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édition par Jean-Marie Weber et JESUSMARIE.com

JEAN XXIII
 

SAINT LÉON LE GRAND
ET
L'UNITÉ DE L'ÉGLISE
« AETERNA DEI SAPIENTIA »

(Lettre encyclique du 11 novembre 1961 pour
le XVe  centenaire de la mort de Saint Léon)
 

A NOS VÉNÉRABLES FRERES, PATRIARCHES, PRIMATS,
ARCHEVEQUES, EVEQUES ET AUTRES ORDINAIRES DES
LIEUX EN PAIX ET COMMUNION AVEC LE SIEGE APOSTOLIQUE
JEAN XXIII,    PAPE.
 

VÉNÉRABLES FRÈRES, SALUT ET BÉNÉDICTION APOSTOLIQUE
 

L'ÉTERNELLE sagesse de Dieu « qui déploie sa force d'un bout du monde à l'autre et dispose tout avec douceur » (Sagesse, VIII,1.) paraît avoir imprimé sa propre image avec un éclat particulier dans l'âme de saint Léon Ier, Pontife suprême. Celui-ci, en effet, le plus grand parmi les grands, comme l'a qualifié à très juste titre Notre Prédécesseur Pie XII (Discours du 12 octobre 1952, D. C., 1952, col. 1347), de vénérée mémoire, s'est montré doué à un très haut degré de fermeté intrépide autant que de bonté paternelle.

C'est la raison pour laquelle, Nous, qui avons été élevé par la Providence divine sur le siège de Pierre que saint Léon le Grand illustra par la sagesse de son gouvernement et par la richesse de sa doctrine, par la grandeur de son âme et par l'abondance de sa charité, Nous estimons qu'il est de Notre devoir, Vénérables Frères, à l'occasion du quinzième centenaire de sa mort, de mettre en lumière ses vertus et ses mérites immortels, convaincu, comme Nous le sommes, que cela contribuera grandement au bien commun des âmes, à la gloire et au progrès de la foi catholique. Car il ne faut pas croire que la noble grandeur de ce Pontife réside avant tout dans la force d'âme dont il fit preuve, lorsque, sans aucune arme, revêtu de la majesté du Souverain Prêtre, il affronta sans trembler, en 452, sur les rives du Mincio, le féroce roi des Huns, Attila, et le persuada de se retirer derrière le Danube. Certes, ce fut un exploit glorieux et des plus appropriés à la mission pacificatrice du pontificat romain; en réalité, cependant, il faut le dire, ce n'était qu'un épisode dans une vie consacrée tout entière jusqu'au dernier souffle, au bien religieux et social, non seulement de la ville de Rome et du peuple italien, mais aussi de l'Église universelle.
 

I
 

LE PAPE SAINT LÉON LE GRAND PASTEUR ET DOCTEUR
DE L'ÉGLISE UNIVERSELLE
 

L'activité de saint Léon est bien conforme à cette parole des Livres divins: « Le sentier des justes est comme la lumière brillante du matin dont l'éclat va croissant jusqu'au plein jour. » (Prov., IV, 18) On en conviendra, si l'on considère les trois principales caractéristiques de sa personne le serviteur fidèle du Siège apostolique, le Vicaire suprême du Christ sur terre, le Docteur de l'Église universelle.
 

SERVITEUR FIDÈLE DU SIÈGE APOSTOLIQUE

« Léon, Toscan d'origine, fils de Quintianus », d'après le Liber Pontificalis (Ed. DUCHESNE. I, 238), vit le jour vers la fin du IVe siècle. Mais comme il a vécu à Rome dès son âge le plus tendre, il a pu à bon droit nommer Rome sa patrie (Ep. XXXI, 4; MIGNE, P. L., LIV, 794); entré dès son adolescence dans le clergé de la ville, il parvint au rang de diacre. Puis, durant la période qui va de 430 à 439, il collabora avec Xyste III et exerça  une influence remarquable sur la conduite des affaires ecclésiastiques. Il entra en rapports d'amitié avec saint Prosper d'Aquitaine, avec Cassien, le fondateur de la célèbre abbaye Saint-Victor de Marseille, qui écrivit à sa demande son ouvrage sur l'Incarnation du Seigneur (MIGNE, P. L. LIX, 9-272), dirigé contre la secte de Nestorius, et le qualifiait de « gloire de l'Église et du divin ministère » (De Incarn. Domini, contra Nestorium, libr. VII, prol. P. L., L, 9) : éloge singulier si l'on veut bien remarquer qu'il est adressé à un simple diacre. Pendant un séjour en Gaule, où il avait été envoyé par le Souverain Pontife sur invitation de la Cour de Ravenne, en vue de résoudre le conflit entre le patrice Aétius et le préfet Albinus, Xyste III vint à mourir. L'Église romaine estima alors que le pouvoir de vicaire du Christ sur terre ne pourrait être confié à quelqu'un de plus digne que le diacre Léon, dont elle avait reconnu la compétence théologique aussi bien que la sagesse dans les affaires publiques. C'est pourquoi il reçut la consécration épiscopale le 29 septembre 440 et son pontificat ne fut pas seulement l'un des plus longs que connut l'antiquité chrétienne, mais aussi et surtout l'un des plus glorieux. Lorsqu'il acheva sa vie, au mois de novembre 461, sa dépouille vint reposer à l'entrée du sanctuaire de la basilique du Vatican; plus tard, en l'an 668, elle fut transférée dans la « citadelle de Pierre » sur l'ordre du Pape Serge Ier, et après la construction de la nouvelle basilique, déposée sous l'autel qui lui est dédié.

