BENOÎT PAPE XV
VÉNÉRABLES FRÈRES SALUT ET BÉNÉDICTION APOSTOLIQUE
À peine fûmes-Nous appelés
par les secrets desseins de la Providence, sans aucun mérite de
Notre part, à Nous asseoir sur le Siège du bienheureux Prince
des Apôtres, que, considérant comme adressée à
Nous-mêmes la parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ à
saint Pierre : Pasce agnos meos, pasce oves meas, (1) Nous tournâmes
Nos regards, avec une souveraine affection, vers le troupeau confié
à nos soins, troupeau immense en vérité, puisqu'il
embrasse, sous un aspect ou sous un autre, l'universalité des hommes.
Tous tant qu'ils sont, en effet, ils ont été rachetés
de la servitude du péché par Jésus-Christ, qui a offert
pour eux le prix de son sang, et il n'en est aucun qui soit exclu des bienfaits
de cette rédemption. C'est pourquoi le divin Pasteur a pu dire de
tout le genre humain, que pour une part Il le garde déjà
enfermé dans l'enceinte de son Église, et que l'autre se
verra forcée d'y entrer par les douces contraintes de son amour
: Et alias oves habeo, quae non sunt ex hoc ovili ; et illas oportet me
adducere et vocem meam audient. (2)
Aussi, Nous ne vous le cacherons
pas, vénérables Frères, le premier sentiment que Nous
avons éprouvé, sous l'impulsion évidente de la divine
bonté, a été un mouvement irrésistible d'amour
et de zèle pour travailler au salut de tous les hommes, si bien
qu'en acceptant la charge du Souverain Pontificat Nous faisions Nôtre
le vœu exprimé par le Sauveur, à la veille de sa passion
: Pater sancte, serva eos in nomine tuo, quos dedisti mihi. (3)
1. Ioan., XXI, 15, 17.
2. Id., X, 16.
3. Id., XVII, 11.
Or, dès que Nous eûmes,
du sommet de la dignité Apostolique, embrassé d'un regard
le cours des choses humaines, Nous fûmes saisis d'une vive douleur,
en contemplant les déplorables conditions de la société
civile. Comment, en effet, étant devenu le Père commun de
tous les hommes, n'aurions-Nous pas eu le cœur violemment déchiré
au spectacle que présente l'Europe et même le monde entier,
spectacle assurément le plus affreux et le plus désolant
qui se soit jamais vu de mémoire d'homme ? Ils semblent vraiment
être arrivés ces jours dont Jésus-Christ a dit : Audituri
estis praelia et opiniones praeliorum ... Consurget enim gens in gentem
et regnum in regnum, (1) De tous côtés domine la triste image
de la guerre, et il n'y a pour ainsi dire pas d'autre pensée, qui
occupe les esprits. Des nations - les plus puissantes et les plus considérables
- sont aux prises : faut-il s'étonner si, munis d'engins épouvantables,
dus aux derniers progrès de l'art militaire, elles visent pour ainsi
dire à s'entre-détruire avec des raffinements de barbarie
? - Plus de limites aux ruines et au carnage : chaque jour la terre, inondée
par de nouveaux ruisseaux de sang, se couvre de morts et de blessés.
À voir ces peuples armés
les uns contre les autres, se douterait-on qu'ils descendent d'un même
Père, qu'ils ont la même nature et font partie de la même
société humaine ? Les reconnaîtrait-on pour les fils
d'un même Père qui est aux Cieux ? - Et tandis que des armées
immenses se battent avec acharnement, la souffrance et la douleur, tristes
compagnes de la guerre, s'abattent sur les États, sur les familles
et sur les individus : chaque .jour voit s'augmenter outre mesure le nombre
des veuves et des orphelins ; le commerce languit, faute de communications
; les champs sont abandonnés, l'industrie est réduite au
silence ; les riches sont dans la gêne, les pauvres dans la misère,
tous dans le deuil.
Profondément ému de
ces calamités, Nous avons eu à cœur, dès le début
de Notre Pontificat, de rappeler les dernières paroles sorties de
la bouche de Notre Prédécesseur, Pontife d'illustre et si
sainte mémoire, et de préluder, en les répétant,
à l'exercice de Notre charge Apostolique.
Nous avons donc adressé d'instantes
prières aux Princes et aux gouvernants, afin que, considérant
combien de larmes et de sang la guerre a déjà fait répandre,
ils se hâtent de rendre à leurs peuples les précieux
avantages de la paix. Daigne le Dieu des miséricordes faire en sorte,
que résonnent, à l'aube de Notre Pontificat, comme à
la naissance du divin Rédempteur, dont Nous sommes le Vicaire, les
paroles du concert angélique : In terra pax hominibus bonae voluntatis.
(2)
1. Matth., XXIV, 6, 7.
2. Luc., II, 14.
Puissions-Nous être entendu
par ceux qui ont en mains les destinées des peuples ! I1 y a, sans
nul doute, d'autres voies, d'autres moyens, qui permettraient de réparer
les droits, s'il y en a eu de lésés. Qu'ils y recourent,
en suspendant leurs hostilités, animés de droiture et de
bonne volonté. C'est Notre amour pour eux et pour toutes les nations,
qui Nous fait parler ainsi, nullement Notre propre intérêt.
