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12ème DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE (TROISIÈME SERMON) Sur l'amour du prochain. Vade, et tu fac similiter. Allez, et faites de même. (S. Luc, X, 37.) Un docteur de la loi, nous dit saint Luc, se présenta à Jésus-Christ, lui disant pour le tenter : « Maître, que faut-il faire pour avoir la vie éternelle ? » Jésus-Christ lui répondit : « Que porte votre loi, qu'y lisez-vous ? » Il lui répondit : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de toutes vos forces, et le prochain comme vous-même. » – « Vous avez très bien répondu, lui répliqua Jésus-Christ ; allez, faites cela, et vous aurez la vie éternelle. » Ensuite, le docteur lui demanda qui était son prochain, et qui il devait aimer comme lui-même. Jésus-Christ lui proposa cet exemple : « Un homme allait de Jérusalem à Jéricho ; il tomba entre les mains des voleurs, qui, non contents de l'avoir dépouillé, le percèrent de plaies, et le laissèrent à demi-mort sur la place. Dans le moment, il passa un prêtre qui descendait par le même chemin. Celui-ci l'ayant vu dans ce pitoyable état, ne le regarda pas même. Ensuite un lévite, l'ayant aperçu, passa de même ; mais un Samaritain qui suivait la même route, l'ayant vu, s'approcha de lui, et en fut sensiblement touché de compassion ; il descendit de son cheval, et se mit en état de l'assister de tout son pouvoir. Il bassina ses plaies avec de l'huile et du vin, les banda ; l'ayant mis sur son cheval, il le porta dans une hôtellerie où il commanda au maître d'en prendre tous les soins nécessaires, en lui disant que, si l'argent qu'il lui donnait ne suffisait pas, à son retour, il lui rendrait ce qu'il aurait dépensé de plus. » Jésus-Christ dit au docteur : « Lequel des trois pensez-vous avoir été le prochain de cet homme qui tomba entre les mains des voleurs ? » Le docteur lui répondit : « Je crois que c'est celui qui a exercé les œuvres de miséricorde envers cet homme. » – « Eh bien ! allez, lui dit Jésus-Christ, faites de même, et vous aurez la vie éternelle. » Voilà, M.F., le modèle parfait de la charité que nous devons avoir pour notre prochain. Voyons donc, M.F., si nous avons cette charité qui nous assure la vie éternelle. Mais, pour mieux vous en faire sentir la nécessité, je vais vous montrer que toute notre religion n'est qu'une fausse religion, et que toutes nos vertus ne sont que fantômes, et que nous ne sommes que des hypocrites aux yeux de Dieu, si nous n'avons pas cette charité universelle pour tout le monde : c'est-à-dire, pour les bons comme pour les mauvais, pour les pauvres comme pour les riches, pour tous ceux qui nous font du mal, comme pour ceux qui nous font du bien. Non, M.F., il n'y a point de vertu qui nous fasse mieux connaître si nous sommes les enfants du bon Dieu, que la charité  ; et l'obligation que nous avons d'aimer notre prochain est si grande, que Jésus-Christ nous en fait un commandement, qu'il place de suite après celui par lequel il nous commande de l'aimer de tout notre cœur. Il nous dit que toute la loi et les prophètes sont renfermés dans ce commandement d'aimer notre prochain . Oui, M.F., nous devons regarder cette obligation comme la plus universelle, la plus nécessaire et la plus essentielle à la religion, à notre salut ; parce qu'en accomplissant ce commandement, nous accomplissons tous les autres. Saint Paul nous dit que les autres commandements nous défendent l'adultère, le vol, les injures, les faux témoignages ; si nous aimons notre prochain, nous ne ferons rien de tout cela, parce que l'amour que nous avons pour notre prochain ne peut souffrir que nous lui fassions du mal . Je dis 1° que ce commandement, qui nous ordonne d'aimer notre prochain, est le plus nécessaire à notre salut, puisque saint Jean nous dit que, si nous n'aimons pas notre frère, c'est-à-dire tout le monde, nous demeurons dans un état de réprobation. Nous voyons encore que Jésus-Christ a tant à cœur l'accomplissement de ce commandement, qu'il nous dit que ce n'est que par l'amitié que nous aurons les uns pour les autres qu'il nous reconnaîtra pour ses enfants . 2° Je dis, M.F., que ce qui nous impose une si grande obligation de nous aimer les uns les autres, c'est que nous avons tous le même créateur, tous une même origine ; que nous ne sommes tous qu'une même famille, dont Jésus-Christ est le père, et que nous portons tous son image et sa ressemblance ; que nous sommes tous créés pour une même fin, qui est la gloire éternelle, et que nous avons tous été rachetés par la mort et passion de Jésus-Christ. D'après cela, M.F., nous ne pouvons pas refuser d'aimer notre prochain, sans outrager Jésus-Christ lui-même, qui nous le commande sous peine de damnation éternelle. Saint Paul mous dit que, puisque nous avons tous une même espérance, qui est la vie éternelle, un même Seigneur, une même foi, un même baptême et un même Dieu, qui est le père de tous les hommes, nous devons donc aimer tous les hommes comme nous-mêmes, si nous voulons plaire à Jésus-Christ et sauver nos âmes . Mais, peut-être pensez-vous, en quoi consiste donc l'amour que nous devons avoir pour notre prochain ? M.F., cet amour consiste en trois choses : 1° à vouloir du bien à tout le monde ; 2° à leur en faire toutes les fois que nous pouvons ; 3° supporter, excuser et cacher leurs défauts. Voilà, M.F., la vraie charité due au prochain, et la véritable marque d'une vraie charité, sans laquelle nous ne pouvons ni plaire à Dieu, ni sauver nos âmes. 1° Nous devons souhaiter du bien à tout le monde, et être bien affligé lorsque nous apprenons qu'il lui arrive quelque mal, parce que nous devons considérer tous les hommes, même nos ennemis, comme nos frères ; nous devons montrer un air bon et affable envers tout le monde ; ne point porter envie à ceux qui sont mieux que nous ; nous devons aimer les bons à cause de leurs vertus, et aimer les méchants, afin qu'ils deviennent bons ; souhaiter la persévérance aux premiers et la conversion aux autres. Si un homme est un grand pécheur et un méchant, nous pouvons haïr le péché, qui est l'ouvrage de l'homme et du démon ; mais il faut aimer sa personne, qui est l'image de Dieu. 2° Nous devons faire du bien à tout le monde, du moins autant que nous le pouvons ; ce qui se fait en trois manières qui regardent les biens du corps, les biens de l'honneur, et les biens de l'âme. Par rapport aux bien du corps, nous ne devons jamais faire tort au prochain, ni lui empêcher de gagner quelque chose, quand même ce profit pourrait nous revenir. Il n'y a point de chrétiens si agréables à Dieu que ceux qui portent compassion aux malheureux. Voyez saint Paul : il nous dit qu'il pleurait avec ceux qui pleuraient, et se réjouissait avec ceux qui étaient dans la joie . Quant à l'honneur du prochain, nous devons bien prendre garde de ne jamais nuire à sa réputation par des médisances, et, encore bien moins, par des calomnies. Si nous pouvons empêcher ceux qui en disent du mal, il faut les en empêcher ; si nous ne pouvons pas, il faut les quitter, ou bien, dire tout le bien que nous savons de ces personnes, Mais pour les biens de l'âme, qui sont cent fois plus précieux que ceux du corps, nous pouvons leur procurer ces biens en priant pour eux, en les détournant du mal par nos conseils, et, surtout, par nos bons exemples ; nous y sommes spécialement obligés envers ceux avec qui nous vivons. Les pères et mères, maîtres et maîtresses y sont obligés d'une manière particulière, à cause du compte qu'ils auront à rendre à Dieu de leurs enfants. Hélas ! M.F., peut-on bien dire que les pères et mères aiment leurs enfants, quand ils les voient vivre avec tant d'indifférence pour tout ce qui regarde le salut de leurs âmes ! Hélas ! M.F., un père et une mère qui auraient la charité qu'ils devraient avoir pour leurs enfants, pourraient-ils vivre sans verser des larmes, nuit et jour, sur le malheureux état de leurs enfants qui sont dans le péché, qui vivent, hélas ! en réprouvés, qui ne sont plus pour le ciel, qui ne sont plus que pour l'enfer ?... Hélas ! M.F., comment aimeront-ils à leur procurer leur salut, Puisqu'ils ne pensent pas même à leur propre salut ? Hélas ! M.F., combien de pères et mères qui devraient gémir et prier continuellement sur l'état de leurs pauvres enfants, et qui les détournent du bien et les portent au mal ; en les entretenant des torts, des disputes, des injures que leur ont dites ou faits leurs voisins, de leur mauvaise foi, des moyens qu'ils ont employés pour se venger : ce qui porte souvent les enfants à vouloir eux-mêmes se venger, ou, du moins, à conserver la haine dans le cœur. Oh ! M.F., que les premiers chrétiens étaient bien éloignés de tout cela, parce qu'ils sentaient le prix d'une âme ? Ah ! M.F., si un père et une mère connaissaient la valeur d'une âme, pourraient-ils laisser perdre, avec tant d'indifférence, celles de leurs pauvres enfants ou de leurs domestiques ? pourraient-ils leur faire manquer leur prière, pour les faire travailler ? auraient-ils le courage de leur faire manquer les saints offices ? Ô mon Dieu ! que vont-ils répondre à Jésus-Christ lorsqu'il va leur montrer qu'ils ont préféré une bête à l'âme de leurs enfants ! Ah ! que dis-je, une poignée de foin  ! Ah ! pauvre âme, que l'on t'estime peu ! Non, non, M.F., ces pères et mères aveugles et ignorants n'ont jamais compris que la perte d'une âme est un plus grand mal que la destruction de toutes les créatures qui existent sur la terre. Jugeons, M.F., de la dignité d'une âme par celle des anges : un ange est si parfait que tout ce que nous voyons sur la