Et maintenant, si l'on veut bien admettre cette esquisse des traits saillants de sa vie, Nous ne pouvons que proclamer combien il est exceptionnel que l'Église ait remporté sur ses adversaires un triomphe tel que celui qu'elle connut sous le pontificat de Léon le Grand; au milieu du Ve siècle, il ressort dans le ciel de la chrétienté comme une étoile brillante de première grandeur. L'exactitude de l'affirmation ne pourra être contestée, si l'on envisage surtout le domaine doctrinal de la foi catholique dans lequel son nom va de pair avec ceux de saint Augustin d'Hippone de de saint Cyrille d'Alexandrie. De fait, si saint Augustin, comme on le sait, revendiqua contre l'hérésie de Pélage, la nécessité absolue de la grâce divine pour vivre dans la droiture et acquérir le salut, si saint Cyrille défendit la divinité de Jésus-Christ et la réalité de la maternité divine de la Vierge Marie contre les opinions erronées de Nestorius, saint Léon, de son côté, ayant reçu sa doctrine comme en héritage de ces deux flambeaux insignes de l'Église orientale et occidentale, fut parmi ses contemporains le défenseur de beaucoup le plus vigoureux, de ces vérités capitales de la foi catholique. De même que saint Augustin est proclamé par l'Église universelle le docteur de la grâce et saint Cyrille, le docteur de l'Incarnation du Verbe, de même saint Léon est, de l'avis unanime, le docteur de l'unité de l'Église.
 

PASTEUR DE L'ÉGLISE UNIVERSELLE
 

Il suffit d'ailleurs d'un simple coup d'oeil sur la prodigieuse activité que déploya saint Léon dans son action pastorale et dans ses écrits pour se persuader qu'il fut le soutien et le défenseur de l'unité de l'Église aussi bien dans le domaine de la doctrine que dans celui de la discipline. Si l'on considère de plus le domaine liturgique, il est clair que ce Pontife si pieux a contribué à promouvoir l'unité du culte en composant lui-même ou en inspirant à de proches imitateurs quelques-une des prières les plus remarquables insérées dans le Sacramentaire Léonin. (MIGNE, P. L., LV, 21-156)

De même, il faut le remarquer, c'est saint Léon qui, par son intervention vigoureuse en temps opportun, dans la controverse sur le point de savoir si le Christ avait en plus de la nature divine la nature humaine, obtint le triomphe éclatant de la vraie doctrine concernant l'Incarnation du Verbe de Dieu; c'est ce qui a rendu son nom célèbre dans toute la postérité. Cette doctrine se rencontre principalement dans la Lettre à Flavien, évêque de Constantinople; saint Léon y expose le dogme de l'Incarnation du Fils de Dieu, dans une langue remarquable par sa clarté et la propriété des termes, en accord avec l'enseignement des prophètes, de l'Évangile, des écrivains apostoliques et du symbole de foi. (Ibid., LIV, 757) Il est bon d'en citer ces lignes significatives: « Les propriétés de l'une et l'autre nature étant sauvegardées et se rencontrant en une seule personne, la majesté a pris l'humilité, la force a pris la faiblesse, l'éternité, la condition mortelle. Pour payer la dette de notre condition, la nature invulnérable s'est unie à la nature capable de souffrir. Ainsi, comme il le faillait pour nous guérir, « un seul et même médiateur, entre Dieu et les hommes, l'homme Jésus-Christ » (I Tim., II, 5), put, d'une part, mourir et, de l'autre ne pas mourir. C'est donc avec la nature totale et parfaite d'un homme véritable que Dieu est né, totalement dans sa nature, totalement dans la notre. » (Ibid., col. 759)

Saint Léon ne s'en tint pas à cela. Après l'envoi de la lettre à Flavien, dans laquelle il avait pleinement mis en lumière « ce que l'Église catholique, dans son universalité, croit et enseigne sur le mystère de l'Incarnation du Seigneur » (Ep. XXXIX, ad Theodosium august., P. L., LIV, 783), il condamna le Concile réuni à Ephèse en 449, et dont les membres avaient mis en oeuvre tous les moyens illégaux et violents pour faire prévaloir la fausse doctrine « du très inconsidéré et trop ignorant » (Ep. XXVIII, P. L., LIV, 756) Eutychès, qui maintenait avec obstination dans le Christ une seule nature, la nature divine. C'est donc à bon droit que le Souverain Pontife stigmatisa du nom de « brigandage » (Ep. XCV, 2, ad Pulcheriam august., P. L., LIV, 943) un tel Concile, du fait qu'en violation des ordres du Siège apostolique il avait tout mis en oeuvre pour s'arroger le droit « d'attaquer la foi catholique » (Ibid.) et « de soutenir une hérésie exécrable » (Ibid.).

Le nom de saint Léon reste attaché surtout au célèbre Concile de Chalcédoine tenu en 451; malgré la pression exercée par l'empereur Marcien, le grand Pontife n'accepta sa convocation que dans la mesure où ses légats obtiendraient la présidence.
(Ep. LXXXIX, 2, ad Marcianum imper., P. L., LIV, 931; ad episcopos Galliarum, P. L., LIV, 988-991).
Ce Concile, vénérables Frères, bien qu'il constitue un des événements les plus glorieux pour l'Église catholique, ne Nous retiendra pas plus longuement, car ses assises mémorables, durant lesquelles fut proclamé solennellement le dogme des deux natures dans le Christ et reconnu le primat du Pontife de Rome dans le magistère, ont fait l'objet d'une des encycliques les plus importantes de Notre Prédécesseur d'éternelle mémoire, Pie XII, pour le 15e centenaire de sa convocation. (Encycl. Sempiternus Rex, 8 septembre 1951, D.C., 1951, col. 1217-1232).

