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17ème DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE Sur l'amour de Dieu Diliges Dominum Deum tuum. Vous aimerez le Seigneur votre Dieu. (S. Luc, x, 27.) Nous lisons dans l'Évangile, M.F., qu'un jeune homme s'étant présenté devant Jésus-Christ, lui dit : « Maître, que faut-il faire pour avoir la vie éternelle ? » Jésus-Christ lui répondit : « Qu'est-il écrit dans la loi ? » – « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu, lui répondit le jeune homme, de tout votre cœur, de toute votre âme et de toutes vos forces, et le prochain comme vous-même. » – « Mais je fais tout cela. » – « Eh bien ! lui repartit Jésus-Christ, vendez votre bien, donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel. » Ce mot de vendre son bien pour le donner aux pauvres, le chagrina grandement. Jésus-Christ voulait lui montrer que c'est par les œuvres et non par les paroles que nous faisons voir si nous aimons véritablement le bon Dieu. Si, pour l'aimer, nous dit saint Grégoire, il suffisait de dire qu'on l'aime, cet amour divin ne serait pas aussi rare qu'il l'est, parce qu'il n'y a pas une personne qui, étant interrogée si elle aime le bon Dieu, ne réponde aussitôt qu'elle l'aime de tout son cœur : le juste le dira et le pécheur aussi, encore le juste ne le dira-t-il qu'en tremblant, à l'exem ple de saint Pierre  ; au lieu que le pécheur le dira peut-être avec un ton d'assurance, qui semblera répon dre de sa sincérité ; mais il se trompe grandement, parce que l'amour de Dieu ne consiste pas dans les paroles, mais dans les œuvres . Oui, M.F., aimer le bon Dieu de tout son cœur est une chose si juste, si raisonnable, et, en quelque sorte, si naturelle, que ceux d'entre nous dont la manière de vivre lui est le plus opposée, ne laissent pas que de prétendre et d'être persuadés qu'ils l'aiment. Pourquoi tous croient-ils qu'ils aiment le bon Dieu, quoique leur conduite soit tout à fait opposée à cet amour divin ? Ah ! M.F., c'est que tout le monde cherche son bonheur, et que cet amour seul peut nous le procurer ; voilà pourquoi l'on veut se persuader que l'on aime le bon Dieu. Cependant rien de si rare que cet amour divin. Voyons donc en quoi consiste cet amour, et à quoi nous pouvons connaître si nous aimons Dieu. Pour mieux le comprendre, considérons, d'un côté, ce que Jésus-Christ a fait pour nous, et de l'autre, ce que nous devons faire pour lui. I. – Il est très certain, M.F., que le bon Dieu ne nous a créés que pour l'aimer et le servir. Toutes les créatures qui sont sur la terre sont créées pour l'homme, mais l'homme est créé pour aimer le bon Dieu. Pourquoi est-ce, M.F., que le bon Dieu nous a donné un cœur dont les désirs sont si vastes et si étendus, que rien de créé n'est capable de le rassasier ? C'est afin de nous forcer, en quelque sorte, à ne nous attacher qu'à lui et à n'aimer que lui ; parce qu'il n'y a que lui qui puisse nous contenter. Quand l'homme posséderait l'univers entier, il ne sera jamais pleinement satisfait ; il lui restera toujours quelque chose à désirer, de sorte que rien de créé ne pourra le remplir. Oui, nous sommes si persuadés que nous sommes créés pour être heureux, que nous ne cessons pas un seul instant de notre vie de chercher le bonheur, et de faire tout, ce qui dépend de nous pour nous le procurer. D'où vient donc que, malgré toutes nos recherches, toutes nos peines et tous nos soins, nous ne nous trouvons pas encore contents ? Hélas ! c'est que nous ne portons pas nos regards ni les mouvements de notre cœur vers l'objet qui seul est capable de remplir la vaste étendue de nos désirs, Dieu seul. Non, M.F., non, jamais vous ne pourrez vous contenter et être pleinement heureux, du moins autant qu'il est possible de l'être dans ce monde, si vous ne méprisez pas, au moins de cœur, les choses créées pour ne vous attacher qu'à Dieu seul. Nous devons donc appliquer tous nos soins et tous les mouvements de notre cœur à ne désirer et à ne chercher que Dieu seul en tout ce que nous faisons, sans quoi, notre vie se passera à chercher vainement un bonheur que nous ne trouverons jamais. Nous nous sommes donc trompés jusqu'à présent ; puisque, malgré tout ce que nous avons fait pour être heureux, nous n'avons pas pu l'être. Croyez-moi, M.F., cherchez l'amitié du bon Dieu, et vous aurez trouvé votre bonheur. O mon Dieu ! que l’homme est aveugle de ne pas vous aimer ; puisque vous pouvez si bien contenter son cœur ! Mais, M.F., pour vous engager à aimer un Dieu si bon, si digne d'être aimé, et si capable de remplir toutes les affections de notre cœur, jetons un coup d'œil sur ce qu'il a fait pour nous ; suivons-le dans le cours de sa vie mortelle et jusqu'après sa mort. Voyez-le, M.F., depuis le moment de son incarnation jusqu'à l'âge de trente ans, ne sont-elles pas grandes, les preuves de son amour pour nous ? Qu'a-t-il fait dans son incarnation ? Il s'est fait homme comme nous et pour nous. Dans sa naissance il nous a élevés à la dignité la plus éminente à laquelle une pure créature puisse être élevée ; il est devenu notre frère !... O quel amour pour nous ! l'avons-nous jamais bien compris ?... Dans sa circoncision, il s'est fait notre Sauveur. Mon Dieu ! que votre charité est grande !... Dans son épiphanie, il est devenu notre lumière, notre guide. Dans sa présentation au temple, il est devenu notre pontife, notre docteur ; oh ! que dis-je, M.F. ? il s'est offert à son Père pour nous racheter tous. Plus tard, c'est-à-dire, dans la maison de saint Joseph, il est devenu notre modèle, pour l'amour et le respect que nous devons avoir pour nos parents et nos supérieurs. Disons mieux encore : il nous a montré comment nous devions mener une vie cachée et inconnue au monde, si nous voulions plaire à Dieu son Père. Suivons Jésus-Christ dans sa vie agissante, tout ce qu'il a fait, il l'a fait pour nous : ses prières, ses larmes, ses veilles, ses jeûnes, ses prédications, ses voyages, ses conversations, ses miracles ; oui, tout cela a été fait pour nous. Voyez, M.F., avec quel zèle il nous a cherchés, dans la personne de la Samaritaine  ; voyez avec quelle tendresse il reçoit tous les pécheurs, et nous le sommes tous, dans la personne de l'enfant prodigue ; voyez avec quelle bonté il s'oppose à la justice de son Père, qui veut nous punir dans la personne de la pécheresse . Dans sa vie souffrante, hélas ! que d'injures, que de tourments n'a-t-il pas endurés ? Il a été garrotté, souffleté, accusé, condamné, et enfin, crucifié pour nous. N'est-il pas mort pour nous, au milieu d'opprobres et de douleurs incompréhensibles ? Ah ! M.F., qui pourrait comprendre tout ce que son bon cœur a fait pour nous ?... Entrons plus avant dans la plaie de ce bon cœur. Oui, Jésus-Christ pouvait satisfaire à la justice de son Père, pour nos péchés, par une goutte de son sang, par une seule larme, ah ! que dis-je ? par un seul soupir ; mais ce qui pouvait satisfaire à la justice de son Père ne pouvait pas satisfaire la tendresse de son cœur pour nous. C'est encore son amour pour nous qui l'a fait souffrir d'une manière anticipée, dans le jardin des Olives, les souffrances qu'il devait endurer sur la croix. O abîme de tendresse d'un Dieu pour ses créatures !… Jésus-Christ s'est-il contenté de nous aimer jusqu'à la fin ? Non, M.F., non. Après sa mort, la lance, ou plutôt son amour a ouvert son divin cœur, pour nous ouvrir comme un asile, où nous viendrions nous cacher et nous consoler dans nos peines, nos chagrins et nos autres misères. Mais, allons plus loin, M.F. Il veut, ce divin Sauveur, répandre pour nous jusqu'à la dernière goutte de son sang précieux, afin de nous laver de toutes nos iniquités. Après avoir expié nos péchés d'orgueil par son couronnement d'épines ; par le fiel et le vinaigre, les péchés que nous avons le malheur de commettre par notre langue, et qui sont en si grand nombre ; tous nos péchés d'impureté par sa cruelle et douloureuse flagellation ; tous ceux que nous avons commis par nos mains, c'est-à-dire, toutes les mauvaises actions que nous avons faites, par les plaies de ses pieds et de ses mains ; il a voulu encore expier tous nos péchés par la blessure de son divin Cœur parce que c'est dans le cœur que tous nos péchés prennent naissance. O prodige d'amour d'un Dieu pour ses créatures !... Il est offensé par nous et il est puni pour nous, et c'est sur lui-même qu'il se venge des offenses que nous lui avons faites !...Hélas ! si nous n'étions pas aussi aveugles que nous le sommes, nous reconnaîtrions que ce sont nos mains qui, véritablement, l'ont immolé sur la croix. Mais, encore une fois, M.F., pourquoi tant de prodiges d'amour ? Ah ! vous le savez ; c'est pour nous délivrer de toutes sortes de maux, et nous mériter toutes sortes de biens pour l'éternité. Et si, malgré cela, nous venons encore à l'offenser, nous voyons qu'il