Qu'ils ne laissent pas tomber dans le vide cette prière d'un Père
et d'un ami.
Mais ce n'est pas seulement la guerre
actuelle avec ses horreurs, qui est la cause du malheur des peuples, et
qui provoque Nos anxiétés et Nos alarmes. Il y a un autre
mal, inhérent aux entrailles mêmes de la société
humaine, un mal funeste, qui épouvante toutes les personnes sensées,
car, en outre des ravages qu'il a déjà produits et qu'il
produira encore dans les différents États, on peut le considérer
à bon droit comme la véritable cause de la terrible guerre
présente. En effet, depuis que les préceptes et les règles
de la sagesse chrétienne, condition indispensable de la stabilité
et de la tranquillité publiques, ont cessé de présider
au gouvernement des États, ceux-ci ont commencé, par une
conséquence nécessaire, à chanceler sur leurs bases,
et il s'en est suivi dans les idées et dans les mœurs une telle
perturbation, que la société humaine court à sa ruine,
si Dieu ne se hâte de lui venir en aide.
Voici en effet ce que Nous voyons
: absence de bienveillance mutuelle dans les rapports des hommes entre
eux ; mépris de l'autorité ; luttes injustes des différentes
classes de citoyens ; appétit désordonné des biens
périssables, comme s'il n'y en avait pas d'autres, supérieurs
de beaucoup, proposés à l'activité humaine. Tels sont,
à Notre avis, les quatre chefs de désordre, d'où proviennent
les perturbations si graves de la société, et contre lesquels
doivent se réunir tous les efforts, par le recours aux principes
du christianisme, si l'on veut sérieusement ramener dans les États
l'ordre et la paix.
Et d'abord, lorsqu'Il descendit du
ciel précisément pour rétablir parmi les hommes le
règne de cette paix, détruite par la jalousie de Satan, Notre-Seigneur
Jésus-Christ ne voulut pas d'autre fondement .pour cette restauration
que celui de la charité. De là ces recommandations si souvent
répétées : Mandatum novum do vobis, ut diligatis invicem
; (1) Hoc est praeceptum meum, ut diligatis invicem ; (2) Haec mando vobis,
ut diligatis invicem ; (3) comme s'il n'avait pas d'autre charge ni d'autre
mission que d'amener les hommes à s'aimer les uns les autres.
1. Ioan., XIII, 34.
2. Id., XV, 12.
3. Id., ibid., 17.
Et pour y arriver, à combien
d'arguments de toute sorte n'a-t-Il pas eu recours ? Il nous ordonne, à
tous, de lever nos regards vers le ciel : Unus est enim Pater vester, qui
in caelis est ; (1) à tous, sans avoir égard aux divergences
de nationalité, de langue ou d'intérêts, Il nous enseigne
la même formule de prière : Pater noster, qui es in caelis
: (2) bien plus, Il nous affirme que ce Père céleste, dans
la distribution des bienfaits naturels ne tient pas compte des mérites
de chacun : Qui solem suum oriri facit super bonos et malos, et pluit super
iustos et iniustos : (3) Il nous dit encore que nous sommes tous frères
: Omnes autem vos fratres estis ; (4) et que nous sommes ses frères
: Ut sit ipse primogenitus in multis fratribus. (5) Pour nous exciter très
efficacement à l'amour fraternel, même à l'égard
de ceux que méprise notre orgueilleuse nature, Il veut que nous
reconnaissions jusque dans les plus petits la dignité de sa propre
Personne : Quamdiu fecitis uni ex his fratribus meis minimis, mihi fecistis.
(6) Quoi de plus ! Sur la fin de sa vie, il prie son Père avec ardeur,
afin que tous ceux qui croiront en Lui ne fassent entre eux qu'une seule
chose par le lien de la charité : Sicut tu, Pater, in me, et ego
in te. (7) Enfin, suspendu à la croix, Il répand sur nous
tout son sang, afin qu'étant façonnés et comme pétris
en un seul corps, nous nous aimions les uns les autres, comme s'aiment
entre eux les membres d'un même corps.
1. Matth., XXIII, 9.
2. Id., VI, 9.
3. Id., V, 45.
4. Id., XXIII, 8.
5. Rom., VIII, 29.
6. Matth., XXV, 40.
7. Ioann, XVII, 21.
Mais, hélas ! il en va bien
autrement parmi les hommes de notre temps. Jamais peut-être, plus
que maintenant, on n'a parlé de fraternité humaine : on n'hésite
même pas à laisser de côté les enseignements
de l'Évangile, l'œuvre de Jésus-Christ et de l'Église,
et à prétendre, quand même, que ce zèle pour
la fraternité est un des fruits les plus précieux de la civilisation
moderne. Cependant, à dire vrai, jamais la fraternité n'a
été moins pratiquée que de nos jours. Les haines de
race sont portées au paroxysme ; les peuples sont divisés
par leurs rancunes encore plus que par leurs frontières ; au sein
d'une même nation et dans les murs d'une même cité,
les différentes classes de citoyens se jalousent mutuellement, et
chez les individus tout est réglé par l'égoïsme
devenu la loi suprême.
