 1). Depuis l'alliance du Sinaï, ce peuple est « sien » et il doit être une « nation sainte » (ou consacrée, c'est le même mot en hébreu) parce que le nom de Dieu habite en lui. Or, malgré la Loi sainte que lui donne et redonne le Dieu Saint, et bien que le Seigneur, « eu égard à son nom », use de patience, le peuple se détourne du Saint d'Israël et « profane son nom parmi les nations ». C'est pourquoi les justes de l'Ancienne Alliance, les pauvres revenus d'exil et les prophètes ont été brûlés par la passion du nom. Finalement, c'est en Jésus que le nom du Dieu Saint nous est révélé et donné, dans la chair, comme Sauveur révélé par ce qu'Il Est, par sa Parole et par son Sacrifice. C'est le coeur de sa prière sacerdotale « Père Saint (...) pour eux je me consacre moi-même, afin qu'ils soient eux aussi consacrés en vérité » (Jn 17, 19). C'est parce qu'Il « sanctifie »Lui-même son nom4 que Jésus nous «manifeste » le nom du Père (Jn 17, 6). Au terme de sa Pâque, le Père Lui donne alors le nom qui est au-dessus de tout nom : Jésus est Seigneur à la Gloire de Dieu le Père. Dans l'eau du Baptême, nous avons été « lavés, sanctifiés, justifiés par le nom du Seigneur Jésus-Christ et par l'Esprit de notre Dieu » (1 Co 6, 11). En toute notre vie, notre Père « nous appelle à la sanctification » (Th 4, 7), et, puisque c'est « par Lui que nous sommes dans le Christ Jésus, qui est devenu pour nous sanctification » (1 Co 1, 30), il y va de sa gloire et de notre vie que son nom soit sanctifié en nous et par nous. Telle est l'urgence de notre première demande. Qui pourrait sanctifier Dieu, puisque Lui-même sanctifie? Mais nous inspirant de cette parole « Soyez saints, parce que Moi Je suis Saint » (Lv 20, 26), nous demandons que, sanctifiés par le Baptême, nous persévérions dans ce que nous avons commencé à être. Et cela nous le demandons tous les jours, car nous fautons quotidiennement et nous devons purifier nos péchés par une sanctification sans cesse reprise (...). Nous recourrons donc à la prière pour que cette sainteté demeure en nous. Il dépend inséparablement de notre vie et de notre prière que son nom soit sanctifié parmi les nations. Nous demandons à Dieu de sanctifier son nom, car c est par la sainteté qu'Il sauve et sanctifie toute la création (...). Il s'agit du nom qui donne le salut au monde perdu, mais nous demandons que ce nom de Dieu soit sanctifié en nous par notre vie. Car si nous vivons bien, le nom divin est béni mais si nous vivons mal, il est blasphémé, selon la parole de l'apôtre «Le nom de Dieu est blasphémé à cause de vous parmi les nations » (Rm 2, 24 Ez 36, 2-22). Nous prions donc pour mériter d'avoir en nos âmes autant de sainteté qu'est saint le nom de notre Dieu. Quand nous disons « Que ton nom soit sanctifié », nous demandons qu'il soit sanctifié en nous, qui sommes en lui, mais aussi dans les autres que la grâce de Dieu attend encore, afin de nous conformer au précepte qui nous oblige de prier pour tous, même pour nos ennemis. Voilà pourquoi nous ne disons pas expressément Que ton nom soit sanctifié « en nous », car nous demandons qu'il le soit dans tous les hommes. Cette demande, qui les contient toutes, est exaucée par la prière du Christ, comme les six autres demandes qui suivent. La prière à notre Père est notre prière si elle est priée « dans le nom » de Jésus. Jésus demande dans sa prière sacerdotale « Père saint, garde en ton nom ceux que tu m'as donnés » (Jn 17, 11).

 « Que ton Règne vienne »