terre et dans le ciel, est moins qu'un grain de poussière en comparaison du soleil ; et cependant quelque parfaits que soient les anges, ils n'ont coûté à Dieu qu'une parole ; tandis qu'une âme a coûté la valeur de son sang adorable. Le démon, pour tenter le Sau veur, lui offrit tous les royaumes de monde, en lui disant : « Si tu veux te prosterner devant moi, je te donnerai tous ces biens  ; » ce qui nous montre qu'une âme est infiniment plus précieuse aux yeux de Dieu, et même du démon, que tout l'univers avec tout ce qu'il possède . Ah ! quelle honte pour ces pères et mères qui estiment moins l'âme de leurs enfants, que le démon ne l'estime lui-même ! Oui, M.F., votre âme est d'un si grand prix, que saint Jean Chrysostome nous dit que, quand il n'y aurait eu qu'un seul homme sur la terre, son âme est si précieuse à Jésus-Christ, qu'il n'aurait pas cru indigne de lui, de mourir pour la sauver. « Oui, dit-il, une âme est si chère à son Créateur, que, si elle l'aimait, il anéantirait plutôt les cieux que de la laisser périr. » « Ô corps, s'écriait saint Bernard, que vous êtes honoré de loger une si belle âme ! » Dites-moi, M.F., si vous aviez été au pied de la croix, et que vous eussiez ramassé le sang adorable de Jésus-Christ dans un vase, avec quel respect ne l'auriez-vous pas conservé ? Or, M.F., nous devons avoir autant de respect et de soin pour conserver notre âme, parce qu'elle a coûté tout le sang de Jésus-Christ. « Depuis, nous dit saint Augustin, que j'ai reconnu que mon âme a été rachetée par le sang d'un Dieu, j'ai résolu de la conserver, aux dépens même de ma vie, et de ne jamais la vendre au démon par le péché. » Ah ! pères et mères, si vous étiez bien convaincus que vous êtes les gardiens des âmes de vos enfants, pourriez-vous bien les laisser périr avec tant de froideur ? Mon Dieu, que de personnes damnées pour avoir laissé perdre de pauvres âmes, ce qu'ils auraient bien pu empêcher s'ils l'avaient voulu ! Non, M.F., nous n'avons pas la charité que nous devrions avoir les uns pour les autres, et surtout pour nos enfants et nos domestiques. Nous lisons dans l'histoire, que du temps des premiers chrétiens, lorsque les empereurs païens les interrogeaient pour savoir ce qu'ils étaient, ils leur répondaient : « Vous nous demandez ce que nous sommes, le voici : Nous ne faisons qu'un peuple et qu'une famille, que les liens de la charité unissent ensemble ; pour nos biens, ils sont tous en commun : celui qui a donne à celui qui n'a pas ; personne ne se plaint, personne ne se venge, personne ne se dit du mal, et personne ne s'en fait. Nous prions les uns pour les autres, et même pour nos ennemis ; au lieu de nous venger, nous faisons du bien à ceux qui nous font du mal, nous bénissons ceux qui nous maudissent. » Ah ! M.F., que sont devenus ces temps heureux ? Hélas ! que de chrétiens maintenant ne sont possédés que de l'amour d'eux-mêmes, et n'en ont point pour le prochain ! Voulez-vous, M.F., savoir ce que sont les chrétiens de nos jours ? Écoutez-moi, le voici. Si deux personnes qui sont ensemble sont de même humeur, de même caractère, ou bien ont les mêmes inclinations, vous les voyez s'aimant bien, vivre ensemble ; ce n'est encore pas difficile. Mais, si l'humeur ou le caractère ne s'accordent pas ; il n'y a plus ni paix, ni amitié, ni charité, ni prochain. Hélas ! M.F., ce sont des chrétiens qui n'ont qu'une fausse religion : ils n'aiment leur prochain qu'autant qu'il est de leur inclination, et qu'il entre dans leurs sentiments et leurs intérêts ; autrement, l'on ne peut plus se voir, se souffrir ensemble : il faut se séparer, dit-on, pour avoir la paix et sauver son âme. Allez, pauvres hypocrites, allez, séparez-vous de ceux qui ne sont pas, dites-vous, de votre caractère, et avec qui vous ne pouvez pas vivre ; vous ne vous éloignerez pas aussi loin d'eux que vous l'êtes de Dieu. Allez, votre religion n'est qu'un fantôme, et vous n'êtes vous-mêmes que des réprouvés. Vous n'avez jamais connu ni votre religion, ni ce qu'elle vous commande, ni la charité que vous devez avoir pour votre frère afin de plaire à Dieu et vous sauver. Il n'est pas bien difficile d'aimer ceux qui nous aiment, et qui sont de nos sentiments dans tout ce que nous disons ou faisons ; car en cela, il n'y a rien de plus que les païens, ils en faisaient tout autant. Saint Jacques nous dit  : « Si vous faites bon accueil à un riche, et que vous méprisiez un pauvre ; si vous saluez de bonne grâce celui qui vous a fait quelque bien, tandis qu'à peine saluez-vous celui qui vous a fait quelque insulte ; ni vous n'accomplissez la loi, ni vous n'avez la charité que vous devez avoir ; vous ne faites rien de plus que ceux qui ne connaissent pas le bon Dieu. » – « Mais, me direz-vous, comment devons-nous donc aimer notre prochain ? » – Le voici. Saint Augustin nous dit que nous devons l'aimer comme Jésus-Christ nous aime : il n'a consulté ni la chair ni le sang, mais il nous a aimés pour nous sanctifier et nous mériter la vie éternelle. Nous devons souhaiter et désirer à notre prochain tout le bien que nous pouvons souhaiter pour nous-mêmes. Oui, M.F., nous ne connaîtrons que nous sommes dans le chemin du ciel et que nous aimons véritablement le bon Dieu que d'autant que, nous trouvant avec des personnes entièrement opposées à notre caractère, et qui semblent nous contredire en tout, nous les aimons cependant comme nous-mêmes, nous les voyons de bonne grâce, nous en disons du bien et jamais du mal, nous recherchons leur compagnie, nous les prévenons et nous leur rendons service de préférence à tous ceux qui entrent dans nos intérêts et ne nous contredisent en rien. Si nous faisons cela, nous pouvons espérer que notre âme est dans l'amitié de Dieu et que nous aimons notre prochain chrétiennement. Voilà la règle et le modèle que Jésus-Christ nous a laissés et que tons les saints ont suivis ; ne nous y trompons point, il n'y a point d'autre chemin qui nous conduise au ciel. Si vous ne faites pas cela, ne doutez pas d'un seul instant, que vous ne marchiez dans celui de la perdition. Allez, pauvres aveugles, priez, faites pénitence, assistez bien aux offices, fréquentez les sacrements, tous les jours, si vous le voulez ; donnez tout votre bien à ceux qui vous aiment, vous ne laisserez pas que d'aller brûler à la fin de votre vie ! Hélas ! M.F., qu'il y a peu de véritable dévotion ! que de dévotions de caractère, de penchant ! Il y a des gens qui donnent tout, et qui sont prêts à tout sacrifier, quand c'est pour des personnes qui leur conviennent ou qui les aiment. Hélas ! qu'il y en a peu qui ont cette charité qui plaît à Dieu et qui conduit au ciel ! Tenez, M.F., voulez-vous un bel exemple de la charité chrétienne ? en voici un qui peut vous servir de modèle, toute votre vie. Il est rapporté dans l'histoire des Pères du désert , qu'un solitaire rencontra dans le chemin un pauvre estropié tout couvert d'ulcères et de pourriture ; il était dans un état si misérable qu'il ne pouvait ni gagner sa vie, ni se traîner. Le solitaire, touché de compassion, le porta dans sa cellule, lui donna tous les soulagements qu'il put. Ce pauvre, ayant repris ses forces, le solitaire lui dit : « Voulez-vous, mon cher frère, demeu rer avec moi, je ferai tout ce que je pourrai pour vous nourrir, et nous prierons et nous servirons le bon Dieu ensemble. » – « Oh ! que vous me donnez de joie, lui dit le pauvre ! que je suis heureux de trouver dans votre charité une ressource à ma misère ! » Le solitaire, qui avait déjà bien de la peine à gagner sa vie, redoubla son travail pour avoir de quoi nourrir son pauvre ; et il tâchait de le nourrir le mieux qu'il pouvait et bien mieux qu'il ne se nourrissait lui-même. Mais, au bout de quelque temps, ce pauvre commença à murmurer contre son bienfaiteur, se plaignant de ce qu'il le nourrissait trop mal. « Hélas ! mon cher ami, lui dit le solitaire, je vous nourris mieux que moi-même, je ne puis faire autre chose pour vous que ce que je fais. » Quelques jours après, cet ingrat recommença ses plaintes, et vomit contre son bienfaiteur un torrent d'injures. Le solitaire souffrit tout cela avec patience, sans rien répondre. Le pauvre fut honteux d'avoir parlé de la sorte à un si saint homme, qui ne lui faisait que du bien ; et il lui demanda pardon. Mais il retomba bientôt dans les mêmes impatiences, et prit une telle haine contre ce bon solitaire, qu'il ne pouvait plus le supporter. « Je suis ennuyé de vivre avec toi, lui dit-il ; je veux que tu me reportes dans le chemin où tu m'as trouvé ; je ne suis pas accoutumé à être si mal nourri. » Le solitaire lui demanda pardon, lui promettant qu'il tâcherait de le mieux traiter. Le bon Dieu lui inspira d'aller trouver un bourgeois charitable du voisinage, pour lui demander de la nourriture un peu meilleure pour son estropié. Le bourgeois, touché de compassion, lui dit de venir tous les jours chercher de quoi le nourrir. Le pauvre parut content ; mais au bout de quelques semaines, il recommença à faire de nouveaux et de piquants reproches au solitaire. « Va, lui dit-il, tu n'es qu'un hypocrite, tu fais semblant d'aller chercher l'aumône pour moi, et c'est pour toi ; tu manges le meilleur en secret, et tu ne me donnes que tes restes. » – « Ah ! mon ami, lui dit le solitaire, vous me faites injure, je vous assure que je ne demande jamais rien pour moi, que je ne touche pas même un morceau de ce que l'on me donne pour vous ; si vous n'êtes pas content des services que je vous rends, ayez au moins patience pour l'amour de Jésus-Christ, en attendant que je fasse mieux. » – « Va, lui dit le pauvre, je