Vous voyez, vénérables
Frères, combien il est nécessaire de faire tous les efforts
possibles, afin que la charité de Jésus-Christ reprenne son
empire sur les âmes : ce sera Notre objectif et comme l'entreprise
spéciale de Notre Pontificat : que ce soit aussi, Nous vous y exhortons,
le but de votre zèle. Ne cessons pas de répéter aux
oreilles des fidèles et de traduire dans nos actes la parole de
saint Jean : Ut diligamus alterutrum. (1) Belles assurément et recommandables
sont les institutions de bienfaisance, si nombreuses à notre époque,
mais à condition qu'elles contribuent à nourrir dans les
cœurs le véritable amour de Dieu et du prochain ; alors seulement
elles seront d'une solide utilité : dans le cas contraire, elles
sont de nulle valeur, car qui non diligit, manet in morte. (2)
1. I Ioan., III, 23.
2. Id., ibid., 14.
Nous avons dit qu'une autre cause
des perturbations sociales consiste en ce que généralement
on ne respecte plus l'autorité de ceux qui commandent. Du jour en
effet où on a voulu placer l'origine de tout pouvoir humain, non
plus en Dieu Créateur et Maître de l'Univers, mais dans la
libre volonté de l'homme, les liens de subordination qui doivent
rattacher les inférieurs aux supérieurs se sont affaiblis
au point de disparaître ou peu s'en faut. Un souffle effréné
d'indépendance, accompagné d'un orgueil obstiné, a
pénétré peu à peu dans tous les esprits, sans
épargner même la société domestique, où
la puissance paternelle découle si clairement de la nature elle-même
; et, ce qui est plus déplorable encore, le sanctuaire lui-même
n'a pas été à l'abri de cette pernicieuse influence.
De là provient le mépris des lois, de là l'insubordination
des masses, de là cette critique effrontée de ce qui est
commandé, de là ces mille prétextes imaginés
pour énerver la force du pouvoir, de là les forfaits atroces
de ceux qui, faisant profession de ne reconnaître aucune loi, ne
respectent ni les biens ni même la vie de leurs semblables.
En présence de cette dépravation
dans les idées et dans la conduite, qui tend à la destruction
de toute société humaine, Nous ne pouvons pas garder le silence,
Nous à qui a été confié d'En-haut le magistère
de la vérité : nous rappelons aux peuples cette doctrine
qui ne saurait être modifiée par aucune volonté humaine
: Non est potestas nisi a Deo : quae autem sunt a Deo ordinatae sunt. (3)
3. Rom., XII1, 1.
Quiconque par conséquent est
dépositaire du pouvoir parmi les hommes, qu'il soit souverain ou
subordonné, c'est en Dieu que réside l'origine de son autorité.
C'est pourquoi saint Paul proclame l'obligation d'obéir, non pas
d'une manière quelconque, mais religieusement, c'est-à-dire
par devoir de conscience, à ceux qui commandent en vertu de leur
autorité, à moins qu'ils ne prescrivent quelque chose de
contraire aux lois divines : Ideo necessitate subditi estote, non solum
propter iram, sed etiam propter conscientiam. (1) En conformité
avec les paroles de saint Paul se trouve l'enseignement du Prince même
des Apôtres : Subiecti estote omni humanae creaturae propter Deum
: sive regi, quasi praecellenti ; sive ducibus, tamquam ab eo missis. (2)
De cette doctrine l'Apôtre des gentils déduit que résister
obstinément à une puissance humaine légitime, c'est
résister à Dieu et se préparer un châtiment
éternel : Itaque qui resistit potestati, Dei ordinationi resistit.
Qui autem resistunt, ipsi sibi damnationem acquirunt. (3)
1. Rom., XIII, 5.
2. I Petr., II, 13, 14.
3. Rom., XIII, 2.
Avis aux Princes et aux gouvernants
: qu'ils se souviennent, et qu'ils voient s'il est prudent et d'une utilité
pratique, tant pour les pouvoirs publics que pour les États, de
se séparer de la religion sainte de Jésus-Christ, en qui
leur puissance puise tant de force et de solidité. Qu'ils fassent
réflexion sur réflexion, et qu'ils considèrent s'il
est conforme à une sage politique de vouloir exclure la doctrine
de l'Évangile et de l'Église du gouvernement et de l'instruction
publique de la jeunesse. L'expérience ne l'a que trop démontré
: l'autorité des hommes est sans force, là où la religion
est absente. Il en est en effet des sociétés comme de notre
premier père, une fois qu'il eut manqué a son devoir.
À peine sa volonté
s'était-elle séparée de Dieu, que ses passions répudièrent
avec frénésie l'empire de la volonté ; de même,
à peine les gouvernements ont-ils méprisé l'autorité
divine, que les peuples se moquent à leur tour de l'autorité
humaine. Il reste sans doute l'expédient accoutumé, l'emploi
de la force, pour réprimer les révoltes ; mais avec quel
profit ? La force peut réprimer les corps, mais non les âmes.