Dans le Nouveau Testament, le même mot Basileia peut se traduire par « royauté » (nom abstrait), « royaume » nom concret) ou «règne » (nom d'action) - Le Royaume de Dieu est avant nous. Il s'est approché dans le Verbe incarné, il est annoncé à travers tout l'Évangile, il est venu dans la mort et la Résurrection du Christ. Le Royaume de Dieu vient dès la sainte Cène et dans l'Eucharistie, il est au milieu de nous. Le Royaume viendra dans la gloire lorsque le Christ le remettra à son Père. Il se peut même que le Règne de Dieu signifie le Christ en personne, Lui que nous appelons de nos voeux tous les jours, et dont nous voulons bâter l'avènement par notre attente. Comme Il est notre Résurrection, car en Lui nous ressuscitons, et peut être aussi le Règne de Dieu, car en Lui nous régnerons. Cette demande, c'est le « Marana tha », le cri de l'Esprit et de l'Epouse : « Viens, Seigneur Jésus ». Quand bien même cette prière ne nous aurait pas fait un devoir de demander l'avènement de ce Règne, nous aurions de nous-mêmes poussé ce cri, en nous hâtant d'aller étreindre nos espérances. Les âmes des martyrs, sous l'autel, invoquent le Seigneur à grands cris « Jusqu'à quand, Seigneur, tarderas-Tu à demander compte de notre sang aux habitants de la terre? » (Ap 6, 10.) Ils doivent en effet obtenir justice, à la fin des temps. Seigneur, hâte donc la venue de ton règne. Dans la prière du Seigneur, il s'agit principalement de la venue finale du Règne de Dieu par le retour du Christ. Mais ce désir ne distrait pas l'Église de sa mission dans ce monde-ci, il l'y engage plutôt. Car depuis la Pentecôte, la venue du Règne est l'oeuvre de l'Esprit du Seigneur » qui poursuit son oeuvre dans le monde et achève toute sanctification. « Le Règne de Dieu est justice, paix et joie dans l'Esprit Saint » (Rm 14, 17). Les derniers temps où nous sommes sont ceux de l'effusion de l'Esprit Saint. Dès lors est engagé un combat décisif entre » la chair » et l'Esprit. Seul un coeur pur peut dire avec assurance : « Que ton Règne vienne. » Il faut avoir été à l'école de Paul pour dire : « Que le péché ne règne donc plus dans notre corps mortel « (Rm 6, 12). Celui qui se garde pur dans ses actions, ses pensées et ses paroles, peut dire à Dieu : « Que ton Règne vienne! Dans un discernement selon l'Esprit, les chrétiens doivent distinguer entre la croissance du Règne de Dieu et le progrès de la culture et de la société où ils sont engagés. Cette distinction n'est pas une séparation. La vocation de l'homme à la vie éternelle ne supprime pas mais renforce son devoir de mettre en pratique les énergies et les moyens reçus du Créateur pour servir en ce monde la justice et la paix. Cette demande est portée et exaucée dans la prière de Jésus, présente et efficace dans l'Eucharistie ; elle porte son fruit dans la vie nouvelle selon les béatitudes.

 

III. «Que ta Volonté soit faite sur la terre comme au ciel ».

C'est la Volonté de notre Père « que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 3-4). Il « use de patience, voulant que personne ne périsse » (2 P 3, 9)1. Son commandement, qui résume tous les autres, et qui nous dit toute sa volonté, c'est que « nous nous aimions les uns les autres, comme Il nous a aimés » (Jn 13, 34). « Il nous a fait connaître le mystère de sa Volonté, ce dessein bienveillant qu'il avait formé par avance (...)ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ (...). C'est en Lui que nous avons été mis à part, selon le plan préétabli de Celui qui mène toutes choses au gré de sa Volonté » (Ep 1, 9-11). Nous demandons instamment que se réalise pleinement ce dessein bienveillant, sur la terre comme il l'est déjà dans le ciel. C'est dans le Christ, et par sa volonté humaine, que la Volonté du Père a été parfaitement et une fois pour toutes accomplie. Jésus a dit en entrant dans ce monde : « Voici, je viens faire, ô Dieu, ta volonté » (Re 10, 7; Ps 40, 7). Jésus seul peut dire « Je fais toujours ce qui Lui plaît » (Jn 8,29). Dans la prière de son agonie, Il consent totalement à cette Volonté « Que ne se soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne! » (Lc 22, 42). Voilà pourquoi Jésus « s'est livré pour nos péchés selon la volonté de Dieu » (Ga 1, 4). « C'est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés par l'oblation du Corps de Jésus-Christ » (Re 10, 10). Jésus, « tout Fils qu'Il était, apprit, de ce qu'Il souffrit, l'obéissance » (He 5, 8). A combien plus forte raison, nous, créatures et pécheurs, devenus en Lui enfants d'adoption. Nous demandons à notre Père d'unir notre volonté à celle de son Fils pour accomplir sa Volonté, son dessein de salut pour la vie du monde. Nous en sommes radicalement impuissants, mais unis à Jésus et avec la puissance de son Esprit Saint, nous pouvons Lui remettre notre volonté et décider de choisir ce que son Fils a toujours choisi : faire ce qui plaît au Père. En adhérant au Christ, nous pouvons devenir un seul esprit avec Lui, et par là accomplir sa volonté de la sorte, elle sera parfaite sur la terre comme au ciel. Considérez comment Jésus-Christ nous apprend à être humbles, en nous faisant voir que notre vertu ne dépend pas de notre seul travail mais de la grâce de Dieu. Il ordonne ici à chaque fidèle qui prie de le faire universellement pour toute la terre. Car il ne dit pas « Que ta volonté soit faite » en Moi ou en vous mais, « Sur toute la terre afin que l'erreur en soit bannie, que la vérité y règne, que le vice y soit détruit, que la vertu y refleurisse, et que la terre ne soit plus différente du ciel. C'est par la prière que nous pouvons « discerner quelle est la volonté de Dieu » (Rm 12, 2 Ep 5, 17) et obtenir « la constance pour l'accomplir » (He 10, 36). Jésus nous apprend que l'on entre dans le Royaume des cieux, non par des paroles, mais « en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux» (Mt 7, 21). « Si quelqu'un fait la volonté de Dieu, celui-là Dieu l'exauce »(Jn 9, 31)2. Telle est la puissance de la prière de l'Église dans le nom de son Seigneur, surtout dans l'Eucharistie; elle est communion d'intercession avec la Toute Sainte Mère de Dieu et de tous les saints qui ont été « agréables » au Seigneur pour n'avoir voulu que sa Volonté: Nous pouvons encore, sans blesser la vérité, traduire ces paroles : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » par celles-ci dans l'Église comme dans notre Seigneur Jésus-Christ; dans l'Epouse, qui Lui a été fiancée, comme dans l'Epoux qui a accompli la volonté du Père.