Le souci de saint Léon pour l'unité et la paix de l'Église n'apparaît pas moins clairement lorsqu'il hésita à ratifier les actes de ce Concile. Car, si l'on ne peut attribuer ce mouvement ni à la négligence, ni à une cause d'ordre doctrinal, il faut donc penser – c'est ce qu'il déclare lui-même sans ambages comme vrai – qu'il a voulu par cette temporisation s'opposer au canon 28, par lequel les Pères du Concile, passant outre au refus des légats du Pontife de Rome et désireux de se concilier la faveur de l'empereur de Bysance, avaient concédé au siège de Constantinople, la première place parmi toutes les Églises orientales. Cela paraissait à saint Léon attenter aux droits primordiaux des autres Églises plus anciennes et plus illustres, ces droits que leur avaient reconnus les Pères du Concile de Nicée; c'était, d'autre part, amputer l'autorité du Siège apostolique lui-même. Cette tentative injuste, saint Léon l'avait jugée mûrement, moins d'après les termes mêmes du 28e canon que d'après les intentions de ceux qui l'avaient rédigé, comme le montrent deux de ses lettres, l'une adressée aux évêques du Concile (C. KIRCH, Enchir. fontium hist. eccl.  antiquae, Fribourg-en Brisgau, 4e éd., 1923, n. 943), l'autre à l'empereur. Dans cette dernière, pour repousser les arguments des Pères du Concile, il donne l'avertissement suivant: « Autre est la conduite des affaires séculières, autre celle des choses de Dieu; et en dehors de cette pierre que le Seigneur a posée dans la fondation (Matth. XVI, 18) il n'y aura pas d'édifice stable. Il perd son propre droit, celui qui aspire à ce qui ne lui est pas dû. » (Ep. CIV, 3, ad Marcianum imper., P. L., LIV, 995; cf. Ep. CVI,  ad Anatolium, episc. Constant., P. L., LIV, 995) La scission qui devait survenir plus tard et qui a éloigné tant d'Églises orientales, aux souvenirs glorieux, du Siège apostolique, est là pour montrer combien saint Léon avait vu juste – le passage cité le prouve – en pressentant que la communauté de ces chrétiens se scinderait, hélas! En plusieurs parties.

L'énumération des efforts soutenus sans relâche par saint Léon pour le maintien de l'unité de l'Église Nous paraîtrait incomplète si nous ne rappelions, au moins en passant, son intervention dans la controverse pour la fixation de la fête de Pâques, et le soin attentif qu'il mit à ce que les relations officielles entre le Siège apostolique et les princes chrétiens fussent toujours empreintes de respect mutuel, de confiance et de cordialité. Comme rien ne lui était plus à coeur que la paix de l'Église, il exhorta bien souvent ces princes à collaborer avec les évêques pour réaliser « la concorde de l'unité catholique » (Ep. CXIV, 3, ad Marcianum imper., P. L., LIV, 1022), afin de mériter de Dieu, « en plus de la couronne royale, la palme du sacerdoce ». (Ibid.)
 
 

LE DOCTEUR DE L'ÉGLISE
 

Cependant saint Léon, pasteur très vigilant du troupeau du Christ, défenseur très courageux de la véritable foi, doit être exalté en outre à titre de Docteur de l'Église, c'est-à-dire comme interprète et champion de ces vérités divines que nul parmi les Pontifes de Rome n'a manqué de sauvegarder et de proclamer. Notre Prédécesseur d'heureuse mémoire, Benoît XIV, le confirme dans sa Constitution apostolique Militantis Ecclesiae (12 octobre 1754), par laquelle il a inscrit saint Léon au nombre des Docteurs de l'Église; tel est l'éloge qu'il lui décerne: « L'éminence de sa vertu et de sa doctrine, son zèle des plus vigilants dans son rôle de pasteur lui ont valu de la part de nos ancêtres le surnom de Grand. L'excellence de son enseignement, soit pour exposer les mystères les plus sublimes de notre foi et les défendre contre les erreurs opposées, soit pour établir les lois de la discipline et les préceptes de la morale, dans un style d'une gravité et d'une éloquence éminemment sacerdotales, est tellement éclatante, elle est couverte des éloges de tant d'hommes, elle est reconnue par l'approbation enthousiaste et unanime de tant de Conciles, de Pères et d'auteurs ecclésiastiques, qu'un Pontife aussi éclairé ne doit être estimé inférieur, ni en renommée, ni en valeur, à presque aucun des saints Docteurs qui ont fleuri dans l'Église. » (P. L., LV, 337-340)

Ce titre de Docteur, saint Léon le doit principalement aux Sermons et aux Lettres dont une bonne partie Nous est parvenue. La collection des Sermons embrasse divers sujets dont la plupart se rattachent à la célébration des fêtes chrétiennes. Ses écrits ne sont pas tant d'un exégète appliqué à l'analyse d'un des livres sacrés ni d'un théologien qui recherche la profondeur d'une vérité divine, que d'un interprète consciencieux, lucide et éloquent des mystères chrétiens, fidèle aussi aux déclarations des Conciles, des Pères et surtout des Pontifes qui l'ont précédé. Son style simple, grave, vigoureux et persuasif peut passer sans aucun doute comme un modèle achevé de la meilleure éloquence; cependant, il ne sacrifie jamais l'exactitude de la vérité qu'il proclame au raffinement de la parole; jamais il ne parle ou n'écrit en vue de capter l'admiration des auditeurs, mais pour éclairer leur esprit, pour amener leur volonté à adopter la ligne de conduite en accord avec les vérités qu'ils professent.

