Ad Cæli
Reginam
À Nos
Vénérables Frères Les Patriarches, Primats, Archevêques,
Évêques et autres ordinaires en paix et communion avec le
Siège Apostolique.
PIE XII PAPE
Vénérables Frères, Salut et Bénédiction Apostolique.
Dès
les premiers siècles de l'Église Catholique, le peuple chrétien
fit monter vers la Reine du Ciel ses prières et ses chants de louange
filiale dans la sérénité des heures de joie et plus
encore dans l'angoisse des périls menaçants. Jamais ne fut
déçue l'espérance mise en la Mère du divin
Roi Jésus-Christ ; jamais ne s'affaiblit la foi qui nous enseigne
que la Vierge Marie Mère de Dieu règne sur l'univers entier
avec un coeur maternel, tout comme elle est ceinte d'une royale couronne
de gloire dans la béatitude céleste.
Or, après
les calamités qui, jusque sous Nos yeux, ont couvert de ruines des
villes florissantes et de nombreux villages, Nous voyons avec douleur déborder
dangereusement les flots de profondes misères morales, vaciller
parfois les bases mêmes de la justice, triompher un peu partout l'attrait
des plaisirs corrupteurs, et, dans cette conjoncture inquiétante,
Nous sommes saisi d'une vive angoisse. Aussi est-ce avec confiance que
Nous recourons à Marie notre Reine, lui manifestant non seulement
Notre amour, mais aussi celui, de quiconque se glorifie du nom de chrétien.
Le 1er novembre
de l'année 1950 - il Nous plaît de le rappeler -, en présence
d'une multitude de Cardinaux, d'Évêques, de prêtres
et de fidèles accourus du monde entier, Nous avons Nous-même
défini le dogme de l'Assomption de la Très Sainte Vierge
dans le ciel, (1) où, en corps et en âme, elle règne
avec son Fils unique parmi les choeurs des Anges et des Saints.
En outre, à
l'occasion du centenaire de la définition du dogme de l'Immaculée
Conception par Pie IX, Notre Prédécesseur d'immortelle mémoire,
Nous avons promulgué la présente Année Mariale ; (2)
et ce Nous est aujourd'hui une grande consolation de voir à Rome
- à Sainte Marie-Majeure en particulier où les foules viennent
manifester leur confiance et leur grand amour envers leur Mère du
Ciel -, mais également dans le monde entier, la piété
envers la Vierge Mère de Dieu refleurir toujours davantage et les
principaux sanctuaires marials recevoir sans interruption de nombreux et
pieux pèlerinages.
Et l'on sait
que, chaque fois que Nous en eûmes l'occasion, dans Nos allocutions
d'audience ou Nos radiomessages, Nous avons exhorté tous les fidèles
à aimer de tout leur coeur, comme des fils, leur Mère très
bonne et très puissante. À ce sujet, Nous rappelons volontiers
le message radiophonique adressé au peuple portugais lors du couronnement
de la statue miraculeuse de Fatima, (3) et que Nous avons qualifié
Nous-même de message de la " Royauté " de Marie. (4)
Pour mettre
donc en quelque sorte le comble à ces marques de Notre piété
envers la Mère de Dieu, que le peuple chrétien a accueillies
avec tant de ferveur, pour conclure heureusement l'Année Mariale
qui touche désormais à son terme, pour accéder enfin
aux demandes instantes qui Nous parviennent à ce sujet de toutes
parts, Nous avons décidé d'instituer la fête liturgique
de " La Sainte Vierge Marie Reine ".
Nous n'entendons
pas proposer par là au peuple chrétien une nouvelle vérité
à croire, car le titre même et les arguments qui justifient
la dignité royale de Marie ont déjà de tout temps
été abondamment formulés et se trouvent dans les documents
anciens de l'Église et dans les livres liturgiques.
Nous désirons
seulement les rappeler par cette Encyclique, afin de célébrer
à nouveau les louanges de Notre Mère du ciel, de ranimer
dans tous les coeurs une piété plus ardente envers elle,
et de contribuer ainsi au bien des âmes.
I
Le peuple chrétien,
même dans les siècles passés, croyait avec raison que
celle dont est né le Fils du Très-Haut, qui " régnera
à jamais dans la. maison de Jacob ", (5) " Prince de la paix ",
(6) " Roi des rois et Seigneur des Seigneurs ", (7) avait reçu plus
que toute autre créature des grâces et privilèges uniques
; et considérant aussi les relations étroites qui unissaient
la mère au fils, il a reconnu sans peine la dignité royale
suprême de la Mère de Dieu.
