" DIVINI REDEMPTORIS
"
SUR
LE COMMUNISME
ATHÉE
1. La promesse
d'un Rédempteur illumine la première page de l'histoire humaine;
aussi, la ferme espérance de jours meilleurs adoucit le regret du
paradis perdu et soutint le genre humain cheminant au milieu des tribulations
; mais, quand fut venue la plénitude des temps, le Sauveur du monde,
par son apparition sur terre, combla l'attente et inaugura, dans tout l'univers,
une nouvelle civilisation, la civilisation chrétienne, autrement
plus parfaite que tous les progrès réalisés jusque-là,
au prix de tant d'efforts, chez certains peuples privilégiés.
2. Mais, la
lutte entre le bien et le mal, triste héritage de la faute originelle,
continua à sévir dans le monde ; l'ancien tentateur n'a jamais
cessé, par ses promesses fallacieuses, de tromper le genre humain.
C'est pourquoi, au cours des siècles, on a vu les bouleversements
se succéder jusqu'à la révolution actuelle, qui est
déjà déchaînée ou qui devient sérieusement
menaçante presque partout, peut-on dire, et dépasse, par
l'ampleur et la violence, ce qu'on a éprouvé dans les persécutions
antérieures contre l'Église. Des peuples entiers sont exposés
à retomber dans une barbarie plus affreuse que celle où se
trouvait encore la plus grande partie du monde à la venue du Rédempteur.
3. Ce péril
si menaçant. Vous l'avez déjà compris, Vénérables
Frères, c'est le communisme bolchevique et athée, qui prétend
renverser l'ordre social et saper jusque dans ses fondements la civilisation
chrétienne.
I
ATTITUDE DE
L'ÉGLISE EN FACE DU COMMUNISME
CONDAMNATIONS ANTÉRIEURES
4. En face
d'un pareil danger, l'Église Catholique ne pouvait se taire et,
en fait, elle n'a pas gardé le silence. Le Siège Apostolique,
qui a pour mission spéciale la défense de la vérité,
de la justice, de tous les biens éternels niés et combattus,
par le communisme, le Siège Apostolique. tout particulièrement,
n'a pas manqué d'élever la voix. Depuis l'époque où
des groupes intellectuels prétendirent libérer la civilisation
humaine des liens de la morale et de la religion, Nos prédécesseurs
attirèrent l'attention du monde, d'une façon claire et explicite,
sur les conséquences de la déchristianisation de la société
humaine. Quant au communisme, déjà en 1846, Notre vénéré
Prédécesseur, Pie IX, de sainte mémoire, portait une
condamnation solennelle, confirmée plus tard dans le Syllabus, contre
" cette doctrine néfaste qu'on nomme le communisme, radicalement
contraire au droit naturel lui-même ; pareille doctrine, une fois
admise, serait la ruine complète de tous les droits, des institutions,
des propriétés et de la société humaine elle-même
" (1).
(1) Lettre
Encycl. Qui pluribus, 9 nov. 1846 (Acta Pii IX vol. I, p. 13). Cf. Syllabus.
§ IV (A. S. S., vol. III, p. 170).
Plus tard.
Notre Prédécesseur, Léon XIII, d'immortelle mémoire,
dans son Encyclique Quod Apostolici muneris, définissait le communisme
: " Une peste mortelle qui s'attaque à la moelle de la société
humaine et qui l'anéantirait " (2). Avec clairvoyance Léon
XIII montrait qu'à l'origine de l'athéisme des masses, en
cette époque de progrès technique, se trouve une philosophie
qui, depuis des siècles, tente de séparer la science et la
vie de la foi et de l'Église.
(2) Lettre
Encycl. Quod. Apostolici muneris, 28 déc. 1878 (Acta Leonis XIII,
vol. I, p. 46).
ACTES DU PRÉSENT PONTIFICAT
5. Nous-même,
durant Notre pontificat, Nous avons souvent dénoncé, et avec
une pressante insistance, les courants d'athéisme qui croissent
d'une façon alarmante. En 1924, quand Notre mission de secours revenait
des pays de l'Union Soviétique, Nous avons protesté contre
le communisme, dans une allocution spéciale, qui s'adressait au
monde entier (3).
(3) 18 déc.
1924 : A. A. S., vol. XVI (1924), pp. 494, 495.
