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Le septième commandement.

Tu ne commettras pas de vol (Ex 20, 15; Dt 5, 19). Tu ne voleras pas (Mt 19, 18). Le septième commandement défend de prendre ou de retenir le bien du prochain injustement et de faire du tort au prochain en ses biens de quelque manière que ce soit. Il prescrit la justice et la charité dans la gestion des biens terrestres et des fruits du travail des hommes. Il demande en vue du bien commun le respect de la destination universelle des biens et du droit de propriété privée. La vie chrétienne s'efforce d'ordonner à Dieu et à la charité fraternelle les biens de ce monde.

I. La destination universelle et la propriété privée des biens.

Au commencement, Dieu a confié la terre et ses ressources à la gérance commune de l'humanité pour qu'elle en prenne soin, la maîtrise par son travail et jouisse de ses fruits. Les biens de la création sont destinés à tout le genre humain. Cependant la terre est répartie entre les hommes pour assurer la sécurité de leur vie, exposée à la pénurie et menacée par la violence. L'appropriation des biens est légitime pour garantir la liberté et la dignité des personnes, pour aider chacun à subvenir à ses besoins fondamentaux et aux besoins de ceux dont il a la charge. Elle doit permettre que se manifeste une solidarité naturelle entre les hommes. Le droit à la propriété privée, acquise par le travail, ou reçue d'autrui par héritage, ou par don, n'abolit pas la donation originelle de la terre à l'ensemble de l'humanité. La destination universelle des biens demeure primordiale, même Si la promotion du bien commun exige le respect de la propriété privée, de son droit et de son exercice. « L'homme, dans l'usage qu'il en fait, ne doit jamais tenir les choses qu'il possède légitimement comme n'appartenant qu'à lui, mais les regarder aussi comme communes en ce sens qu elles puissent profiter non seulement à lui, mais aux autres. » La propriété d'un bien fait de son détenteur un administrateur de la Providence pour le faire fructifier et en communiquer les bienfaits à autrui, et d'abord à ses proches. Les biens de production - matériels ou immatériels - comme des terres ou des usines, des compétences ou des arts, requièrent les soins de leurs possesseurs peur que leur fécondité profite au plus grand nombre. Les détenteurs des biens d'usage et de consommation doivent en user avec tempérance, réservant la meilleure part à l'hôte, au malade, au pauvre. L'autorité politique a le droit et le devoir de régler, en fonction du bien commun, l'exercice légitime du droit de propriété.

11. Le respect des personnes et de leurs biens.

En matière économique, le respect de la dignité humaine exige la pratique de la vertu de tempérance, pour modérer l'attachement aux biens de ce monde de la vertu de justice, pour préserver les droits du prochain et lui accorder ce qui lui est dû ; et de la solidarité, suivant la règle d'or et selon la iu9 libéralité du Seigneur qui « de riche qu'il était s'est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté » (2 Co 8, 9).

Le respect des biens d'autrui.