n'ai pas besoin de tes remontrances, » et, sur le champ, il se saisit d'un caillou, et le jeta à la tête du solitaire, qui évita le coup. Ensuite ce malheureux prit un gros bâton, dont il se servait pour se traîner, et lui en donna un si rude coup, qu'il le fit tomber par terre. « Le bon Dieu vous pardonne, lui dit le bon solitaire ; pour moi, je vous pardonne bien, pour l'amour de Jésus-Christ, les mauvais traitements que vous me faites. » – « Tu dis que tu me pardonnes ; mais ce n'est que du bout des lèvres, parce que je sais que tu me voudrais déjà voir mort. » – « Je vous assure, mon ami, lui dit tendrement le bon solitaire, que c'est de tout mon cœur que je vous pardonne. » Ce bon solitaire voulut l'embrasser pour marquer qu'il l'aimait. Dans ce moment, le pauvre le prit par la gorge, lui déchira le visage avec ses ongles, et voulait l'étrangler. Le solitaire s'étant débarrassé de ses mains, le pauvre lui dit : « Va, tu ne mourras jamais que de mes mains. » Ce bon solitaire, qui était toujours touché de compassion et rempli d'une charité vraiment chrétienne, prit patience avec lui pendant trois ou quatre ans. Pendant ce temps-là, il n'y a que Dieu qui sache combien il eut à souffrir de la part du pauvre. Il lui disait à tout moment qu'il voulait qu'il le reportât dans le chemin où il l'avait trouvé, qu'il aimait mieux mourir de faim ou de froid, ou bien être dévoré par les bêtes, que de vivre avec lui. Ce bon solitaire ne savait à quoi se déterminer ; d'un côté, sa charité lui représentait qu'en le reportant dans l'endroit où il l'avait trouvé, il allait périr de misère ; d'un autre côté, il craignait de perdre patience dans ce combat. Il lui vint la pensée d'aller consulter saint Antoine sur le parti qu'il devait prendre pour être le plus agréable au bon Dieu ; il ne craignait ni la peine, ni les outrages qu'il recevait pour tous ses bienfaits ; mais il voulait seulement connaître la volonté de Dieu. Étant auprès de saint Antoine, sans rien lui dire, celui-ci, par la bouche duquel le Saint-Esprit parlait, lui dit : « Ah ! mon fils, je sais ce qui vous amène ici, et pourquoi vous venez me trouver. Gardez-vous bien de suivre la pensée que vous avez de renvoyer ce pauvre ; c'est une rude tentation du démon, qui veut vous ôter votre couronne ; si vous aviez le malheur de l'abandonner, mon fils, le bon Dieu ne l'abandonnerait pas. » Il semblait, d'après ce que saint Antoine lui dit, que son salut fût attaché aux soins qu'il donnait à ce pauvre. « Mais, mon père, lui dit le solitaire, je crains de perdre patience avec lui. » – « Et pourquoi la perdriez-vous, mon fils, lui répliqua saint Antoine, ne savez-vous pas que c'est envers ceux qui nous font le plus de mal, que nous devons exercer le plus généreusement notre charité ? Mon fils, dites-moi, quel mérite auriez-vous d'avoir la patience avec une personne qui ne vous ferait jamais de mal ? Ne savez-vous pas, mon fils, que la charité est une vertu courageuse, qui ne regarde pas les vices de celui qui nous fait de la peine, mais qui ne regarde que Dieu seul ? Aussi, mon fils, je vous engage grandement à garder ce pauvre : plus il est méchant, plus vous devez eu avoir pitié ; tout ce que vous lui ferez par charité, Jésus-Christ le tiendra pour fait à lui-même. Faites voir, mon fils, par votre patience, que vous êtes le disciple d'un Dieu souffrant. Souvenez-vous que c'est par la patience et par la charité que l'on connaît un chrétien. Regardez ce pauvre comme celui dont Dieu veut se servir pour vous faire travailler à votre couronne. » Le solitaire fut très satisfait de savoir de ce grand saint que c'était la volonté de Dieu qu'il gardât son pauvre, et que tout ce qu'il faisait envers lui était très agréable à Dieu. Il va trouver son pauvre, et oubliant toutes les injures et les mauvais traitements qu'il en avait reçus jusqu'à ce jour, lui montrant une charité qui n'avait plus de bornes, il le servait avec une humilité admirable, et ne cessait de prier pour lui. Le bon Dieu vit dans ce jeune solitaire tant de patience et de charité qu'il convertit ce pauvre ; et par là montra à son serviteur, combien tout ce qu'il avait fait lui était agréable, puisqu'il accordait à ce malheureux son salut et sa conversion. Que pensez-vous de cela, M.F. ? Est-ce là une charité chrétienne, oui ou non ? Oh ! que cet exemple, au grand jour du jugement, va confondre de chrétiens qui ne veulent pas seulement souffrir une parole, supporter huit jours, le mauvais caractère d'une personne, sans murmurer, sans lui vouloir peut-être du mal. Il faut se quitter, il faut se séparer pour avoir la paix, dit-on. Ô mon Dieu ! que de chrétiens se damnent par le défaut de charité ! Non, non, M.F., quand vous feriez même des miracles, vous ne serez jamais sauvés, si vous n'avez pas la charité. Non, M.F., ce n'est pas connaître sa religion ; ce n'est avoir qu'une religion de caprice, d'humeur et de penchant. Allez, allez, vous n'êtes que des hypocrites et des réprouvés ! Sans la charité, jamais vous ne verrez le bon Dieu, jamais vous n'irez au ciel !... Donnez votre bien, faites de grandes aumônes à ceux qui vous aiment ou qui vous plaisent, assistez tous les jours à la sainte Messe, communiez tous les jours, si vous voulez ; vous n'êtes que des hypocrites et des réprouvés ; continuez votre route et vous serez bientôt en enfer !... Vous ne pouvez supporter les défauts de votre prochain parce qu'il est trop pénible, vous n'aimez pas à être avec lui. Allez voir, allez, malheureux, vous n'êtes qu'un hypocrite, vous n'avez qu'une fausse religion, qui, avec tout ce que vous faites de bien, vous conduira en enfer. Ô mon Dieu ! que cette vertu est rare ! Hélas ! elle est aussi rare que sont rares ceux qui iront au ciel. Je n'aime pas même les voir, direz-vous ; à l'église, ils me donnent des distractions avec toutes leurs manières. Ah ! malheureux, dites plutôt que vous n'avez pas la charité, et que vous n'êtes qu'un misérable, qui n'aimez que ceux qui entrent dans vos sentiments ou vos intérêts, qui ne vous contredisent en rien, et qui vous flattent de vos bonnes œuvres, qui aiment à vous remercier de vos bienfaits et qui vous paient de reconnaissance. Vous ferez tout pour ceux-ci, vous ne craignez pas même de vous priver de votre nécessaire pour les soulager ; mais, s'ils vous méprisent ou paient d'ingratitude, vous ne les aimez plus, vous ne voulez plus les voir, vous fuyez leurs compagnies ; vous êtes content de couper court aux entretiens que vous avez avec eux. Ô mon Dieu ! que de fausses dévotions qui ne peuvent nous conduire que parmi les réprouvés ! Si vous en doutez, M.F., écoutez saint Paul, qui ne peut vous tromper : « Quand, nous dit-il, je donnerais tout mon bien aux pauvres, quand je ferais des miracles en ressuscitant les morts, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien autre qu'un hypocrite . » Mais pour mieux vous en convaincre, parcourez toute la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, voyez toutes les Vies des Saints, vous n'en trouverez aucun qui n'ait pas cette vertu : c'est-à-dire, qui n'ait pas aimé ceux qui lui faisaient des injures, qui lui voulaient du mal, qui le payaient d'ingratitude pour ses bienfaits. Non, non, vous n'en verrez pas un qui n'ait pas préféré de faire du bien à celui qui lui aura fait quelques torts. Voyez saint François de Sales, qui nous dit que, s'il n'avait qu'une bonne œuvre à faire, il choisirait celui qui lui a fait quelque outrage, plutôt que celui qui lui a rendu quelque service. Hélas ! M.F., qu'une personne qui n'a pas la charité va loin pour le mal ! Si une personne lui a fait quelque peine, vous la voyez examiner toutes ses actions ; elle les juge, elle les condamne, elle les tourne en mal, toujours croyant avoir raison. – Mais, me direz-vous, il y a bien des fois que l'on voit qu'ils agissent mal, l'on ne peut pas penser autrement. – Mon ami, comme vous n'avez point de charité, vous croyez qu'ils font mal ; mais si vous aviez la charité, vous penseriez bien autrement, parce que vous penseriez toujours que vous pouvez bien vous tromper, comme cela arrive si souvent ; et pour vous en convaincre, en voici un exemple, que je vous prie de ne jamais effacer de votre esprit, surtout quand vous penserez que votre prochain fait mal. Il est rapporté dans l'histoire des Pères du désert , qu'un solitaire nommé Siméon, étant resté plusieurs années dans la solitude, il lui vint la pensée d'aller dans le monde ; mais il demanda au bon Dieu que jamais de sa vie, les hommes ne connussent ses intentions. Le bon Dieu lui ayant accordé cette grâce, il alla dans le monde. Il contrefaisait le fou, il délivrait les possédés du démon, et il guérissait les malades ; il allait dans les maisons des femmes de mauvaise vie ; leur faisait jurer qu'elles n'aimeraient que lui, leur donnant tout l'argent qu'il avait. Tout le monde le regardait comme un solitaire qui avait perdu l'esprit. L'on voyait tous les jours cet homme, qui avait plus de soixante-dix ans, jouer avec les enfants dans les rues ; d'autres fois, il allait se jeter au travers des danses publiques pour sauter avec les autres, en leur disant quelques mots qui leur montraient bien le mal qu'ils faisaient. Mais on regardait cela comme venant d'un fou, et l'on ne faisait que le mépriser. D'autres fois, il montait sur les théâtres, d'où il jetait des pierres à tous ceux qui étaient en bas. Quand il voyait des personnes qui étaient possédées du démon, il se mettait avec elles, et contrefaisait le possédé comme si lui-même l'eût été. On le voyait courir dans les auberges, se mettre avec les ivrognes ; dans les marchés, il se roulait par terre, et faisait mille autres choses toutes fort extravagantes. Tout le monde le condamnait, le méprisait ; les uns le regardaient comme un fou, les autres, comme un libertin et un mauvais sujet qui ne méritait que la prison. Et cependant, M.F., malgré tout cela, c'était un saint, qui ne cherchait que le mépris et à gagner les âmes à Dieu, quoique tout le monde en jugeât mal. Ce qui nous montre que quoique les actions mêmes de notre prochain nous paraissent mauvaises, nous ne devons pas, nous, en juger mal. Souvent nous les jugeons mauvaises, tandis qu'aux yeux de Dieu, elles ne le sont pas. Ah ! que celui qui aurait le bonheur d'avoir la charité, cette belle et incomparable vertu, se garderait bien de juger et de vouloir mal à son prochain ! – Mais, me direz-vous, son caractère est trop mauvais, l'on ne peut pas y tenir. – Vous ne pouvez pas y tenir, mon ami, vous croyez donc être un saint, et sans défaut ? pauvre aveugle ! vous verrez un jour que vous en avez plus fait souffrir à ceux qui sont autour de vous, qu'ils ne vous en ont fait souffrir. C'est l'ordinaire que les plus mauvais croient qu'ils ne font rien souffrir aux autres, et qu'ils ont tout à souffrir des autres. Ô mon Dieu, que l'homme est aveugle, quand la charité n'est pas dans son cœur ! D'un autre côté, si vous n'aviez rien à souffrir de la part de ceux qui sont avec vous, qu'auriez-vous donc à présenter au bon Dieu ? – Quand est-ce donc que l'on pourra connaître que l'on est dans le chemin qui conduit au ciel ? – Non, non, M.F., tant que vous n'aimerez pas ceux qui sont d'une humeur, d'un caractère tout différents du vôtre et même ceux qui vous contredisent en ce que vous faites, vous ne serez qu'un hypocrite et non un bon chrétien. Faites, tant que vous voudrez, des autres biens, cela n'empêchera pas que vous ne soyez damnés. D'ailleurs, voyez la conduite qu'ont tenue les saints, et comment ils se sont comportés envers leur prochain, en voilà un exemple qui nous montre que cette vertu seule semble nous assurer le ciel. Il est rapporté dans l'histoire qu'un solitaire qui avait mené une vie bien imparfaite, du moins en apparence et aux yeux du monde, se trouva à l'heure de la mort si consolé et si content, que son supérieur en fut bien étonné. Pensant que c'était un aveuglement du démon, il lui demanda d'où pouvait venir ce grand contentement ; qu'il savait bien pourtant que sa vie n'avait guère de quoi le rassurer, vu que les jugements de Dieu sont si terribles, même aux plus justes. « Il est vrai, mon père, lui dit le mourant, que je n'ai pas fait des œuvres extraordinaires, et même que je n'ai presque rien fait de bon ; mais j'ai tâché toute ma vie de pratiquer ce grand précepte du Seigneur, qui est d'aimer tout le monde, de penser bien de tous, de supporter les défauts et de les excuser et de leur rendre service ; je l'ai fait toutes les fois que l'occasion s'en est présentée ; j'ai tâché de ne faire du mal à personne, de ne parler mal de personne et de penser bien de tout le monde : voilà mon père, ce qui fait toute ma consolation et mon espérance dans ce moment, et ce qui, malgré toutes mes imperfections, me donne l'espérance que le bon Dieu aura pitié de moi. » Le supérieur fut si étonné de cela, qu'il s'écria avec des transports d'admiration : « Ô mon Dieu ! que cette vertu est belle et précieuse à vos yeux ! » – « Allez, mon fils, dit-il au solitaire, vous avez tout fait et tout accompli, en accomplissant ce commandement ; allez, le ciel vous est assuré. » Ah ! M.F., si nous connaissions bien cette vertu, et quel en est le prix aux yeux de Dieu, avec quel empressement ne saisirions-nous pas toutes les occasions de la pratiquer, puisqu'elle renferme toutes les autres vertus et nous assure si bien le ciel ? Non, non, M.F., nous ne sommes que des hypocrites, tant que cette vertu n'accompagnera pas toutes nos actions. Mais, pensez-vous en vous-mêmes, d'où vient que nous n'avons pas cette charité, puisqu'elle nous rend déjà si heureux dans ce monde par la paix et l'union qui règnent entre ceux qui ont le grand bonheur de l'avoir ? – M.F., trois choses nous la font perdre, savoir : l'avarice, l'orgueil, et l'envie. Dites-moi, pourquoi est-ce que vous n'aimez pas cette personne ? Hélas ! c'est parce qu'elle n'entre pas dans vos intérêts ; qu'elle aura dit quelques paroles contre vous, ou fait quelque chose qui ne vous a pas convenu ; ou bien parce que vous lui avez demandé quelque service qu'elle vous a refusé ; ou bien qu'elle aura fait quelque profit que vous espériez faire : voilà ce qui vous empêche de l'aimer comme vous le devez. Vous ne faites pas attention que tant que vous n'aimerez pas votre prochain, c'est-à-dire, tout le monde, comme vous voudriez que l'on vous aimât, vous êtes un... que si vous veniez à mourir, vous seriez damné. Cependant vous aimez encore à nourrir dans votre cœur des sentiments qui ne sont pas bien charitables, vous fuyez ces personnes ; mais, prenez bien garde, mon ami, que le bon Dieu ne vous fuie pas aussi. Ne perdez jamais de vue qu'autant de temps que vous n'aimez pas votre prochain, le bon Dieu est en fureur contre vous ; si vous veniez à mourir, il vous précipiterait de suite en enfer. Ô mon Dieu ! peut-on bien vivre avec la haine dans le cœur !... Hélas ! mon ami, vous n'êtes plus qu'un abominable aux yeux de Dieu, si vous êtes sans charité, Est-ce parce que vous voyez de grands défauts dans votre voisin ? Hélas ! mon ami, soyez bien persuadé, que vous en avez encore de bien plus grands aux yeux de Dieu et que vous ne connaissez pas. Il est vrai que nous ne devons pas aimer les défauts et les vices du pécheur ; mais nous devons aimer sa personne ; car, quoique pécheur, il ne laisse pas que d'être la créature de Dieu et son image. Si vous voulez n'aimer que ceux qui n'ont point de défauts, vous n'aimerez personne, parce que personne n'est sans défauts. Raisonnons, M.F., en meilleurs chrétiens : plus un chrétien est pécheur, plus il est digne de compassion et de posséder une place dans notre cœur. Non, M.F., tant mauvais que soient ceux avec qui nous vivons, nous ne devons pas les haïr ; mas, à l'exemple de Jésus-Christ, les aimer plus que nous-mêmes. Voyez comment Jésus-Christ, qui est notre modèle, s'est comporté envers ses ennemis : il a prié pour eux et il est mort pour eux. Qui a porté les apôtres à traverser les mers, et à aller finir leur vie par le martyre ? N'est-ce pas l'amour pour leurs ennemis ? Voyez la charité de saint François-Xavier, qui quitta sa patrie et tous ses biens, pour aller habiter parmi des barbares, qui lui font souffrir tout ce qu'il est possible de faire souffrir à un chrétien, sinon la mort. Voyez un saint Abraham, soli taire, qui quitta sa solitude pour aller prêcher la foi dans un pays où personne n'avait pu la faire recevoir. N'est-ce pas sa charité qui fut cause qu'il fut frappé et traîné par terre jusqu'à être laissé demi-mort. Ne pouvait-il pas les laisser dans leur aveuglement ? Oui, sans doute, mais sa charité, le grand désir de sauver leurs pauvres âmes, lui fait souffrir toutes ces injures . Oui, M.F., celui qui a la charité ne voit point de défauts dans son frère, mais seulement la nécessité de l'aider à sauver son âme, quoi qu'il en coûte. Nous disons que, si nous aimons bien notre prochain, nous prendrons bien garde de ne pas le scandaliser et de rien faire qui puisse le détourner du bien pour le porter au mal. Oui, M.F., nous devons aimer tout le monde et lui faire du bien autant que nous le pouvons pour l'âme et pour le corps ; parce que Jésus-Christ nous dit, que quand nous faisons quelque bien au prochain dans son corps, nous le faisons à lui-même ; mais, à bien plus forte raison, quand nous l'aidons à sauver son âme. Ne perdons jamais de vue ces paroles de Jésus-Christ, qui nous dit dans l'Évangile : « Venez, les bénis de mon Père, j'ai eu faim, vous m'avez donné à manger, etc.  » Voyez la charité de saint Sérapion, qui quitta son habit pour le donner à un pauvre ; il en rencontra un autre, il lui donna son habit de dessous ; ne lui restant plus que son livre d'évangile, il va le vendre pour pouvoir donner encore. Son disciple lui demanda qui l'avait ainsi dépouillé ? Il lui dit, qu'il avait lu dans son livre : « Vendez et donnez tout ce que vous avez aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ; c'est pour cela que j'ai vendu jusqu'à mon livre. » Il alla encore plus loin, il se donna lui-même à une pauvre veuve pour se faire vendre, afin qu'elle eût de quoi nourrir ses enfants ; et, étant conduit parmi les barbares, il eut le grand bonheur d'en convertir un grand nombre. Oh ! belle vertu ! si nous avions le bonheur de vous posséder, que d'âmes nous mènerions au bon Dieu !.... Quand saint Jean l'Aumônier pensait à cette belle action de saint Sérapion : « J'avais cru, disait-il à ses amis, avoir fait quelque chose, en donnant tout mon argent aux pauvres ; mais j'ai reconnu que je n'ai encore rien fait, parce que je ne me suis pas donné moi-même comme le bienheureux Sérapion, qui se donna pour nourrir les enfants d'une veuve . » Concluons, M.F., que la charité est une des plus belles vertus, et qui nous assure le plus l'amitié du bon Dieu ; avec d'autres vertus, nous pouvons encore être dans le chemin de l'enfer ; mais avec la charité, qui est universelle, qui ne fuit point, qui aime ses ennemis comme ses amis, qui fait du bien à ceux qui lui font du mal, comme à ceux qui lui font du bien !... celui qui la possède est sûr que le ciel est pour lui !... C'est le bonheur que je vous souhaite. 