est prêt à nous pardonner, à nous aimer et à nous combler de toutes sortes de biens, si nous voulons l'aimer. O quel amour pour des créatures si insensibles et si ingrates ! ... Son amour va encore plus loin. Voyant que la mort allait le séparer de nous, et afin de rester parmi nous, il fit un grand miracle : il institua ce grand sacrement d'amour, où il nous laisse son corps adorable et son sang précieux, pour ne jamais plus nous quitter, jusqu'à la fin du monde. Quel amour pour nous, M.F., qu'un Dieu veuille bien nourrir notre âme de sa propre substance et nous faire vivre de sa propre vie ! Par le moyen de ce grand et adorable sacrement, il s'offre, chaque jour, à la justice de son Père, satisfait de nouveau pour nos péchés, et nous attire toutes sortes de grâces. Voyez encore, M.F., ce tendre Sauveur qui, mort pour notre salut, nous ouvre le ciel. Pour nous y conduire tous, il va lui-même être notre médiateur ; c'est lui-même qui va présenter toutes nos prières à son Père et demander grâce pour nous, chaque fois que nous aurons le malheur de pécher. Oui, M.F., il nous attend dans ce lieu de bonheur, dans ce séjour où l'on aime toujours et où l'on n'offense jamais... Non, M.F., jamais vous n'avez bien réfléchi comme le bon Dieu vous aime. Est-il bien possible que nous ne vivions que pour l'offenser, puisque nous ne pouvons être heureux qu'en l'aimant ? Sans doute, si je vous demandais si vous aimez le bon Dieu, vous me diriez que vous l'aimez ; mais cela ne suffit pas ; il faut en donner la preuve. Mais, où sont-elles, M.F., ces preuves qui manifestent la sincérité de notre amour pour le bon Dieu ? Où sont les sacrifices que nous avons faits pour lui ? Où sont nos pénitences ? Hélas ! le peu de bien que nous faisons, est fait en grande partie sans goût, sans avoir une intention bien droite. Que de vues humaines !... que de bonnes œuvres faites par pur penchant et sans véritable dévotion ! Hélas ! M.F., quelle pauvreté !... II. – Maintenant, M.F., si vous voulez savoir comment nous pouvons connaître si nous aimons véritablement le bon Dieu, écoutez bien ce que je vais vous dire, et ensuite, vous allez vous-mêmes juger si vous l'aimez en vérité. Voilà ce que Jésus-Christ nous dit lui-même : « Celui qui m'aime garde mes commandements , mais celui qui ne m'aime pas ne les garde pas. » Il vous est donc bien facile de savoir si vous aimez le bon Dieu. Les commandements de Dieu ou sa volonté, M.F., ne sont qu'une même chose. Il vous ordonne et veut que vous remplissiez bien tous les devoirs de votre état, avec des intentions bien pures et bien droites, sans humeur, sans impatience, sans négligence, sans fraude dans la vérité ni dans la bonne foi. Nous devons avoir un amour généreux envers le bon Dieu, qui nous fasse préférer la mort à l'infidélité. De cela, M.F., nous avons des exemples à l'infini dans tous les saints, et surtout dans les martyrs dont beaucoup se sont laissés couper en morceaux, plutôt que de cesser d'aimer le bon Dieu. En voici un bel exemple dans la personne de la chaste Suzanne . Étant allée un jour au bain, deux vieillards, qui étaient juges du peuple d'Israël, l'ayant aperçue, conçurent le dessein de la solliciter au péché ; ils la suivirent, lui proposèrent leur infâme dessein, dont elle eut horreur. Levant les yeux au ciel, elle dit : « Seigneur, vous savez que je vous aime, soutenez-moi. » « Je me vois dans la peine de toutes parts, dit-elle aux vieillards ; nous sommes ici en la présence de Dieu qui nous voit ; si j'ai le malheur de consentir à votre passion honteuse, je n'échapperai pas à la main de Dieu ; il est mon juge, je sais qu'il me fera rendre compte d'une action aussi lâche et aussi criminelle. Si, au contraire, je ne consens pas à vos désirs, je n'échapperai pas à vos ressentiments ; je vois bien que vous allez me faire mourir ; mais j'aime mieux mourir qu'offenser Dieu. » Ces misérables, se voyant ainsi rebutés, sortirent avec colère, et publièrent aussitôt que Suzanne avait été surprise en adultère, qu'ils avaient vu un jeune homme faisant le mal avec elle. Malheureusement, hélas ! on les crut, et, sur leur témoignage, elle fut condamnée à la mort. Lorsqu'on la conduisait au supplice, un enfant de douze ans, qui était le petit Daniel, s'écria du milieu de la foule : « Que faites-vous, peuple d'Israël, pourquoi condamnez-vous le juste ? je vous déclare que je ne prends point part au crime que vous allez commettre, en versant le sang de cette innocente. » Le jeune Daniel, s'étant approché du peuple, leur dit : « Faites venir les deux vieillards. » Les ayant fait séparer l'un de l'autre, il les interrogea. Ils se coupèrent dans leurs paroles de telle manière que l'on ne put douter qu'ils étaient eux-mêmes coupables, et non Suzanne ; ils furent condamnés tous deux à la mort. Voilà ce que fait, M.F., une personne qui aime le bon Dieu, en montrant dans l'épreuve qu'elle l'aime véritablement, qu'elle l'aime plus que soi-même, Suzanne n'en pouvait pas donner une marque plus grande, puisqu'elle choisit la mort de préférence au péché. Il n'est pas douteux, que, quand il ne faut que des paroles pour dire qu'on aime le bon Dieu, il n'en coûte guère. Tous croient qu'ils aiment le bon Dieu et tous osent se le persuader ; mais si le bon Dieu nous mettait à l'épreuve, combien peu auraient le bonheur de la soutenir ! Voyez encore ce qui arriva sous le règne d'Antiochus . Ce cruel tyran commanda aux Juifs, sous peine de mort, de manger de la viande défendue par la loi dix Seigneur. Un saint vieillard nommé Eléazar, qui avait toujours vécu dans la crainte et l'amour de Dieu, refusa courageusement d'obéir ; il fut condamné à mort. « Il ne tient qu'à vous, lui dit un de ses amis, de sauver votre vie, comme nous l'avons fait nous-mêmes. Voilà de la viande qui n'a pas été offerte aux idoles : mangez-la, cette petite dissimulation apaisera le tyran. » Le saint vieillard leur répondit : « Croyez-vous que je sois bien attaché à la vie, et que je la préfère à l'amour que je dois à mon Dieu ? Et quand même j'échapperais à la fureur du tyran, croyez-vous que je puisse échapper à la justice de Dieu ? Non, non, mes amis, j'aime mieux mourir que de déshonorer ma religion et offenser mon Dieu que j'aime plus que moi-même. Non, il ne sera jamais dit qu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans j'abandonne mon Dieu et sa loi sainte. » Lorsqu'on le conduisait au supplice, et que le bourreau le tourmentait cruellement, on l'entendait s'écrier : « Mon Dieu, vous savez que c'est pour vous que je souffre. Soutenez-moi, vous savez que c'est parce que je vous aime ; oui, mon Dieu, c'est pour votre amour que je souffre ! » Voyez son courage à voir couper et dévorer son pauvre corps. Eh bien ! M.F., voilà ce que nous appelons aimer véritablement le bon Dieu. Ce bon vieillard, qui donne sa vie avec tant de joie pour Dieu, ne se contente pas de dire qu'il l'aime ; mais il le montre par ses œuvres. Nous disons bien que nous aimons le bon Dieu ; mais, quand tout va selon nos désirs, quand rien ne nous contredit dans notre manière de penser, de parler et d'agir. Combien de fois une seule parole, un air de mépris, ou même un air un peu froid, une pensée de respect humain ; ne nous font-ils pas abandonner le bon Dieu ? Nous avons dit, M.F., que si nous voulons témoigner au bon Dieu que nous l'aimons, il faut accomplir sa sainte volonté, qui est, que nous soyons soumis, respectueux envers nos parents, nos supérieurs, et tous ceux que le bon Dieu a placés au-dessus de nous pour nous conduire. La volonté de Dieu est que ceux qui sont supérieurs conduisent leurs inférieurs sans hauteur, sans dureté ; mais avec charité et avec bonté, comme nous voudrions que l'on nous conduisît ; la volonté de Dieu est que nous soyons bons et charitables envers tout le monde ; et que, si on nous loue, bien loin de nous croire quelque chose, au contraire, nous pensions que l'on se moque de nous, comme nous dit très bien saint Ambroise : « Si l'on nous méprise il ne faut point nous chagriner, mais, penser que si l'on connaissait bien ce que nous sommes, l'on dirait beaucoup plus de mal de nous que l'on en dit. » Ou comme nous dit saint Jean : « Si l'on nous insulte, la volonté de Dieu est que nous pardonnions de bon cœur et de suite ; et que nous soyons prêts à rendre service toutes les fois que l'occasion s'en présentera. » Cette volonté est que, dans nos repas, nous ne nous laissions jamais aller à la gourmandise ; que dans nos conversations nous tâchions de cacher et d'excuser les défauts de notre prochain et que nous priions pour lui. La volonté de Dieu est que, dans nos peines, nous ne murmurions pas, mais que nous les supportions avec patience et résignation à sa volonté ; c'est-à-dire, que dans ce que nous faisons, et dans tout ce qu'il nous envoie, le bon Dieu veut que nous pensions que tout vient