Le septième commandement interdit le vol, c'est-à-dire l'usurpation du bien d'autrui contre la volonté raisonnable du propriétaire. Il n'y a pas de vol si le consentement peut être présumé ou si le refus est contraire à la raison et à la destination universelle des biens. C'est le cas de la nécessité urgente et évidente où le seul moyen de subvenir à des besoins immédiats et essentiels (nourriture, abri, vêtement...) est de disposer et d'user des biens d'autrui. Toute manière de prendre et de détenir injustement le bien d'autrui, même Si elle ne contredit pas les dispositions de la loi civile, est contraire au septième commandement. Ainsi, retenir délibérément des biens prêtés ou des objets perdus; frauder dans le commerce; payer d'injustes salaires ; hausser les prix en spéculant sur l'ignorance ou la détresse d'autrui. Sont encore moralement illicites: la spéculation par laquelle on agit pour faire varier artificiellement l'estimation des biens, en vue d'en tirer un avantage au détriment d'autrui; la corruption par laquelle on détourne le jugement de ceux qui doivent prendre des décisions selon le droit; l'appropriation et l'usage privés des biens sociaux d'une entreprise les travaux mal faits, la fraude fiscale, la contrefaçon des chèques et des factures, les dépenses excessives, le gaspillage. Infliger volontairement un dommage aux propriétés privées ou publiques est contraire à la loi morale et demande réparation. Les promesses doivent être tenues, et les contrats rigoureusement observés dans la mesure où l'engagement pris est moralement juste. Une part notable de la vie économique et sociale dépend de la valeur des contrats entre personnes physiques ou morales. Ainsi les contrats commerciaux de vente ou d'achat, les contrats de location ou de travail. Tout contrat doit être convenu et exécuté de bonne foi. Les contrats sont soumis à la justice commutative qui règle les échanges entre les personnes dans l'exact respect de leurs droits. La justice commutative oblige strictement; elle exige la sauvegarde des droits de propriété, le paiement des dettes et la prestation des obligations librement contractées. Sans la justice commutative, aucune autre forme de justice n'est possible. On distingue la justice commutative de la justice légale qui concerne ce que le citoyen doit équitablement à la communauté, et de la justice distributive qui règle ce que la communauté doit aux citoyens proportionnellement à leurs contributions et à leurs besoins. En vertu de la justice commutative, la réparation de l'injustice commise exige la restitution du bien dérobé à son propriétaire: Jésus bénit Zachée de son engagement : « Si j'ai fait du tort à quelqu'un, je lui rends le quadruple » (Le 19, 8). Ceux qui, d'une manière directe ou indirecte, se sont emparés d'un bien d'autrui, sont tenus de le restituer, ou de rendre l'équivalent en nature ou en espèce, si la chose a disparu, ainsi que les fruits et avantages qu'en aurait légitimement obtenu son propriétaire. Sont également tenus de restituer à proportion de leur responsabilité et de leur profit tous ceux qui ont participé au vol en quelque manière, ou en ont profité en connaissance de cause; par exemple ceux qui l'auraient ordonné, ou aidé, ou recelé. Les jeux de hasard (jeu de cartes, etc.) ou les paris ne sont pas en eux-même contraires à la justice. Ils deviennent moralement inacceptables lorsqu'ils privent la personne de ce qui lui est nécessaire pour subvenir à ses besoins et à ceux d'autrui. La passion du jeu risque de devenir un asservissement grave. Parier injustement ou tricher dans les jeux constitue une matière grave, à moins que le dommage infligé soit si léger que celui qui le subit ne puisse raisonnablement le considérer comme significatif. Le septième commandement proscrit les actes ou entreprises qui, pour quelque raison que ce soit, égoïste ou idéologique, mercantile ou totalitaire, conduisent à asservir des êtres humains, à méconnaître leur dignité personnelle, à les acheter, à les vendre et à les échanger comme des marchandises. C'est un péché contre la dignité des personnes et leurs droits fondamentaux que de les réduire par la violence à une valeur d'usage ou à une source de profit. S. Paul ordonnait à un maître chrétien de traiter son esclave chrétien « non plus comme un esclave, mais comme un frère (...), comme un homme, dans le Seigneur » (Phm 16).

Le respect de l'intégrité de la création.