D'après ses lettres, qu'il adressa en vertu de sa charge à des évêques, à des princes, à des prêtres, à des diacres, à des moines de l'Église universelle, saint Léon se révèle avec des dons exceptionnels d'homme de gouvernement, doué d'un esprit perspicace et éminemment pratique, d'une volonté prompte à agir, ferme dans ses décisions bien pesées, accessible à une indulgence paternelle, enflammé enfin de cette charité que saint Paul indique aux fidèles comme « la meilleure voie. » (I Cor., 12-31).
Comment ne pas reconnaître que ce sens de la justice associé à celui de la miséricorde, cette volonté de force unie à une volonté de clémence, où se complaisait son âme, prenaient leur source dans cette même charité que le Christ Jésus exigeait du bienheureux apôtre Pierre, avant de lui confier la garde de ses agneaux et de ses brebis? (Ioan., XXI, 15-17) En vérité, il a toujours voulu qu'on puisse voir en lui comme une image du Christ le bon Pasteur, comme nous l'indique ce passage: « A mes côtés se tiennent d'une part la mansuétude et la clémence, de l'autre, la rigueur et la justice. Et puisque toutes les voies su Seigneur sont miséricorde et vérité (Tob., III,2), nous sommes obligés, pour nous conformer à la bienveillance du Siège apostolique, de tempérer notre jugement de telle sorte que, mettant en balance le poids des délits qui n'admettent pas une mesure commune, nous estimions certaines pratiques quelque peu tolérables et que d'autres nous paraissent devoir être radicalement extirpées. » (Ep. XII, 5, ad Episcopos africanos, P. L., LIV, 652).

Sermons et Lettres mettent en bonne lumière la pensée et les sentiments de saint Léon, sa parole et son action; il mit toute sa force à poursuivre le bien propre de l'Église en le faisant tenir dans la vérité, la concorde et la paix.
 
 

II
 

LE XVe CENTENAIRE DE SAINT LÉON ET LE IIe CONCILE
OECUMÉNIQUE DU VATICAN
 

Vénérables Frères, à l'approche du jour où sera convoqué le IIe Concile oecuménique du Vatican, durant lequel les évêques, préposés aux choses sacrées, autour du Pontife de Rome et admirablement unis à lui, donneront au monde entier une image de l'unité catholique, il Nous paraît instructif et réconfortant de rappeler brièvement les idées fermes et de tant de poids qui remplissaient l'âme de saint Léon au sujet de l'unité de l'Église. En même temps qu'un hommage à la mémoire de ce Pontife si sage, ce sera, Nous le pensons, un rappel salutaire pour tous les fidèles, dans l'attente de cet événement imminent.
 

L'UNITÉ DE L'ÉGLISE SELON SAINT LÉON
 

En premier lieu, saint Léon enseigne que l'Église doit être une, parce que le Christ Jésus, son époux, est également un: « Elle est, en effet, l'Église vierge, épouse du Christ, l'unique époux, qui ne souffre d'être viciée par aucune erreur, afin que dans le monde entier reste inviolée l'unité de notre chaste communion. » (Ep. LXXX, 1, ad Anatolium, episc. Constant., P. L., LIV, 913).

Cette remarquable unité de l'Église prend son origine, dans la pensée de saint Léon, à la naissance du Verbe divin incarné, comme l'indique cette déclaration. « La naissance du Christ est à l'origine du peuple chrétien et le jour natal de la tête est celui du corps. Bien que chacun des appelés arrive à son tour et que l'ensemble des fils de l'Église soit réparti dans la succession des temps, tous les fidèles sans aucune exception sont sortis de la fontaine baptismale; de même qu'ils sont crucifiés avec le Christ à la passion, ressuscités à la résurrection, placés à la droite du Père à l'ascension, de même avec lui, ils sont nés en même temps en ce jour de la nativité. » (Serm. XXVI, 2, in Nativ. Domini, P. L., LIV, 213) A cette naissance secrète du « corps de l'Église » (Col., I, 18) , Marie a contribué intimement de par sa virginité, rendue féconde par le Saint-Esprit. En elle, saint Léon exalte la « Vierge, servante et mère du Seigneur » (Ep. CLXV, 2, ad Leonem imper., P. L., LIV, 1157), « celle qui a enfanté Dieu » (Ibid.) et qui est Vierge à jamais. (Serm. XXII, 2, in Nativ. Domini, P. L., LIV, 195)

D'autre part, le sacrement du baptême, affirme clairement saint Léon, fait de tout homme sur qui est versée l'eau sainte, non seulement un membre du Christ, mais un participant de sa dignité royale et de son sacerdoce: « Tous ceux qui ont été régénérés dans le Christ, le signe de la croix les fait rois et l'onction du Saint-Esprit les consacre prêtres. » (Serm. IV, 1, in Nativ. Domini, P. L., LIV, 149; cf. Serm. LXIV, 6, de Passione Domini, P. L., LIV, 357; Ep. LXIX, 4, P. L., LIV, 870) Ensuite, ceux que le sacrement de la confirmation (désigné par lui comme la « sanctification due aux onctions » (Serm. LXVI, 2, de Passione Domini, P. L., LIV, 365-366)) a fortifiés et assimilés au Christ Jésus, tête du corps de l'Église, atteignent la perfection grâce au sacrement de l'eucharistie: « Car la participation au corps et au sang du Christ n'a pas d'autre effet que de nous transformer en ce que nous mangeons, de sorte que celui avec qui nous mourons, avec qui nous sommes ensevelis, avec qui nous ressuscitons, nous le portions en toute circonstance et dans notre esprit et dans notre chair. » (Serm. LXIV, 7, de Passione Domini, P. L., 357)