C'est pourquoi
il n'est pas étonnant que les anciens écrivains ecclésiastiques,
forts de la parole de l'Archange Gabriel prédisant que le Fils de
Marie régnerait éternellement, (8) et de celle d'Élisabeth,
qui, en la saluant avec respect, l'appelait " la Mère de mon Seigneur
", (9) aient déjà appelé Marie " la Mère du
Roi ", " la Mère du Seigneur ", montrant clairement qu'en vertu
de la dignité royale de son Fils elle possédait une grandeur
et une excellence à part.
Aussi Saint
Ephrem, dans l'ardeur de son inspiration poétique, lui prête-t-il
ces paroles " Que le ciel me soutienne de son étreinte, car j'ai
été honorée plus que lui. En effet le ciel ne fut
pas ta mère, mais tu en as fait ton trône ! ". (10) Et ailleurs
il la prie en ces termes " ... noble jeune fille et Patronne, Reine, Maîtresse,
garde-moi, protège-moi, de peur que Satan auteur de tout mal ne
se réjouisse à mon sujet et que le criminel adversaire ne
triomphe de moi ". (11)
Saint Grégoire
de Nazianze appelle Marie " Mère du Roi de tout l'univers ", " Mère
Vierge, (qui) a enfanté le Roi du monde entier ". (12) Prudence
déclare que cette mère s'étonne d'avoir engendré
Dieu comme homme et même comme Roi suprême ". (13)
Cette dignité
royale de la. Bienheureuse Vierge Marie est clairement et nettement signifiée
par ceux qui l'appellent " Souveraine ", " Dominatrice ", " Reine ".
Déjà
dans une homé1ie attribuée à Origène, Marie
est appelée par Élisabeth non seulement " Mère de
mon Seigneur ", mais " Ma Souveraine ". (14)
La même
idée ressort du passage suivant de saint Jérôme dans
lequel, parmi les différentes interprétations du nom de Marie,
il met en dernier lieu celle-ci : " Il faut savoir qu'en syriaque Marie
signifie Souveraine ". (155) Après lui Saint Chrysologue formule
la même pensée d'une manière encore plus affirmative
: " Le mot hébreu Marie se traduit en latin Souveraine : l'Ange
l'appelle Souveraine pour qu'elle cesse de trembler comme une servante,
elle à qui l'autorité même de son Fils a obtenu de
naître et d'être appelée Souveraine ". (16)
Épiphane,
évêque de Constantinople, écrivant au Souverain Pontife
Hormisdas, dit qu'il faut prier pour que l'unité de l'Église
soit conservée " par la grâce de la sainte et consubstantielle
Trinité et par l'intercession de notre Sainte Souveraine, la glorieuse
Vierge Marie Mère de Dieu ". (17)
Un auteur de
la même époque salue en ces termes solennels la Sainte Vierge,
assise à la droite de Dieu, pour lui demander de prier pour nous
: " Souveraine des mortels, très sainte Mère de Dieu ". (18)
Saint André
de Crète attribue plusieurs fois à la Vierge Marie la dignité
de Reine ; il écrit par exemple : " (Jésus) transporte aujourd'hui
hors de sa demeure terrestre la Reine du genre humain, sa Mère toujours
Vierge, dans le sein de laquelle, sans cesser d'être Dieu, il a pris
la forme humaine ". (19) Et ailleurs : " Reine de tout le genre humain,
fidèle en réalité au sens de ton nom et qui, Dieu
seul excepté, dépasse toute chose ". (20)
Saint Germain
salue en ces termes l'humble Vierge : " Assieds-toi, ô Souveraine,
il convient en effet que tu sièges en haut lieu puisque tu es Reine
et plus glorieuse que tous les rois ". (21) Il l'appelle aussi : " Souveraine
de tous les habitants de la. Terre ". (22)
Saint Jean
Damascène lui donne le nom de " Reine, Patronne, Souveraine ", (23)
et même de : " Souveraine de toute créature " ; (24) un ancien
écrivain de l'Église Occidentale l'appelle : " heureuse Reine
", " Reine éternelle près du Roi son Fils ", elle dont "
la tête blanche comme la neige est ornée d'un diadème
d'or ". (25)
Enfin Saint
Ildefonse de Tolède unit presque tous ces titres d'honneur en cette
salutation : " Ô ma Souveraine, Maîtresse suprême ; Mère
de mon Souverain, tu règnes sur moi... Souveraine parmi les servantes,
Reine parmi tes soeurs ". (26)
À partir
de ces témoignages et d'autres analogues, presque innombrables,
qui remontent à l'antiquité, les théologiens de l'Église
ont élaboré la. doctrine selon laquelle ils appellent la
Très Sainte Vierge, Reine de toutes les créatures, Reine
du monde, Souveraine de l'Univers.