Le septième commandement demande le respect de l'intégrité de la création. Les animaux, comme les plantes et les êtres inanimés, sont naturellement destinés au bien commun de l'humanité passée, présente et future. L'usage des ressources minérales, végétales et animales de l'univers, ne peut être détaché du, respect des exigences morales. La domination accordée par le Créateur à l'homme sur les êtres inanimés et les autres vivants n'est pas absolue; elle est mesurée par le souci de la qualité de la vie du prochain, y compris des générations à venir; elle exige un respect religieux de l'intégrité de la création. Les animaux sont des créatures de Dieu. Celui-ci les entoure de sa sollicitude providentielle. Par leur simple existence, ils le bénissent et lui rendent gloire. Aussi les hommes leur doivent-ils bienveillance. On se rappellera avec quelle délicatesse les saints, comme S. François d'Assise ou S. Philippe Neri, traitaient les animaux. Dieu a confié les animaux à la gérance de celui qu'Il a créé à son image. Il est donc légitime de se servir des animaux pour la nourriture et la confection des vêtements. On peut les domestiquer pour qu'ils assistent l'homme dans ses travaux et dans ses loisirs. Si elles restent dans des limites raisonnables, les expérimentations médicales et scientifiques sur les animaux sont des pratiques moralement recevables, puisqu'elles contribuent à soigner ou épargner des vies humaines. Il est contraire à la dignité humaine de faire souffrir inutilement les animaux et de gaspiller leurs vies. Il est également indigne de dépenser pour eux des sommes qui devraient en priorité soulager la misère des hommes. On peut aimer les animaux; on ne saurait détourner vers eux l'affection due aux seules personnes.

III. La doctrine sociale de l'Église.

 « La révélation chrétienne conduit à une intelligence plus pénétrante des lois de la vie sociale. » L'Église reçoit de l'Évangile la pleine révélation de la vérité de l'homme. Quand elle accomplit sa mission d'annoncer l'Évangile, elle atteste à l'homme, au nom du Christ, sa dignité propre et sa vocation à la communion des personnes; elle lui enseigne les exigences de la justice et de la paix, conformes à la sagesse divine. L'Église porte un jugement moral, en matière économique et sociale, « quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l'exigent ». Dans l'ordre de la moralité elle relève d'une mission distincte de celle des autorités politiques : l'Église se soucie des aspects temporels du bien commun en raison de leur ordination au souverain Bien, notre fin ultime. Elle s'efforce d'inspirer les attitudes justes dans le rapport aux biens terrestres et dans les relations socio-économiques. La doctrine sociale de l'Église s'est développée au XX siècle lors de la rencontre de l'Evangle avec la société industrielle moderne, ses nouvelles structures pour la production de biens de consommation, sa nouvelle conception de la société, de 1'Etat et de l'autorité, ses nouvelles formes de travail et de propriété..Le développement de la doctrine de 1'Egiise, en matière économique et sociale, atteste la valeur permanente de l'enseignement de l'Église, en même temps que le sens véritable de sa Tradition toujours vivante et active. -L'enseignement social de l'Église comporte un corps de doctrine qui s'articule à mesure que 1'Église interprète les événements au cours de l'histoire, à la lumière de l'ensemble de la parole révélée par le Christ Jésus avec l'assistance de l'Esprit Saint. Cet enseignement devient d'autant plus acceptable pour les hommes de bonne volonté qu'il inspire davantage la conduite des fidèles. La doctrine sociale de l'Église propose des principes de réflexion; elle dégage des critères de jugement ; elle donne des orientations pour l'action. Tout système suivant lequel les rapports sociaux seraient entièrement déterminés par les facteurs économiques est contraire à la nature de la personne humaine et de ses actes. Une théorie qui fait du profit la règle exclusive et la fin ultime de l'activité économique est moralement inacceptable. L'appétit désordonné de l'argent ne manque pas de produire ses effets pervers. Il est une des causes des nombreux conflits qui perturbent l'ordre social. Un système qui « sacrifie les droits fondamentaux des personnes et des groupes à l'organisation collective de la production » est contraire à la dignité de l'homme. Toute pratique qui réduit les personnes à n'être que de purs moyens en vue du profit, asservit l'homme, conduit à l'idolâtrie de l'argent et contribue à répandre l'athéisme. « Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et Mammon »(Mt 6, 24; Le 16, 13). L'Église a rejeté les idéologies totalitaires et athées associées, dans les temps modernes, au «communisme » ou au « socialisme ». Par ailleurs, elle a récusé dans la pratique du « capitalisme » l'individualisme et le primat absolu de la loi du marché sur le travail humain. La régulation de l'économie par la seule planification centralisée pervertit à la base les liens sociaux; sa régulation par la seule loi du marché manque à la justice sociale « or il y a de nombreux besoins humains qui ne peuvent être satisfaits par le marché ». Il faut préconiser une régulation raisonnable du marché et des initiatives économiques, selon une juste hiérarchie des valeurs et en vue du bien commun.

