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Thomas More (Londres 1478 - Tower HilI 1535)

Serviteur de Dieu avant d'être celui du roi

D'une grande intégrité et d'une moralité sans faille, il finit par être l'adversaire d'Henri VIII.

Fils de sir John More, avocat et juge, Thomas entra à l'âge de treize ans dans la maison de l'archevêque de Cantorbéry, John Morton. Il fut envoyé pendant deux ans au collège de Cantorbéry à Oxford, où il étudia sous la direction du célèbre humaniste Thomas Linacre. Il poursuivit ses études en faisant du droit à Lincoln's Inn, et en 1501, fut appelé au barreau comme son père avant lui. Trois ans plus tard, il était membre du Parlement. Durant ces années, il hésita entre la vie monastique (il vécut quatre ans à la Chartreuse de Londres), celle de prêtre séculier et celle de franciscain.

En définitive, il se maria avec Jane Colt en 1505 et poursuivit sa carrière juridique. Pourtant il continua à porter une chemise de crin et à pratiquer une discipline monastique: ce n'est donc pas le manque de dévotion ou la peur de l'ascétisme qui tinrent Thomas More à l'écart du cloître. On raconte qu'il tomba tout d'abord amoureux de la plus jeune soeur de Jane, mais qu'il se maria avec l'aînée pour lui éviter l'humiliation de voir sa jeune soeur mariée avant elle. Quoi qu'il en soit, leur mariage semble avoir été particulièrement

heureux et leur maison était comme un centre d'enseignement et d'humanisme de la Renaissance. Malheureusement, Jane mourut jeune en 1511, après les naissances de trois filles et d'un garçon.

La carrière publique et politique de Thomas avait déjà commencé. Il était reconnu pour ses rares qualités de loyauté, d'intégrité, de rayonnement intellectuel et pour sa stricte moralité. Henri VIII, couronné en 1509, en fit son protégé. Il fut nommé à une série de postes et sa renommée grandit avec la publication d'un grand nombre d'ouvrages, particulièrement celle de l'Utopie en 1516. Cette conception classique d'une société éclairée et tolérante, fondée sur la raison plus que sur l'opportunisme politique, fut rapidement traduite du latin dans les principales langues européennes. Dans ses autres livres, il condamna le protestantisme, critiqua Tyndale, le traducteur de la Bible et prit la défense du livre d'Henri VIII sur les sept sacrements (qui avait conduit le pape à donner à celui-ci le titre de

Défenseur de la foi ~) : ce fut la Défense d'Henri contre Luther publiée en 1523.

La rupture avec Henri

Peu de temps après la mort de Jane, Thomas se remaria avec une veuve nommée Alice Middleton et ils emménagèrent à Chelsea en 1524. À ce moment, il avait déjà effectué plusieurs missions diplomatiques pour Henri, en France auprès de François 1-er et auprès de Charles Quint. Il avait été fait chevalier deux ans plus tôt.

Il occupa de hautes fonctions, puis, après la disgrâce de Wolsey en 1529, il fut nommé malgré lui lord chancelier. Troublé par le divorce d'Henri et de Catherine d'Aragon, qui s'était fait sans l'autorisation du pape, il refusa de signer la pétition adressée à celui-ci pour demander cette dispense. Ce fut alors le conflit ouvert entre Thomas et Henri.

Finalement, en 1532, Thomas More protesta contre la prise en main par Henri VIII du pouvoir ecclésiastique et démissionna de son poste de chancelier.

Pourtant il avait d'abord accepté qu'Henri

prenne le titre de « protecteur et chef suprême de l'Église d'Angleterre », mais avec la réserve suivante proposée par John Fisher : « Autant que la loi du Christ le permet.

Lorsque la rupture entre Henri et Rome devint évidente, il se sentit incapable de rester au service du roi. Il se retira à Chelsea, refusa d'assister au couronnement d'Anne Boleyn et de signer l'acte de Succession qui faisait des enfants d'Henri et d'Anne les héritiers du trône, annulait donc complètement le premier mariage et rejetait l'autorité du pape.

Fête : 22 juin. Patron des avocats.