véritablement de lui et que tout cela est pour notre bonheur, si nous savons en faire un bon usage. Voilà, M.F., ce que les commandements de Dieu nous ordonnent. Si vous aimez le bon Dieu, comme vous le dites, vous ferez tout cela, vous vous comporterez de cette manière ; sinon, vous avez beau dire que vous l'aimez, saint Jean vous dit que vous êtes menteurs et que la vérité n'est pas dans votre bouche . Examinons, M.F., toute notre conduite et toute notre vie, et voyons en détail toutes nos actions. Il ne faut pas nous arrêter à toutes nos bonnes pensées, à tous nos bons désirs, et à tous les mouvements sensibles que nous éprouvons, comme, par exemple, lorsque nous sommes touchés en lisant un bon livre, en écoutant la parole sainte, nous formons toutes sortes de belles résolutions : tout cela n'est autre chose qu'illusions, si, d'ailleurs, nous ne nous appliquons pas à faire ce que Dieu nous ordonne par ses commandements, et si nous n'évitons pas ce qu'il nous y défendu. Voyez, M.F., combien vous êtes en contradiction avec vous-mêmes. Le soir et le matin vous joignez les mains en faisant vos prières, vous dites : « Mon Dieu, je vous aime de tout cœur, et par-dessus toutes choses ; » vous croyez dire la vérité ? Cependant quelques moments après, vos mains sont occupées à voler votre prochain. Hélas ! peut-être à quelque œuvre honteuse. Combien de fois n'avez-vous pas employé ces mains à vous remplir de vin et à vous livrer à la crapule ; cette même bouche qui vient de prononcer un acte d'amour de Dieu, va se souiller, dès que l'occasion s'en présentera, par des jurements, par des rapports, des médisances, des calomnies et par toutes sortes de paroles qui vont offenser et déshonorer ce même Dieu, à qui vous venez de dire que vous l'aimez de tout votre cœur. Hélas ! M.F., nous disons que nous aimons le bon Dieu de tout notre cœur ! où sont les preuves qui nous assurent que ce que nous disons est vrai ? L'on dit dans le monde que les vrais amis se connaissent dans l'occasion ; cela est vrai, et qu'il faut des épreuves pour savoir si les amis sont sincères : ce qui est bien facile à comprendre. En effet, si je fous disais que je suis votre ami et que je ne fisse rien pour vous le montrer, et qu'au contraire, je fisse mille choses pour vous faire de la peine ; si, dans toutes les occasions où je pourrais vous témoigner mon attachement, je ne vous donnais que des marques d'aversion, vous ne voudriez pas croire que je vous aime, malgré que je vous l'aie dit souvent ; il en est de même, M.F., par rapport à Dieu. Vous aurez beau lui dire cent fois par jour : « Mon Dieu, je vous donne mon cœur, » cela ne suffit pas. Il faut lui en donner des preuves en ce que nous pouvons faire chaque jour, parce qu'il n'y en a guère où nous ne soyons obligés à faire quelque sacrifice au bon Dieu, si nous ne voulons pas l'offenser et si nous voulons l'aimer. Combien de fois le démon ne nous donne-t-i1 pas des pensées d'orgueil, de haine, de vengeance, d'ambition, de jalousie, combien de mouvements de colère et d'impatience : combien de pensées ou désirs contre la sainte vertu de pureté ? et, d'autres fois, combien de pensées et de désirs d'avarice ? Hélas ! notre misérable corps nous porte sans cesse au mal, pendant que les lumières de la conscience et les impressions de la grâce nous portent au bien. Eh bien ! M.F., voilà ce que c'est que de plaire à Dieu, ce que c'est que de l'aimer : c'est combattre, c'est résister courageusement à toutes les tentations. Voilà comment nous donnerons des preuves de l'amour que nous avons pour le bon Dieu ; voilà ce qui nous mettra dans une disposition continuelle de tout sacrifier plutôt que d'offenser le bon Dieu. Vous dites que vous aimez le bon Dieu, ou du moins que vous désirez l'aimer, vous êtes un menteur. Pourquoi donc laissez-vous entrer cette pensée d'orgueil dans votre cœur ? vous livrez-vous à ces murmures, à ces jalousies, à ces médisances et à ces complaisances en vous-même ? c'est que vous n'êtes qu'un hypocrite Vous en êtes fâché, je le crois bien ; vous en serez bien fâché... Hélas ! qu'il y en a peu qui aiment le bon Dieu !... Disons-le, à la honte du christianisme, il n'y a presque personne qui l'aime de cet amour de préférence, toujours prêt à tout sacrifier pour lui plaire, et toujours dans la crainte de lui déplaire. Voyez, M.F., comment se comporta saint Eustache avec toute sa famille, voyez sa constance et son amour pour le bon Dieu. Il est rapporté dans sa vie qu'étant à la chasse, il poursuivait un cerf d'une grosseur énorme ; s'étant élancé sur un rocher et cherchant le moyen de l'atteindre, il aperçut entre ses cornes un beau crucifix qui lui dit d'aller se faire baptiser et de revenir, qu'il lui apprendrait tout ce qu'il aurait à souffrir pour son amour, qu'il perdrait ses biens, sa réputation, sa femme, ses enfants et qu'il finirait par être brûlé dans le feu, Saint Eustache entendit tout cela sans la moindre frayeur ni la moindre répugnance, ni même le moindre murmure. En effet, peu de temps après, la peste se mit dans ses troupeaux et parmi ses esclaves, et n'en épargna pas un. Tout le monde commençait à le fuir et personne ne voulait le soulager, se voyant aussi misérable et si méprisé, il prit le parti d'aller en Égypte où il avait encore quelque bien. Sa femme et lui prirent chacun leurs petits enfants par la main et s'abandonnèrent à la Providence du bon Dieu. Quand il fallut traverser l'eau, le maître du vaisseau garda la femme pour son passage, et jetant le père et les enfants à terre, fit voile d'un autre côté. Voilà notre saint Eustache encore privé d'une de ses plus grandes consolations. Supportant tout cela, sans un seul murmure contre la conduite que le bon Dieu tenait envers lui, nous dit l'auteur de sa vie, il prit un petit crucifix entre ses mains, et le baisant respectueusement, il continua son chemin. Un peu plus loin, il fallut passer une rivière assez large... et le reste... Voilà, M.F., ce que nous pouvons appeler un amour véritable, puisque rien n'est capable de le séparer de son Dieu. Nous disons, M.F., que si nous aimons véritablement le bon Dieu, nous devons grandement désirer de le voir aimer par toutes les créatures. Nous en avons un bel exemple dans l'histoire, et nous y voyons un beau spectacle de l'amour divin. On vit une femme, au milieu de la ville d'Alexandrie, tenant d'une main un vase plein d'eau, et de l'autre un flambeau allumé. Ceux qui la virent, tout étonnés, lui demandèrent ce qu'elle prétendait faire avec tout cet appareil. « Je voudrais, répondit-elle, avec ce flambeau, embraser tout le ciel et tous les cœurs des hommes, et, avec cette eau, éteindre tout le feu de l'enfer, afin que, désormais, l'on n'aimât plus le bon Dieu ni par l'espérance de la récompense, ni par crainte de la punition réservée aux pécheurs ; mais uniquement parce qu'il est bon, et qu'il mérite d'être aimé. » Beaux sentiments, M.F., dignes de la grandeur de l'âme qui connaît ce que c'est que Dieu, et combien il mérite par lui-même toutes les affections de notre cœur. L'on raconté dans l'histoire des Japonais, que, quand on leur annonçait l'Évangile, qu'on les instruisait de Dieu et de ses amabilités, surtout quand on leur apprenait les grands mystères de notre sainte religion, et tout ce que le bon Dieu avait fait pour les hommes : un Dieu naissant dans une pauvre étable, couché sur une poignée de paille dans les rigueurs de l'hiver, un Dieu souffrant et mourant sur une croix pour nous sauver ; ils étaient si étonnés de tant de merveilles que Dieu avait faites pour notre salut, qu'on les entendait s'écrier tout transportés d'amour : « Oh ! qu'il est grand ! oh ! qu'il est bon ! oh !qu'il est aimable, le Dieu des chrétiens ! » Mais quand ensuite on leur disait qu'il y avait un commandement qui leur ordonnait d'aimer le bon Dieu et qui les menaçait de châtiments s'ils ne l'aimaient pas, ils en étaient tellement surpris, qu'ils ne pouvaient plus revenir de leur étonnement. « Eh quoi ! disaient-ils, à des hommes raisonnable, faire un précepte d'aimer un Dieu qui nous a tant aimés !... mais, n'est-ce pas le plus grand bonheur de l'aimer et le plus grand malheur de ne pas l'aimer ? Eh quoi ! disaient-ils aux missionnaires, les chrétiens ne sont-ils pas toujours au pied des autels de leur Dieu, tout pénétrés de la grandeur de ses bontés et tout embrasés de son amour ? » Et quand on venait à leur apprendre que, non seulement il y en avait qui ne l'aimaient pas, mais encore qui l'offensaient : « O peuple injuste ! Ô peuple barbare ! s'écriaient-ils avec indignation, est-il bien possible que des chrétiens soient capables de tel outrage envers un Dieu si bon ? Dans quelle terre maudite habitent donc ces hommes sans cœur et sans sentiments ? » Hélas ! d'après la manière dont nous nous conduisons envers le bon Dieu, nous ne méritons que trop ces reproches ! Oui, M.F., un jour viendra où ces nations éloignées et étrangères appelleront ces témoignages, contre nous, nous accuseront et nous condamneront devant Dieu. Que de chrétiens passent leur vie sans aimer le bon Dieu ! Hélas ! peut-être en trouverons-nous plusieurs, au grand jour du jugement, qui n'auront pas donné un seul jour tout entier au bon Dieu ! Hélas ! quel malheur ! ... Saint Justin nous dit que l'amour a ordinairement trois effets. Quand nous aimons quelqu'un, nous pensons souvent, et volontiers à lui ; nous donnons volontiers pour lui et nous souffrons volontiers pour lui : voilà, M.F., ce que nous devons faire pour le bon Dieu, si nous l'aimons véritablement. Je dis 1?, que nous devons souvent penser à Jésus-Christ. Rien n'est plus naturel que de penser à ceux qu'on aime. Voyez un avare : il n'est occupé que de ses biens ou du moyen de les augmenter ; seul ou en compagnie, rien n'est capable de le distraire de cette pensée. Voyez un libertin : la personne qui fait tout l'objet de son amour, ne le quitte guère plus que la respiration ; il y pense tellement que, souvent, son corps en est si accablé qu'il en est malade. Oh ! si nous avions le bonheur d'aimer autant Jésus-Christ qu'un avare aime son argent ou ses terres, qu'un ivrogne, son vin, qu'un libertin, l'objet de sa passion, ne serions-nous pas continuellement occupés de l'amour et des grandeurs de Jésus-Christ ? Hélas ! M.F., nous nous occupons de mille choses qui, presque toutes, n'aboutissent à rien ; tandis que, pour Jésus-Christ, nous passons des heures et même des jours entiers sans nous souvenir de lui, ou d'une manière si faible, que nous croyons à peine ce que nous pensons. O mon Dieu, comment ne vous aime-t-on pas ! Cependant, M.F., de tous nos amis y en a-t-il un plus généreux, plus bienfaisant ? Dites-moi, si nous avions bien pensé qu'en écoutant le démon qui nous portait au mal, nous avons grandement affligé Jésus-Christ, que nous l'avons fait mourir une seconde fois, aurions-nous eu ce courage ?... n'aurions-nous pas dit : Comment, mon Dieu, pourrais-je vous offenser, vous qui nous avez tant aimés ! Oui, mon Dieu, le jour et la nuit mon esprit et mon cœur ne seront occupés que de vous. 2? Je dis que si nous aimons véritablement le bon Dieu, nous lui donnerons tout ce qu'il est en notre pouvoir de lui donner, et cela, avec un grand plaisir. Si nous avons du bien, faisons-en part aux pauvres, c'est comme si nous le donnions à Jésus-Christ lui-même ; c'est lui qui nous dit dans l'Évangile : « Tout ce que vous donnerez au moindre des miens, c'est-à-dire aux pauvres, c'est comme si vous le donniez à moi-même . » Quel bonheur, M.F., pour une créature, de pouvoir être libérale envers son créateur, son Dieu et son Sauveur ! Ce ne sont pas seulement les riches qui peuvent donner ; mais tous les chrétiens, même les plus pauvres. Nous n'avons pas tous des biens pour les donner à Jésus-Christ dans la personne des pauvres ; mais nous avons tous un cœur, et c'est précisément de ce présent qu'il est le plus jaloux ; c'est celui-là qu'il demande avec tant d'empressement. Dites-moi, M.F., pourrions-nous lui refuser ce qu'il nous demande avec tant d'instances, lui qui ne nous a créés que pour lui ? Ah ! si nous y pensions bien, ne dirions-nous pas au divin Sauveur : « Seigneur, je ne suis qu'un pécheur, ayez pitié de moi ; me voilà tout à vous. » Que nous serions heureux si nous faisions cette offrande universelle au bon Dieu ! que notre récompense serait grande !... 3? Mais cependant la meilleure marque d'amour que nous puissions donner au bon Dieu, c'est de souffrir pour lui ; car, si nous voulions bien considérer ce qu'il a souffert pour nous, nous ne pourrions pas nous empêcher de souffrir toutes les misères de la vie, les persécutions, les maladies, les infirmités et la pauvreté : Qui ne se laisserait. pas attendrir à la vue de tout ce que Jésus-Christ a souffert pendant sa vie mortelle ? Que d'outrages ne lui font pas souffrir les hommes, par la profanation de ses sacrements, par le mépris de sa religion sainte, dont l'établissement lui a tant coûté ? Quel aveuglement, M.F., de ne pas aimer un Dieu si aimable et qui ne cherche, en tout, que notre bonheur ! Nous avons un bel exemple dans la personne de sainte Magdeleine, devenue célèbre dans toute l'Église par ce grand amour qu'elle a eu pour Jésus-Christ . Une fois qu'elle fut à lui, elle ne le quitta plus ; non seulement de cœur, mais encore réellement : le suivant dans ses voyages, l'assistant de ses biens, et l'accompagnant jusqu'au calvaire : Elle fut présente à sa mort, elle prépara les parfums pour embaumer son corps et se rendit de grand matin au sépulcre . N'y trouvant plus le corps de Jésus-Christ, elle s'en prend au ciel, à la terre ; elle supplie les anges et les hommes de lui dire où ils ont mis son Sauveur ; parce qu'elle veut le trouver à quel prix que ce soit. Son amour était si ardent que nous pouvons dire qu'il fut impossible à Jésus-Christ de se cacher à elle ; car, elle n'a pensé qu'à lui, elle n'a désiré et n'à voulu que lui ; toutes choses ne lui sont rien ; elle n'a eu ni respect humain, ni crainte d'être méprisée ou raillée ; elle a abandonné tous ses biens, elle a foulé aux pieds les parures et les plaisirs pour courir à la suite de son bien-aimé ; tout le reste ne lui est plus rien. Écoutez encore la leçon que nous donne saint Dominique . Ce saint patriarche dont l'amour de Dieu avait rempli tous les désirs, après avoir prêché toute la journée, passait les nuits entières en contemplation ; il se croyait déjà dans le ciel, et ne pouvait comprendre que l'on puisse vivre sans aimer le bon Dieu, puisque nous y trouvons tout notre bonheur. Un jour qu'il fut pris par des hérétiques, Dieu fit un miracle pour le tirer d'entre leurs mains. « Qu'auriez-vous fait, lui dit un de ses amis, s'ils avaient voulu vous faire mourir ? » – « Ah ! je les aurais conjurés de ne pas me faire mourir tout d'un coup, mais de me couper en tant petits morceaux qu'ils l'auraient pu ; ensuite de m'arracher la langue et les yeux, et, après avoir roulé le reste de mon corps dans mon sang, de me trancher la tête. Je les aurais priés de ne laisser aucune partie de mon corps sans la faire souffrir. Ah ! c'est alors que j'aurais eu le bonheur de dire véritablement au bon Dieu que je l'aime. Oui, je voudrais être maître de tous les cœurs des hommes, afin de les faire tous brûler d'amour. » Quel beau langage part de ce cœur brûlant de l'amour divin ! Toute sa vie ce grand saint chercha le moyen de mourir martyr, pour montrer au bon Dieu que vraiment il l'aimait. Voyez encore saint Ignace, martyr, évêque d'Antioche, qui fut condamné, par l'empereur Trajan, à être exposé aux bêtes. Il eut tant de joie d'entendre la sentence qui le condamnait à être dévoré par les bêtes, qu'il crut mourir de bonheur. IL n'avait qu'une seule crainte, c'est que les chrétiens n'obtinssent sa grâce. Il leur écrivit en leur disant : « Mes amis, que je devienne la proie des bêtes et que je sois moulu comme un grain de froment de Dieu pour devenir le pain de Jésus-Christ. Je sais, mes amis, qu'il m'est très utile de souffrir ; il faut que les fers, les gibets, les bêtes farouches déchirent mes membres et les brisent dans mon corps, et que tous les tourments viennent fondre sur moi. Tout m'est bon pourvu que j'arrive à la possession de Dieu. Je commence maintenant à aimer Jésus-Christ ; c'est à présent que je suis son disciple. Je n'ai plus que du dégoût pour les choses de la vie, je ne suis affamé que du pain de mon Dieu, qui doit me rassasier pendant l'éternité ; je ne suis altéré que de la chair de Jésus-Christ, qui n'est que charité . » Dites-moi, M.F., peut-on trouver un cœur plus embrasé de l'amour de Dieu ? En effet, il fut dévoré par les lions, qui ne laissèrent que quelques parties de son corps. Que faut-il conclure de tout cela, M.F., sinon que tout notre bonheur sur la terre est de nous attacher, à Dieu ? C'est-à-dire, il faut que, dans tout ce que nous faisons, le bon Dieu soit l'unique but ; puisque nous savons tous par notre propre expérience que rien de créé n'est capable de nous rendre heureux, que le monde entier avec tous ses biens, ses plaisirs ne saurait satisfaire notre cœur. Ne perdez jamais de vue, M.F., que tout nous quittera. Un moment viendra où tout ce que nous avons passera à d'autres mains... Au lieu que si nous avons le grand bonheur de posséder l'amour de Dieu nous l'emporterons dans le ciel, ce qui fera notre bonheur pendant l'éternité. Aimer Dieu, ne servir que lui seul et ne désirer que sa possession : voilà le bonheur que je vous souhaite. 