Dès qu'a été
enlevé ou affaibli ce double élément de cohésion
de tout corps social, à savoir l'union des membres entre eux par
une charité réciproque et l'union des membres eux-mêmes
avec la tête par la soumission à l'autorité, qui pourrait
s'étonner, vénérables Frères, de voir la société
actuelle divisée comme en deux camps, qui soutiennent l'un contre
l'autre une lutte continuelle et acharnée ? En face de ceux qui
possèdent des richesses, dues à leur patrimoine ou à
leur travail, se dressent les prolétaires et les ouvriers, brûlant
de haine et d'envie, parce que, participant à une même nature,
ils ne partagent pas les mêmes avantages. Une fois en effet qu'ils
ont été séduits par les tromperies des meneurs, dont
ils adoptent d'ordinaire les moindres suggestions, comment leur faire comprendre
que, tout en étant égaux par nature, il ne s'ensuit pas qu'ils
doivent avoir la même situation dans la vie, mais que chacun, sauf
des circonstances défavorables, occupe la place qu'il s'est procuré
par sa conduite ? Et ainsi, quand les pauvres attaquent les riches, comme
si ces derniers s'étaient emparés du bien d'autrui, ils agissent
non seulement contre la justice et la charité, mais encore contre
le bon sens, attendu qu'ils pourraient, s'ils le voulaient, améliorer
par un travail honnête leur propre condition. - À quelles
conséquences, non moins désastreuses pour les individus que
pour la société, mène cette haine de classes, il est
superflu de le rappeler. Tous nous voyons et nous déplorons la fréquence
des grèves, qui arrêtent subitement le cours de la vie civile
et nationale dans ses opérations les plus nécessaires : il
en est de même des soulèvements populaires et des agitations,
où l'on en vient souvent à l'emploi des armes et à
l'effusion du sang.
Nous ne voulons pas répéter
ici les arguments qui réfutent avec évidence les erreurs
des socialistes et d'autres de ce genre. Cette démonstration a été
faite magistralement par Notre prédécesseur Léon XIII,
dans ses mémorables Encycliques : pour vous, vénérables
Frères, vous veillerez, avec votre sollicitude habituelle, à
ce que ces graves enseignements ne soient jamais perdus de vue ; bien plus,
vous ferez en sorte, que dans les associations et dans les congrès
catholiques, dans les prédications, dans les publications religieuses,
on s'attache à les mettre en lumière et à les inculquer,
suivant que les circonstances l'exigeront. Mais par-dessus tout - et cela
Nous n'hésitons pas à le redire - en recourant à tous
les arguments que nous trouvons soit dans l'Évangile, soit dans
la nature humaine, soit dans les intérêts du public et des
particuliers, efforçons-nous d'exhorter tous les hommes à
s'aimer entre eux comme frères, en vertu du précepte divin
de la charité. Cet amour fraternel n'aura pas pour effet de faire
disparaître la variété des conditions, ni par conséquent
la diversité des classes sociales, pas plus que dans un corps vivant
il n'est possible à tous les membres d'avoir la même fonction
ni la même dignité. Toutefois cette affection mutuelle fera
que les plus élevés s'abaisseront en quelque sorte vers les
plus humbles, et les traiteront, non seulement selon la justice, comme
cela doit être, mais encore avec bienveillance, douceur et patience
: les humbles de leur côté se complairont dans la prospérité
des personnes plus élevées et en attendront l'appui avec
confiance ; tout comme, dans une même famille, les plus jeunes se
reposent sur la protection et l'assistance des aînés.
Mais encore, vénérables
Frères, ces maux, dont Nous avons jusqu'ici déploré
les ravages, ont une racine plus profonde, dont la destruction réclame
les efforts de tous les gens de bien, sous peine de ne jamais obtenir la
réalisation de Nos vœux, à savoir le retour d'une tranquillité
stable et durable dans les relations humaines. Quelle est cette racine
maudite, l'Apôtre nous l'enseigne : Radix omnium malorum est cupiditas,
(1) Et de fait, si l'on y réfléchit, c'est à cette
racine que se rattachent les maladies qui travaillent la société
présente. Une fois en effet que par l'action des mauvaises écoles
sur l'âme des petits enfants, malléables comme la cire ; par
la perversité des écrivains, qui journellement ou par intervalles
corrompent l'esprit des foules inexpérimentées, et par tous
les autres moyens employés pour former l'opinion publique, une fois,
disons-Nous, qu'on a fait pénétrer dans les esprits cette
erreur souverainement pernicieuse, que l'homme n'a pas à espérer
en un état de félicité éternelle ; qu'ici-bas,
oui, ici-bas, il peut être heureux en jouissant des richesses, des
honneurs, des plaisirs de cette vie; comment s'étonner si ces êtres
humains, naturellement faits pour le bonheur, violemment attirés,
comme ils le sont, vers ces biens passagers, repoussent avec non moins
d'énergie tout obstacle, qui en retarde ou en empêche la conquête
? Comme ces biens ne sont pas partagés également entre tous,
comme l'autorité sociale a le devoir d'empêcher que la liberté
des particuliers n'excède les bornes et ne s'empare des biens d'autrui,
il en résulte que l'on prend en haine les pouvoirs publics, que
les déshérités de la fortune brûlent de jalousie
à l'égard de ceux qui en sont favorisés, et qu'enfin
il y a lutte entre les différentes classes de citoyens, par l'effort
des uns pour atteindre à tout prix et enlever ce qui leur manque,
et par la résistance des autres pour retenir ce qu'ils possèdent
et même pour l'accroître.