L'exécution

Un tel affront ne pouvait être toléré Thomas fut arrêté en 1534 et emprisonné à la tour de Londres pendant plus d'un an. Son entêtement entraîna la confiscation de ses terres. Mais, durant cette captivité, il écrivit de nombreux ouvrages spirituels, tels les Dialogues de la Consolation opposée à la Tribulation et le Traité de la Passion du Christ, et de nombreuses lettres. Finalement, malgré son refus en 1535 de commenter l'acte de Suprématie par lequel le roi recevait tout pouvoir sur l'Église d'Angleterre, son silence fut interprété comme une trahison et il fut condamné. Il mourut pour avoir refusé de transiger sur ce que lui dictait sa conscience, à savoir qu'aucune autorité temporelle ne pouvait prétendre usurper le pouvoir spirituel du pape, successeur du premier évêque de Rome, saint Pierre. Il ne fut pas le seul à faire ce choix et Henri fut forcé d'en exécuter bien d'autres, dont John Fisher, John Houghton et beaucoup de chartreux de Londres. L'exécution eut lieu le 6 juillet. Thomas More se proclama sur l'échafaud « bon serviteur du roi, mais d'abord celui de Dieu «, et il exprima courtoisement le désir de rencontrer ses bourreaux au Paradis.

· Son culte

Le corps de More fut enterré dans la tour de Londres. Il fut béatifié avec John Fisher, son ami et conseiller, en 1886 et canonisé en 1935. Fêtés le même jour, ils font partie du petit nombre de saints anglais révérés universellement par l'Église catholique. William Roper, le gendre de More, écrivit sa biographie.

De nombreuses écoles et églises modernes lui sont dédiées, souvent en compagnie de John Fisher. Il tient une place importante dans la littérature de son époque, d'abord avec son Utopie, mais aussi pour son Histoire du roi Richard III, première oeuvre historique de l'humanisme anglais. Il est habituellement représenté habillé en chancelier. Une pièce de Robert BoIt raconte sa vie.

ENTRETIENS DE PRISON DE S. THOMAS MORE AVEC SA FILLE MARGARET

Je sais, ma chère Margaret, toute l'indignité de ma vie passée: elle m'a bien mérité que Dieu me laisse trébucher. Cependant je ne puis que faire confiance à sa bonté miséricordieuse. En effet sa grâce m'a fortifié jusqu'ici c'est elle qui m'a donné le courage d'abandonner mes biens, mes propriétés et jusqu'à ma vie, plutôt que de jurer contre ma conscience. C'est elle aussi qui a suggéré au Roi de me traiter avec clémence, puisque jusqu'à ce jour il ne m'a pris que nia liberté. Par là, grâce à Dieu, sa Majesté m'a procuré un plus grand bien: le progrès spirituel que je suis sûr de trouver ici. Cela vaut mieux que tous les honneurs et les richesses dont il m'avait comblé auparavant. Je ne peux donc manquer de confiance en la grâce de Dieu: ou bien elle retiendra le coeur du roi pour qu'il ne me traite pas plus sévèrement ou bien elle me donnera toujours les forces nécessaires pour supporter n'importe quelles épreuves. patiemment, courageusement et même joyeusement. Ma patience, unie aux mérites de la cruelle passion du Christ, (qui certes surpasse de mille lieues en mérites et en qualité tout ce que je puis avoir à souffrir). Ma patience atténuera les châtiments qui me sont dus au purgatoire et. par la générosité de la bonté divine, elle me vaudra même un petit surplus de récompense au ciel. Ma chère Meg. je ne veux pas manquer de confiance en Dieu pourtant je sens que la peur pourrait bien me submerger. Je me rappellerai que saint Pierre, à cause de son peu de foi. commençait à s'enfoncer sous un coup de vent, et je ferai comme lui : j'en appellerai au Christ et lui demanderai son secours. Ainsi j'espère qu'il me tendra la main, me saisira et ne me laissera pas m'enfoncer. Et s'il permet que je joue le rôle de Pierre dans sa conduite ultérieure, que je tombe tout à fait, en jurant et en abjurant (mais que notre Seigneur, par sa miséricordieuse Passion. m en préserve, et qu'une telle chute me nuise plutôt que de me rapporter aucun bénéfice), s'il permet que je tombe, j'espère pourtant qu'il jettera sur moi, comme sur Pierre. un regard plein de miséricorde, et qu'il me relèvera pour que je confesse de nouveau la vérité et que je libère nia conscience j'espère aussi qu'il me fera supporter courageusement le châtiment et la honte d'un tel reniement. Bref, ma chère Margot, je suis absolument certain que. sauf péché de nia part, Dieu ne m'abandonnera pas. En toute espérance et sécurité, je vais donc me confier totalement à lui. S'il me laisse périr à cause de mes fautes, je servirai au moins à glorifier sa justice. J'espère pourtant I que sa tendre pitié gardera nia pauvre âme saine et sauve ~t fera que l'on verra en moi resplendir sa miséricorde plutôt que sa justice. Donc, nia chère fille, garde un bon moral, ne te laisse troubler par rien de ce qui peut m'arriver en ce monde. Rien ne peut arriver sans que Dieu le veuille. Et tout ce u il veut, si mauvais que cela nous paraisse, est vraiment meilleur.