IV. L'activité économique et la justice sociale.

Le développement des activités économiques et la croissance de la production sont destinés à subvenir aux besoins des êtres humains. La vie économique ne vise pas seulement à multiplier les biens produits et à augmenter le profit ou la puissance; elle est d'abord ordonnée au service des personnes, de l'homme tout entier et de toute la communauté humaine. Conduite selon ses méthodes propres, l'activité économique doit s'exercer dans les limites de l'ordre moral, suivant la justice sociale, afin de répondre au dessein de Dieu sur I'homme. Le travail humain procède immédiatement des personnes créées à l'image de Dieu, et appelées à prolonger, les unes avec et pour les autres, l'oeuvre de la création en dominant la terre. Le travail est donc un devoir : « Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus» (2 Th 3, l0). Le travail honore les dons du Créateur et les talents reçus. Il peut aussi être rédempteur. En endurant la peine du travail en union avec Jésus, l'artisan de Nazareth et le crucifié du Calvaire, l'homme collabore d'une certaine façon avec le Fils de Dieu dans son oeuvre rédemptrice. Il se montre disciple du Christ en portant la Croix, chaque jour, dans l'activité qu'il est appelé à accomplir. Le travail peut être un moyen de sanctification et une animation des réalités terrestres dans l'Esprit du Christ. Dans le travail, la personne exerce et accomplit une part des capacités inscrites dans sa nature. La valeur primordiale du travail tient à l'homme même, qui en est l'auteur et le destinataire. Le travail est pour l'homme, et non l'homme pour le travail. Chacun doit pouvoir puiser dans le travail les moyens de subvenir à sa vie et à celle des siens, et de rendre service à la communauté humaine. Chacun a le droit d Initiative économique, chacun usera légitimement de ses talents pour contribuer à une abondance profitable à tous, et pour recueillir les justes fruits de ses efforts. Il veillera à se conformer aux réglementations portées par les autorités légitimes en vue du bien commun. La vie économique met en cause des intérêts divers, souvent opposés entre eux. Ainsi s'explique l'émergence des conflits qui la caractérisent. On s'efforcera de réduire ces derniers par la négociation qui respecte les droits et les devoirs de chaque partenaire social : les responsables des entreprises, les représentants des salariés, par exemple des organisations syndicales, et, éventuellement, les pouvoirs publics. La responsabilité de l'Etat. « L'activité économique, en particulier celle de l'économie de marché, n. peut se dérouler dans un vide institutionnel, juridique et politique. Elle suppose que soient assurées les garanties des libertés individuelles et de la propriété, sans compter une monnaie stable et des services publics efficaces. Le devoir essentiel de l'Etat est Cependant d'assurer ces garanties, afin que ceux qui travaillent puissent jouir du fruit de leur travail et donc se sentir stimulés à l'accomplir avec efficacité et honnêteté. (...) L'Etat a le devoir de surveiller et de conduire l'application des droits humains dans le secteur économique; dans ce domaine toutefois, la première responsabilité ne revient pas à l'Etat mais aux institutions et aux différents groupes et associations qui composent la société. » Les responsables d'entreprise portent devant la société la responsabilité économique et écologique de leurs opérations. Ils sont tenus de considérer le bien des personnes et pas seulement l'augmentation des profits. Ceux-ci sont nécessaires cependant. Ils permettent de réaliser les investissements qui assurent l'avenir des entreprises. Ils garantissent l'emploi. L'accès au travail et à la profession doit être ouvert à tous sans discrimination injuste, hommes et femmes, bien portants et handicapés, autochtones et immigrés. En fonction des circonstances, la société doit pour sa part aider les citoyens à se procurer un travail et un emploi. Le juste salaire est le fruit légitime du travail. Le refuser ou le retenir peut constituer une grave injustice. Pour apprécier la rémunération équitable, il faut tenir compte à la fois des besoins et des contributions de chacun. « Compte tenu des fonctions et de la productivité, de la situation de l'entreprise et du bien commun, la rémunération du travail doit assurer à l'homme et aux siens les ressources nécessaires à une vie digne sur le plan matériel, social, culturel et spirituel. » L'accord des parties n'est pas suffisant pour justifier moralement le montant du salaire. La grève est moralement légitime quant elle se présente comme un recours inévitable, sinon nécessaire, en vue d'un bénéfice proportionné. Elle devient moralement inacceptable lorsqu'elle s'accompagne de violences ou encore si on lui assignes objectifs non directement liés aux conditions de travail ou contraires au bien commun. Il est injuste de ne pas payer aux organismes de sécurité sociale les cotisations établies par les autorités légitimes. La privation d'emploi à cause du chômage est presque toujours, pour celui qui en est victime, une atteinte à sa dignité et une menace pour l'équilibre de la vie. Outre le dommage personnellement subi, des risques nombreux en découlent pour son foyer.

