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18ème DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE Sur l'Envie Ut quid cogitatis mala in cordibus vestris Pourquoi avez-vous de mauvaises pensées dans vos cœurs ? (S. Matth., ix, 4.) Non, M.F., il n'y a rien de si saint ni de si parfait que les méchants ne blâment et ne condamnent ; ils corrompent, par la malignité de leur envie, les plus belles vertus des hommes, et répandent le poison de leurs médisances et de leurs jugements téméraires sur les meilleures actions du prochain. Ils sont semblables aux serpents qui ne se nourrissent des fleurs que pour en faire la matière de leur venin. Ce qu'ils haïssent dans leurs frères, nous dit saint Grégoire le Grand, ce sont les plus belles qualités ; et par là, ils semblent reprocher au bon Dieu le bien qu'il leur fait. Pourquoi les Juifs ont-ils si fort déclamé contre Jésus-Christ, ce tendre et aimable Sauveur, qui ne venait au milieu d'eux que pour les sauver ? Pourquoi se sont-ils si souvent assemblés, tantôt pour le précipiter du haut de la montagne , tantôt pour le lapider , et d'autres fois pour le faire mourir  ? N'est-ce pas parce que sa vie sainte et exem plaire condamna leur vie orgueilleuse et criminelle, et qu'elle était comme un bourreau secret qui les torturait ? N'est-ce pas encore parce que ses miracles attiraient le peuple à sa suite, et parce que celui-ci semblait laisser de côté ces impies ? Etant dévorés par une rage intérieure ; ne pouvant plus y tenir : Qu'avons-nous à délibérer, s'écriaient-ils, qu'attendons-nous ? Il faut, à quel prix que ce soit, nous en défaire. Ne voyez-vous pas qu'il étonne le monde par la grandeur de ses prodiges Ne faites-vous pas attention que tous courent après lui et nous abandonnent ? Faisons-le mourir : il n'y a pas d'autre moyen de nous en délivrer . Hélas ! M.F., quelle passion est comparable à celle de l'envie ? Toutes les belles qualités et tous les beaux traits de bonté que ces Juifs voyaient briller dans la conduite de Jésus-Christ auraient dû les réjouir et les consoler ; mais non, l'envie qui les dévore est cause qu'ils en sont affligés ; ce qui devrait les convertir devient la matière de leur envie et de leur jalousie. On présente à Jésus-Christ un paralytique couché dans son lit . Ce tendre Sauveur le regarde et le guérit, en lui disant avec bonté : « Mon fils, ayez confiance, vos péchés vous sont remis. Allez, prenez votre lit, marchez. » Tout autre que les pharisiens aurait été pénétré de reconnaissance, et se serait empressé d'aller publier partout la grandeur de ce miracle ; mais non, ils étaient si endurcis qu'ils en prirent occasion de le décrier, de le traiter de blasphémateur. C'est ainsi, M.F., que l'envie empoisonne les meilleures actions. Ah ! si du moins ce maudit péché était mort avec les pharisiens ! mais, au contraire, il a poussé des racines si profondes qu'on le trouve dans tous les états et dans tous les âges. Pour vous donner une idée de la bassesse de celui qui se livre à ce péché, je vais vous montrer : 1? que rien n'est plus odieux, et cependant rien n'est plus commun que ce péché ; 2? qu'il n'y a rien de dangereux pour le salut comme l'envie, et que, pourtant, il n'est point de péché dont on se corrige moins. I. – Avant de vous montrer, M.F., combien ce péché avilit et dégrade celui qui le commet, et combien le bon Dieu l'a en horreur, je veux vous faire comprendre, autant que je le pourrai, ce qu'est le péché d'envie. Ce maudit péché, saint Thomas l'appelle un chagrin et une tristesse mortels, que nous ressentons dans notre cœur, au sujet des bienfaits que Dieu daigne répandre sur notre prochain. C'est encore, nous dit-il, un malin plaisir que nous éprouvons quand notre prochain essuie quelque perte ou quelque disgrâce . Je suis sûr, M.F., que ce simple exposé commence déjà à vous faire sentir combien ce péché est odieux, non seulement à Dieu, mais encore à toute personne qui n'en est pas dévorée. Peut-on trouver une passion plus aveugle que celle qui consiste à s'affliger du bonheur de ses frères, et à se réjouir de leur malheur ? Voilà précisément ce qu'on appelle péché d'envie, péché si odieux qu'il renfermé tout à la fois une lâcheté, une cruauté et une secrète perfidie. Pourriez-vous, M.F., vous en former une idée ? vous le représenter tel qu'il est ? Non, vous ne le pourrez jamais. Cela est surtout impossible à ceux qui le commettent, tant il les aveugle. Dites-moi, pourquoi êtes-vous fâché de ce que votre voisin réussit mieux que vous dans ses affaires ? IL ne vous empêche pas de faire ce que vous pouvez pour réussir aussi bien et même mieux que lui. Vous vous affligez de ce qu'il a plus de talent