13ème DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE Sur l'Absolution Quorum remiseritis peccata, remittuntur eis : et quorum retinueritis, retenta sunt. Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez. (S. Jean, XX, 23.) Qu'il en a coûté, M.F., à ce divin Sauveur pour donner l'efficacité à ces paroles : « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et retenus à ceux à qui vous les retiendrez ! » Hélas ! que de tourments, que d'opprobres et quelle mort douloureuse !... Mais nous sommes si aveugles, si grossiers, si peu spirituels, que la plupart croient qu'il ne tient qu'au prêtre de donner ou de refuser l'absolution comme il lui plaît. Non, M.F., nous nous trompons grossièrement ; un ministre du sacrement de Pénitence n'est que le dispensateur des grâces et des mérites de Jésus-Christ  ; il ne peut les donner que selon les règles qui lui sont prescrites. Hélas ! de quelle frayeur ne doit pas être saisi un pauvre prêtre, en exerçant un ministère si redoutable, où il est dans un danger si grand de se perdre lui-même en voulant sauver les autres. Quel terrible rendement de compte pour un pauvre prêtre, lorsque le jugement viendra et que toutes ces absolutions lui seront remises devant les yeux par Dieu même, pour examiner s'il n'a point été ou trop prodigue des grâces du ciel, ou trop sévère. Hélas ! M.F., qu'il est difficile de marcher toujours bien droit !... Que de prêtres, au jugement, voudraient n'avoir pas été prêtres, mais simples laïques ! Que de fidèles vont aussi se trouver coupables, qui, peut-être n'ont jamais prié Dieu pour leurs pasteurs qui se sont exposés à se perdre pour les sauver !... Mais, si un prêtre a le pouvoir de remettre les péchés, il a aussi le pouvoir de les retenir, et saint Grégoire le Grand nous dit qu'un prêtre doit bien examiner quelles sont les dispositions du pécheur, avant de lui donner l'absolution. Il doit voir si son cœur est changé, s'il a bien pris toutes les résolutions que doit avoir un grand pécheur converti. Il est donc évident que le ministre de la pénitence doit différer ou refuser l'absolution à certains pécheurs, sous peine de se damner lui-même avec son pénitent. Je vais donc vous montrer ou vous apprendre, 1° ce que c'est que l'absolution ; 2° quels sont ceux à qui il faut la donner ou la refuser : matière bien intéressante, puisqu'il s'agit de votre salut ou de votre perte. Que l'homme est heureux, M.F., mais qu'il est cou pable ! Je dis qu'il est heureux ; puisque, après avoir perdu son Dieu, le ciel et son âme, il peut encore espérer trouver des moyens si faciles pour réparer cette grande perte, qui est celle d'une éternité de bonheur. Le riche qui a perdu sa fortune, souvent ne peut point, malgré sa bonne volonté, la rétablir ; mais le chrétien a-t-il perdu sa fortune éternelle ? il peut la recouvrer sans qu'il lui en coûte rien, pour ainsi dire. Ô mon Dieu ! que vous aimez les pécheurs, puisque vous nous fournissez tant de moyens de recouvrer le ciel ! Je dis que nous sommes bien coupables de pouvoir gagner tant de biens et de tout mépriser ! Vous avez perdu le ciel, mon ami, et pourquoi voulez-vous vivre dans une telle pauvreté ?... Mon Dieu ! que l'homme pécheur peut éviter son malheur, et quelle facilité n'a-t-il pas de pouvoir le réparer ! I. – Si vous me demandez ce que c'est que l'absolution, je vous dirai que c'est un jugement que le prêtre prononce, au nom et par l'autorité de Jésus-Christ, et par lequel nos péchés sont aussi remis, aussi effacés que si nous ne les avions jamais commis, si celui qui les confesse la reçoit avec les dispositions que demande ce sacrement. Ah ! M.F., qui de nous pourra s'empêcher d'admirer l'efficacité de ce jugement de miséricorde ? Ô moment heureux pour un pécheur converti !... À peine le ministre a-t-il prononcé ces paroles : « Je vous absous », que l'âme est lavée, purifiée de toutes ses souillures, par le sang précieux qui coule sur elle. Mon Dieu ! que vous êtes bon pour un pécheur !... Disons encore, M.F., que notre pauvre âme est arrachée de la tyrannie du démon et rétablie dans l'amitié et la grâce de son Dieu ; elle recouvre la paix, cette paix si précieuse, qui fait tout le bonheur de l'homme dans ce monde et dans l'autre ; l'innocence lui est rendue, avec tous ses droits au royaume de Dieu, que ses péchés lui avaient ravis. Dites-moi, M.F., ne devons-nous pas être pénétrés et attendris jusqu'aux larmes à la vue de tant de merveilles ? Auriez-vous pu penser que, chaque fois qu'un pécheur reçoit l'absolution, tous ces biens lui soient accordés ! Mais tout cela n'est donné et ne doit être donné qu'à ceux qui le méritent, c'est-à-dire, qui sont pécheurs, il est vrai, mais pécheurs convertis, qui regrettent leur vie passée, non seulement parce qu'ils ont perdu le ciel, mais parce qu'ils ont été conduits à outrager celui qui mérite d'être infiniment aimé. II. – Si vous désirez savoir quand on doit vous différer ou refuser l'absolution, le voici : écoutez-le bien et gravez-le dans votre cœur, afin que, chaque fois que vous irez vous confesser, vous puissiez connaître si vous méritez d'être absous ou renvoyés. Je trouve huit raisons qui doivent porter le prêtre à vous différer l'absolution, c'est l'Église elle-même qui a donné ces règles sur lesquelles le prêtre ne doit pas passer ; s'il les dépasse, malheur à lui et à celui qu'il conduit : c'est un aveugle qui en conduit un autre, ils se précipitent tous deux dans les enfers . Le devoir du ministre est de bien appliquer ces règles, et le vôtre, de ne jamais murmurer lorsqu'il ne vous donne pas l'absolution. Si un prêtre vous la refuse, c'est parce qu'il vous aime et qu'il désire véritablement sauver votre pauvre âme, et vous ne connaîtrez cela qu'au jour du jugement : c'est alors que vous verrez que ce n'était que le désir qu'il avait de vous conduire au ciel qui l'a porté à vous différer l'absolution. S'il vous l'avait accordée, comme vous le désiriez, vous seriez damné. Vous ne devez donc jamais, M.F., mur murer lorsqu'un prêtre ne vous donne pas l'absolution ; au contraire, vous devez en remercier le bon Dieu, et travailler de toutes vos forces à mériter ce bonheur. Je dis 1° que ceux qui ne sont pas assez instruits ne méritent pas l'absolution : le prêtre ne doit pas la leur donner, et ne le peut sans se rendre coupable ; parce que tout chrétien est obligé de connaître Jésus-Christ, avec ses mystères, avec sa doctrine, ses lois et ses sacrements. Saint Charles Borromée, archevêque de Milan, nous dit expressément, que l'on ne doit pas donner l'absolution à ceux qui ne connaissent pas les principaux mystères du christianisme, et les obligations particulières de leur état : « Surtout, nous dit-il, quand on reconnaît que leur ignorance vient de leur indifférence pour leur salut. » Les lois de l'Église défendent de donner l'absolution aux pères et aux mères, aux maîtres et maîtresses qui n'instruisent pas leurs enfants ou leurs domestiques, ou qui ne les font pas instruire par d'autres de tout ce qui est nécessaire pour être sauvé ; qui ne veillent pas sur leur conduite ; qui négligent de les corriger de leurs désordres et de leurs défauts. Vous dire que ceux qui ne savent pas ce qui est nécessaire pour être sauvé, ne méritent pas l'absolution, c'est comme si je disais à une personne qu'elle est dans le précipice sans lui donner les moyens d'en sortir. Je vais donc vous montrer ce que vous devez savoir pour sortir de cet abîme d'ignorance ; gravez-le bien dans vos cœurs, afin qu'il ne s'y efface jamais, que vous l'appreniez à vos enfants et que vos enfants l'apprennent à d'autres. Renouvelons, M.F., ce que je vous ai dit déjà plusieurs fois : un chrétien doit savoir le Notre Père, le Je vous salue Marie, le Je crois en Dieu, le Confesse à Dieu, les trois actes de Foi, d'Espérance et d'Amour, les Commandements de Dieu et de l'Église, et son acte de Contrition. Je ne veux pas seulement dire : les mots ; parce qu'il faudrait être furieusement ignorant pour ne le point savoir ; mais il faut que, si l'on vous interroge, vous puissiez rendre compte de l'explication de chaque article en particulier, et de ce qu'ils veulent dire. Voilà ce que l'on vous demande, et non de savoir les mots. Il faut que vous sachiez que le Notre Père a été composé par Dieu même ; que le Je vous salue Marie, a été composé, une partie par l'ange, lorsqu'il vint trouver la sainte Vierge pour lui annoncer le mystère de l'Incarnation , et l'autre partie par l'Église ; il faut que vous sachiez que le Crois en Dieu a été composé par les Apôtres après la descente du Saint-Esprit, avant de se disperser dans le monde ; ce qui fait que dans tous les lieux du monde l'on enseigne la même religion et les mêmes mystères. Il renferme l'abrégé de toute notre sainte religion, le mystère de la sainte Trinité, qui est un seul Dieu en trois personnes, que c'est le Père qui nous a créés, que c'est le Fils qui nous a rachetés par sa mort et ses souffrances, et que c'est le Saint-Esprit qui nous a sanctifiés dans le saint Baptême. Lorsque vous dites : « Je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur, etc., » c'est comme si vous disiez : Je crois que le Père éternel a tout créé, nos corps et nos âmes, que le monde n'a pas toujours été, qu'il ne durera pas toujours, qu'un jour tout sera anéanti... « Je crois en Jésus-Christ, » c'est comme si vous disiez : Je crois que Jésus-Christ, la seconde personne de la sainte Trinité s'est fait homme, qu'il a souffert, qu'il est mort pour nous racheter, pour nous mériter le ciel que le péché d'Adam nous avait ravi. « Je crois au Saint-Esprit, à la sainte Église catholique, etc., » c'est