1. I Tim., VI, 10.
C'est en prévision de cet
état de choses, que Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans le
sublime sermon sur la montagne, spécifia expressément quelles
étaient les vraies béatitudes de l'homme sur cette terre,
et posa pour ainsi dire les fondements de la philosophie chrétienne.
Dans ces maximes, les adversaires eux-mêmes de notre Foi ont trouvé
un trésor incomparable de sagesse et la plus parfaite théorie
de la morale religieuse : assurément il est reconnu de tous, qu'avant
Jésus-Christ, qui est la vérité même, rien de
semblable n'avait été enseigné, ni avec le poids d'une
autorité aussi grave et un tel amour de l'humanité.
Or la raison intime et secrète
de cette philosophie consiste en ceci, que les soi-disant biens de cette
vie mortelle n'ont que l'apparence du bien, sans en avoir la réalité,
et que, par suite, ce n'est pas dans leur jouissance que peut résider
la félicité de l'homme. C'est Dieu qui nous l'affirme : il
s'en faut tellement que les richesses, la gloire, le plaisir puissent nous
apporter le bonheur, que si nous voulons vraiment être heureux, nous
devons plutôt nous priver pour l'amour de Dieu de tous ces faux biens
: Beati pauperes ... beati qui nunc fletis ... beati eritis, quum vos oderint
homines, et cum separaverint vos, et exprobraverint, et eiecerint nomen
vestrum tamquam malum, (1) Ce qui revient à dire, que les douleurs,
les calamités, les misères de cette vie, pourvu que nous
les supportions convenablement, nous ouvriront la voie vers la possession
de ces biens véritables et éternels, quae praeparavit Deus
iis qui diligunt illum. (2) Mais cette doctrine de la Foi, doctrine si
importante, est négligée par le plus grand nombre, et beaucoup
semblent même l'avoir complètement oubliée. - Il est
donc nécessaire, vénérables Frères, de la faire
revivre dans l'esprit de tous : sans cela l'homme et la société
humaine n'auront point de paix. À tous ceux donc qui gémissent
sous le poids de quelque adversité, nous devons recommander de ne
pas tenir leurs yeux fixés sur la terre, qui n'est qu'un lieu d'exil,
mais de les élever vers le ciel, auquel nous sommes destinés,
car non habemus hic manentem civitatem, sed futuram inquirimus, (3) Et
au milieu des afflictions, par lesquelles Dieu éprouve leur constance
à le servir, qu'ils songent fréquemment à l'excellence
du prix qui leur est préparé, s'ils sortent victorieux de
cette épreuve. Quod in praesenti est momentaneum et leve tribulationis
nostrae, supra modum in sublimitate aeternurn gloriae pondus operatur in
nobis. (4) En dernier lieu, mettre tout en œuvre et ne rien épargner
pour raviver parmi les fidèles la Foi aux vérités
surnaturelles, et en même temps l'estime, le désir, l'espérance
des biens éternels, telle doit être la première de
vos préoccupations, tant à vous, vénérables
Frères, qu'au clergé tout entier et à tous ceux qui,
groupés en différentes associations, travaillent à
promouvoir la gloire de Dieu et le bien véritable de leurs semblables.
Dans la mesure, en effet, où croîtra cette Foi parmi les hommes,
on verra diminuer les désirs immodérés des biens terrestres,
et peu à peu avec le réveil de la charité se calmeront
les agitations et les contentions sociales.
1. Luc., VI, 20-22.
2. I Cor., II, 9.
3. Hebr., XIII, 13.
4. II Cor., IV, 17.
Et maintenant, si des affaires humaines
Nos pensées se reportent vers celles de l'Église, il y aura
assurément pour Notre âme accablée par les calamités
actuelles quelques raisons de reprendre courage. Car, sans compter les
motifs si évidents par eux-mêmes, tirés de la divine
vertu et de l'indéfectibilité que possède l'Église,
Nous ne sommes pas peu consolés par les bienfaits signalés
dus au Pontificat si actif de Notre prédécesseur Pie X, en
outre des exemples éclatants de sa vie toute sainte. Par ses soins
en effet, Nous voyons tout le corps ecclésiastique enflammé
d'un vif amour de son état, la piété du peuple chrétien
ranimée ; dans les associations catholiques, l'activité développée
avec la discipline ; ici des sièges épiscopaux constitués,
là de nouveaux diocèses fondés ; l'éducation
du jeune clergé ramenée à la sévérité
des canons et cependant accommodée, autant qu'il en est besoin,
à la condition des temps actuels ; l'enseignement des sciences sacrées
débarrassé du danger des nouveautés téméraires
; l'art musical mis en demeure de servir dignement la majesté des
cérémonies sacrées, et la liturgie revêtue d'une
splendeur nouvelle ; le domaine de la religion largement accru par les
prédications des hérauts de l'Évangile.