et plus d'esprit que vous ; mais il ne vous ôte pas ce que vous avez. Vous voyez avec peine qu'il augmente ses biens ; mais cette augmentation ne diminue pas les vôtres. Vous vous chagrinez de ce qu'il est aimé et estimé ; mais il ne vous prend pas l'amour ni l'estime que l'on a pour vous Vous êtes fatigué de voir une personne plus sage ; eh ! qui vous empêche de l'être encore plus qu'elle, si vous voulez ? Le bon Dieu ne vous donnera-t-il pas sa grâce autant qu'il vous est nécessaire ? D'autres fois, au contraire, vous vous réjouissez quand votre prochain éprouve quelque perte de biens, ou que l'on flétrit un peu sa réputation ; mais ses disgrâces et ses misères ne vous donnent rien. Voyez-vous, M.F., combien cette passion aveugle celui qui s'y abandonne. Il n'en est pas de ce péché comme des autres : un voleur, par exemple, en prenant, éprouve un certain plaisir à posséder ce qu'il a pris ; un impudique qui se livre à ses turpitudes goûte une jouissance d'un moment, quoique les remords suivent de bien près ; un ivrogne éprouve une satisfaction dans le moment où le vin passe du verre dans son estomac ; un vindicatif croit éprouver une joie dans l'instant où il se venge ; mais un envieux ou un jaloux n'a rien qui le dédommage. Son péché est semblable à une vipère, qui engendre dans son sein les petits qui la feront périr. Ah ! maudit péché, quelle guerre cruelle et intestine ne fais-tu pas à celui qui a le malheur de t'avoir engendré ! Mais, me direz-vous peut-être, en quel lieu ce péché a-t-il été commis pour la première fois ? – Hélas ! il a commencé dans le ciel. Les anges, qui étaient les plus belles créatures de Dieu, devinrent jaloux et envieux de la gloire de leur Créateur, et voulurent, s'attribuer à eux mêmes ce qui n'était dû qu'à Dieu seul ; et ce péché d'envie fut la cause que le Seigneur creusa un enfer, pour y précipiter cette multitude infinie d'anges qui sont maintenant les démons. De là, le péché d'envie descendit sur la terre, et alla prendre racine dans le paradis, terrestre ; c'est donc véritablement par l'envie que le péché est entré dans le monde. Le démon qui, par son envie, avait déjà perdu le ciel, ne pouvant souffrir que l'homme, qui lui était très inférieur par sa création, fit si heureux dans le paradis terrestre, voulut essayer de l'entraîner dans son malheur. Hélas ! il ne réussit que, trop bien. S'adressant à la femme comme à la plus faible, il fit briller à ses yeux les grandes connaissances qu'elle aurait de plus, si elle mangeait le fruit que le Seigneur lui avait défendu de manger . Elle se laissa tenter et tromper, et porta son mari à faire de même. Cette faute leur coûta bien cher ; dès cet instant, ils furent condamnés à la mort : ce qui est la punition la plus humiliante, l'homme étant créé pour ne mourir jamais. Depuis, ce péché a fait dans le monde les plus effroyables ravages. Le premier meurtre qui se commit eut l'envie pour cause. Pourquoi, nous dit saint Jean , Caïn tua-t-il son frère Abel ? C'est parce que les actions de Caïn étaient mauvaises, et il s'attirait la haine de Dieu et des hommes ; tandis que son frère étant bon, était aimé de Dieu et des hommes, et ses bonnes actions devenaient pour Caïn un reproche continuel. Mais l'envie dont il était dévoré ne se renferma pas seulement dans son âme. Elle se manifesta sur son visage par la grande tristesse qu'il faisait paraître. Aussi le Seigneur, nous dit la sainte Écriture, ne regarda ni Caïn ni son offrande . Alors il se dit en lui-même : Mon frère est aimé de tout le monde ; il est cause que je suis méprisé. Il faut que je me venge de ce mépris, il faut que je le tue de mes propres mains, et que j'ôte de devant mes yeux un objet qui m'est insupportable. – « Allons, mon frère, lui dit ce malheureux envieux, allons nous promener dans les champs. » Le pauvre innocent le suit, sans savoir qu'il va être son bourreau. Dès qu'ils sont dans les champs, Caïn le frappe, le blesse et le tue. Abel tombe à ses pieds baigné dans son sang. Bien loin d'être saisi d'horreur d'un tel crime, Caïn au contraire s'en réjouit, au moins pour le moment ; car son péché ne tardera pas à devenir son bourreau. Voyez encore Esaü, que l'envie dévore. Comme Caïn, il veut aussi tuer son frère Jacob, à cause de la bénédiction que celui-ci a reçue de son père. Il se dit en lui-même : « Le temps de la mort de mon père viendra bien ; alors je me vengerai, je le tuerai . » Le pauvre Jacob est obligé, pour éviter la mort, de fuir chez son oncle Laban, où il resta longtemps sans revenir, dans la crainte d'être encore exposé à l'envie de son propre frère. Ce fut aussi l'envie qui anima les frères de Joseph contre lui, jusqu'à