Mais il ne faut pas perdre de vue que l'union des fidèles, membres du même corps vivant et visible, entre eux et avec le Rédempteur qui est la tête de tous, ne peut être parfaite si les liens de la vertu, des rites et des sacrements communs qui les unissent ne sont pas accompagnés d'une foi identique, gardée intacte par tous. Car, dit saint Léon: « C'est une grande sauvegarde qu'une foi intégrale, une foi véridique, à laquelle personne ne peut rien ajouter, rien retrancher; parce que, si la foi n'est pas une, elle n'est pas. » (Serm. XXIV, 6, in Nativ. Domini, P. L., LIV, 207).
Or, la préservation de l'unité de la foi exige de toute nécessité que les maîtres des vérités divines, Nous voulons dire les évêques, n'aient qu'une voix et qu'une pensée unanimes et qu'ils accordent leur propre avis à celui du Pontife de Rome: « La connexion de tout le corps fait que la santé est une, la beauté, une, et cette connexion requiert sans doute l'unanimité de tout le corps, mais elle exige et tout premier lieu la concorde entre les évêques. Ils ont en commun la dignité sacerdotale, mais pas le même degré de pouvoir, puisque, même parmi les bienheureux apôtres, la parité d'honneur n'empêcha pas la distinction des pouvoirs: bien que tous aient été également choisis, malgré cela, un seul obtint de prédominer sur les autres. » (Ep. XIV, 11, ad Anastasium, episc. Thessal., P. L., LIV, 676)
 
 

L'ÉVÊQUE DE ROME, CENTRE DE L'UNITÉ VISIBLE

 
De l'avis donc de saint Léon, toute unité visible qui cimente l'Église catholique a pour tête et pour soutien l'Évêque du Siège de Rome en tant qu'il est Successeur de Pierre et Vicaire du Christ sur terre. Cette conviction tire sa certitude pour saint Léon des documents évangéliques et de l'antique tradition catholique, comme le montrent très clairement ses paroles: « Pierre seul, dans le monde entier, est choisi pour être mis à la tête de l'oeuvre d'évangélisation de toutes les nations, à la tête de tous les apôtres et de tous les Pères de l'Église; et bien qu'il y ait dans le peuple de Dieu de nombreux pasteurs et de nombreux prêtres, tous cependant ont Pierre comme leur propre chef, de même qu'ils ont le Christ comme Chef principal. C'est une chose grande et admirable que Dieu ait daigné faire participer cet homme à son pouvoir; et s'il a voulu que les autres chefs aient aussi quelque chose en commun avec lui, tout ce qu'il a concédé aux autres, il l'a toujours concédé à travers Pierre. » (Serm. IV, 2, de natali ipsius, P. L., LIV, 149-150). Sur cette vérité, fondamentale à son sens, qu'un lien indissoluble entre le pouvoir de Pierre et celui des autres apôtres est établi par Dieu, il insiste en termes des plus nets: « Certes, le pouvoir (de lier et de délier: Matth., XIV, 19) est passé également aux autres apôtres et les effets de ce décret se sont transmis à tous les chefs de l'Église. Mais ce n'est pas en vain qu'un seul reçoit en dépôt ce qui doit être remis à tous; c'est à Pierre donc en particulier que cela est confié, parce que la personne de Pierre est préposée à tous ceux qui gouvernent l'Église. »(Ibid., col. 151; cf. Serm. LXXXIII, 2, in natali s. Petri Apost. P. L., LIV, 430).
 
 

PREROGATIVES DU MAGISTÈRE DE SAINT PIERRE
ET DE SES SUCCESSEURS
 

Aussi ce saint Pontife n'oublie pas qu'un rempart absolument nécessaire à l'unité visible de l'Église a été établi, à savoir le pouvoir suprême et infaillible d'enseigner, transmis par le Christ à Pierre lui-même, Prince des apôtres et à ses Successeurs. Il le dit très clairement: « Le Seigneur prend un soin spécial de Pierre et prie en particulier pour sa foi, comme pour montrer que la persévérance des autres serait mieux garantie si le courage du chef n'était pas vaincu. En Pierre, c'est la force de tous qui est protégée et l'ordre de la grâce divine est le suivant: la fermeté, qui par le Christ est donnée à Pierre, est communiquée aux apôtres par Pierre. » (Serm. IV, 3, P. L., LIV, 151-152; cf Serm. LXXXIII, 2, P. L., LIV, 451).

Tout ce que saint Léon affirme de Pierre avec tant de clarté et d'insistance, il n'hésite pas à l'affirmer aussi de lui-même, non pour en recevoir les honneurs de la foule, mais à cause de l'intime persuasion qu'il a d'être, au même titre que le Prince des apôtres, le Vicaire de Jésus-Christ lui-même, comme cela apparaît dans ce passage de ses sermons:

« Ce n'est donc pas par vanité que nous célébrons cette fête et que nous honorons ce jour de notre élévation au sacerdoce en souvenir du bienfait divin, puisque nous avouons en toute sincérité que le Christ est le principe de tout le bien accompli par nous dans l'exercice de notre ministère. Ce n'est pas en nous, qui ne pouvons rien sans lui, mais en lui-même, qui est toute l'efficacité de notre pouvoir, que nous mettons notre confiance. » (Serm. V, 4, de notali ipsius, P. L., LIV, 154). Par ces mots, saint Léon, loin de penser que saint Pierre soit désormais étranger au gouvernement de l'Église, aime au contraire associer à la confiance dans l'assistance éternelle de son divin Fondateur, la confiance dans la protection de saint Pierre, dont il se proclame héritier et successeur et dont il assume l'autorité. (Serm. III, 4, de natali ipsius, P. L., LIV, 147).

C'est pourquoi il attribue aux mérites de l'apôtre, plus qu'aux siens propres, les fruits de son ministère universel. Ce qu'en particulier montre clairement le texte suivant:

« Si nous parvenons à agir droit et à penser de même, si nous obtenons par nos prières quotidiennes les dons de la miséricorde divine, c'est au mérite des oeuvres (de Pierre) que nous le devons; sur son Siège vit son propre pouvoir avec l'excellence de son autorité. » (Serm. III, 3, de nat. Ipsius, P. L., LIV, 146; cf. Serm. LXXXIII, 3, in nat. s. Petri apost., P. L., LIV, 432).