V. Justice et solidarité entre les nations.

Au plan international, l'inégalité des ressources et des moyens économiques est telle qu'elle provoque entre les nations un véritable « fossé4 ». Il y a d'un côté ceux qui détiennent et développent les moyens de la croissance et, de l'autre, ceux qui accumulent les dettes. Diverses causes, de nature religieuse, politique, économique et financière, confèrent aujourd'hui « à la question sociale une dimension mondiale ». La solidarité est nécessaire entre les nations dont les politiques sont déjà interdépendantes. Elle est encore plus indispensable lorsqu'il s'agit d'enrayer les « mécanismes pervers » qui font obstacle au développement des pays moins avancés. Il faut substituer à des systèmes financiers abusifs sinon usuraires1, à des relations commerciales iniques entre les nations, à la course aux armements, un effort commun pour mobiliser les ressources vers des objectifs de développement moral, culturel et économique « en redéfinissant les priorités et les échelles des valeurs». Les nations riches ont une responsabilité morale grave à l'égard de celles qui ne peuvent par elles-mêmes assurer les moyens de leur développement ou en ont été empêchées par de tragiques événements historiques. C'est un devoir de solidarité et de charité ; c'est aussi une obligation de justice si le bien-être des nations riches provient de ressources qui n'ont pas été équitablement payées. L'aide directe constitue une réponse appropriée à des besoins immédiats, extraordinaires, causés par exemple par des catastrophes naturelles, des épidémies, etc. Mais elle ne suffit pas à réparer les graves dommages qui résultent des situations de dénuement m. à pourvoir durablement aux besoins. Il faut aussi réformer les institutions économiques et financières internationales pour qu'elles promeuvent mieux des rapports équitables avec les pays moins avancés. Il faut soutenir l'effort des pays pauvres travaillant à leur croissance et à leur libération. Cette doctrine demande à être appliquée d'une manière très particulière dans le domaine du travail agricole. Les paysans, surtout dans le tiers monde, forment la masse prépondérante des pauvres. Accroître le sens de Dieu et la connaissance de soi-même est à la base de tout développement complet de la société humaine. Celui-ci multiplie les biens matériels et les met au service de la personne et de sa liberté. Il diminue la misère et l'exploitation économiques. Il fait croître le respect des identités culturelles et l'ouverture à la transcendance. Il n'appartient pas aux pasteurs de l'Église d'intervenir directement dans la construction politique et dans l'organisation de la vie sociale. Cette tâche fait partie de la vocation des fidèles laïcs, agissant de leur propre initiative avec leurs concitoyens. L'action sociale peut impliquer une pluralité de voies concrètes. Elle sera toujours en vue du bien commun et conforme au message évangélique et à l'enseignement de l'Église. Il revient aux fidèles laïcs « d'animer les réalités temporelles avec un zèle chrétien et de s'y conduire en artisans de paix et de justice ».