vouloir lui ôter la vie . Mon-Dieu ! que cette passion est aveugle ! Joseph rapporta à ses frères un songé qu'il avait eu, et qui semblait l'élever au-dessus d'eux. Ils résolurent dès lors de le tuer : car sa vie innocente et agréable à Dieu condamnait leur vie criminelle. De même, Saül dévoré d'envie contre David, auquel on donnait plus d'éloges qu'à lui-même, lui tendit toute sorte de pièges pour le faire périr, et ne put point avoir de repos jusqu'à la mort . Ah ! M.F., que nous devons prendre garde de ne point laisser naître cette passion dans nos cœurs ; car une fois qu'elle a pris racine, il est difficile de la détruire ! En voici un exemple bien frappant, rapporté dans l'histoire de l'abbé Paphnuce . Ses vertus étaient si éclatantes, qu'il était un objet d'admiration pour tous ceux qui avaient le bonheur de le connaître : Dans le même monastère vivait un autre religieux, tellement jaloux d'une si grande réputation, qu'il prit la résolution de faire tout ce qu'il pourrait pour le décrier. Un dimanche, cet envieux entra secrètement dans la cellule de saint Paphnuce, qui assistait en ce moment à la sainte Messe, et ayant caché son livre sous un petit tas de bois, s'en alla avec les autres à l'église. Il vint porter ses plaintes au supérieur, et assurer, devant tout le monde ; qu'on lui avait volé son livre. Le supérieur ordonna, qu'aucun des religieux ne sortit de l'église ; après quoi, il envoya trois anciens, qui parcoururent toutes les cellules, et trouvèrent ce livre dans la cellule de saint Paphnuce. A leur retour, ils le montrèrent à tout le monde, disant qu'ils l'avaient trouvé dans la cellule de Paphnuce. Celui-ci, quoique sa conscience fût en sûreté, ne chercha nullement à se justifier ; de peur que, s'il le niait, on ne le crût coupable de mensonge. Personne, en effet, ne pouvait croire autre chose en cela, que ce qu'il avait vu de ses yeux. Ce pauvre jeune homme se contenta d'offrir ses larmes au bon Dieu, et s'humilia profondément devant tout le monde, comme s'il eût été véritablement coupable. Il passa presque deux semaines à jeûner, pour demander au bon Dieu la grâce de bien souffrir cette épreuve pour son amour. Témoin de la joie de son serviteur, Dieu ne tarda pas à faire connaître la vérité. Afin de révéler l'innocence de son disciple, qui soutenait avec tant de calme la noire calomnie que l'envie lui avait attirée, il permit, par un terrible jugement, que l'auteur, d'un si grand crime fût possédé du démon, et forcé d'avouer ce crime d'envie en présence de tous les religieux. Cet esprit impur l'attaqua si violemment, et le tourmenta avec tant d'opiniâtreté, qu'aucun saint du désert ne fut capable de le chasser. Ce malheureux envieux fut enfin forcé d'avouer son imposture, et de proclamer que Paphnuce était un saint et pouvait seul le délivrer ; il ajouta que le démon ne l'avait possédé qu'en punition de ce qu'il avait voulu faire passer ce saint pour un hypocrite. Il lui demanda bien pardon, le conjurant d'avoir pitié de lui. Comme tous les saints, Paphnuce, sans fiel et sans ressentiment, s'approcha du coupable, et commanda au démon de le quitter ; ce qu'il fit sur le champ. Hélas ! dit saint Ambroise, qu'ils sont-nombreux dans le monde les envieux qui sont fâchés de ce que le bon Dieu bénit leurs frères ! Selon le saint homme Job, la colère fait mourir l'insensé, et l'envie fait mourir les petits esprits . En effet, M.F., n'est-ce pas avoir un bien petit esprit d'être fâché de ce qu'un voisin, et peut-être même un frère ou une sœur, est heureux, de ce qu'il fait bien ses affaires, de ce qu'il est aimé et de ce qu'il est béni du bon Dieu ? Oui, mes enfants, nous dit saint Grégoire le Grand, il faut avoir un esprit bien faible pour se laisser tyranniser par une passion si déshonorante et si éloignée de la charité. Un chrétien ne doit-il pas se réjouir de voir son prochain heureux ? Dites-moi, M.F., peut-on concevoir quelque chose de plus odieux que d'être fâché du bonheur de son voisin, et se réjouir de ses peines ? Aussi voyons-nous que celui qui est atteint d'une passion si basse et si indigne d'une créature raisonnable, a bien soin de la cacher autant qu'il le peut. Il tâche de l'envelopper de mille prétextes, afin de faire croire qu'il n'agit que pour le bien. Quelle criminelle lâcheté ! Être dévoré de chagrin de ce que le bon Dieu comble de biens ceux qui le méritent beaucoup mieux que nous !... Un envieux n'a pas un moment de repos. Sur qui l'envieux répand-il son écume venimeuse ? C'est, ou sur son ennemi, ou sur son ami, ou enfin sur une personne qui lui est indifférente. 