Dans Nos Encycliques
Miserentissimus Redemptor (4), Quadragesimo anno (5), Caritate Christi
(6), Acerba animi (7), Dilectissima Nobis (8), Nous avons fait entendre
une solennelle protestation contre les persécutions déchaînées
en Russie, au Mexique et en Espagne.
(4) 8 mai 1928 : A. A. S., vol. XX (1928), pp. 165-178.
(5) 15 mai 1931 : A. A. S., vol. XXIII (1931), pp. 177-228.
(6) 3 mai 1932 : A. A. S., vol. XXIV (1932), pp. 177-194.
(7) 29 sept. 1932 : A. A. S., vol. XXIV (1932), pp. 321-332.
(8) 3 juin
1933 : A. A. S., vol. XXV (1933), pp. 261-274.
On n'a pas
encore oublié les allocutions que Nous prononcions l'an dernier,
lors de l'inauguration de l'Exposition mondiale de la Presse catholique,
dans l'audience accordée aux réfugiés espagnols et
dans Notre message à l'occasion de la fête de Noël.
Même
les ennemis les plus acharnés de l'Église, qui dirigent de
Moscou cette lutte contre la civilisation chrétienne, témoignent,
par leurs attaques incessantes en paroles et en actes, que la Papauté
continue fidèlement, encore de nos jours, à défendre
le sanctuaire de la religion chrétienne et qu'elle a mis en garde
contre le péril communiste plus souvent et d'une manière
plus persuasive que n'importe quel autre pouvoir public de ce monde.
NÉCESSITÉ D'UN NOUVEAU DOCUMENT SOLENNEL
6. Malgré
ces avertissements paternels plusieurs fois renouvelés et qu'à
Notre grande satisfaction Vous avez, Vénérables Frères,
fidèlement communiqués et commentés à Vos fidèles,
en plusieurs Lettres pastorales récentes, même en des Lettres
collectives, malgré tout, propagé par d'habiles agitateurs,
le danger va s'aggravant de jour en jour. C'est pourquoi il est de Notre
devoir, croyons-Nous, d'élever à nouveau la voix en un document
plus solennel, selon l'habitude du Siège Apostolique, Maître
de vérité ; du reste, un pareil document répond au
désir de tout l'univers catholique. L'écho de Notre voix,
Nous en avons la ferme confiance, sera entendu partout où se trouvent
des esprits libres de préjugés et des coeurs sincèrement
désireux du bien de l'humanité : d'autant plus que Notre
parole est aujourd'hui douloureusement confirmée par le spectacle
des fruits amers produits par les idées subversives. Les effets
que Nous avions prévus et annoncés se multiplient terriblement
; ils se réalisent dans les pays déjà dominés
par le communisme ou ils menacent tous les autres pays du monde.
7. Nous voulons
donc encore une fois, dans une brève synthèse, exposer les
principes du communisme athée, tels qu'ils se manifestent surtout
dans le bolchevisme, et montrer ses méthodes d'action. A ces faux
principes, nous opposerons la lumineuse doctrine de l'Église, Nous
indiquerons de nouveau, avec insistance, par quels moyens la civilisation
chrétienne, la seule " Cité " vraiment " humaine ",. peut
échapper à ce fléau satanique et se développer
encore davantage pour le véritable bien-être de l'humanité.
II
DOCTRINE ET
FRUITS DU COMMUNISME
LA DOCTRINE
Pseudo-idéal.
8. Le communisme
d'aujourd'hui, d'une manière plus accusée que d'autres mouvements
semblables du passé, renferme une idée de fausse rédemption.
Un pseudo-idéal de justice, d'égalité et de fraternité
dans le travail, imprègne toute sa doctrine et toute son activité
d'un certain faux mysticisme qui communique aux foules, séduites
par de fallacieuses promesses, un élan et un enthousiasme contagieux,
spécialement en un temps comme le nôtre, où par suite
d'une mauvaise répartition des biens de ce monde règne une
misère anormale. On vante même ce pseudo-idéal, comme
s'il avait été le principe d'un certain progrès économique
: quand il est réel, ce progrès s'explique par bien d'autres
causes, comme l'intensification de la production industrielle dans des
pays qui en étaient presque privés, la mise en valeur d'énormes
richesses naturelles, l'emploi de méthodes brutales pour faire d'immenses
travaux à peu de frais.