17ème DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE Sur la Charité (FRAGMENTS) Diliges Deum tuum in toto corde tuo Vous aimerez le Seigneur de tout votre cœur (S.Matth., xxii, 37.) Pour servir le bon Dieu parfaitement, ah ! ce n'est pas assez de croire en lui. Il est vrai que la foi nous fait croire toutes les vérités que l'Église nous enseigne, et que, sans cette foi, toutes nos actions sont sans mérite aux yeux de Dieu. La foi nous est donc absolument nécessaire pour nous sauver. Cependant cette foi précieuse qui nous découvre d'avance les beautés du ciel nous quittera un jour, parce que, dans l'autre vie, il n'y aura plus de mystères. L'espérance, qui est un don du ciel, nous est aussi nécessaire pour nous faire agir avec des intentions bien droites et bien pures, dans la seule vue de plaire à Dieu, en tout ce que nous faisons, soit pour gagner le ciel, soit pour éviter l'enfer. Mais la charité nous porte à aimer Dieu parce qu'il est, infiniment bon, infiniment aimable et qu'il mérite d'être aimé. Mais, me direz-vous, comment donc connaître si nous avons cette belle vertu qui est si agréable à Dieu, et qui nous fait agir avec tant de noblesse ; c'est-à-dire, qui nous porte à aimer le bon Dieu, non par la crainte des peines de l'enfer, ni par l'espérance du ciel ; mais unique ment à cause de ses perfections infinies ? – Ce qui doit nous porter à tant désirer et à tant demander au bon Dieu cette belle vertu, c'est qu'elle doit nous accompa gner toute l'éternité. Bien plus, c'est la charité qui doit faire tout notre bonheur ; puisque la félicité des bienheu reux consiste à aimer. Cette vertu si belle ; si capable de nous rendre heureux, même dès ce monde, voyons, M.F., si nous l'avons, et cherchons les moyens de l'ac quérir. I. – Si je demandais à un enfant : Qu'est-ce que la charité ? Il me répondrait : C'est une vertu qui nous vient du ciel, par laquelle nous aimons Dieu de tout notre cœur, et le prochain comme nous-mêmes par rapport à Dieu. – Mais, me demanderez-vous maintenant, qu'est-ce qu'aimer le bon Dieu par-dessus toutes choses, et plus que soi-même ? – C'est le préférer à tout ce qui est créé ; c'est être dans la disposition de perdre son bien, sa réputation, ses parents et ses amis, ses enfants ; son mari ou sa femme et sa vie même, plutôt que de commettre le moindre péché mortel . Saint Augustin nous dit qu'aimer Dieu parfaitement, c'est l'aimer sans mesure, quand il n'y aurait ni ciel à espérer, ni enfer à craindre ; c'est l'aimer de toute l'étendue de son cœur. Si vous m'en demandez la raison, c'est que Dieu est infiniment aimable et digne d'être aimé. Si nous l'aimons véritablement, ni les souffrances, ni les persécutions, ni le mépris, ni la vie, ni la mort ne pourront nous ravir cet amour que nous devons à Dieu. Nous sentons nous-mêmes, M.F., que si nous n'aimons pas le bon Dieu nous ne pouvons être que bien malheureux, très malheureux. Si l'homme est créé pour aimer le bon Dieu, il ne peut trouver son bonheur qu'en Dieu seul. Quand nous serions maîtres du monde, si nous n'aimons pas le bon Dieu, nous ne pouvons être que malheureux tout le temps de notre vie. Si vous voulez mieux vous en convaincre, voyez, interrogez les gens qui vivent sans aimer le bon Dieu. Voyez ces personnes qui abandonnent la fréquentation des sacrements et la prière, voyez-les dans quelque chagrin, quelque perte, hélas ! elles se maudissent, elles se tuent, ou meurent de chagrin. Un avare n'est pas plus content quand il a beaucoup que quand il a peu. Un ivrogne est-il plus heureux, après avoir bu le coup de vin où il croyait trouver tout son plaisir ? Il n'en est que plus malheureux, Un orgueilleux n'a jamais de repos : il craint toujours d'être méprisé. Un vindicatif, en cherchant à se venger, ne peut dormir ni le jour ni la nuit. Voyez encore un infâme impudique qui croit trouver son bonheur dans les plaisirs de la chair : il va jusqu'à, je ne dis pas perdre sa réputation, mais son bien, sa santé et son âme, sans cependant pouvoir trouver de quoi se contenter. Et pourquoi, M.F., ne pouvons-nous pas être heureux en tout ce qui semble devoir nous contenter ? Ah ! c'est que, n'étant créés que pour Dieu, il n'y a que lui seul qui pourra nous satisfaire, c'est-à-dire nous rendre heureux autant qu'il est possible de l'être sur cette pauvre terre. Aveugles que nous sommes, nous nous attachons à la vie, à la terre et à ses biens ! hélas ! aux plaisirs, disons mieux, nous nous attachons à tout ce qui est, capable de nous rendre malheureux ! Combien les saints, M.F., ont été plus sages que nous de tout mépriser pour ne chercher que Dieu seul ! Que celui qui aime véritablement le bon Dieu fait peu de cas de tout ce qui est sur la terre ! Combien de grands du monde, combien même de princes, de rois et d'empereurs, ne voyons-nous pas, qui ont tout laissé pour aller servir le bon Dieu plus librement dans les déserts ou dans les monastères ! Combien d'autres pour montrer au bon Dieu leur amour, sont montés sur les échafauds, comme des vainqueurs sur leurs trônes ! Ah ! M.F., que celui qui a le bonheur de se détacher des choses du monde pour ne s'attacher qu'à Dieu seul est heureux ! Hélas ! combien en est-il parmi vous qui ont vingt ou trente ans, et n'ont jamais demandé au bon Dieu cet amour qui est un don du ciel, comme vous le dit votre catéchisme. Dès lors, il ne faut pas nous étonner, M.F., si nous sommes si terrestres et si peu spirituels ! Cette manière de nous comporter ne peut nous conduire qu'à une fin bien malheureuse : la séparation de Dieu pour l'éternité. Ah ! M.F., est-il bien possible que nous ne voulions pas nous tourner du côté de notre bonheur qui est Dieu seul ! Quittons ce sujet, quoique si intéressant..... La charité fait toute la joie et la félicité des saints dans le ciel. Ah ! « beauté ancienne et toujours nouvelle, » quand est-ce que nous n'aimerons que vous ? Si maintenant je demandais à un enfant : Qu'est-ce que la charité par rapport au prochain ? Il me répondrait : La charité pour Dieu doit nous le faire aimer plus que nos biens, notre santé, notre réputation et notre vie même ; la charité que nous devons avoir pour notre prochain doit nous le faire aimer comme nous-mêmes, de sorte que, tout le bien que nous pouvons désirer pour nous nous devons le désirer pour notre prochain ; si nous voulons avoir cette charité sans laquelle il n'y a ni ciel, ni amitié de Dieu à espérer. Hélas ! que de sacrements fait profaner ce défaut de charité, et que d'âmes il conduit en enfer ! Mais que doit-on entendre par ce mot notre prochain ? Rien de plus facile à comprendre. Cette vertu s'étend à tout le monde, aussi bien à ceux qui nous ont fait du mal, qui ont nui à notre réputation, nous ont calomniés et qui nous ont fait quelque tort, même quand ils auraient cherché à nous ôter la vie. Nous devons les aimer comme nous-mêmes, et leur souhaiter tout le bien que nous pouvons nous désirer. Non seulement il nous est interdit de leur vouloir aucun mal, mais il faut leur rendre service toutes les fois qu'ils en ont besoin et que nous le pouvons. Nous devons nous réjouir quand ils réussissent dans leurs affaires, nous attrister quand ils éprouvent quelque disgrâce, quelque perte, prendre leur parti quand on en dit du mal, dire le bien que nous savons d'eux, ne point fuir leur compagnie, leur parler même de préférence à ceux qui nous ont rendu quelque service : voilà, M.F., comment le bon Dieu veut que nous aimions notre prochain. Si nous ne nous comportons pas de cette manière, nous pouvons dire que nous n'aimons ni notre prochain, ni le bon Dieu : nous ne sommes que de mauvais chrétiens, et nous serons damnés. Voyez, M.F., la conduite que tint Joseph envers ses frères qui avaient voulu le faire mourir, qui l'avaient jeté dans une citerne et qui l'avaient ensuite vendu à des marchands étrangers . Dieu lui restait seul pour consolateur. Mais comme le Seigneur n'abandonne pas ceux qui l'aiment, autant Joseph avait été humilié ; autant il fut élevé. Lorsqu'il fut devenu presque maître du royaume de Pharaon, ses frères, réduits à la plus grande misère, vinrent le trouver sans le connaître. Joseph voit venir à lui ceux qui avaient voulu lui ôter la vie, et qui l'auraient fait mourir si l'aîné ne les en eût détournés. Il a tous les pouvoirs de Pharaon entre les mains, il pourrait les faire prendre et les faire mourir. Rien ne pouvait l'en empêcher ; au contraire, il était même juste de punir des méchants. Mais que fait Joseph ?... la charité qu'il a dans le cœur lui a fait perdre le souvenir des mauvais traitements qu'il a reçus. Il ne pense qu'à les combler... il pleure de joie, il demande vite des nouvelles de son père et de ses autres frères ; il veut, pour mieux leur faire sentir la grandeur de sa charité ; qu'ils viennent tous auprès de lui pour toujours . Mais, me direz-vous, comment peut-on connaître si l'on a cette belle et précieuse vertu, sans laquelle notre religion n'est qu'un fantôme ? D'abord, M.F., une personne qui a la charité n'est point orgueilleuse, elle n'aime point à dominer sur les autres ; vous ne l'entendrez