1° Si c'est sur un ennemi, l'envieux sait bien que non seulement il ne doit pas lui souhaiter de mal ; mais que Jésus-Christ lui commande de l'aimer comme lui-même, de lui faire du bien et de prier pour lui  ; afin que le bon Dieu le bénisse dans ses biens spirituels ou temporels. Mais, dites-vous, c'est que l'on m'a fait du mal, c'est que l'on m'a dit quelque chose qui ne m'a pas convenu. Soit, mais par là même vous montrez une lâcheté affreuse ; vous n'avez pas le courage de faire ce que tant de saints ont fait avec la grâce divine. 2? S'il s'agit d'un ami, vous lui faites bon semblant quand vous le voyez, vous lui parlez comme si vous lui souhaitiez toutes sortes de biens, et dans votre cœur vous voudriez qu'il fût malheureux, que le bon Dieu l'abandonnât, le réduisît à la misère, ou bien qu'il devînt un objet de mépris aux yeux du monde : quelle perfidie, quelle cruauté ! Il vous ouvre son cœur, tandis que vous vomissez sur lui le venin de votre envie. Que penseriez-vous d'une personne qui se comporterait de cette manière à votre égard ? Si vous voyiez le fond de son cœur, vous en seriez indigné, vous diriez en vous-même : voilà un lâche, un perfide, un méchant, qui, en me parlant, me fait bonne grâce, et semble me souhaiter toutes sortes de biens ; tandis que, dans son cœur, il voudrait me voir le plus malheureux des hommes. Est-il une passion plus méchante que celle-là ? 3? Mais il s'agit d'une personne indifférente. Que vous a-t-elle fait pour s'attirer le venin de votre fiel ? Pourquoi vous affliger de ce qu'elle est heureuse, ou vous réjouir de ce qu'il lui arrive quelque disgrâce ? Que cette passion de l'envie est cruelle, M.F., et qu'elle est aveugle ! Comme hommes, vous le savez, M.F., nous devons avoir de l'humanité les uns pour les autres ; mais un envieux au contraire voudrait, s'il le pouvait, détruire ce qu'il aperçoit de bien dans son prochain. Comme chrétiens, vous le savez aussi, nous devons avoir une charité sans bornes pour nos frères. Nous avons vu des saints, qui, non contents de donner tout ce qu'ils avaient pour racheter leurs frères, se sont encore donnés eux-mêmes. Moïse consentait à se laisser effacer du livre de vie pour sauver son peuple, c'est-à-dire pour obtenir son pardon du Seigneur . Saint Paul nous dit qu'il donnerait mille fois sa vie pour sauver l'âme de ses frères . Mais un envieux est bien éloigné de toutes ces vertus, qui font le plus bel ornement d'un chrétien. Il voudrait voir son frère se ruiner. Chaque trait de la bonté de Dieu envers son prochain est un coup de lance qui lui perce le cœur et le fait mourir secrètement. Puisque « nous sommes tous un même corps » dont Jésus-Christ est le chef , nous devons faire paraître en tout l'union, la charité, l'amour et le zèle. Pour nous rendre heureux les uns les autres, nous devons nous réjouir, comme nous dit saint Paul, du bonheur de nos frères, et nous affliger, avec eux quand ils ont quelques peines . Loin d'avoir ces sentiments, l'envieux ne cesse de lancer des médisances et des calomnies contre son voisin. Il semble par là se soulager, et adoucir un peu son chagrin. Hélas ! nous n'avons pas dit assez encore. C'est ce vice redoutable qui renverse les rois et les empereurs de leur trône. Pourquoi, M.F., parmi ces rois, ces empereurs, ces hommes qui occupent les premières places, les uns sont-ils chassés, les autres empoisonnés, d'autres poignardés. Ce n'est que pour régner à leur place. Ce n'est pas le pain, ni le vin, ni le logement qui manquent aux auteurs de ces crimes. Non, sans doute ; mais c'est l'envie qui les dévore. D'autre part, voyez un marchand, il voudrait avoir toutes les pratiques, et les autres point. Si quelqu'un le quitte pour aller ailleurs, il tâchera de dire autant de mal qu'il pourra soit de la personne du marchand, soit de la marchandise. Il prendra tous les moyens possibles pour lui faire perdre sa réputation, en disant que sa marchandise n'est pas si bonne que la sienne, ou qu'il ne fait pas bon poids. Voyez encore la ruse diabolique de cet envieux : il ne faut pas le dire à d'autres, ajoute-t-il, dans la crainte de lui porter perte ; j'en serais bien fâché, je vous le dis seulement afin que vous ne vous laissiez point tromper. Voyez un ouvrier, si un autre va travailler dans la maison où il a la coutume d'aller, cela le fâche ; il fera tout ce qu'il pourra pour décrier cette personne afin qu'on ne la reçoive pas. Voyez un père de famille, comme il est fâché si son voisin fait mieux ses affaires que lui, si ses terres produisent plus que les siennes. Voyez une mère, elle voudrait que l'on ne parlât avantageusement que de ses enfants ; si on loue d'autres enfants devant elle et qu'on ne loue pas les siens, elle répondra : Ils ne sont pas parfaits ; et elle devient