C'est ainsi que Notre Prédécesseur
a grandement mérité de l'Église, et la postérité
lui en conservera un souvenir reconnaissant. Puisque toutefois le champ
du Père de famille est toujours exposé, Dieu le permettant
ainsi, à la malignité de l'homme ennemi, il n'arrivera jamais
qu'on n'y doive pas travailler pour empêcher la zizanie luxuriante
d'étouffer le bon grain. C'est pourquoi, regardant comme dite aussi
à Nous-mêmes la parole de Dieu à son prophète
: Ecce constitui te hodie super gentes et super regna, ut evellas et destruas
... et aedifices et plantes, (1) quel que soit le mal à écarter,
le bien à promouvoir, Nous y mettrons tous nos soins, en tant qu'il
sera en Nous, jusqu'au moment où il plaira au Prince des Pasteurs
de nous demander, compte de notre mandat.
1. Ierem., I, 10.
Or donc, vénérables
Frères, puisque Nous Nous adressons à Vous, pour la première
fois, par ces Lettres Encycliques, il Nous paraît opportun d'indiquer
quelques-uns des points principaux sur lesquels Nous Nous sommes proposés
de porter spécialement Notre attention : de la sorte votre empressement
à seconder Nos efforts hâtera la réalisation des fruits
désirés.
Et d'abord, comme dans toute société
humaine, quel que soit le motif de sa formation, il importe au plus haut
degré, pour le succès de l'œuvre commune, que les membres
conspirent vers un même but, il Nous faudra travailler par-dessus
tout à faire cesser les dissensions et les discordes entre catholiques,
de quelque genre qu'elles soient ; à empêcher qu'il en naisse
de nouvelles ; à obtenir que tous soient unis dans une même
pensée et une même action. Les ennemis de Dieu et de l'Église
comprennent bien que toute division chez nous, dans l'œuvre de notre défense,
devient pour eux une victoire ; aussi recourent-ils fréquemment
à cette tactique : quand ils voient les catholiques bien unis, ils
s'efforcent de jeter habilement parmi eux des semences de discordes et
de détruire ainsi leur cohésion. Plût à Dieu
que cette manœuvre ne leur ait pas réussi trop souvent, au grand
détriment de la religion ! Ainsi donc, dès que l'autorité
légitime a fait une prescription positive, qu'il ne soit permis
à personne de s'y soustraire, sous prétexte que cela lui
déplaît ; mais que chacun soumette sa manière de voir
à l'autorité du supérieur et lui obéisse par
devoir de conscience. De même, que nul particulier, par la publication
de livres ou de journaux, ou par des discours publics, ne s'érige
en maître dans l'Église. Tous savent à qui a été
confié par Dieu le magistère de l'Église : à
celui-là pleine et entière liberté doit être
laissée de parler, quand et comme il le juge à propos ; le
devoir des autres est de l'écouter avec déférence
et de se conformer à sa parole. À l'égard ensuite
des questions, où, sans détriment de la foi ni de la discipline,
on peut discuter le pour et le contre, parce que le Saint-Siège
n'en a encore rien décidé, il n'est interdit à personne
d'émettre son opinion et de la défendre ; mais que dans ces
discussions on s'abstienne de tout excès de langage, qui pourrait
offenser gravement la charité ; que chacun soutienne son avis librement,
mais qu'il le fasse avec modération, et ne croie pas pouvoir décerner
aux tenants d'une opinion contraire, rien que pour ce motif, le reproche
de Foi suspecte ou de manquement à la discipline. Nous voulons aussi
que les nôtres s'abstiennent de certaines appellations dont on a
commencé depuis peu à faire usage, pour distinguer les catholiques
des catholiques : qu'elles soient évitées, non seulement
en tant que profanas vocum novitates, qui ne sont conformes ni à
la vérité ni à l'équité, mais encore
parce qu'il en résulte parmi les catholiques une grave agitation
et une grande confusion. La Foi catholique est d'une nature telle, qu'on
ne peut rien lui ajouter, rien lui retrancher : ou on la possède
tout entière, ou on ne la possède pas du tout : Haec est
fides catholica, quam nisi quisque fideliter firmiterque crediderit, salvus
esse non poterit. (1) Il n'est pas besoin de qualificatifs pour signifier
la profession du catholicisme ; à chacun il suffit de dire : Christianus
mihi nomen, catholicus cognomen.
1. Symb. Athanas.
Qu'on s'applique seulement à
justifier vraiment cette appellation par les faits.
Au reste, de ceux d'entre nous qui
se sont dévoués à promouvoir la cause catholique,
l'Église attend bien autre chose que de s'attarder plus longtemps
dans des questions qui ne sont d'aucun profit ; Elle leur demande de travailler
de toutes leurs forces à conserver la Foi dans son intégrité
et à l'abri de tout souffle d'erreur, en suivant principalement
Celui que Jésus-Christ a constitué le gardien et l'interprète
de la vérité. Il y a encore de nos jours de ces gens (et
leur nombre n'est pas médiocre), qui, comme le dit l'Apôtre,
prurientes auribus, cure sanam doctrinam non sustineant, ad sua desideria
coacervent sibi magistros, et a veritate quidem auditum avertant, ad fabulas
autem convertantur. (1) Enflés et enorgueillis de leur haute opinion
de l'esprit humain, lequel a fait assurément, avec l'aide de Dieu,
des progrès incroyables dans l'exploration de la nature, certains,
préférant leur propre jugement à l'autorité
de l'Église, en sont venus dans leur témérité
jusqu'à juger à la mesure de leur intelligence les divins
mystères et toutes les vérités révélées,
n'hésitant pas à les adapter au goût des temps actuels.