jamais blâmer leur conduite, elle n'aime point à parler de ce qu'ils font. Une personne qui a la charité n'examine point quelle est l'intention des autres dans leurs actions, elle ne croit jamais mieux faire qu'ils ne font ; et ne se met jamais au-dessus de son voisin ; au contraire, elle croit que les autres font toujours mieux qu'elle. Elle ne se fâche point si on lui préfère le prochain ; si on la méprise, elle n'en est pas moins contente, parce qu'elle pense qu'elle mérite plus de mépris encore. Une personne qui a la charité évite autant qu'elle peut de faire de la peine aux autres, parce que la charité est un manteau royal qui sait bien cacher les fautes de ses frères et ne laisse jamais croire qu'on est meilleur qu'eux. 2? Ceux qui ont la charité reçoivent avec patience ; et résignation à la volonté de Dieu, tous les accidents qui peuvent leur arriver, les maladies, les calamités, en pensant que tout cela nous rappelle que nous sommes pécheurs, et que notre vie n'est pas éternelle ici-bas. Dans leurs chagrins, dans leurs peines, dans leurs maladies ou dans les pertes de biens, vous les voyez toujours soumis à la volonté de Dieu, et jamais ils ne désespèrent, pensant qu'ils accomplissent cette divine volonté. Voyez le saint homme Job sur son fumier  : n'est-il pas content ? Si vous me demandez pourquoi il ne se laisse pas aller au désespoir ? c'est qu'il a la charité dans l'âme, et qu'en se soumettant à la volonté de Dieu, il acquiert des mérites pour le ciel. Voyez encore le saint homme Tobie qui devint aveugle en ensevelissant les morts  : il ne se désespère pas, et il est tranquille. Pourquoi encore cette tranquillité ? Il sait qu'il fait la volonté de Dieu et que dans cet état il le glorifie ... En troisième lieu, je dis que celui-ci a la charité, qui n'est point avare et ne cherche nullement à amasser les biens de ce monde. Il travaille parce que le bon Dieu le veut, mais sans s'attacher à son travail ni au désir de thésauriser pour l'avenir ; il se repose avec confiance en la Providence qui n'abandonne jamais celui qui l'aimé. La charité régnant dans son cœur, toutes les choses de la terre ne lui sont plus rien ; il voit que tous ceux qui courent après les biens de ce monde sont les plus malheureux. Pour lui, il emploie autant qu'il le peut, son bien en bonnes œuvres pour racheter ses péchés et pour mériter le ciel. Il est charitable envers tout le monde et n'a de préférence pour personne ; tout le bien qu'il fait, il le fait au nom de Dieu, Il assiste le pauvre qui en a besoin, qu'il soit son ami ou son ennemi. Il imite saint François de Sales, qui, ne pouvant faire qu'une aumône, la remettait à celui dont il avait reçu quelque peine, plutôt qu'à celui dont il était l'obligé. La raison de cette conduite c'est que telle action est beaucoup plus agréable à Dieu. Si vous avez la charité, n'examinez jamais si ceux à qui vous donnez vous ont fait quelque tort, ou dit quelque injure ; s'ils sont sages on non. Ils vous demandent au nom de Dieu, donnez-leur de même. Voilà tout ce qu'il faut faire pour que vos aumônes soient rendues dignes d'être récompensées. Nous lisons dans la vie de saint Ignace, qu'un jour, étant pressé par quelque affaire, il refusa l'aumône à un pauvre Mais il courut bientôt après ce malheureux pour lui donner, et dès lors promit au bon Dieu de ne jamais refuser l'aumône, quand on la lui demanderait en son nom. Mais, pensez-vous, si l'on donne à tous les pauvres, on sera bientôt pauvre soi-même. Écoutez ce que le saint homme Tobie dit à son fils : « Ne retenez jamais le salaire des ouvriers, payez toujours le soir après qu'il ont travaillé ; et quant aux pauvres, donnez à tous si vous le pouvez. Si vous avez beaucoup, donnez beaucoup ; si vous avez peu, donnez peu ; mais donnez toujours de bon cœur ; parce que l'aumône rachète les péchés et éteint les flammes du purgatoire  » D'ailleurs nous pouvons dire qu'une maison qui donne aux pauvres ne tombera jamais en ruine, parce que le bon Dieu ferait plutôt un miracle que de le permettre. Voyez saint Antoine qui vend tous ses biens pour les donner aux pauvres, et qui va dans un désert où il s'abandonne entièrement entre les mains de la Providence . Voyez un saint Paul, ermite , un saint Alexis, qui se dépouillent absolument de biens, pour mener une vie pauvre et méprisée . Voyez un saint Sérapion, qui, non seulement vend tous ses biens et ses vêtements, mais qui se vend encore pour racheter un captif . Combien nous sommes coupables lorsque nous ne faisons pas l'aumône, et que nous méprisons les pauvres, en les rebutant, en leur disant qu'ils sont des fainéants, qu'ils peuvent bien travailler !... M.F., faisons l'aumône autant que nous pouvons, parce que c'est la chose qui doit nous rassurer à l'heure de la mort, et si vous en doutez, lisez l'Évangile où Jésus-Christ nous parle du jugement : « J'ai eu faim, etc.  » Voulez-vous laisser des enfants heureux et sages ? Donnez-leur l'exemple d'être aumônieux et charitables envers les pauvres, et vous verrez un jour que le bon Dieu les a bénis. C'est ce que comprenait sainte Blanche, disant : « Mon fils, nous serons toujours assez riches si nous aimons le bon Dieu, et si nous aimons à faire le bien à nos frères. » Si nous avons vraiment la charité, cette vertu si agréable à Dieu, nous ne nous comporterons pas comme les païens qui font du bien à ceux qui leur en font, ou de qui ils en espèrent ; mais nous ferons du bien au prochain, dans la, seule vue de plaire à Dieu et de racheter nos péchés. Qu'on nous soit reconnaissant ou non, qu'on nous fasse du bien ou du mal, qu'on nous méprise ou qu'on nous loue : cela, ne nous doit rien faire : Il y en a qui agissent tout humainement. Ont-ils fait une aumône, ont-ils rendu service à quelque personne, si elles n'usent pas de réciprocité, cela les fâche, et ils se reprochent d'avoir été simples. Que vous êtes… Ou vous avez fait vos bonnes œuvres pour le bon Dieu, ou vous les avez faites pour le monde. Si vous les avez faites pour être estimés et loués des hommes, vous avez raison de vouloir être payés de reconnaissance ; mais si vous les avez faites dans la seule vue de racheter vos péchés et de plaire à Dieu, pourquoi vous plaindre ? C'est de Dieu seul que vous en attendez la récompense. Vous devez bien plutôt remercier le bon Dieu de ce que l'on vous paie d'ingratitude, parce que votre récompense sera bien plus grande. Ah ! que nous sommes heureux ! parce que nous aurons donné quelque petite chose, le bon Dieu nous donne le ciel en retour ! Nos petites aumônes et nos petits services seront donc bien récompensés. Oui, M.F., préférons toujours faire du bien à ceux qui ne pourront jamais nous le rendre, parce que s'ils nous le rendent nous risquons d'en perdre le mérite. Voulez-vous savoir si vous avez la vraie charité ? En voici la marque : Voyez à qui vous préférez faire l'aumône ou rendre quelque service. Est-ce à ceux qui vous ont fait quelque peine,... ou à ceux qui vous sont unis, qui vous remercient ? Si c'est à ces derniers, vous n'avez pas la vertu de charité ; et vous n'avez point à espérer pour l'autre vie ; tout le mérite de ces bonnes actions est donc perdu . Je suis persuadé que si je voulais bien entrer dans le détail de tous les défauts dans lesquels on tombe sur ce point, je ne trouverais presque personne qui ait dans l'âme cette vertu toute pure et telle que Dieu la veut. Pour être récompensés dans tout ce que nous faisons pour le prochain, ne cherchons que Dieu, et n'agissons que pour lui seul. Que cette vertu est rare dans les chrétiens ! Disons mieux, il est aussi rare de la trouver qu'il est rare de trouver des saints. Et quoi d'étonnant ? Où sont ceux qui la demandent à Dieu, qui font quelques prières ou quelques bonnes œuvres pour l'obtenir ? Combien ont vingt ans et peut-être trente, et ne l'ont jamais demandée ? La preuve en est bien convaincante. L'ont-ils demandée ceux qui n'ont que des vues humaines ? Voyez vous-même quelle répugnance vous avez à faire, de suite, du bien à celui qui vient de vous faire quelque tort ou quelque injustice. Ne conservez-vous même pas une certaine haine ou, du moins, une certaine froideur à son égard ? A peine le saluez-vous, et consentez-vous à lui parler comme à une autre personne. Hélas ! ô mon Dieu ! que de chrétiens mènent une vie toute païenne, et se croient encore de bons chrétiens : Hélas ! combien vont être détrompés quand le bon Dieu leur fera voir ce qu'est la charité, les qualités qu'elle devait avoir pour rendre méritoires toutes leurs actions. 4? Il n'est pas nécessaire de vous montrer qu'une personne qui a la charité est exempte du vice infâme de l'impureté, parce qu'une personne qui a le bonheur d'avoir cette précieuse vertu dans l'âme, est tellement unie au bon Dieu, et agit si bien selon sa sainte volonté, que le démon de l'impureté ne peut point entrer dans son cœur. Le feu de l'amour divin embrase tellement ce cœur, son âme et tous ses sens, qu'il la met hors des atteintes du démon de l'impureté. Oui, M.F., nous pouvons dire que la charité rend une personne pure dans tous ses sens. O bonheur infini, qui te comprendra jamais !... 