triste. Que vous êtes bonne ; pauvre mère ! les louanges que l'on donne aux autres n'ôtent rien aux vôtres. Voyez la jalousie d'un mari à l'égard de sa femme et d'une femme pour son mari ; voyez comment ils s'examinent dans tout ce qu'ils font, dans tout ce qu'ils disent ; comme ils remarquent toutes les personnes à qui ils parlent, toutes les maisons dans lesquelles ils vont. Si l'un s'aperçoit que l'autre parle à quelqu'un, il n'y a sorte d'injures dont il ne l'accable, quoique souvent il soit bien innocent. N'est-ce pas ce maudit péché qui divise les frères et les sœurs ? Un père ou une mère donnent-ils quelque chose de plus aux uns qu'aux autres, vous voyez aussitôt naître cette haine jalouse contre celui ou contre celle qui a été favorisé ; haine qui dure des années entières et quelquefois toute la vie. Ces enfants ne sont-ils pas toujours à surveiller leur mère ou leur père, pour voir s'il ne donne pas quelque chose, ou fait bonne grâce à l'un d'eux ? Alors, il n'y a sorte de mal qu'ils ne disent. Nous voyons même que ce péché semble naître avec les enfants. Voyez, en effet, parmi eux, cette petite jalousie qu'ils conçoivent les uns contre les autres, s'ils aperçoivent quelque préférence de la part des parents. Voyez un jeune homme, il voudrait être le seul à avoir de l'esprit, du savoir, une bonne conduite ; il est affligé si les autres font mieux, ou sont plus estimés que lui. Voyez une jeune fille, elle voudrait être la seule aimée, la seule bien parée, la seule recherchée. Si d'autres lui sont préférées, vous la voyez se chagriner et se tourmenter, peut-être même pleurer, au lieu de remercier le bon Dieu d'être méprisée des créatures pour ne s'attacher qu'à lui seul. Quelle aveugle passion, M.F. ! qui pourrait bien la comprendre ? Hélas ! M.F. ; ce vice se trouve même parmi ceux dans lesquels on ne devrait pas le rencontrer ; je veux dire parmi les personnes qui font profession de religion. Elles examineront combien de temps une telle reste à se confesser, la manière dont elle se tient pour prier le bon Dieu ; elles en parlent et elles les blâment. Elles pensent que toutes ces prières, ces bonnes œuvres ne sont que pour se faire voir, ou, si vous le voulez, ne sont que grimaces. On a beau leur dire que les actions du prochain le concernent seul ; elles s'irritent et prennent ombrage de ce que les autres agissent mieux qu'elles-mêmes. Voyez même parmi les pauvres, si l'on fait plus de bien à l'un d'eux, ils en disent du mal à celui qui a fait l'aumône, afin de le détourner pour une autre fois. Mon Dieu ! quelle détestable passion ! Elle s'attaque à tout, aux biens spirituels comme aux temporels. Nous avons dit que cette passion montre un petit esprit. Cela est si vrai que personne ne croit l'avoir, du moins ne veut croire en être atteint. On tâchera de la couvrir de mille prétextes pour la cacher aux autres. Si, en notre présence, on dit du bien de notre prochain, nous gardons le silence ; cela nous afflige le cœur. Si nous sommes obligés de parler, nous le faisons d'une manière froide. Non, M.F., il n'y a point de charité dans un envieux. Saint Paul nous dit que nous devons nous réjouir du bien qui arrive à notre prochain . C'est, M.F., ce que la charité chrétienne doit nous inspirer les uns pour les autres. Mais les sentiments d'un envieux sont bien différents. Non, je ne crois pas qu'il y ait un péché plus mauvais et plus à craindre que celui d'envie, parce que c'est un péché caché, et souvent couvert d'une belle robe de vertu ou d'amitié. Disons mieux : c'est un lion que l'on fait semblant de museler, ou un serpent couvert d'une poignée de feuilles, qui vous mordra sans que vous vous en aperceviez ; c'est une peste publique qui n'épargne personne. Ce n'est ordinairement que ce maudit péché qui jette les divisions et le trouble dans les familles. Je dis, M.F., que ce péché est un péché de malice voici un exemple qui va vous le prouver clairement. Saint Vincent Ferrier rapporte qu'un prince ayant appris qu'il y avait dans sa ville capitale deux hommes dont l'un était très avare et l'autre très envieux, les fit venir auprès de lui. Il leur promit de leur accorder tout ce qu'ils demanderaient, avec cette condition néanmoins, que celui qui demanderait le premier recevrait la moitié moins que son compagnon. Cette condition les troubla beaucoup. L'avare brillait du désir d'avoir de l'argent, mais se disait en lui-même : Si je demande le premier, je ne vais avoir que la moitié de ce que l'autre aura. L'envieux était pressé de demander, mais il était jaloux de ce que l'autre aurait eu la moitié plus que lui. Le temps se passait ainsi en disputes, sans que ni l'un ni l'autre ne voulût