Ainsi surgirent les monstrueuses erreurs du modernisme que, à bon
droit, Notre Prédécesseur a proclamé omnium haereseon
collectum et qu'il a solennellement condamnées. Cette condamnation,
vénérables Frères, Nous la renouvelons dans toute
son extension, et comme une contagion si délétère
n'est pas complètement étouffée, mais se glisse encore
çà et là, quoique à l'état latent, que
tous se gardent bien soigneusement, Nous les y exhortons, d'une peste si
dangereuse, dont on peut bien dire ce que Job disait d'un autre mal : Ignis
est usque ad perditionem devorans, et omnia eradicans genimina. (2) Et
Nous ne désirons pas seulement que les catholiques détestent
les erreurs des modernistes, mais aussi qu'ils en évitent les tendances
et l'esprit : qui en est infecté repousse avec dégoût
ce qui sent l'ancienneté, il recherche avidement et partout la nouveauté,
dans la manière de parler des choses divines, dans la célébration
du culte sacré, dans les institutions catholiques et jusque dans
l'exercice de la piété privée. Nous voulons donc que
reste sacrée cette règle de nos pères : Nihil innovetur,
nisi quod traditum est, laquelle règle, si elle doit être
suivie inviolablement dans les choses de la Foi, doit encore servir de
norme en tout ce qui est sujet à changement, bien que sur ce dernier
point vaille aussi la plupart du temps cette autre maxime : Non nova, sed
noviter.
1. II, Tim., IV, 3, 4.
2. Job., XXXI, 12.
D'ailleurs, vénérables
Frères, comme la profession ouverte de la Foi catholique et le courage
de vivre conformément à sa croyance ont accoutumé
de s'exalter chez la plupart des hommes par les exhortations fraternelles
et les exemples mutuels, Nous voyons avec une joie profonde que çà
et là surgissent de nouvelles associations catholiques ; et Nous
ne désirons pas seulement leur accroissement, mais Nous entendons
qu'elles reçoivent de Notre patronage et de Notre faveur une prospérité
toujours plus grande : cette prospérité dépendra de
leur obéissance constante et fidèle aux prescriptions qu'elles
ont reçu ou qu'elles recevront du Siège Apostolique. Quiconque
par conséquent, faisant partie de ces sociétés, se
dépense pour Dieu et pour l'Église, ne doit jamais perdre
de vue ce que proclame la Sagesse : Vir obediens loquetur victoriam. (1)
Car s'ils n'obéissent pas à Dieu par leur soumission envers
le Chef de l'Église, ils ne se concilieront pas le secours divin
et se dépenseront en pure perte.
1. Prov., XXI, 28.
Mais pour que tous ces résultats
soient obtenus conformément à Nos espérances, vous
savez, vénérables Frères, combien est nécessaire
la coopération prudente et attentive de ceux que Notre-Seigneur
a envoyés operarios in messem suam, c'est-à-dire des clercs.
Aussi, vous le comprenez, votre principal souci doit être, à
l'égard de ceux qui sont déjà revêtus du sacerdoce,
de développer en eux la sainteté conforme à leur état,
et quant aux élèves du sanctuaire, vous devez les préparer
soigneusement par une excellente formation à un aussi saint ministère.
Bien que votre zèle n'ait pas besoin d'être stimulé
à l'accomplissement de ce devoir, Nous vous y exhortons et vous
en supplions, car il n'y a rien de plus important pour le bien de l'Église
: comme Nos prédécesseurs d'heureuse mémoire, Léon
XIII et Pie X, en ont traité tout exprès, Nous n'en parlerons
pas davantage ; seulement Nous désirons que, grâce à
votre vigilance et à vos instantes recommandations, les instructions
de ces très sages Pontifes, surtout l'Exhortatio ad clerum de Pie
X, ne tombent jamais dans l'oubli, mais soient très scrupuleusement
observées.
Il est un point cependant, que Nous
ne saurions passer sous silence : aux prêtres du monde entier, que
Nous chérissons tous comme Nos fils, Nous voulons rappeler combien
il est nécessaire, tant pour leur propre salut que pour l'efficacité
de leur ministère, qu'ils soient très étroitement
unis et pleinement soumis à leurs Évêques respectifs.
Il n'est que trop vrai, comme Nous l'avons insinué plus haut, en
le déplorant, les ministres du sanctuaire ne sont pas tous exempts
de cet esprit d'indépendance et d'insubordination qui est le propre
des temps actuels. II n'est pas rare que les Pasteurs des Églises
se voient contristés et combattus par ceux dont ils seraient en
droit d'attendre de l'aide et du réconfort. Si quelqu'un s'est écarté
à ce point de son devoir, il doit considérer sérieusement,
qu'elle est divine, l'autorité de ceux quos Spiritus Sanctus posuit
episcopos regere Ecclesiam Dei, (1) et si, comme Nous l'avons fait voir,
c'est résister à Dieu que de résister à n'importe
quelle autorité légitime, c'est une impiété
bien plus grande de refuser l'obéissance aux Évêques,
que Dieu a consacrés et marqués du sceau de sa puissance.