comme si vous disiez : Je crois qu'il n'y a qu'une religion, qui est celle de l'Église, que c'est Jésus-Christ lui-même qui l'a établie, qu'il y a renfermé toutes ses grâces, que tous ceux qui ne sont pas dans cette Église ne seront pas sauvés, et que cette Église doit durer jusqu'à la fin du monde. Lorsque vous dites : Je crois à la communion des saints, » c'est comme si vous disiez : Je crois que tous les chrétiens se font part de leurs prières, de toutes leurs bonnes œuvres, je crois que les saints qui sont dans le ciel prient le bon Dieu pour nous, et que nous pouvons prier pour ceux qui sont dans les flammes du purgatoire. Lorsque vous dites : « Je crois à la rémission des péchés, » c'est comme si vous disiez : Je crois qu'il y a, dans l'Église de Jésus-Christ, des sacrements qui remettent toutes sortes de péchés, et qu'il n'y a point de péchés que l'Église de Jésus-Christ ne puisse remettre. En disant : « La résurrection de la chair, » cela veut dire que nos mêmes corps, que nous avons maintenant, ressusciteront un jour, que nos âmes y rentreront pour aller dans le ciel, si nous avons eu le bonheur de bien servir le bon Dieu, ou pour aller en enfer y brûler pendant l'éternité si... En disant : « Je crois à la vie éternelle, » c'est dire : Je crois que l'autre vie ne finira jamais, que notre âme durera autant que Dieu lui-même, qui est sans fin. Lorsque vous dites : « D'où il viendra juger les vivants et les morts, » c'est comme si vous disiez : Je crois que Jésus-Christ est dans le ciel en corps et en âme, et que c'est lui-même qui viendra pour nous juger, pour récompenser ceux qui auront bien fait et pour punir ceux qui l'auront méprisé. Il faut savoir que les Commandements de Dieu ont été donnés à Adam en le créant ; c'est-à-dire que Dieu les grava dans son cœur, et qu'après qu'Adam eût péché, Dieu les donna à Moïse écrits sur des tables de pierre, sur le mont Sinaï . Ce sont les mêmes que Dieu renouvela lui-même, lorsqu'il vint sur la terre pour nous sauver tous . Je dis que vous devez savoir vos trois actes, de Foi, d'Espérance et de Charité. Je ne veux pas dire, encore simplement les mots, qui est-ce qui ne les sait pas ? mais le sens de ces actes. La foi nous fait croire tout ce que l'Église nous enseigne, quoique nous ne puissions pas le comprendre ; elle nous fait croire que Dieu nous voit, veille à notre conservation, qu'il nous récompensera ou nous punira, selon que nous aurons bien ou mal fait ; qu'il y a un ciel pour les bons et un enfer pour les méchants ; que Dieu a souffert et qu'il est mort pour nous. L'espérance nous fait faire toutes nos actions dans la vue de plaire à Dieu, parce qu'elles seront récompensées pendant toute l'éternité. Nous devons croire que la foi ni l'espérance ne seront plus nécessaires dans le ciel, ou plutôt que nous n'aurons ni la foi ni l'espérance : rien à croire parce qu'il n'y aura plus de mystères, ni rien à espérer, puisque nous verrons tout ce que nous aurons dû croire et que nous posséderons tout ce que nous aurons espéré ; il n'y aura plus que l'amour, qui nous consumera pendant toute l'éternité ; ce qui fera tout notre bonheur. Dans ce monde, l'amour de Dieu consiste à aimer le bon Dieu au-dessus de tout ce qui est créé, le préférer à tout, même à notre vie. Voilà, M.F., ce que l'on veut dire lorsqu'on dit que vous devez savoir le Notre Père, le Salue, Marie, le Crois en Dieu, le Confesse à Dieu, le Un seul Dieu et vos trois actes. Si vous ne savez pas cela, vous ne savez pas ce qui est nécessaire pour vous sauver ; il faut au moins que si l'on vous interroge sur ce que je viens de vous dire, vous puissiez y répondre. Ce n'est pas encore tout : il faut que vous sachiez ce que c'est que le mystère de l'Incarnation et ce que veut dire ce mot d'Incarnation. Il faut que vous sachiez que ce mystère veut dire que la seconde personne de la sainte Trinité a pris un corps comme le nôtre dans le sein de la très sainte vierge Marie, par l'opération du Saint-Esprit. Nous honorons ce mystère le 25 mars, le jour de l'Annonciation ; car c'est dans ce jour que le Fils de Dieu a uni, a joint sa divinité à notre humanité ; qu'il a pris un corps comme le nôtre, sinon le péché, et qu'il s'est chargé de tous nos péchés pour satisfaire à la justice de son Père. Il faut savoir que c'est le 25 décembre que Jésus-Christ est venu au monde, à minuit, le jour de Noël. Vous savez que l'on dit trois messes ce jour, pour honorer les trois naissances de Jésus-Christ : la première, dans le sein de son Père, qui est de toute éternité ; la seconde, sa naissance corporelle dans la crèche, et la troisième, sa naissance dans nos âmes par la sainte communion . Il faut que vous sachiez que c'est le jeudi saint que Jésus-Christ a institué le sacrement adorable de l'Eucharistie . La veille de sa mort, étant avec ses apôtres, il prit du pain, le bénit, le changea en son corps. Il prit du vin avec un peu d'eau, le changea en son sang, et donna à tous les prêtres, en la personne de ses apôtres, le pouvoir de faire le même miracle toutes les fois qu'ils prononceraient les mêmes paroles : ce qui se fait pendant la sainte Messe lorsque le prêtre prononce les paroles de la consécration. Il faut savoir que c'est le vendredi saint que Jésus-Christ est mort, c'est-à-dire, qu'il est mort comme homme et non comme Dieu ; parce que, comme Dieu, il ne pouvait pas mourir ; qu'il est ressuscité le saint jour de Pâques, cela veut dire, que son âme s'est réunie à son corps, et qu'après être resté quarante jours sur la terre, il est monté au ciel le jour de l'Ascension  ; que le Saint-Esprit est descendu sur les apôtres le jour de la Pentecôte. Il faut que si l'on vous interroge et si l'on vous demande quand est-ce que les sacrements ont été institués par Jésus-Christ ou quand ils ont eu leur effet, c'est-à-dire, nous ont communiqué toutes ses grâces, il faut que vous puissiez dire que ce n'est qu'après la Pentecôte. – Si l'on vous demandait qui les a institués, il faut répondre qu'il n'y a que Jésus-Christ qui ait pu les instituer : ce n'est ni la sainte Vierge ni les apôtres. Il faut que vous sachiez combien il y en a, quels sont les effets de chaque sacrement, et quelles sont les dispositions qu'il faut avoir pour les recevoir ; il faut que vous sachiez que le Baptême efface en nous le péché originel, qui est le péché d'Adam, et que nous avons en venant au monde ; que celui de la Confirmation nous est donné par l'évêque, et qu'il nous donne le Saint-Esprit avec l'abondance de ses grâces ; que celui de la Pénitence nous est donné lorsque nous nous confessons, et que, pendant que le prêtre nous donne l'absolution, si nous sommes bien préparés, tous nos péchés sont effacés. Dans la sainte Eucharistie, nous recevons, non la sainte Vierge, ni les anges, ni les saints, mais le Corps adorable et le Sang précieux de Jésus-Christ. Comme Dieu, nous y recevons les trois personnes de la sainte Trinité : c'est-à-dire, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et, comme homme nous ne recevons que le Fils : c'est-à-dire, son corps et son âme unis à sa divinité. – Le sacrement de l'Extrême-Onction est celui qui nous aide à bien mourir, et est institué pour nous purifier des péchés que nous avons commis par tous nos sens. Celui de l'Ordre communique aux hommes le même pouvoir que le Fils de Dieu donna à ses apôtres. Ce sacrement a été institué lorsque Jésus-Christ dit à ses apôtres : « Faites ceci en mémoire de moi , et toutes les fois que vous prononcerez les mêmes paroles, vous opérerez le même miracle. » Le sacrement de Mariage sanctifie les chrétiens qui s'unissent ensemble selon les lois de l'Église et de d'État. Il y a encore à vous dire qu'il y a une différence entre le sacrement de l'Eucharistie et les autres. Dans celui de l'Eucharistie, nous recevons le Corps adorable et le Sang précieux de Jésus-Christ, au lieu que dans les autres nous ne recevons que l'application de son Sang précieux. L'on donne encore le nom de sacrements des morts aux uns, et aux autres le nom de sacrements des vivants. Voici pourquoi l'on dit que le Baptême, la Pénitence et quelquefois l'Extrême-Onction sont des sacrements des morts : parce que notre âme est morte aux yeux de Dieu par le péché. Ces sacrements ressuscitent notre âme à la grâce ; et les autres que l'on appelle sacrements des vivants, c'est parce qu'il faut être en état de grâce pour les recevoir, c'est-à-dire, sans péché. Il faut encore savoir que lorsque Jésus-Christ a souffert sur la croix, le Père ni le Saint-Esprit n'ont point souffert, ni ne sont morts ; mais c'est seulement le Fils qui a souffert et qui est mort comme homme et non comme Dieu. Eh bien ! M.F., si je vous avais interrogés, auriez-vous bien répondu à tout cela ?... Si vous ne savez pas tout ce que je viens de vous dire, vous n'êtes pas suffisamment instruits pour vous sauver. Nous avons dit que les pères et mères, les maîtres et maîtresses doivent être instruits de tout ce qui regarde leur état pour se sauver. Un père, une mère, un maître, une maîtresse doivent connaître toutes les obligations qu'ils ont à remplir envers leurs enfants et leurs domestiques ; c'est-à-dire, connaître parfaitement leur religion, pour l'apprendre à leurs enfants et à leurs domestiques ; sans quoi, ils ne sont que de pauvres malheureux qui se précipitent tous dans les enfers. Hélas ! combien de pères et de mères, de maîtres et de maîtresses qui ne connaissent pas seulement leur religion, qui croupissent avec leurs enfants et leurs domestiques dans une ignorance crasse, et qui n'ont à attendre que la mort pour être jetés en enfer ! Saint Paul nous dit que celui qui ignore ses devoirs mérite d'être ignoré de Dieu . Vous conviendrez avec moi que toutes ces personnes sont indignes de l'absolution, et, si elles ont le malheur de la recevoir, ce n'est qu'un sacrilège qui tombe sur leur pauvre âme. Ô mon Dieu ! que l'ignorance damne du monde ! Nous sommes bien sûrs que ce seul péché en damnera plus que tous les autres ensemble ; parce que, une personne ignorante ne connaît ni le mal qu'elle fait en péchant, ni le bien qu'elle perd ; de sorte qu'une personne ignorante est une personne perdue ! 