commencer : l'un était retenu par l'avarice, l'autre par l'envie. Pour terminer enfin cette contestation, le prince ordonna que l'envieux demandât le premier. Dans son désespoir, voyez ce que fit celui-ci. Saisi d'un accès de fureur incompréhensible, il s'écria : « Puisque vous nous avez promis d'accorder tout ce que nous demanderions, je veux qu'on m'arrache un œil » Savez-vous, M.F., pourquoi il fit cette demande ? C'est que, vous vous le rappelez, le prince avait promis le double à celui qui demanderait le dernier. L'envieux se disait : J'aurai encore un œil pour jouir du plaisir de voir arracher les deux yeux à mon camarade, et lui n'aura pas plus que moi. Je ne crois pas, nous dit saint Vincent Ferrier, en déplorant le malheur de ceux qui sont atteints de ce vice, je ne crois pas que jamais une autre passion ait porté un homme à une telle méchanceté. N'est-ce pas encore l'envie qui fit jeter le pauvre Daniel dans la fosse aux lions  ? Que ce péché est donc commun ! Il s'étend partout, à toutes les conditions, à tous les âges. Qu'il est détestable ! Mais ce qu'il y a de plus déplorable, M.F., c'est qu'il est peu connu, et il y en a très peu qui veuillent s'en croire coupables, et il y en a moins encore qui travaillent à s'en corriger. II. – Pour s'accuser d'un péché, s'en humilier et cesser de le commettre, il faut nécessairement le connaître. Mais un envieux, un jaloux est si aveugle qu'il ne reconnaît pas sa passion. C'est un endurci qui ne veut, ni la quitter, ni s'en accuser. De là, je conclus qu'il, est très rare qu'un envieux se convertisse. Vous me direz peut-être que tout péché aveugle bien qui le commet. Cela est vrai ; mais, il n'y en a point qui enveloppe l'âme de nuages aussi épais que le péché d'envie, et qui ôte plus la connaissance de soi-même. C'est pourquoi, le Saint-Esprit nous dit, par la bouche du Sage, de ne pas fréquenter les envieux, parce qu'ils n'ont point de part à la sagesse . Un pauvre envieux se persuade que son péché n'est rien, ou du moins bien peu de chose, parce que ce péché ne le déshonore pas aux yeux du monde comme le ferait le vol, le blasphème, l'adultère. IL regarde la passion qui le dessèche comme une chose bien pardonnable ; il ne pense pas que c'est le poison de Caïn, dont il devient l'imitateur. Ce misérable, nous dit l'Écriture sainte, ne put souffrir que Dieu préférât l'offrande de son frère Abel à la sienne . Sa passion l'aveugla à un tel point, qu'il n'eut pas de repos avant de lui avoir ôté la vie. Le Seigneur lui fit entendre sa voix du haut du ciel : « Caïn, Caïn, qu'as-tu fait ? où est ton frère ? son sang crie vengeance. » Caïn trembla et frissonna de tout son corps. Il devint lui-même son bourreau, et porta partout avec lui son supplice. Mais, nous dit saint Basile, se reconnaît-il ? se convertit-il ? Non, M.F., non, l'envie l'a tellement aveuglé qu'il périt misérablement dans son péché. Voyez encore les pharisiens. L'envie leur fait demander à grands cris la mort de Jésus-Christ, qui avait opéré tant de miracles sous leurs yeux. Se sont-ils convertis ? Non, M.F., non, ils, sont morts dans leur péché. Je dis de plus : ce péché non seulement aveugle, mais encore il endurcit. Saint Basile ajoute qu'un envieux n'est autre chose qu'un monstre de... qui rend le mal pour le bien ; son péché l'entraîne dans une suite d'autres péchés qui toujours l'éloignent de Dieu, et toujours l'endurcissent davantage. Sa conversion devient toujours plus difficile. Voyez ce qui arriva à la sœur de Moïse. Elle ne pouvait souffrir l'honneur que le Seigneur faisait à son frère. Est-ce que le Seigneur n'a parlé qu'à Moïse ? disait-elle. Ne nous a-t-il pas parlé aussi bien qu'à lui ? Mais le Seigneur la reprit de ce qu'elle osait porter envie à son frère, et lui dit : Vous allez bientôt subir la peine que mérite votre péché de jalousie ; et il la frappa d'une lèpre qui lui couvrit tout le corps . Pourquoi le bon Dieu lui envoya-t-il cette maladie plutôt qu'une autre ? C'est que cette maladie montre la nature de son péché : comme la lèpre gâte toutes les parties du corps, de même l'envie corrompt toutes les puissances de l'âme. La lèpre est une corruption de la masse du sang et un signe de mort ; de même l'envie est une pourriture spirituelle qui s'insinue jusque dans la mœlle des os. Cela nous montre, M.F., combien il est difficile de guérir une personne qui est atteinte du péché d'envie. Voyez encore ce qui arriva à Coré, Dathan et Abiron. Jaloux des honneurs que l'on rendait à Moïse, ces misérables lui dirent : « Est-ce que nous ne sommes pas autant que vous ? Est-ce que nous ne pouvons pas offrir de l'encens au Seigneur aussi bien que vous ? » On eut beau leur