Les Pasteurs
suprêmes de l'Église ont estimé de leur devoir d'approuver
et d'encourager par leurs exhortations et leurs éloges la piété
du peuple chrétien envers sa Mère du ciel et sa Reine. Aussi,
sans parler des documents des Papes récents, rappelons simplement
ceux-ci : dès le septième siècle Notre Prédécesseur
Saint Martin I appelle Marie " Notre glorieuse Souveraine toujours Vierge
" ; (27) Saint Agathon, dans son épître synodale aux Pères
du sixième Concile oecuménique dit d'elle " notre Souveraine,
vraiment Mère de Dieu au sens propre " ; (28) au huitième
siècle, Grégoire II dans sa lettre au Patriarche Saint Germain,
qui fut lue aux acclamations de tous les Pères du septième
Concile oecuménique, lui donne le titre de " Souveraine universelle
et vraie Mère de Dieu ", et de " Souveraine de tous les chrétiens
". (29)
Rappelons en
outre que Notre Prédécesseur d'immortelle mémoire
Sixte IV, mentionnant avec faveur la doctrine de l'Immaculée Conception
de la Sainte Vierge dans sa Lettre Apostolique Cum praeexcelsa, (30) commence
par appeler Marie " Reine du ciel et de la terre " et affirme que le Roi
suprême lui a en quelque sorte transmis son pouvoir. (31)
C'est pourquoi
Saint Alphonse de Liguori rassemblant tous les témoignages des siècles
précédents écrit avec grande piété :
" Puisque la Vierge Marie a été élevée à
la dignité si haute de Mère de Dieu, c'est à bon droit
que l'Église lui à décerné le titre de Reine
". (32)
II
La sainte liturgie,
qui est comme le fidèle miroir de la doctrine transmise par les
anciens et crue par le peuple chrétien à travers les âges,
tant en Orient qu'en Occident, a toujours chanté et chante encore
sans cesse les louanges de la Reine des cieux.
De l'Orient
retentissent ces accents fervents : " Ô Mère de Dieu, aujourd'hui
tu as été transportée au ciel sur les chars des Chérubins,
les Séraphins sont à ton service, et les légions des
armées célestes s'inclinent devant toi ". (33)
Et ceux-ci
: " Ô juste, ô très heureux (Joseph), à cause
de ton origine royale tu as été choisi entre tous pour époux
de la Reine pure, qui enfantera merveilleusement le Roi Jésus ".
(34) De même : " Je dirai un hymne à la Mère Reine,
et je m'approcherai d'elle avec joie pour chanter dans l'allégresse
ses merveilles... Ô Souveraine, notre langue ne peut te chanter dignement,
parce que Tu es plus élevée que les Séraphins, Toi
qui as engendré le Christ Roi... Salut, ô Reine du monde,
salut, ô Marie, Souveraine de nous tous ". (35)
Dans le Missel
éthiopien, on lit : " Ô Marie, centre de l'univers. ... Tu
es plus grande que les Chérubins aux jeux innombrables et que les
Séraphins aux six ailes... Le ciel et la terre sont entièrement
remplis de ta sainteté et de ta gloire " (36)
L'Église
latine chante la vieille et très douce prière du " Salve
Regina " et les joyeuses antiennes " Ave, Regina coelorum ", " Regina coeli,
laetare ", celles aussi que l'on récite aux fêtes de la Sainte
Vierge : " La Reine s'est assise à ta droite en vêtement d'or
couvert d'ornements variés " ; (37) " Le ciel et la terre te célèbrent
comme leur puissante Reine " ; (38) " Aujourd'hui la Vierge Marie est montée
aux cieux : réjouissez-vous, car elle règne avec le Christ
à jamais ". (39)
Il faut y ajouter,
entre autres, les Litanies de Lorette, qui invitent tous les jours le peuple
chrétien à saluer plusieurs fois Marie du titre de Reine.
De même, depuis bien des siècles, les chrétiens méditent
sur l'empire de Marie qui embrasse le ciel et la. terre, lorsqu'ils considèrent
le cinquième mystère glorieux du Rosaire, que l'on peut appeler
la couronne mystique de la Reine du ciel.