2° Je dis que l'on doit différer l'absolution à ceux qui ne donnent aucune marque de contrition : c'est-à-dire, de regret des péchés qu'ils ont commis. D'abord, l'expérience nous apprend que nous ne devons guère nous fier à toutes les promesses et à toutes les protestations que l'on fait. Tous nous disent qu'ils sont fâchés d'avoir offensé le bon Dieu, qu'ils veulent se corriger tout de bon, et que, s'ils viennent se confesser, ce n'est que pour cela. Le prêtre, les croyant sincères, leur donne l'absolution. Que s'ensuit-il de toutes ces résolutions ? Le voici : c'est que huit jours après qu'ils ont été absous, ils oublient toutes leurs promesses et « retournent à leur vomissement , » c'est-à-dire, à toutes leurs mauvaises habitudes. Ainsi, toutes les protestations ne sont donc pas des preuves suffisantes de conversion. Jésus-Christ nous dit que « ce n'est qu'au fruit que l'on connaît l'arbre  ; » de même, ce n'est que par le changement de vie que l'on peut connaître si l'on a eu la contrition nécessaire pour être dignes de l'absolution. Lorsqu'on a véritablement renoncé à ses péchés, il ne faut pas se contenter de les pleurer, il faut encore renoncer, quitter et fuir tout ce qui est capable de nous y porter : c'est-à-dire, être prêts à tout souffrir plutôt que de retomber dans les péchés que nous venons de confesser. Il faut que l'on voit en nous un changement entier, sans quoi, nous n'avons pas mérité l'absolution, et il y a tout lieu de croire que nous n'avons fait qu'un sacrilège. Hélas ! qu'il y en a peu en qui l'on voit ce changement après avoir reçu l'absolution !... Mon Dieu ! que de sacrilèges !... Ah ! si du moins toutes les trente absolutions, il y en avait une de bonne, que le monde serait bientôt converti ! Ces personnes ne méritent donc pas l'absolution, qui ne donnent pas des marques suffisantes de contrition. Hélas ! combien de fois, parce qu'on les renvoie, elles ne viennent plus. C'est donc bien parce qu'elles n'avaient pas envie de se convertir, puisque, loin de laisser leur confession jusqu'à une autre Pâque, elles auraient travaillé de tout leur cœur à changer de vie, et à revenir se réconcilier avec le bon Dieu. 3° Je dis que l'on doit refuser l'absolution à tous ceux qui conservent des haines, des ressentiments dans leur cœur, qui refusent de pardonner ou de faire les premières démarches pour se réconcilier ; de sorte, M.F., qu'il faut bien prendre garde de ne jamais recevoir l'absolution lorsque vous avez quelque chose contre votre prochain. Après avoir eu quelque difficulté, il faut que vous soyez aussi bien portés à lui rendre service, et de bonne grâce, que si, toute votre vie, il ne vous avait fait que du bien. Si vous vous contentez de dire que vous ne lui voulez pas de mal, mais que vous le laissez comme il est ; et que vous ne le saluiez pas de bonne grâce, que vous évitiez sa compagnie, que vous en préfériez d'autres à eux : vous ne les aimez pas comme vous le devez, pour que le bon Dieu vous pardonne vos péchés. Dieu ne vous pardonnera qu'autant que vous pardonnerez véritablement votre prochain, et tant que vous ressentirez quelque chose dans votre cœur contre lui, le meilleur est de travailler à déraciner cela ; après, vous recevrez l'absolution. Je sais bien que l'on peut, et même que l'on doit, éviter les compagnies qui peuvent nous exposer à nous disputer avec l'un et avec l'autre, où l'on ne parle que de la conduite des voisins. Par rapport à ces personnes-là, voilà comment il faut se comporter : ne les fréquenter que quand il est nécessaire ; mais ne point leur vouloir de mal, ni en dire ; se contenter de prier le bon Dieu pour elles. Écoutez ce que Jésus-Christ nous dit dans l'Évangile : « Si, étant sur le point de présenter votre offrande à l'autel, vous vous souvenez que votre frère a quelque chose contre vous, ou que vous l'avez offensé, laissez-la votre offrande, et allez, auparavant, vous réconcilier avec votre frère . » « Un jugement, nous dit Jésus-Christ, est réservé à celui qui n'aura pas fait miséricorde à son frère . » Vous comprenez, M.F., aussi bien que moi, que toutes les fois que nous avons quelque chose contre quelqu'un, nous ne devons pas recevoir l'absolution ; parce que ce serait nous exposer à faire un sacrilège, ce qui est le plus grand de tous les malheurs. 4° Je dis que l'on doit traiter de même ceux qui ont fait quelque tort au prochain et qui refusent de réparer le mal qu'ils ont fait ou dans sa personne ou dans ses biens ; l'on ne peut pas même donner l'absolution à une personne qui est à l'article de la mort, qui a des restitutions à faire et qui les laisse à faire à ses héritiers. Tous les Pères disent, que pour celui qui a du bien d'autrui, qui pourrait le rendre et qui ne le rend pas, il n'y a point de pardon ni de salut à espérer pour lui. 5° Je dis que l'on doit refuser l'absolution à ceux qui sont dans l'occasion prochaine de pécher, et qui refusent d'en sortir. L'on appelle occasion prochaine de pécher, tout ce qui peut nous porter ordinairement à le commettre, comme les spectacles, les bals, les danses, les mauvais livres, les conversations déshonnêtes, les chansons profanes, les tableaux indécents, les manières déshonnêtes de s'habiller, les mauvaises compagnies, la fréquentation des personnes de différents sexes, les liaisons avec les personnes avec lesquelles on a déjà péché, etc... Comme sont encore les marchands qui ne savent rien vendre sans mentir ou faire des injures, tels sont les cabaretiers qui donnent à boire aux ivrognes et pendant les offices ou la nuit ; comme encore aux domestiques qui sont sollicités au mal par quelqu'un de la maison. A toutes ces sortes de personnes, le prêtre ne doit et ne peut, sans se damner, leur donner l'absolution, à moins que ces personnes ne promettent de quitter ces choses, et de renoncer à toutes celles qui peuvent les porter au péché, ou qui leur sont une occasion de péché. Autrement, en recevant l'absolution, ils ne peuvent faire qu'un sacrilège. 6° Je dis que l'on doit refuser l'absolution à ceux qui sont scandaleux ; qui, par leurs paroles, leurs conseils et leurs exemples pernicieux, portent les autres au péché ; tels sont ces mauvais chrétiens qui tournent en dérision la parole de Dieu et ceux qui l'annoncent, qu'ils soient leurs pasteurs ou d'autres prêtres ; qui se moquent de la religion, de la piété et des choses saintes ; qui disent des paroles contraires à la foi ou bien aux bonnes mœurs ; ceux qui tiennent dans leurs maisons les veillées, les danses profanes, des jeux défendus ; qui ont des tableaux déshonnêtes, indécents ou de mauvais livres ; comme sont encore les personnes du sexe qui se parent dans l'intention de plaire, qui, par leurs regards, leurs manières, leur tenue de prétention, font commettre tant de fornications et d'adultères de cœur. Un confesseur, dit saint Charles, doit refuser l'absolution à toutes ces personnes, puisqu'il est écrit : « Malheur à celui par qui le scandale arrive . » 7° Je dis que l'on doit refuser l'absolution, c'est-à-dire, la différer aux pécheurs d'habitude, qui retombent depuis longtemps dans les mêmes péchés, qui ne font point, ou du moins font bien peu d'efforts pour se corriger. De ce nombre sont ceux qui ont l'habitude de mentir à tout moment, qui ne s'en font point de scrupule, qui prendront plaisir à dire des mensonges pour faire rire les autres ; comme ceux qui ont l'habitude de médire du prochain, qui ont toujours quelque chose à dire sur son compte ; comme ceux qui jurent ces petits jurements, : Mon Dieu, oui ; mon Dieu, non ; ma foi ; pardi, parbleu, mâtin, le J... F..., B..., F..., S... N... F..., et autres choses semblables ; ceux qui ont l'habitude de manger à toute heure, même sans nécessité ; qui s'impatientent à tout moment, pour un rien ; ceux qui boivent et mangent avec excès ; comme ceux qui ne font pas assez d'efforts pour se corriger de ces pensées d'orgueil, de vanité, des mauvaises pensées contre la pureté ; enfin, je dis que l'on refusera l'absolution à tous ceux qui n'accusent pas eux-mêmes leurs péchés, qui attendent, pour les dire, que le confesseur le leur demande. Ce n'est pas au prêtre à confesser vos péchés, mais bien à vous ; si le prêtre vous fait quelque interrogation, c'est pour suppléer à ce que vous n'auriez pas pu connaître. – Hélas ! à une partie, il faut leur arracher, pour ainsi dire, leurs péchés du fond du cœur ; et il y en a qui se disputeront avec leur confesseur, en disant qu'ils n'ont pas fait grand mal. Il est évident que ces personnes-là ne sont pas dignes de recevoir l'absolution, et qu'elles n'ont pas les dispositions nécessaires que demande ce sacrement pour ne pas le profaner. Tous les Pères sont d'accord sur ce point, que quand il n'y a point de changement ni d'amendement dans une personne qui se confesse, sa pénitence est fausse et trompeuse. Le saint Concile de Trente nous ordonne de ne donner l'absolution qu'à ceux en qui l'on voit la cessation du péché, la haine et la détestation du passé, la résolution et le commencement d'une