En réalité, saint Léon n'enseigne ici rien de nouveau. A l'égal de ses Prédécesseurs, saint Innocent Ier (Ep. 30, ad Concil. Milev, P. L., XX, 590) et saint Boniface Ier (Ep. XIII, ad Rufum episc. Thessalinae, 11 mars, 422, in C. Silva-Taronca, S. J., Epistolarum Romanorum Pontificum collect. Thessal., Rome, 1937, P. 27), et en parfait accord avec les textes évangéliques bien connus qu'il a souvent commentés (Matth., XVI, 17; Luc, XXII, 31-32; Jean, XXI, 15-17), il est persuadé d'avoir reçu du Christ lui-même la charge du suprême ministère pastoral. Il affirme en effet: « La sollicitude que nous devons avoir envers toutes les Églises tire son origine principalement d'un mandat de Dieu. » (Ep. XIV, 1, ad Anastasium, episcop. Thessal., P. L., LIV, 668).
 

GRANDEUR SPIRITUELLE DE ROME
 

Quoi d'étonnant, dès lors, si saint Léon aime associer à la louange du Prince des apôtres celle de la ville du Prince des apôtres celle de la ville de Rome? Voici comment il désigne cette ville dans le sermon en l'honneur de saint Pierre et de saint Paul: « Ce sont en effet ces hommes illustres, Ô Rome, qui t'ont porté la lumière de l'Évangile. Ce sont eux qui t'ont promue à ce degré de gloire, que tu sois la race sainte, le peuple choisi, la ville royale et sacerdotale et le Siège de Pierre, la capitale de l'univers, au point que la religion divine a davantage étendu son autorité que le pouvoir des maîtres de la terre. Car, bien qu'une infinité de victoires ait fait avancer ton empire sur terre et sur mer, cependant, ce que tu as soumis par l'effort de la guerre est moins considérable que ce qu'a mis à tes pieds la paix du Christ. » (Serm. LXXXII, 1, in nat. apost. Petri et Pauli, P. L., LIV, 422-423).

Rappelant ensuite à ses auditeurs quel magnifique témoignage saint Paul rendit à la foi des premiers chrétiens de Rome, le grand Pape les exhorte parternellement à conserver une foi intègre et sans défaut: « Vous qui êtes chéris de Dieu et qui avez été approuvés par un témoignage apostolique – vous à qui le bienheureux apôtre Paul, le Docteur des nations, adresse ces paroles: votre foi est annoncée dans toute la terre – préservez en vous ce que vous savez avoir été loué par une telle voix. Que personne ne se dérobe à son éloge, afin que vous, qui avez été préservés par l'enseignement de l'Esprit-Saint des atteintes de toute hérésie, vous ne soyez pas contaminés par la tache de l'impiété d'Eutychès. » (Serm. LXXXVI, tract. Contra haer. Eutychis, P. L., LIV, 467).
 
 

LE VASTE ECHO D'UNE OEUVRE ADMIRABLE
 

Le Travail vraiment remarquable accompli par saint Léon pour la sauvegarde de l'autorité de l'Église de Rome ne fut pas inutile. Grâce en effet au prestige de sa personne, la « Citadelle de la pierre apostolique » fut louée et vénérée non seulement par les évêques d'Occident, présents aux Conciles de Rome, mais par plus de cinq cents membres de l'épiscopat oriental réunis à Chalcédoine (MANSI, Concil. Ampliss. Collect. VI, p. 913), et par les empereurs de Constantinople eux-mêmes. (Ep. C, 3, Marciani imper. ad Leonem, episc. Romae, P. L., LIV, 972; Ep. LXXVII, 1, Pulcheriae aug. ad Leonem, episc. Romae, P. L., LIV, 907). Aussi, avant même le célèbre Concile, Théodoret, évêque de Cyr, avait adressé en 449 à l'Évêque de Rome et à son troupeau privilégié, cet éloge célèbre:

« C'est à vous qu'il convient en tout de tenir la première place, car votre Siège se pare de bien des prérogatives. D'autres villes peuvent se vanter de leur étendue, de leur beauté, du nombre de leurs habitants..., mais la vôtre a reçu l'affluence des biens de Celui qui les donne avec largesse. Grande et illustre par-dessus toutes est celle qui est à la tête de l'univers et déborde par la multitude de ses habitants... Elle possède, en outre, des pères et maîtres communs de la vérité, Pierre et Paul, leurs tombes qui illuminent les âmes des fidèles. Sans doute ce couple de bienheureux et divin est originaire d'Orient et répand ses rayons de toute part, mais c'est en Occident qu'il a atteint dans la suite le couchant de la vie et qu'il éclaire de là l'univers entier. Ce sont eux qui ont rendu votre Siège le plus noble; c'est le comble de vos avantages. Mais leur Siège, encore à l'heure actuelle, leur Dieu finit de l'illustrer, du moment qu'il y a établi votre Sainteté pour répandre la lumière de la foi orthodoxe. » (Ep. LII, 1, Theodoreti episc. ad Leonem, episc. Romae, P. L., LIV, 847).

Les insignes louanges que les représentants des Églises d'Orient décernèrent à Léon, ne cessèrent pas après sa mort. De fait, la liturgie byzantine, dans la fête qu'elle lui consacre le 18 février, l'exalte comme « le guide de l'orthodoxie le docteur plein de piété et de majesté, l'astre de l'univers, l'honneur et la lumière des chrétiens, la lyre du Saint-Esprit ».