5? La charité n'est point envieuse : elle ne ressent point de tristesse du bien qui arrive au prochain, soit au spirituel, soit au temporel. Vous ne verrez jamais une personne qui a la charité, être fâchée de ce qu'une autre réussit mieux qu'elle, ou de ce qu'elle est plus aimée, plus estimée. Bien loin de s'affliger du bonheur de son prochain, elle en bénit le bon Dieu. – Mais, me direz-vous, je ne suis pas fâché de ce que mon prochain fait bien ses affaires, de ce qu'il est bien riche, bien heureux. Convenez cependant avec moi que vous seriez plus content que cela vous arrivât plutôt qu'à lui. – Cela est encore vrai. – Eh bien ! si cela est, vous n'avez pas la charité telle que le bon Dieu veut que vous l'ayez, comme il vous le commande, et pour lui plaire ..... 6? Celui qui a la charité n'est point sujet à la colère, car saint Paul nous dit que la charité est patiente, bonne, douce pour tout le monde . Voyez comme nous sommes loin d'avoir cette charité. Combien de fois pour un rien nous nous fâchons, nous murmurons, nous nous emportons, nous parlons avec hauteur, et nous restons en colère pendant plusieurs jours !... Mais, me direz-vous, c'est ma manière de parler ; je ne suis pas fâché après. – Dites donc plutôt que vous n'avez pas la charité, qui est patiente, douce, et que vous ne vous conduisez pas comme un bon chrétien. Dites-moi, si vous aviez la charité dans l'âme, est-ce que vous ne supporteriez pas avec patience, et même avec plaisir, une parole que l'on dira contre vous, une injure, ou si vous voulez, un petit tort que l'on vous aura fait, ? – Il attaque ma réputation. – Hélas ! mon ami, quelle bonne opinion voulez-vous qu'on ait de vous après que vous avez tant de fois mérité .... ? Ne devons-nous pas nous regarder comme trop heureux que l'on veuille bien nous souffrir parmi les créatures, après que nous avons traité si indignement le Créateur ?... Ah ! ! M.F., si nous avions cette charité, nous serions sur la terre presque comme les saints qui sont dans le ciel ! Qui donc sait d'où nous viennent tous ces chagrins que nous éprouvons, aussi bien les uns que les autres ; et pourquoi y en a-t-il tant dans le monde qui souffrent toutes sortes de misères ? Cela vient de ce que nous n'avons pas la charité. Oui, M.F. ; la charité est une vertu si belle, elle rend tout ce que nous faisons si agréable au bon Dieu, que les saints Pères ne savent de quels termes se servir pour nous en faire connaître toute la beauté et toute la valeur. Ils la comparent au soleil qui est le plus bel astre du firmament, et qui donne aux autres toute leur clarté et leur beauté. Comme lui, la vertu de charité communique à toutes les autres vertus leur beauté et leur pureté, et les rend méritoires et infiniment plus agréables à Dieu. Ils la comparent au feu qui est le plus noble et le plus actif, de tous les éléments. La charité est la vertu la plus noble et la plus active de toutes : elle porte l'homme à mépriser tout ce qui est vil, méprisable et de peu de durée, pour ne s'attacher qu'à Dieu seul et aux biens qui ne doivent jamais périr. Ils la comparent encore à l'or qui est le plus précieux de tous les métaux, et fait l'ornement et la beauté de tout ce que nous avons de riche sur la terre. La charité fait la beauté et l'ornement de toutes les autres vertus ; la moindre action de douceur ou d'humilité, faite avec la charité dans le cœur, est d'un prix qui surpasse tout ce que nous pouvons penser. Le bon Dieu nous dit dans l'Écriture sainte que son épouse lui avait blessé le cœur par un cheveu de son cou ; pour nous faire comprendre que la moindre bonne œuvre faite avec amour, avec la charité dans l'âme, lui est si agréable, qu'elle lui perce le cœur. La moindre action, quelque petite qu'elle soit, lui est toujours très agréable, puisqu'il n'y a rien de si petit que les cheveux de cou. O belle vertu ! que ceux qui vous possèdent sont heureux ; mais, hélas ! qu'ils sont rares !... Les saints la comparent encore à la rose qui est la plus belle de toutes les fleurs, et très odoriférante. De même, nous disent-ils, la charité est la plus belle de toutes les vertus ; son odeur monte jusqu'au trône de Dieu. Disons mieux, la charité nous est aussi nécessaire pour plaire à Dieu et pour rendre toutes nos actions méritoires, que notre âme est nécessaire à notre corps. Une personne qui n'a pas la charité dans le cœur est un corps sans âme. Oui, M.F., c'est la charité qui soutient la foi et qui la ranime ; sans la charité, elle est morte. L'espérance, comme la foi, n'est qu'une vertu languissante qui, sans la charité, ne durera pas longtemps. II. – Comprenons-nous maintenant, M.F., la valeur de cette vertu et la nécessité de la posséder pour nous sauver. Ayons au moins le soin de la demander tous les jours à Dieu, puisque, sans elle, nous ne faisons rien pour notre salut. Nous pouvons dire que lorsque la charité entre dans un cœur, elle y mène avec elle toutes les autres vertus : c'est elle qui purifie et sanctifie toutes nos actions ; c'est elle qui perfectionne l'âme ; c'est elle qui rend toutes nos actions dignes du ciel. Saint Augustin nous dit que toutes les vertus sont dans la charité, et que la charité est dans toutes les vertus. C'est la charité, nous dit-il, qui conduit toutes nos actions à leur fin, et qui leur donne accès auprès de Dieu. Saint Paul, qui a été et qui est encore la lumière du monde, en fait tant de cas et tant d'estime, qu'il nous dit qu'elle surpasse tous les dons du ciel. Écrivant aux Corinthiens, il s'écrie : « Quand même je parlerais le langage des anges, si je n'ai pas la charité, je suis semblable à une cymbale qui retentit, et ne produit qu'un son. Quand j'au rais le don de prophétie, et tant de foi que je pourrais transporter les montagnes d'un endroit à l'autre, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien. Quand je donnerais tout mon bien aux pauvres et que je livrerais mon corps aux souffrances, tout cela ne servirait de rien si je n'ai pas la charité dans mon cœur, et si je n'aime pas mon prochain comme moi-même  » Voyez-vous, M.F., la nécessité où nous sommes de demander au bon Dieu, de tout notre cœur, cette incomparable vertu, puisque toutes les vertus ne sont rien sans elle ? En voulez-vous un beau modèle ? Voyez Moïse : lorsque son frère Aaron et sa sœur Marie murmurèrent contre lui, le Seigneur les punit ; mais Moïse voyant sa sœur couverte d'une lèpre qui était la punition de sa révolte : O Seigneur ! lui dit-il, pourquoi punissez-vous ma sœur ? vous savez bien que je ne vous ai jamais demandé vengeance, pardonnez-lui, s'il vous plaît. Aussi le Saint-Esprit nous dit qu'il était le plus doux des hommes qui fussent alors sur la terre . Voilà, M.F., un frère qui a vraiment la charité dans le cœur, puisqu'il s'afflige de voir punir sa sœur. Dites-moi si nous voyions punir quelqu'un qui nous aurait fait quelque outrage, ferions-nous comme Moïse ? nous affligerions-nous, demanderions-nous au bon Dieu de ne pas le punir ?... Hélas ! qu'ils sont rares, ceux qui ont dans l'âme cette charité de Moïse ! Mais, me direz-vous, quand on nous fait des choses que nous ne méritons pas, il est bien difficile d'en aimer les auteurs. – Difficile, M.F. ?... voyez saint Etienne. Pendant qu'on l'assomme à coups de pierres, il lève les mains et prie Dieu de pardonner à ces bourreaux qui lui ôtent la vie, le péché qu'ils commettent . – Mais, pensez-vous, saint Étienne était un saint. C'était un saint, M.F. ? mais si nous ne sommes des saints, c'est un grand malheur pour nous : il faut que nous le devenions ; et aussi longtemps que nous n'aurons la charité dans le cœur, nous ne deviendrons jamais des saints. Que de péchés, M.F., l'on commet contre l'amour de Dieu et du prochain ! Désirez-vous savoir combien souvent nous péchons contre l'amour que nous devons à Dieu ? L'aimons-nous de tout notre cœur ? Ne lui avons-nous pas souvent préféré nos parents, nos amis ? Pour aller les voir, sans qu'il y eût nécessité, n'avons-nous pas souvent manqué les offices, les vêpres, le catéchisme, la prière du soir ? Combien de fois n'avez-vous pas fait manquer la prière à vos enfants dans la crainte de leur faire perdre quelques minutes ? hélas ! pour aller paître nos troupeaux dans les champs ! ... Mon Dieu ! quelle indigne préférence !... Combien de fois n'avons-nous pas manqué nous-mêmes nos prières ; ou les avons-nous faites dans notre lit, en nous habillant, ou en marchant ? Avons-nous eu soin de rapporter toutes nos actions au bon Dieu, toutes nos pensées, tous nos désirs ? Nous sommes-nous consacrés à lui dès l'âge de raison, et