Enfin l'art
basé sur les principes chrétiens et inspiré de leur
esprit, interprétant exactement depuis le Concile d'Éphèse
la piété authentique et spontanée des fidèles,
représente Marie en Reine et en Impératrice, assise sur un
trône royal, ornée d'insignes royaux, ceinte d'un diadème,
entourée d'une cohorte d'Anges et de Saints, montrant qu'elle domine
non seulement les forces de la nature mais aussi les attaques perverses
de Satan. L'iconographie, pour traduire la dignité royale de la
Bienheureuse Vierge Marie, s'est enrichie à toutes les époques
d'oeuvres d'art de la plus grande valeur ; elle est même allée
jusqu'à représenter le Divin Rédempteur ceignant le
front de sa Mère d'une couronne éclatante.
[,es Pontifes
Romains n'ont pas manqué de favoriser cette dévotion populaire
en couronnant souvent, de leurs propres mains ou par l'intermédiaire
de Légats pontificaux, les images de la Vierge déjà
remarquables par le culte public qu'on leur rendait.
III
Comme Nous
l'avons indiqué plus haut, Vénérables Frères,
l'argument principal sur lequel se fonde la dignité royale de Marie,
déjà évident dans les textes de la tradition antique
et dans la sainte Liturgie, est sans aucun doute sa maternité divine.
Dans les Livres Saints, en effet, on affirme du Fils qui sera engendré
par la Vierge : " Il sera appelé Fils du Très-Haut et le
Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père, et
il régnera dans la maison de Jacob éternellement et son règne
n'aura pas de fin " ; (40) en outre, Marie est proclamée " Mère
du Seigneur ". (41) Il s'ensuit logiquement qu'elle-même est Reine,
puisqu'elle a donné la vie à un Fils qui, dès l'instant
de sa conception, même comme homme, était, à cause
de l'union hypostatique de la nature humaine avec le Verbe, Roi et Seigneur
de toutes choses.
Saint Jean
Damascène a donc raison d'écrire : " Elle est vraiment devenue
la Souveraine de toute la création au moment où elle devint
Mère du Créateur " (42) et l'Archange Gabriel lui-même
peut-être appelé le premier héraut de la dignité
royale de Marie.
Cependant la
Bienheureuse Vierge doit être proclamée Reine non seulement
à cause de sa maternité divine mais aussi parce que selon
la volonté de Dieu, elle joua. dans l'oeuvre de notre salut éternel,
un rôle des plus éminents. " Quelle pensée plus douce
- écrivait Notre Prédécesseur d'heureuse mémoire,
Pie XI - pourrait Nous venir à l'esprit que celle-ci : le Christ
est notre Roi non seulement par droit de naissance mais aussi par un droit
acquis, c'est-à-dire par la Rédemption ? Que tous les hommes
oublieux du prix que nous avons coûté à notre Rédempteur
s'en souviennent : " Vous n'avez pas été rachetés
par 1'or ou l'argent qui sont des biens corruptibles, ... mais par le sang
précieux du Christ, Agneau immaculé et sans tache ". (43)
Nous n'appartenons donc plus à nous-mêmes, parce que c'est
" d'un grand prix ", (44) que " le Christ nous a rachetés ". (45)
Dans l'accomplissement
de la Rédemption, la Très Sainte Vierge fut certes étroitement
associée au Christ ; aussi chante-t-on à bon droit dans la
Sainte Liturgie : " Sainte Marie, Reine du ciel et maîtresse du monde,
brisée de douleur, était debout près de la Croix de
Notre Seigneur Jésus-Christ ". (46) Et un pieux disciple de Saint
Anselme pouvait écrire au Moyen-âge : " Comme... Dieu, en
créant toutes choses par sa puissance, est Père et Seigneur
de tout, ainsi Marie, en restaurant toutes choses par ses mérites,
est la Mère et la Souveraine de tout : Dieu est Seigneur de toutes
choses parce qu'il les a établies dans leur nature propre par son
ordre, et Marie est Souveraine de toutes choses en les restaurant dans
leur dignité originelle par la grâce qu'elle mérita
". (47) En effet " Comme le Christ pour nous avoir rachetés est
notre Seigneur et notre Roi à un titre particulier, ainsi la Bienheureuse
Vierge est aussi notre Reine et Souveraine à cause de la manière
unique dont elle contribua à notre Rédemption, en donnant
sa chair à son Fils et en l'offrant volontairement pour nous, désirant,
demandant et procurant notre salut d'une manière toute spéciale
". (48)
De ces prémisses,
on peut tirer l'argument suivant : dans l'oeuvre du salut spirituel, Marie
fut, par la volonté de Dieu, associée au Christ Jésus,
principe de salut, et cela d'une manière semblable à celle
dont Ève fut associée à Adam, principe de mort, si
bien que l'on peut dire de notre Rédemption qu'elle s'effectua selon
une certaine " récapitulation " (49) en vertu de laquelle le genre
humain, assujetti à la mort par une vierge, se sauve aussi par l'intermédiaire
d'une vierge ; en outre on peut dire que cette glorieuse Souveraine fut
choisie comme Mère de Dieu précisément " pour être
associée à lui dans la rédemption du genre humain
" ; (50) réellement " ce fut elle qui, exempte de toute faute personnelle
ou héréditaire, toujours étroitement unie à
son Fils, l'a offert sur le Golgotha au Père Éternel, sacrifiant
en même temps son amour et ses droits maternels, comme une nouvelle
Ève, pour toute la postérité d'Adam, souillée
par sa chute misérable " ; (51) on pourra donc légitimement
en conclure que, comme le Christ, nouvel Adam, est notre Roi parce qu'il
est non seulement Fils de Dieu, mais aussi notre Rédempteur, il
est également permis d'affirmer, par une certaine analogie, que
la Sainte Vierge est Reine, et parce qu'elle est Mère de Dieu et
parce que, comme une nouvelle Ève, elle fut, associée au
nouvel Adam.