Les éloges que lui décerne le Ménologe de Basile rendent le même son:

« Cet homme admirable, notre père Léon, ordonné Évêque de la grande Rome en considération de ses nombreuses vertus, de sa chasteté et de sa pureté, a réalisé bien d'autres oeuvres dignes de ses vertus; mais il a brillé principalement en tout ce qui concerne la rectitude de la foi. » (MIGNE, P. G., CXVII, 319)
 
 

APPEL DE TOUS LES CHRÉTIENS À L'UNITÉ DE L'ÉGLISE
 

Il Nous a plu, vénérables frères, de mettre dans toutes les mémoires, afin que cela soit bien clair, que dans ces temps anciens ce grand concert de louanges célébrant la sainteté de saint Léon le Grand était commun à l'Orient et à l'Occident. Puissent tous ceux qui aujourd'hui s'adonnent à l'étude des sciences sacrées, et sont séparés de l'Église de Rome, renouveler à saint Léon ces témoignages de l'estime ancienne et commune l'entourait! En effet, lorsque seront apaisés les dissentiments déplorables, sur la doctrine et la remarquable action de cet immortel Pontife, alors la foi qu'ils professent eux-même brillera d'une lumière plus éclatante: « Un seul Dieu, un seul Médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus homme ». (I Tim., II, 5).

En ce qui Nous concerne, Nous qui avons succédé à saint Léon dans la Chaire romaine de Pierre, de même que Nous professons avec lui la foi dans l'origine divine de la mission d'évangélisation et de salut universel confiée par Jésus-Christ aux apôtres et à leurs successeurs, ainsi nourrissons-Nous avec lui le vif désir de voir toutes les nations entrer dans la voie de la vérité, de la charité et de la paix. Et c'est précisément dans le but de rendre l'Église plus à même de remplir de nos jours une mission si élevée que Nous Nous sommes proposé de convoquer le second Concile oecuménique du Vatican, dans la confiance que l'imposante réunion de la hiérarchie catholique non seulement renforcera l'unité de foi, de culte, de gouvernement, qui est la note propre et particulière de la véritable Église du Christ (Cf. Conc. Vat. I, Sess. III, can. 3 de fide), mais attirera aussi le regard d'innombrables croyants dans le Christ et les invitera à se réunir autour du « grand Pasteur des brebis » (Hebr., XIII, 20), qui a confié à Pierre et à ses Successeurs la garde perpétuelle de son troupeau. (Cf. Jo., XXI, 15-17).

Nous voulons donc que l'ardente exhortation, par laquelle nous appelons tous les chrétiens à l'unité de l'Église, soit l'écho de la voix de Léon qui, au Ve siècle, inculqua inlassablement au peuple chrétien la notion de cette unité. De même, il Nous plaît de répéter ces paroles qu'adressait déjà aux chrétiens de toutes les Églises saint Irénée, qui, appelé de l'Asie, non sans le concours de la divine Providence, pour gouverner le siège de Lyon, l'illustra par son martyre.

Après avoir vérifié que la liste des Pontifes de Rome, auxquels est transmis par héritage le pouvoir des deux Princes des apôtres, est complète et n'a jamais été interrompue (Cf. Advers. hareres, 1, III, c. 2, n. 2, P. G., VII, 848), il s'adresse ainsi à tous les fidèles du Christ: « Vers cette Église, à cause de l'éminence de son principat, doit converger nécessairement toute Église, c'est-à-dire les fidèles répandus de tous côtés. En elle toujours a été préservée par ceux qui sont partout (ou par ceux qui président les Églises) cette tradition qui nous vient des apôtres. » (Ibid.).

Mais Nous désirons ardemment que Notre appel à l'unité soit surtout l'écho de la prière adressée par le Libérateur du genre humain à son Père au cours de la dernière Cène: « Que tous soient un, comme toi, Père, es en moi et moi en toi, qu'eux aussi soient un ». (Jo., XVII, 21). Qui douterait que cette prière n'ait été entendue par le Père céleste, comme fut exaucé le sacrifice sanglant du Golgotha? Le Christ n'a-t-il pas affirmé que le Père l'écoute toujours? (Cf. Jo., XI, 42) Nous croyons donc d'une foi certaine que l'Église, pour laquelle il a prié et s'est immolé sur la croix, et à laquelle il a promis que son assistance ne manquerait jamais, a toujours été et demeure une, sainte, catholique et apostolique, telle qu'elle fut instituée par son Fondateur.

Hélas! Nous devons constater avec douleur qu'à l'heure actuelle, non moins que dans le passé, l'Église ne manifeste pas cette unité en vertu de laquelle tous ceux qui croient au Christ professent la même foi, pratiquent le même culte et obéissent à la même autorité suprême. Cependant, c'est avec un joyeux réconfort et une douce espérance que Nous voyons, en divers lieux de la terre, s'intensifier les efforts de beaucoup qui, d'un coeur généreux, cherchent à obtenir l'instauration de l'unité, même visible, de tous les chrétiens, qui satisfera dignement aux conseils, aux commandements et aux prières du Divin Sauveur.

Convaincu de ce que cette unité que désirent tant d'hommes d'excellent vouloir, non sans une inspiration du Saint-Esprit, ne pourra se réaliser que selon cette prédiction de Jésus-Christ: « Il y aura un seul troupeau et un seul pasteur » (Ibid., X, 16), Nous supplions le Christ, notre médiateur et avocat auprès du Père (Cf. I Tim., II, 5; I Jo., II, 1), que tous les chrétiens reconnaissent les notes par lesquelles sa véritable Église se distingue des autres et qu'ils se donnent à elle comme des fils très dévoués. Que le Dieu très bon daigne faire bientôt briller l'aurore de ce jour tant attendu de réconciliation universelle! Alors, tous ceux qui ont été rachetés par le Christ, réunis en une seule famille et chantant ensemble, la miséricorde divine, rediront en choeur d'une même voix joyeuse avec l'antique psalmiste: « Quelle joie, qu'il est bon pour des frères d'habiter ensemble! » (Ps. CXXXII, 1).