lui avons-nous bien donné tout ce que nous avions ? Saint Thomas nous dit que les pères et mères doivent avoir un grand soin de consacrer leurs enfants au bon Dieu, dès l'âge le plus tendre, et que, ordinairement, les enfants qui sont consacrés au bon Dieu par leurs parents, reçoivent une grâce et une bénédiction toutes particulières, qu'ils ne recevraient pas sans cela. Il nous dit que si les mères avaient bien à cœur le salut de leurs enfants, elles les donneraient au bon Dieu avant qu'ils vinssent au monde. Nous disons que ceux qui ont la charité reçoivent avec patience et résignation à la volonté de Dieu, tous les accidents qui peuvent leur arriver, les maladies, les calamités, en pensant que tout cela nous rappelle que nous sommes pécheurs, et que notre vie n'est pas éternelle ici-bas. Nous péchons encore contre l'amour de Dieu, quand nous restons trop longtemps sans penser à Lui. Combien, hélas ! passent un quart et même la moitié du jour sans faire une élévation de leur cœur vers Dieu, pour le remercier de tous ses bienfaits, surtout de les avoir faits chrétiens, de les avoir fait naître dans le sein de son Église, de les avoir préservés d'être morts dans le péché. L'avons-nous remercié de tous les sacrements qu'il a établis pour notre sanctification, de notre vocation à la foi ? L'avons-nous remercié de tout ce qu'il a opéré pour notre salut, de son incarnation, de sa mort et passion ? N'avons-nous pas eu de l'indifférence pour le service de Dieu en négligeant soit de fréquenter les sacrements, soit de nous corriger, soit d'avoir souvent recours à la prière ? N'avons-nous pas négligé de nous instruire de la manière de nous comporter pour plaire à Dieu ? Lorsque nous avons vu quelqu'un blasphémer le saint nom de Dieu, ou commettre d'autres péchés, n'avons-nous pas été indifférents, comme si cela ne nous regardait pas ? N'avons-nous pas prié sans goût, sans dessein de plaire à Dieu ; plutôt pour nous débarrasser, que pour attirer ses miséricordes sur nous, et nourrir notre pauvre âme ? N'avons-nous point passé le saint jour de dimanche en nous contentant de la messe, des vêpres ; sans faire aucune autre prière, ni visite au Saint-Sacrement, ni lecture spirituelle ? Avons-nous été affligés lorsque nous avons été obligés de manquer les offices ? Avons-nous tâché d'y suppléer par toutes les prières que nous avons pu ?... Avez-vous fait manquer les offices à vos enfants, à vos domestiques sans des raisons graves ?... Avons-nous bien combattu toutes ces pensées de haine, de vengeance et d'impureté ? Pour aimer le bon Dieu, M.F., il ne suffit pas de dire qu'on l'aime, il faut, pour bien s'assurer si cela est vrai, voir si nous observons bien ses commandements, et si nous les faisons bien observer à ceux dont nous avons la responsabilité devant le bon Dieu. Écoutez Notre-Seigneur : « En vérité, je vous dis que ce n'est pas celui qui dira : Seigneur, Seigneur, qui entrera dans le royaume des cieux ; mais celui qui fera la volonté de Mon Père . » Nous aimons le bon Dieu, quand nous ne cherchons qu'à lui plaire dans tout ce que nous faisons. Il ne faut désirer ni la vie, ni la mort ; toutefois, l'on peut désirer la mort pour avoir le bonheur d'aller vers le bon Dieu . Saint Ignace avait un si grand désir de voir Dieu, que, quand il pensait à la mort, il en pleurait de joie. Cependant dans l'attente de ce grand bonheur, il disait à Dieu, qu'il resterait autant qu'il voudrait sur la terre. Il avait tant à cœur le salut des âmes, qu'un jour ne pouvant convertir un pécheur endurci, il alla se plonger, jusqu'au cou, dans un étang glacé afin d'obtenir de Dieu la conversion de ce malheureux. Comme il allait à Paris, un de ses écoliers lui prit en route tout l'argent qu'il avait. Cet écolier étant tombé malade à Rouen, ce bon saint fit le voyage de Paris à cette ville, à pied et sans souliers, pour demander la guérison de celui qui lui avait pris tout son argent. Dites-moi, M.F., est-ce là une charité parfaite ? Vous pensez en vous-mêmes que ce serait déjà beaucoup de pardonner. Vous feriez la même chose, si vous aviez la même charité que ce bon saint. Si nous trouvons si peu de personnes qui feraient cela, M.F., c'est qu'il en est très peu qui ont la charité dans l'âme. Qu'il est consolant que nous puissions aimer Dieu et le prochain sans être savant, ni riche ! Nous avons un cœur, il suffit pour cet amour. Nous lisons dans l'histoire, que deux solitaires demandaient à Dieu depuis longtemps, qu'il voulût bien leur apprendre la manière de l'aimer et de le servir comme il faut, puisqu'ils n'avaient quitté le monde que pour cela. Ils entendirent une voix qui leur dit d'aller dans la ville d'Alexandrie où demeuraient un homme, nommé Euchariste, et sa femme qui s'appelait Marie. Ceux-là servaient le bon Dieu plus parfaitement que les solitaires, et leur apprendraient comment il doit être aimé. Très heureux de cette réponse, les deux solitaires se rendent en toute hâte dans la ville d'Alexandrie. Étant arrivés, ils s'informent, pendant plusieurs jours, sans pouvoir trouver ces deux saints personnages. Craignant que cette voix ne les ait trompés, ils prenaient le parti de retourner dans leur désert, quand ils aperçurent une femme sur la porte de sa maison. Ils lui demandèrent, si elle ne connaîtrait pas par hasard un homme nommé Euchariste. – C'est mon mari, leur dit-elle. – Vous vous appelez donc Marie, lui dirent les solitaires ? – Qui vous a appris mon nom ? – Nous l'avons appris, avec celui de votre mari, par une voix surnaturelle, et nous venons ici pour vous parler. Le mari arriva, sur le soir, conduisant un petit troupeau de moutons. Les solitaires coururent aussitôt l'embrasser, et le prièrent de lui dire quel était son genre de vie. – Hélas ! mes pères ; je ne suis qu'un pauvre berger. – Ce n'est pas ce que nous vous demandons, lui dirent les solitaires ; dites-nous comment vous vivez et de quelle manière, vous et votre femme, servez le bon Dieu. – Mes pères, c'est bien à vous de me dire ce qu'il faut faire pour servir le bon Dieu ; je ne suis qu'un pauvre ignorant. N'importe ! nous sommes venus de la part de Dieu vous demander comment vous le servez. – Puisque vous me le commandez, je vais vous le dire. J'ai eu le bonheur d'avoir une mère craignant Dieu, qui, dès mon enfance, m'a recommandé de tout faire et de tout souffrir pour l'amour de Dieu. Je souffrais les petites corrections que l'on me faisait pour l'amour de Dieu ; je rapportais tout à Dieu : le matin, je me levais, je faisais mes prières et tout mon travail pour son amour. Pour son amour, je prends mon repos et mes repas ; je souffre la faim, la soif, le froid et la chaleur, les maladies et toutes les autres misères. Je n'ai point d'enfants ; j'ai vécu avec ma femme comme avec ma sœur, et toujours dans une grande paix. Voilà toute ma vie et c'est aussi celle de ma femme. – Les solitaires, ravis de voir des âmes si agréables à Dieu, lui demandèrent s'il avait du bien. – J'ai peu de bien, mais ce petit troupeau de moutons que mon père m'a laissés me suffit, j'en ai de reste. Je fais trois parts de mon petit revenu : j'en donne une partie à l'église, une autre aux pauvres, et le reste nous fait vivre ma femme et moi. Je me nourris pauvrement ; mais jamais je ne me plains : je souffre tout cela pour l'amour de Dieu. – Avez-vous des ennemis, lui dirent les solitaires ? – Hélas, mes pères, quel est celui qui n'en a point ? Je tâche de leur faire tout le bien que je peux, je cherche à leur faire plaisir en toute circonstance, et je m'applique à ne faire de mal à personne. A ces paroles, les deux solitaires furent comblés de joie d'avoir trouvé un moyen si facile de plaire à Dieu et d'arriver à la haute perfection . Vous voyez, M.F., que pour aimer le bon Dieu et le prochain il n'est pas nécessaire d'être bien savant, ni bien riche ; il suffit de ne chercher qu'à plaire à Dieu, dans tout ce que nous faisons ; de faire du bien à tout le monde, aux mauvais comme aux bons, à ceux qui déchirent notre réputation, comme à ceux qui nous aiment, et, qui…. Prenons Jésus-Christ pour notre mo dèle, nous verrons ce qu'il a fait pour tous les hommes et particulièrement pour ses bourreaux. Voyez comme il demande pardon, miséricorde pour eux ; il les aime, il offre pour eux les mérites de sa mort et passion ; il leur promet le pardon. Si nous n'avons pas cette vertu de charité, nous n'avons rien ; nous ne sommes que des fantômes de chrétiens. Ou nous aimerons tout le monde, même nos plus grands ennemis, ou nous serons réprouvés. Ah ! M.F., puisque cette belle vertu vient du ciel, adressons-nous donc au ciel pour la demander, et nous sommes sûrs de l'obtenir. Si nous possédons la charité, tout en nous plaira au bon Dieu, et par là nous nous assurerons le paradis. C'est le bonheur que je vous souhaite.

 

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