Sans doute,
seul Jésus-Christ, Dieu et homme, est Roi, au sens plein, propre
et absolu du mot ; Marie, toutefois, participe aussi à sa dignité
royale, bien que d'une manière limitée et analogique, parce
qu'elle est la Mère du Christ Dieu et qu'elle est associée
à l'oeuvre du Divin Rédempteur dans sa lutte contre ses ennemis
et dans son triomphe remporté sur eux tous. En effet par cette union
avec le Christ Roi Elle atteint une gloire tellement sublime qu'elle dépasse
l'excellence de toutes les choses créées : de cette même
union avec le Christ, découle la puissance royale qui l'autorise
à distribuer les trésors du Royaume du Divin Rédempteur
; enfin cette même union avec le Christ est source de l'efficacité
inépuisable de son intercession maternelle auprès du Fils
et du Père.
Aucun doute
par conséquent que la Sainte Vierge ne dépasse en dignité
toute la création et n'ait sur tous, après son Fils, la primauté.
" Toi enfin - chante Saint Sophrone - tu as dépassé de loin
toute créature. Que peut-il exister de plus élevé
que cette grâce dont toi seule as bénéficié
de par la volonté de Dieu ? " (52) Et Saint Germain va encore plus
loin dans la louange : " Ta dignité te met au dessus de toutes les
créatures ; ton excellence te rend supérieure aux anges ".
(53) Saint Jean Damascène ensuite en vient jusqu'à écrire
cette phrase : " La différence entre les serviteurs de Dieu et sa
Mère est infinie ". (54)
Pour nous aider
à comprendre la dignité sublime que la Mère de Dieu
a atteinte au dessus de toutes les créatures, nous pouvons considérer
que la Sainte Vierge, depuis le premier instant de sa conception, fut comblée
d'une telle abondance de grâces qu'elle dépassait la grâce
de tous les Saints. Aussi - comme l'écrivait Notre Prédécesseur
Pie IX d'heureuse mémoire, dans sa Bulle Ineffabilis Deus - " bien
au dessus de tous les Anges et de tous les Saints ", le Dieu ineffable
" a enrichi Marie avec munificence de tous les dons célestes, puisés
au trésor de la divinité ; aussi, toujours préservée
des moindres souillures du péché, toute belle et parfaite,
elle a atteint une telle plénitude d'innocence et de sainteté
qu'on ne peut en imaginer de plus grande en dessous de Dieu et que jamais
personne, sauf Dieu lui-même, ne réussira à la comprendre
". (55)
En outre, la
Bienheureuse Vierge n'a pas seulement réalisé le suprême
degré, après le Christ, de l'excellence et de la perfection
mais elle participe aussi en quelque sorte à l'action par laquelle
on dit avec raison que son Fils, notre Rédempteur, règne
sur les esprits et les volontés des hommes. En effet, si le Verbe
opère les miracles et répand la grâce par le moyen
de son humanité, s'il se sert des Sacrements et des Saints comme
d'instruments pour le salut des âmes, pourquoi ne peut-il pas se
servir de se Mère très Sainte pour nous distribuer les fruits
de la Rédemption ? Vraiment c'est avec un coeur maternel comme dit
encore Notre Prédécesseur Pie IX - que, traitant l'affaire
de notre salut, elle se préoccupe de tout le genre humain, ayant
été établie par le Seigneur Reine du ciel et de la
terre et se trouvant exaltée au dessus de tous les choeurs des Anges
et de tous les Saints du ciel à la droite de son Fils unique, Jésus-Christ
Notre Seigneur : elle obtient audience par la puissance de ses supplications,
maternelles, elle reçoit tout ce qu'elle demande et ne connaît
jamais de refus. (56) À ce propos, un autre de Nos Prédécesseurs,
Léon XIII d'heureuse mémoire, déclara que la Bienheureuse
Vierge Marie dispose d'un pouvoir " presque sans limites " (57) pour concéder
des grâces, et Saint Pie X ajoute que Marie remplit cet office "
pour ainsi dire par droit maternel ". (58)
Que tous les
fidèles chrétiens se glorifient donc d'être soumis
a l'empire de la Vierge Mère de Dieu qui dispose d'un pouvoir royal
et brûle d'amour maternel.