En vérité, cette paix, par laquelle les fils du même Père céleste, cohéritiers du même bonheur éternel, rétabliront entre eux la concorde, signera le triomphe éclatant du Corps mystique du Christ.
 
 

III
 

EXHORTATION FINALE
 

Vénérables Frères, quinze cents ans après la mort de saint Léon le Grand, Nous voyons l'Église catholique en butte à des épreuves et des soucis qui ont quelque ressemblance avec ceux qu'elle connaissait vers la fin du Ve siècle. Que de tempêtes, en ce moment même, accablent l'Église et angoissent notre coeur de Père. Il est vrai que le divin Rédempteur l'avait clairement annoncé!

Nous voyons qu'en maintes contrées la « foi de l'Évangile » (Cf. Phil., I, 27) est en grand péril; Nous voyons qu'ailleurs on s'efforce, en vain la plupart du temps, de séparer les évêques, les prêtres, les fidèles de cette sorte de citadelle de l'unité catholique que constitue le Siège de Rome.

C'est pourquoi, afin de chasser du sein de l'Église les périls de cette sorte, nous invoquons avec confiance la fidèle protection de ce Pontife vigilant qui, par ses travaux, par ses écrits, comme par les épreuves qu'il endura, joua un tel rôle pour la cause de l'unité catholique. Quant à tous ceux qui souffrent aussi bien pour la vérité que pour la justice, Nous leur adressons les mêmes paroles de réconfort par lesquelles saint Léon exhorta le clergé, les autorités et le peuple de Constantinople: « Soyez donc fermes dans l'esprit de la vérité catholique et veuillez accepter l'exhortation apostolique par le ministère de notre bouche: car il vous a été donné par le Christ non seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui. » (Phil., I, 29; Ep. I, ad Constantinopolitanos, P. L., LIV, 843).

Pour tous ceux, enfin, qui sont fermement établis dans l'unité catholique, Nous qui, bien qu'indignement, portons sur la terre la succession du divin Rédempteur, Nous faisons Nôtre sa prière pour ses disciples bien-aimés, et pour tous ceux qui croiraient en lui: « Père saint... je te prie... pour qu'ils soient consommés dans l'unité. » (Cf. Jo., XVII, 11-20-23). Pour tous les fidèles de l'Église, Nous prions Dieu avec instance, afin que leur unité parvienne à cette perfection consommée que seule peut donner la charité « qui est le lien de la perfection ». (Col., III, 14).

C'est en effet par une seule et même charité qui, tout à la fois, nous porte à aimer Dieu par-dessus tout et nous pousse à aider notre prochain de toute manière avec promptitude, allégresse et générosité, que la sainte Église, « temple du Dieu vivant » (Cf. II Cor., VI, 16), et ses fils brillent partout d'une beauté surnaturelle. C'est pourquoi Nous exhortons ces fils de l'Église en empruntant ces paroles de saint Léon:

« Étant donné donc que, tous ensemble et chacun en particulier, les fidèles sont un même et unique temple de Dieu, il se doit, comme il est parfait en tous, d'être également parfait en chacun; car, bien que la beauté des membres ne soit pas la même pour tous et que, dans une telle diversité des parties, il ne puisse y avoir égalité de mérites, la connexion de la charité réalise cependant une communion de gloire. Comme ils sont, en effet, associés dans la charité, même s'ils n'obtiennent pas les bienfaits identiques en grâce, ils jouissent cependant des avantages respectifs les uns des autres; et ce qu'ils aiment ne peut leur rester étranger, parce qu'ils s'enrichissent d'un progrès personnel, ceux qui se réjouissent de l'avancement d'autrui. » (Serm. XLVIII, 1, de Quadrag., P. L., LIV, 298-299).

En concluant cette lettre encyclique, Nous ne pouvons moins faire que de renouveler le voeu très ardent qui jaillissait dans l'âme de saint Léon: voir tous ceux qui sont rachetés par le précieux sang de Jésus-Christ, réunis sous l'unique étendard de l'Église militante comme une armée en marche, résister avec intrépidité aux attaques des ennemis qui, en diverses régions du globe, s'efforcent d'acculer la foi chrétienne à une situation intenable. Car, pour reprendre encore une fois les paroles de Notre Prédécesseur: « C'est alors que le peuple de Dieu est le plus puissant, quand l'unité de la sainte obéissance rassemble tous les coeurs fidèles et que, dans les camps de la milice chrétienne les mêmes dispositions sont prises de tous côtés et la même défense est adoptée partout. » (Ep. XXII, 2, P. L., LIV, 441-442).

Si l'amour règne dans l'Église du Christ, alors le prince des ténèbres ne pourra l'emporter en aucune façon: « Le moyen le plus puissant de détruire les oeuvres du diable, c'est de ramener le coeur des hommes à l'amour de Dieu et du prochain. » (Ep. XCV, 2; ad Pulcheriam august., P. L., LIV, 943).

Souhaitant l'heureuse réalisation de tout ceci, Nous vous impartissons, d'un coeur paternel, Vénérables Frères, à vous tous et à chacun, de même qu'aux troupeaux confiés à votre garde attentive, la Bénédiction apostolique. Qu'elle vous porte le réconfort de Notre espérance et soit le gage des grâces divines.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 11 novembre de l'an 1961, de Notre Pontificat le quatrième.
 

JEAN XXIII, PAPE

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