représenter qu'ils allaient irriter le Seigneur, qu'il les punirait. Rien ne fut capable de les arrêter. Ils voulurent offrir de l'encens. Mais Dieu dit à Moïse et à Aaron : « Faites-les séparer, et tout ce qui leur appartient. Je vais les punir rigoureusement. » En effet, dans le moment où ils croyaient contenter leur envie, la terre s'ouvrit sous leurs pieds, et les engloutit tout vivants dans les enfers . Ah ! M.F., que ce péché est difficile à quitter quand une fois nous en sommes atteints. Combien de personnes ont conçu cette haine contre quelqu'un, et ne peuvent plus s'en défaire ; elles la conservent durant des mois, des années entières et souvent toute leur vie. Elles ne le font pas paraître ; elles rendront service tout de même à ceux qui en sont l'objet ; mais elles aimeraient mieux ne pas les voir. Elles fuient, elles coupent court, si elles le peuvent, à leur conversation ; elles aiment autant en entendre dire du mal que du bien ; elles cherchent mille prétextes pour éviter d'avoir à faire avec elles. Si elles éprouvent quelque peine, elles pensent que ces personnes en sont la cause, et elles disent : j'aimerais mieux ne pas les voir, parce que cela me fatigue, leurs manières me déplaisent. Vous vous trompez, mon ami, c'est votre passion d'envie qui vous ronge et vous dessèche ; ôtez ce péché de votre cœur et vous les aimerez comme tout le monde. Voulez-vous, M.F., un exemple qui vous fera connaître combien ce péché aveugle l'homme. Voyez Pharaon. Jaloux des bénédictions que le Seigneur répandait sur le peuple Juif, il l'accabla de travaux . Le Seigneur, par le ministère de Moïse et d'Aaron, fit des miracles extraordinaires pour le forcer à laisser partir son peuple. Mais les miracles, qui auraient dû convertir ce prince, ne servirent qu'à l'endurcir de plus en plus. Cependant un dernier châtiment toucha son cœur. Dieu fit mourir tous les premiers-nés d'Égypte. Alors, le roi consentit à laisser partir les Israélites. A peine furent-ils partis, qu'il s'en repentit et les poursuivit avec toute son armée. Mais le Seigneur protégeait toujours son peuple... Moïse se voyant pris entre la mer et l'armée de Pharaon, frappa la mer. La mer lui ouvrit un passage, et-dès que les Israélites eurent passé, elle retourna dans son lit ordinaire, engloutit Pharaon et toute son armée sans qu'il en restât un seul. C'est encore l'envie qui anima Saül contre le pauvre David, jusqu'à chercher tous les moyens de lui ôter la vie. Et savez-vous pourquoi ? David avait tué dix mille ennemis. A son retour de la guerre, le peuple chanta : « Saül en a tué mille et David dix mille. » L'écriture sainte nous dit que cela irrita tellement Saül que, depuis ce jour, il n'eut point de repos . Mais le bon Dieu, pour faire connaître combien ce péché lui est odieux, donna la permission au démon d'entrer dans le corps de Saül. Son orgueil engendra l'envie parce que ces deux passions ne vont pas l'une sans l'autre. Nous pouvons dire qu'un orgueilleux est un envieux, et qu'un envieux est un orgueilleux . Nous voyons que presque tous ceux qui sont atteints de ce vice perdent même la vie par ce bourreau. Saül ne pouvant plus y tenir, s'égorgea lui-même. Vous voyez donc, M.F., d'après ces exemples, combien ce péché est à craindre, puisque, presque jamais, un envieux ne s'est converti. Le bon Dieu, il est vrai, ne frappe pas toujours les envieux de ces châtiments épouvantables ; mais ils n'en sont pas moins malheureux, et ne laissent pas que d'être damnés. Nous nous conduisons en enfer sans nous en apercevoir. Mais comment, M.F., pouvons-nous nous corriger de ce vice, puisque nous ne nous croyons pas coupables ? Je suis sûr que, de mille envieux, en bien les examinant, il n'y en aura pas un qui veuille croire qu'il est de ce nombre. Il n'y a point de péché que l'on connaisse moins que celui-là. Dans les uns, l'ignorance est si grande qu'ils ne connaissent pas même le quart. de leurs péchés ordinaires ; et comme le péché d'envie est beaucoup plus difficile à connaître, il n'est pas étonnant que si peu s'en confessent et s'en corrigent. Parce qu'ils ne font pas ces gros péchés que commettent les gens grossiers et abrutis, ils pensent que les péchés d'envie ne sont que de petits défauts de charité, tandis qu'en grande partie ce sont de bien mauvais péchés mortels, qu'ils nourrissent et entretiennent dans leur cœur, souvent sans bien les connaître. – Mais, pensez-vous en vous-même, si je les connaissais, je tâcherais bien de me corriger. – Pour les connaître, M.F., il faut demander les lumières du Saint-Esprit : lui seulement vous fera cette grâce. On aurait beau vous le faire toucher au doigt, vous ne voudriez pas en convenir, vous