Mais en traitant
les questions qui regardent la Sainte Vierge, que les Théologiens
et les Prédicateurs de la parole divine aient soin d'éviter
ce qui les ferait dévier du droit chemin, pour tomber dans une double
erreur ; qu'ils se gardent et des opinions privées de fondement,
dont les expressions exagérées dépassent les limites
du vrai, et d'une étroitesse d'esprit excessive quand il s'agit
de cette dignité unique, sublime, et même presque divine de
la Mère de Dieu, que le Docteur Angélique nous enseigne à
lui attribuer " à cause du bien infini qu'est Dieu ". (59)
Du reste, sur
ce point de la doctrine chrétienne comme en d'autres, " la norme
prochaine et universelle de la vérité " est, pour tous, le
Magistère vivant de l'Église que le Christ a établi
" également pour éclairer et expliquer ce qui, dans le dépôt
de la foi, n'est contenu qu'obscurément et comme implicitement ".
(60)
IV
Les monuments
de l'antiquité chrétienne, les prières de la liturgie,
le sens religieux inné du peuple chrétien, les oeuvres d'art,
nous ont fourni des témoignages qui affirment l'excellence de la
Vierge Mère de Dieu en sa dignité royale ; Nous avons aussi
prouvé que les raisons déduites par la théologie du
trésor de la foi divine confirment pleinement cette vérité.
De tant de témoignages cités, il se forme un concert dont
l'écho résonne au loin pour célébrer le caractère
suprême et 1a gloire royale de la Mère de Dieu et des hommes,
" élevée désormais au royaume céleste au dessus
des choeurs angéliques ". (61)
De longues
et mûres réflexions Nous ayant persuadé que si cette
vérité solidement démontrée était rendue
plus resplendissante aux yeux de tous - comme une lampe qui brille davantage
quand elle est placée sur le candélabre - l'Église
en recueillerait de grands fruits, par Notre autorité apostolique
Nous décrétons et instituons la fête de Marie Reine,
qui se célébrera chaque année dans le monde entier
le 31 mai. Nous ordonnons également que, ce jour-là, on renouvelle
la consécration du genre humain au Coeur Immaculée de la
Bienheureuse Vierge Marie. C'est là en effet que repose le grand
espoir de voir se lever une ère de bonheur, où régneront
la. paix chrétienne et le triomphe de la religion.
Que tous s'approchent
donc avec une confiance plus grande qu'auparavant, du trône de miséricorde
et de grâce de notre Reine et Mère, pour demander le secours
dans l'adversité, la lumière dans les ténèbres,
le réconfort dans la douleur et les larmes ; qu'ils s'efforcent
surtout de s'arracher à la servitude du péché et qu'ils
offrent un hommage incessant, pénétré de la ferveur
d'une dévotion filiale, à la royauté d'une telle Mère.
Que ses Sanctuaires
soient fréquentés et ses fêtes célébrées
par la foule des fidèles ; que la pieuse couronne du Rosaire soit
dans toutes les mains et que, pour chanter ses gloires, elle rassemble
dans les églises, les maisons, les hôpitaux, les prisons,
aussi bien de petits groupes que de grandes assemblées de fidèles.
Que le nom de Marie plus doux que le nectar, plus précieux que n'importe
quelle gemme soit l'objet des plus grands honneurs ; que personne ne prononce
de blasphèmes impies, signe d'une âme corrompue, contre un
nom qui brille d'une telle majesté et que la grâce maternelle
rend vénérable ; qu'on n'ose même rien dire qui trahisse
un manque de respect à son égard.
Que tous s'efforcent
selon leur condition de reproduire dans leur coeur et dans leur vie, avec
un zèle vigilant et attentif, les grandes vertus de la Reine du
Ciel, Notre Mère très aimante. Il s'ensuivra en effet que
les chrétiens, en honorant et imitant une si grande Reine, se sentiront
enfin vraiment frères et, bannissant l'envie et les désirs
immodérés des richesses, développeront la charité
sociale, respecteront les droits des pauvres et aimeront la paix. Que personne
donc ne se croie fils de Marie, digne d'être accueilli sous sa puissante
protection, si, à son exemple, il ne se montre doux, juste et chaste,
et ne contribue avec amour à la vraie fraternité, soucieuse
non de blesser et de nuire, mais d'aider et de consoler.