vie nouvelle. Voilà, M.F., les règles dont un confesseur ne peut s'écarter, sans se perdre lui-même et ses pénitents. Mais voyons maintenant, quelles sont les raisons que l'on donne, pour engager le confesseur à donner l'absolution. Les uns disent que ne pas donner l'absolution à ceux qui vont plusieurs fois se confesser, c'est détruire la religion ; et faire paraître trop difficile à faire ce qu'elle nous commande ; que c'est rebuter les pécheurs, que l'on est cause de ce qu'ils abandonnent la religion ; que c'est les jeter en enfer ; que bien d'autres sont plus faciles ; qu'au moins l'on aurait le plaisir d'en voir, dans la paroisse, un grand nombre qui feraient leurs pâques, et que tous les ans, ils se feraient un plaisir de revenir se confesser ; que de trop vouloir, l'on n'a rien. M.F., tous ceux qui raisonnent de la sorte, sont 1°, ceux qui ne méritent pas cette grâce. Mais, mes amis, dès le commencement de l'Église, tous les Pères ont suivi cette règle : qu'il faut absolument avoir quitté le péché pour recevoir l'absolution. Ces refus ne paraissent durs qu'à des pécheurs impénitents ; cette conduite ne peut rebuter que ceux qui ne pensent pas à se convertir. Que résulte-t-il, M.F., de ces absolutions précipitées ? Vous ne le savez que trop vous-mêmes. Hélas ! une chaîne de sacrilèges. A peine avez-vous été absous, que vous vous replongez dans vos anciens péchés ; la facilité avec laquelle vous avez obtenu votre pardon, vous a fait espérer que vous l'obtiendriez, une autre fois, aussi facilement, et vous avez continué votre même genre de vie ; au lieu que, si l'on vous avait refusé cette absolution, vous seriez rentrés en vous-mêmes ; vous auriez ouvert les yeux sur votre malheur, d'où peut-être vous ne sortirez jamais. Votre pauvre vie n'est qu'une suite d'absolutions et de rechutes. Mon Dieu, quel malheur ! Voilà où vous mène notre malheureuse facilité à vous absoudre. N'est-ce pas plutôt une cruauté de vous donner l'absolution, que de vous la refuser, lorsque vous n'êtes pas en état de la recevoir. Saint Cyprien nous dit qu'un prêtre doit s'en tenir aux règles de l'Église, et attendre que son pénitent donne des marques certaines que son cœur est changé, et qu'il commence à mener une vie toute différente de celle qu'il a menée avant de se confesser : car, Jésus-Christ lui-même, tout Dieu qu'il était, maître de la grâce, n'a accordé le pardon qu'aux vrais pénitents ; il reçut le bon larron, dont la conversion était sincère ; mais il rejeta le mauvais, à cause de son impénitence. Il pardonna à saint Pierre, dont il connaissait le repentir ; mais il abandonna Judas, dont la pénitence était fausse. Qu'il est malheureux pour un prêtre et pour un pénitent, si le prêtre lui donne l'absolution, lorsque le pénitent ne la mérite pas ! si, dans le moment où le ministre dit au pénitent : Je vous absous, Jésus-Christ dit : Moi, je le condamne... Hélas ! que le nombre de ceux-là est grand, puisqu'il y en a si peu qui quittent le péché après avoir reçu l'absolution, et changent de vie ! Tout cela est bien vrai, me direz-vous ; mais, que dira-t-on de moi, après m'avoir vu plusieurs fois confesser et ne point faire de pâques ? L'on va croire que je mène mauvaise vie ; d'ailleurs, j'en connais bien d'autres, plus pécheurs que moi, qui ont bien passé ; vous avez bien reçu un tel, qui a mangé de la viande avec moi ; qui est bien allé les dimanches, aussi bien que moi, à..... – La conscience de l'autre n'est pas la vôtre ; s'il fait mal, il ne faut pas l'écouter. Est-ce que vous voudriez, pour sauver les apparences, vous damner en faisant un sacrilège ? Ne serait-ce pas le plus grand des malheurs ? Vous croyez qu'on vous remarque, parce que l'on vous a vu vous confesser plusieurs fois, et que vous ne communiez pas. Ah ! mon ami, craignez plutôt les yeux de Dieu, devant qui vous avez fait le mal, et ne faites pas attention à tout le reste. Vous dites que vous en connaissez de plus coupables que vous, qui ont passé. Qu'en savez-vous ? Un ange vous est-il venu dire si Dieu ne les a pas changés et convertis ? Et, quand même ils ne seraient pas convertis, devez-vous faire mal parce qu'ils font mal ? Voudriez-vous vous damner, parce que les autres se damnent ? Mon Dieu, quel affreux langage ! – Mais, disent ces pénitents, qui non seulement ne sont pas convertis, mais encore, qui ne désirent pas même de se convertir, mais bien seulement de sauver les apparences. Quand faudra-t-il donc venir pour communier, je ne voudrais guère attendre ? – Quand il faudra venir pour communier ? Écoutez saint Jean Chrysostome ; il va lui-même nous apprendre quand il faudra venir pour communier. Est-ce à Pâques, à la Pentecôte, à Noël ? Non, vous dit-il. Est-ce à l'article de la mort ? Non, vous dit-il encore. Quand est-ce donc ? C'est, vous dit-il, quand vous aurez renoncé, pour tout de bon, au péché, et serez bien résolus de ne plus y retomber, avec le secours de la grâce du bon Dieu ; quand vous aurez rendu ce bien qui n'est pas à vous ; que vous vous serez réconciliés avec votre ennemi ; c'est quand vous serez véritablement convertis. – D'autres pécheurs nous diront : Si vous êtes si difficile, nous irons à d'autres, qui nous passeront bien. Voilà tant de fois que je viens ; j'ai autre chose à faire que de courir les chemins ; de longtemps je ne reviens ; je vois bien que vous m'en voulez. Quel mal ai-je donc tant fait ? – Vous irez en trouver un autre, mon ami, vous êtes maître d'aller à qui bon vous semblera ; mais, croyez-vous qu'un autre voudra, mieux que moi, se damner. Non, sans doute. S'il vous reçoit, c'est qu'il ne vous connaît pas assez. Voulez-vous savoir ce que c'est qu'une personne qui parle de la sorte, et qui va chercher une absolution ailleurs ? Écoutez et tremblez. Elle quitte son guide, qui peut bien la conduire, pour chercher un passeport pour aller droit en enfer. – Mais, me direz-vous, voilà tant de fois que je viens. – Eh bien ! mon ami, corrigez-vous, et il vous passera la première fois que vous reviendrez. – De longtemps, dites-vous, je ne reviens pas. – Tant pis, pour vous seul, mon ami. En ne revenant plus, vous allez à pas de géant du côté de l'enfer. Il y en a qui sont si aveuglés, qu'ils vont jusqu'à croire que le confesseur leur en veut, puisqu'il ne leur donne pas l'absolution. Sans doute, mon ami, il vous en veut ; mais c'est le salut de votre pauvre âme qu'il veut de vous ; c'est pour cela, qu'il ne veut pas vous donner une absolution, qui, bien loin de vous sauver, vous damnerait pour l'éternité. Mais, dites-vous, quel mal ai-je donc tant fait ? Je n'ai ni tué, ni volé... – Vous n'avez ni tué, ni volé, dites-vous ? Mais, mon ami, l'enfer renferme d'autres personnes qui n'ont ni tué, ni volé ; il y a plus que ces deux péchés qui traînent les âmes en enfer. Mais, si nous étions assez lâches pour vous donner l'absolution, lorsque vous ne la méritez pas, ce serait être le bourreau de votre pauvre âme, qui a tant coûté de souffrances à Jésus-Christ . Écoutez, M.F., ce trait d'histoire, qui va nous apprendre quels sont les effets de ces absolutions précipitées, sans que le pénitent y soit disposé. Saint Charles Borromée nous rapporte qu'un homme riche de Naples menait une vie qui n'était guère chrétienne. Il s'adressa à un confesseur qui passait pour être bien indulgent et bien facile. Ce prêtre, en effet, n'eut pas plus tôt entendu ce pénitent, qu'il lui donna l'absolution sans aucune preuve de repentir. Le gentilhomme, quoique sans religion, étonné de cette facilité que beaucoup de confesseurs sages et éclairés n'avaient pas eue pour lui, se lève brusquement, et tirant quelques pièces de monnaie de sa poche : « Tenez, mon Père, lui dit-il, recevez, ces pièces et conservez-les bien jusqu'à ce que nous nous retrouvions ensemble dans le même lieu. – Quand, et dans quel lieu nous reverrons-nous, lui répondit le prêtre tout étonné ? – Mon Père, ce sera au fond des enfers, où nous serons bientôt l'un et l'autre ; vous, pour m'avoir donné l'absolution dont j'étais indigne, et moi, pour avoir été assez malheureux que de la recevoir sans avoir été converti. » Que pensez-vous de cela, M.F. ? Méditons-le ensemble ; il y a de quoi faire trembler les uns et les autres. – Mais, me direz-vous, quand est-ce donc qu'on peut recevoir l'absolution ? Aussitôt que vous serez con vertis, que vous aurez changé dans votre manière de vivre ; que vous prierez bien le bon Dieu qu'il fasse connaître à votre confesseur quelles sont les dispositions de votre cœur ; lorsque vous aurez accompli bien exactement tout ce que votre confesseur vous aura prescrit, et que vous ne manquerez pas de revenir dans le temps qu'il vous a dit. Il est rapporté d'un pécheur qui se convertit dans une mission, qu'après sa confession, le prêtre le vit si bien disposé, qu'il allait lui donner l'absolution. Ce pauvre homme lui dit : « Eh quoi ! mon Père, à moi l'absolution ! ah ! laissez-moi pleurer quelque temps les péchés que j'ai eu le malheur de commettre ; éprouvez-moi, afin que vous soyez assuré que mon repentir est sincère. » – En recevant l'absolution, il croyait mourir de douleur. Mon Dieu ! que ces dispositions sont rares ! mais que les confessions bonnes le sont aussi ! Concluons, que nous ne devons jamais presser notre confesseur de nous donner l'absolution, parce que nous devons toujours trembler de n'être pas prêts, c'est-à-dire, assez convertis. Demandons au bon Dieu qu'il nous convertisse, en nous confessant, afin que nos péchés soient véritablement pardonnés. C'est le bonheur que je vous souhaite.

 

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