trouveriez toujours quelque chose qui vous ferait croire que vous n'avez pas tort de penser et d'agir de la manière dont vous agissez. Savez-vous encore ce qui pourra contribuer à vous faire connaître l'état de votre âme et à découvrir ce maudit péché caché dans les plis secrets de votre cœur ? C'est l'humilité : comme l'orgueil vous le cache, l'humilité vous le découvrira. Saint Augustin craignait tant ce péché d'ignorance, que souvent il répétait cette prière : « Seigneur, mon Dieu, faites-moi connaître ce que je suis . » Hélas ! M.F., combien de personnes qui même font profession de piété, en sont atteintes et ne le croient pas. Si maintenant je demandais à un enfant quelle est la vertu opposée à l'envie, il me répondrait : C'est l'amour du prochain et la libéralité envers les pauvres. Que le monde serait heureux, M.F., si nous avions cet amour que la religion nous commande d'avoir les uns pour les autres ; si nous savions nous réjouir avec ceux qui sont heureux et dans la joie, et nous attrister avec ceux qui sont dans la peine et les souffrances ; remercier le bon Dieu du bien qu'il accorde à nos voisins, comme nous voudrions qu'ils le fissent à notre égard ! C'est cependant, M.F., ce que tous les saints ont fait. Voyez Jésus-Christ lui-même, comme il était touché de nos misères et comme, il désirait nous rendre heureux ! Il quitta son Père pour venir nous rendre le bonheur. Il sacrifia, non seulement sa réputation, mais sa vie même, en mourant, comme un infâme, sur une croix. Voyez comme il était touché de compassion pour les malades, les infirmes ; voyez avec quel empressement il va lui-même les guérir et les consoler. Voyez comme ses entrailles sont émues de la même compassion pour cette foule de peuple qui le suivait dans le désert ; il fait même un miracle pour leur donner à manger. « Je crains, disait-il à ses apôtres, que ces pauvres gens ne tombent de faiblesse en chemin . » Voyez comme les apôtres ont tous sacrifié leur vie pour rendre leurs frères heureux ! Voyez combien les pre miers chrétiens étaient charitables les uns pour les autres, et comme ce péché était éloigné d'eux ! Le Saint-Esprit nous dit « qu'ils n'avaient qu'un cœur et qu'une âme , » et nous montre ainsi qu'ils voyaient avec autant de plaisir le bien que le bon Dieu faisait à leurs frères que s'il l'eût fait à eux-mêmes. Voyez tous les saints : les uns ont donné leur vie pour sauver celle de leurs frères ; les autres se sont dépouillés, non seulement de leurs biens pour les pauvres ou les souffrants ; mais, après avoir donné tout ce qu'ils pouvaient donner, ils se sont encore donnés eux-mêmes ! Ils se sont vendus pour racheter les captifs ! Que nous serions heureux, M.F., si nous voyions parmi nous cette charité, cet amour les uns pour les autres, ce plaisir et cette joie quand notre voisin est heureux et estimé des hommes, cette compassion, cette peine et ce chagrin en le voyant affligé, et misérable ! Le monde ne serait-il pas le commencement du ciel ? Finissons, M.F., en disant que nous devons craindre, par-dessus tout, que ce maudit péché d'envie ne prenne racine en notre cœur, puisqu'il rend une personne si malheureuse. Si le démon nous tente par des pensées d'envie contre notre prochain, bien loin de le lui faire connaître par un air indifférent, il faut lui montrer de l'amitié et lui rendre service autant que nous le pouvons. Quant à ses actions, si elles nous paraissent mauvaises, pensons vite que nous pouvons bien nous tromper, étant si aveugles que nous le sommes ; et que, d'ailleurs ; nous ne serons pas jugés sur ce que les autres feront, mais seulement sur le bien et le mal que nous aurons faits pendant notre vie. Si nous avons des pensées d'envie parce que les autres réussissent mieux que nous dans leurs affaires temporelles, pensons vite qu'un bon chrétien doit remercier Dieu du bien qu'il a fait à son frère. Si c'est pour le bien spirituel, pensons combien nous sommes heureux que le bon Dieu ait des personnes qui le dédommagent des outrages que nous lui faisons. Je conclus, M.F., en vous disant que si nous voulons espérer d'aller au ciel, il faut absolument être contents du bien que le bon Dieu fait à notre prochain, et nous attrister des maux qu'il éprouve, puisque saint Jean nous dit : « Comment voulez-vous faire croire que vous aimez le bon Dieu que vous ne voyez pas, tandis que vous n'aimez pas votre frère que vous voyez ?  » Jetons les yeux sur notre grand modèle, qui, pour nous guérir de ce maudit péché d'envie et de jalousie, est mort pour ses ennemis et pour nous rendre heureux ; c'est le même bonheur que je vous souhaite.

 

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