 L'amour des pauvres.

Dieu bénit ceux qui viennent en aide aux pauvres et réprouve ceux qui s'en détournent : «A qui te demande, donne; à qui veut t'emprunter, ne tourne pas le dos » (Mt 5, 42). « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10, 8). C'est à ce qu'ils auront fait pour les pauvres que Jésus-Christ reconnaîtra ses élus. Lorsque « la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres» (Mt 11, 5)3, c'est le signe de la présence du Christ. « L'amour de l'Église pour les pauvres (~. ~) fait partie de sa tradition constante. » Il s'inspire de l'Évangile des béatitudes, de la pauvreté de Jésus et de son attention aux pauvres. L'amour des pauvres est même un des motifs du devoir de travailler, afin de « pouvoir faire le bien en secourant les nécessiteux » (Ep 4, 28). Il ne s'étend pas seulement à la pauvreté matérielle, mais aussi aux nombreuses formes de pauvreté culturelle et religieuse. L'amour des pauvres est incompatible avec l'amour immodéré des richesses ou leur usage égoïste. Eh bien, maintenant, les riches! Pleurez, hurlez sur les malheurs qui vont vous arriver. Votre richesse est pourrie, vos vêtements sont rongés par les vers. Votre or et votre argent sont souillés, et leur rouille témoignera contre vous elle dévorera vos chairs ; c'est un feu que vous avez thésaurisé dans les derniers jours! Voyez le salaire dont vous avez frustré les ouvriers qui ont fauché vos champs, crie, et les clameurs des moissonneurs sont parvenues aux oreilles du Seigneur des Armées. Vous avez vécu sur terre dans la mollesse et le luxe, vous vous êtes repus au jour du carnage. Vous avez condamné le juste, il ne vous résiste pas (Je 5, 1-6). S. Jean Chrysostome le rappelle vigoureusement « Ne pas faire participer les pauvres à ses propres biens, c'est les voler et leur enlever la vie. Ce ne sont pas nos biens que nous détenons, mais les leurs. » « Il faut satisfaire d'abord aux exigences de la justice, de peur que l'on n'offre comme don de la charité ce qui est déjà dû en justice. Quand nous donnons aux pauvres les choses indispensables, nous ne leur faisons point de largesses personnelles, mais leur rendons ce qui est à eux. Nous remplissons bien plus un devoir de justice que nous n'accomplissons un acte de charité. Les oeuvres de miséricorde sont les actions charitables par lesquelles nous venons en aide à notre prochain dans ses nécessités corporelles et spirituelles3. Instruire, conseiller, consoler, conforter sont des oeuvres de miséricorde spirituelle, comme pardonner et supporter avec patience. Les oeuvres de miséricorde corporelle consistent notamment à nourrir les affamés, loger les sans-logis, vêtir les déguenillés, visiter les malades et les prisonniers, ensevelir les morts. Parmi ces gestes, l'aumône faite aux pauvres est un des principaux témoignages de la charité fraternelle : elle est aussi une pratique de justice qui plaît à Dieu. Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n'en a pas, et que celui qui a à manger fasse de même (Le 3, 11). Donnez plutôt en aumône tout ce que vous avez, et tout sera pur pour vous (Le 11,41). Si un frère ou une soeur sont nus, s'ils manquent de leur nourriture quotidienne, et que l'un d'entre vous leur dise « Allez en paix, chauffez-vous, rassasiez-vous », sans leur donner ce qui est nécessaire à leur corps, à quoi cela sert-il? (Je 2, 15-16.) « Sous ses multiples formes : dénuement matériel, 2448 oppression injuste, infirmités physiques et psychiques, et enfin la mort, la misère humaine est le signe manifeste de la condition native de faiblesse où l'homme se trouve depuis le premier péché et du besoin de salut. C'est pourquoi elle a attiré la compassion du Christ Sauveur qui a voulu la prendre sur Lui et s'identifier aux "plus petits d'entre ses frères". C'est pourquoi ceux qu'elle accable sont l'objet d'un amour de préférence de la part de l'Église qui, depuis les origines, en dépit des défaillances de beaucoup de ses membres, n'a cessé de travailler à les soulager, les défendre et les libérer. Elle l'a fait par d'innombrables oeuvres de bienfaisance qui restent toujours et partout indispensables. Dès l'Ancien Testament, toutes sortes de mesures juridiques (année de rémission, interdiction du prêt à intérêt et de la conservation d'un gage, obligation de la dîme, paiement quotidien du journalier, droit de grappillage et de glanage) répondent à l'exhortation du Deutéronome « Certes les pauvres ne disparaîtront point de ce pays ; aussi Je te donne ce commandement : tu dois ouvrir ta main à ton frère, à celui qui est humilié et pauvre dans ton pays » (Dt 15, 11). Jésus fait sienne cette parole « Les pauvres, effet, vous les aurez toujours avec vous : mais Moi, vous ne M'aurez pas toujours » (Jn 12, 8). Par là il ne rend pas caduque la véhémence des oracles anciens : « Parce qu'ils vendent le juste à prix d'argent et le pauvre pour une paire de sandales... » (Am 8, 6), mais il nous invite à reconnaître sa présence dans les pauvres qui sont ses frères. Le jour où sa mère la reprit d'entretenir à la maison pauvres et infirmes, Ste Rose de Lima lui dit « Quand nous servons les pauvres et les malades, nous servons Jésus. Nous ne devons pas nous lasser d'aider notre prochain, parce qu'en eux c'est Jésus que nous servons. »