En bien des
régions du globe, des hommes sont injustement poursuivis pour leur
profession de foi chrétienne et privés des droits humains
et divins de la liberté ; pour écarter ces maux, les requêtes
justifiées et les protestations répétées sont
jusqu'à présent restées impuissantes. Veuille la puissante
Souveraine des choses et des temps qui, de son pied virginal, sait réduire
les violences, tourner ses yeux de miséricorde dont l'éclat
apporte le calme, éloigne les nuées et les tempêtes,
vers ses fils innocents et éprouvés ; qu'elle leur accorde
à eux aussi de jouir enfin sans retard de la liberté qui
leur est due, pour qu'ils puissent pratiquer ouvertement leur religion,
et que, tout en servant la cause de l'Évangile, ils contribuent
aussi par leur collaboration et l'exemple éclatant de leurs vertus
au milieu des épreuves, à la force et au progrès de
la cité terrestre.
Nous pensons
également que la Fête instituée par cette Lettre Encyclique
afin que tous reconnaissent plus clairement et honorent avec plus de zèle
l'empire clément et maternel de la Mère de Dieu, peut contribuer
grandement à conserver, consolider et rendre perpétuelle
la paix des peuples, menacée presque chaque jour par des événements
inquiétants. N'est-Elle pas l'arc-en-ciel posé sur les nuées
devant Dieu en signe d'alliance pacifique ? " Regarde l'arc et bénis
celui qui l'a fait ; il est éclatant de splendeur ; il embrasse
le ciel de son cercle radieux et les mains du Très-Haut l'ont tendu
". (63) Que quiconque honore donc la Souveraine des Anges et des hommes
- et personne ne doit se croire exempté de ce tribut de reconnaissance
et d'amour - l'invoque aussi comme la Reine très puissante, médiatrice
de paix : qu'il respecte et défende la paix qui n'est ni injustice
impunie ni licence effrénée, mais concorde bien ordonnée
dans l'obéissance à la volonté de Dieu ; c'est à
la conserver et à l'accroître que tendent les exhortations
et les ordres maternels de la Vierge Marie.
Vivement désireux
que la Reine et Mère du peuple chrétien accueille ces voeux
et réjouisse de sa paix la terre secouée par la haine et,
après cet exil, nous montre à tous Jésus qui sera
notre paix et notre joie pour l'éternité, à vous Vénérables
Frères et à vos fidèles, Nous accordons de tout coeur,
comme gage du secours du Dieu tout-puissant et comme preuve de Notre affection,
la Bénédiction Apostolique.
Donné
à Rome, près Saint-Pierre, en la fête de la Maternité
de la Vierge Marie, le 11 octobre 1954, seizième année de
Notre Pontificat.
PIE XII, PAPE.
1 Cfr. Constitutio Apostolica Munificentissirnus Deus ; A. A. S. XXXXII. 1950, p. 753 sq.
2 Cfr. Litt. Enc. Fulgens corona ; A. A. S. XXXXV, 1953, p. 577 sq.
3 Cfr. A. A. S. XXXVIII, 1946, p. 264 sq.
4 Cfr. L'Osservatore Romano, d. 19 Maii, a. 1946.
5 LUC. I, 32.
6 ISAI. IX, 6.
7 Apoc. XIX, 16.
8 Cfr. LUC. I, 32, 33.
9 LUC. I, 43.
10 S. EPHRAEM, Hymni de B. Maria, ed. Th. J. Lamy, t. II, Mechliniae, 1886, hymn. XIX, p. 624.
11 Idem, Oratio ad Ssmam Dei Matrem ; Opera omnia, Ed. Assemani, t. III (graece), Romae, 1747, pag. 546.
12 S. GREGORIUS NAZ., Poemata dogmatica, XVIII. v. 58 : P. G. XXXVII, 485.
13 PRUDENTIUS, Dittochaeum, XXVII : P. L. LX, 102 A.
14 Hom. in S. Lucam, hom. VII ; ed. Rauer, Origenes' Werke, T. IX, p. 48 (ex catena Macarii Chrysocephali). Cfr. P. G. XIII, 1902 D.
15 S. HIERONYMUS, Liber de nominibus hebraeis : P. L. XXIII, 886.
16 S. PETRUS CHRYSOLOGUS, Sermo 142, De Annuntiatione B. M. V. : P. L. LII, 579 C ; cfr. etiam 582 B ; 584 A : " Regina totius exstitit castitatis ".