Cum caritas, dit saint Ignace martyr, non sinat me tacere de vobis, propterea
anteverti vos admonere, ut unanimi sitis in sententia Dei. Etenim Iesus
Christus, inseparabilis nostra vita, sententia Patris est, ut et Episcopi,
per tractus terrae constituti, in sententia Patris sunt. Unde decet vos
in Episcopi sententiam concurrere. (2) Or ce que dit cet illustre Martyr,
tous les Pères et les Docteurs de l'Église l'ont dit également.
- Ajoutez à cela, que bien lourd est déjà le fardeau
qui pèse sur les épaules des Évêques en ces
temps difficiles ; encore plus pénibles sont leurs soucis, touchant
le troupeau qui leur est confié : ipsi enim pervigilant, quasi rationem
pro animabus vestris reddituri, (3) Ne doit-on pas taxer de cruauté
ceux qui par leur insubordination augmentent encore ce fardeau et ces angoisses
? Hoc enim non expedit vobis, (4) leur dirait l'Apôtre, et cela parce
que Ecclesia est plebs sacerdoti adunata, et pastori suo gregs adhaerens
; (5) d'où il suit que c'est n'être pas avec l'Église,
que de n'être pas avec son Évêque.
1. Act., XX, 28.
2. In Epist. ad Ephes., III.
3. Hebr., XIII, 17.
4. Ibid.
5. S. Cypr. " Florentio cui et Poppiano
ep. 66 (al. 69) ".
Et maintenant, vénérables
Frères, en terminant ces Lettres, Notre esprit se reporte spontanément
vers ce que Nous écrivions au début ; et, de nouveau, Nous
appelons de tous nos vœux, en faveur de la société humaine
et en faveur de l'Église, la fin de cette guerre si désastreuse
; en faveur de la société humaine, afin qu'une fois la paix
rétablie, elle progresse vraiment dans toute culture civile et humaine
; en faveur l'Église de Jésus-Christ, pour que, libre enfin
de toute entrave, elle aille sur tous les rivages et en toutes les parties
du monde apporter aux hommes le secours et le salut. Hélas ! depuis
trop longtemps déjà l'Église ne jouit plus de la pleine
liberté qui lui est nécessaire ; Nous voulons dire, depuis
le jour où son Chef le Pontife Romain s'est vu privé de la
force et de la garantie, que par un dessein de la divine Providence il
avait obtenu, au cours des siècle, pour sauvegarder cette même
liberté. Une fois cette force et cette garantie enlevées,
il en est résulté, comme c'était inévitable,
une grande inquiétude parmi les catholiques : tous ceux en effet
qui, de près ou de loin, se proclament les fils du Pontife Romain,
ont pleinement le droit d'exiger que, sans aucun doute possible, leur Père
commun soit réellement, et même apparaisse manifestement,
affranchi de tout pouvoir humain dans l'administration de sa charge apostolique.
C'est pourquoi, tout en souhaitant instamment que les nations fassent la
paix au plus tôt, Nous désirons vivement aussi, que le Chef
de l'Église cesse de se trouver dans cette condition anormale, qui
pour bien des raisons est funeste aussi à la tranquillité
des peuples. C'est pourquoi aux protestations que sur ce point Nos Prédécesseurs
ont fait entendre à plusieurs reprises, poussés qu'ils étaient
non par des raisons humaines mais par un devoir sacré, c'est-à-dire,
par l'obligation de défendre les droits et la dignité du
Siège Apostolique, Nous entendons ajouter ici les Nôtres,
pour les mêmes motifs.
Puisque c'est dans les mains de Dieu que sont les volontés des Princes et de tous ceux qui peuvent mettre fin aux horreurs et aux désastres que nous avons rappelés, il Nous reste, vénérables Frères, à élever vers Dieu Notre voix suppliante et à Nous écrier au nom de tout le genre humain : " Donnez, Seigneur, la paix à notre temps ". Que celui qui a dit : Ego Dominus... faciens pacem, (1) daigne Lui-même, apaisé par Nos prières, calmer au plus tôt ces flots tumultueux qui bouleversent la société civile et la société religieuse. Que la bienheureuse Vierge Nous soit propice, Elle qui a engendré le " Prince de la Paix ", et qu'Elle prenne sous sa protection maternelle Notre humble personne, Notre ministère pontifical, la sainte Église et les âmes de tous les hommes, rachetées par le sang précieux de son divin Fils.
1. Isai., XLV, 6, 7.
Comme gage des faveurs célestes
et en témoignage de Notre bienveillance, Nous accordons très
affectueusement la bénédiction apostolique à Vous,
vénérables Frères, à votre clergé et
à votre peuple.
Donné à Rome, près saint-Pierre, en la fête de Tous les Saints, ce 1er Novembre 1914, de Notre Pontificat la première année.
BENEDICTUS PP. XV