EN BREF

« Tu ne voleras pas » (Dt 5, 19). « Ni voleurs, ni cupides (...)ni rapaces n 'hériteront du Royaume de Dieu » (J Co 6, JO). Le septième commandement prescrit la pratique de la justice et de la charité dans la gestion des biens terrestres et des fruits du travail des hommes. Les biens de la création sont destinés au genre humain tout entier. Le droit à la propriété privée n'abolit pas la destination universelle des biens. Le septième commandement proscrit le vol. Le vol est l'usurpation du bien d'autrui, contre la volonté raisonnable du propriétaire. Toute manière de prendre et d'user injustement du bien d'autrui -est contraire au septième commandement. L 'injustice commise exige réparation. La justice commutative exige la restitution du bien dérobé. La loi morale proscrit les actes qui, à des fins mercantiles ou totalitaires, conduisent à asservir des êtres humains, à les acheter, à les vendre et à les échanger comme des marchandises. La domination accordée par le Créateur sur les ressources minérales, végétales et animales de l'univers ne peut être séparée du respect des obligations morales, y compris envers les générations à venir. Les animaux sont confiés à la gérance de l'homme qui leur doit bienveillance. Ils peuvent servir à la juste satisfaction des besoins de l'homme. L 'Église porte un jugement en matière économique et sociale quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l'exigent. Elle se soucie du bien commun temporel des hommes en raison de leur ordination au souverain Bien, notre fin ultime. L'homme est lui-même l'auteur, le centre et le but de toute la vie économique et sociale. Le point décisif de la question sociale est que les biens créés par Dieu pour tous arrivent en fait à tous, suivant la justice et avec l'aide de la charité. La valeur primordiale du travail tient à l'homme même, qui en est l'auteur et le destinataire. Moyennant son travail, l'homme participe à l'oeuvre de la création. Uni au Christ le travail peut être rédempteur. Le développement véritable est celui de l'homme tout entier. il s'agit de faire croître la capacité de chaque personne de répondre à sa vocation, donc à l'appel de Dieu. L'aumône faite aux pauvres est un témoignage de charité fraternelle : elle est aussi une pratique de justice qui plaît à Dieu. Dans la multitude d'êtres humains sans pain, sans toit, sans lieu, comment ne pas reconnaître Lazare, mendiant affamé de la parabole? Comment ne pas entendre Jésus: « A Moi non plus vous ne L'avez pas fait » (Mt 25, 45)?