17 Relatio Epiphanii Ep. Constantin. : P. L. LXIII, 498 D.
18 Encomium in Dormitionem Ssmae Deiparae (inter opera S. Modesti) : P. G. LXXXVI, 3306 B.
19 S. ANDREAS CRETENSIS, Homilia II in Dormitionem Ssmae Deiparae : P. G. XCVII, 1079 B.
20 Id., Homilia III in Dormitionem Ssmae Deiparae : P. G. XCVII, 1099 A.
21 S. GERMANUS, In Praesentationem Ssmae Deiparae, I : P. G. XCVIII, 303 A.
22 Id., In Praesentationem Ssmae Deiparae, II : P. G. XCVIII, 315 C.
23 S. IOANNES DAMASCENUS, Homilia I in Dormitionem B. M. V. : P.G. XCVI, 719 A.
24 Id., De fide orthodoxa, I, IV, c. 14 : P. G. XLIV, 1158 B.
25 De laudibus Mariae (inter opera Venantii Fortunati) : P. L. LXXXVIII, 282 B et 283 A.
26 ILDEFONSUS TOLETANUS, De virginitate perpetua B. M. V. : P. L. XCVI, 58 A D.
27 S. MARTINUS I, Epist. XIV : P. L. LXXXVII, 199-200 A.
28 S. AGATHO : P. L. LXXXVII, 1221 A.
29 HARDOUIN, Acta Conciliorum, IV, 234 ; 238 ; P. L. LXXXIX, 508 B.
30 XYSTUS IV, Bulla Cum praeexcelsa, d. d. 28 Febr. a. 1476.
31 BENEDICTUS XIV, Bulla Gloriosae Dominae, d. d. 27 Sept. a. 1748.
32 S. ALFONSO, Le glorie di Maria, p. I, c. I, § 1.
33 Ex liturgia Armenorum : in festo Assumptionis, hymnus ad Matutinum.
34 Ex Menaeo (byzantino) : Dominica post Natalem, in Canone, ad Matutinum.
35 Officium hymni 'Akatistos (in ritu byzantino).
36 Missale Aethiopicum, Anaphora Dominae nostrae Mariae, Matris Dei.
37 Brev. Rom., Versicutus sexti Respons.
38 Festum Assumptionis ; hymnus Laudum.
39 Ibidem, ad Magnificat II Vesp.
40 LUC. I, 32, 33.
41 Ibid. I, 43.
42 S. IOANNES DAMASCENUS, De fide orthodoxa, l. IV, c. 14, P. G. XCIV, 1158 s. B.
43 I Petr. I, 18, 19.
44 I Cor. VI, 20.
45 PIUS XI, Litt. Enc. Quas primas : A. A. S. XVII, 1925, p. 599.
46 Festum septem dolorum B. Mariae Virg., Tractus.
47 EADMERUS, De excellentia Virginis Mariae, c. 11 : P. L. CLIX, 508 A B.
48 F. SUAREZ, De mysteriis vitae Christi, disp. XXII, sect. II (ed. Vivès, XIX, 327).
49 S. IRENAEUS, Adv. haer., V, 19, 1 : P. G. VII, 1175 B.
50 PIUS XI, Epist. Auspicatus profecio : A. A. S. XXV, 1933, p. 80.
51 PIUS XII, Litt. Enc. Mystici Corporis : A. A. S. XXXV, 1943, p. 247.
52 S. SOPHRONIUS, In Annuntiationem Beatae Mariae Virg. : P. G. LXXXVII, 3238 D ; 3242 A.
53 S. GERMANUS, Hom. II in Dormitionem Beatae Mariae Virginis : P. G. XCVIII, 354 B.
54 S. IOANNES DAMASCENUS, Hom. I in Dormitionem Beatae Mariae Virginis : P. G. XCVI, 715 A.
55 PIUS IX, Bulla Ineffabilis Deus : Acta Pii IX, I, p. 597-598.
56 Ibid. p. 618.
57 LEO XIII, Litt. Enc. Adiutricem populi : A. S. S., XXVIII, 1895-1896, p.130.
58 PIUS X, Litt. Enc. Ad diem illum : A. S. S., XXXVI, 1903-1904, p. 455.
59 S. THOMAS, Summa Theol., I, q. 25, a. 6, ad 4.
60 PIUS XII, Litt. Enc. Humani generis : A. A. S., XLII, 1950, p. 569.
61 Ex Brev. Rom. : Festum Assumptionis Beatae Mariae Virginis.
62 Cfr. Gen. IX, 13.
63 Eccl. XLIII,
12-13.