Matérialisme
évolutionniste de Marx.
9. La doctrine,
que le communisme cache sous des apparences parfois si séduisantes,
a aujourd'hui pour fondement les principes du matérialisme dialectique
et historique déjà prônés par Marx ; les théoriciens
du bolchevisme prétendent en détenir l'unique interprétation
authentique. Cette doctrine enseigne qu'il n'existe qu'une seule réalité,
la matière, avec ses forces aveugles ; la plante, l'animal, l'homme
sont le résultat de son évolution. De même, la société
humaine n'est pas autre chose qu'une apparence ou une forme de la matière
qui évolue suivant ses lois; par une nécessité inéluctable
elle tend, à travers un perpétuel conflit de forces, vers
la synthèse finale : une société sans classe.
Dans une telle
doctrine, c'est évident, il n'y a plus de place pour l'idée
de Dieu. il n'existe pas de différence entre l'esprit et la matière,
ni entre l'âme et le corps : il n'y a pas de survivance de l'âme
après la mort, et par conséquent nulle espérance d'une
autre vie. Insistant sur l'aspect dialectique de leur matérialisme,
les communistes prétendent que le conflit, qui porte le monde vers
la synthèse finale, peut être précipité grâce
aux efforts humains. C'est pourquoi ils s'efforcent de rendre plus aigus
les antagonismes qui surgissent entre les diverses classes de la société
; la lutte des classes, avec ses haines et ses destructions, prend l'allure
d'une croisade pour le progrès de l'humanité.
Par contre,
toutes les forces qui s'opposent à ces violences systématiques,
quelle qu'en soit la nature, doivent être anéanties comme
ennemies du genre humain.
Le sort de
la personne humaine et de la famille.
10. De plus,
le communisme dépouille l'homme de sa liberté, principe spirituel
de la conduite morale ; il enlève à la personne humaine tout
ce qui constitue sa dignité, tout ce qui s'oppose moralement à
l'assaut des instincts aveugles. On ne reconnaît à l'individu,
en face de la collectivité, aucun des droits naturels à la
personne humaine ; celle-ci, dans le communisme, n'est plus qu'un rouage
du système. Dans les relations des hommes entre eux, on soutient
le principe de l'égalité absolue, on rejette toute hiérarchie
et toute autorité établie par Dieu, y compris l'autorité
des parents.
Tout ce qui
existe de soi-disant autorité et subordination entre les hommes
dérive de la collectivité comme de sa source première
et unique. On n'accorde aux individus aucun droit de propriété
sur les ressources naturelles ou sur les moyens de production, parce qu'ils
sont l'origine d'autres biens, et que leur possession entraînerait
la domination d'un homme sur l'autre. Voilà précisément
pourquoi ce genre de propriété privée devra être
radicalement détruit, comme la première source de l'esclavage
économique.
11. En refusant
à la vie humaine tout caractère sacré et spirituel,
une telle doctrine fait nécessairement du mariage et de la famille
une institution purement conventionnelle et civile, fruit d'un système
économique déterminé. On nie par conséquent
l'existence d'un lien matrimonial de nature juridico-morale qui soit soustrait
au bon plaisir des individus ou de la collectivité et, par suite,
on rejette l'indissolubilité de ce lien. En particulier, le communisme
n'admet aucun lien spécial de la femme avec la famille et le foyer.
En proclamant
le principe de l'émancipation de la femme, il l'enlève à
la vie domestique et au soin des enfants pour la jeter dans la vie publique
et dans les travaux de la production collective au même titre que
l'homme ; le soin du foyer et des enfants est dévolu à la
collectivité. Enfin on retire aux parents le droit de l'éducation,
que l'on considère comme un droit exclusif de la communauté,
c'est seulement au nom de la communauté et par délégation
que les parents peuvent encore l'exercer.
Ce que deviendrait
la société.
12. Que deviendrait
donc la société humaine fondée sur de tels principes
matérialistes ? Elle serait une collectivité sans autre hiérarchie
que celle du système économique. Elle aurait pour unique
mission la production des biens par le travail collectif et pour unique
fin la jouissance des biens terrestres dans un paradis où chacun
" donnerait selon ses forces et recevrait selon ses besoins ". C'est à
la collectivité que le communisme reconnaît le droit ou plutôt
le pouvoir discrétionnaire d'assujettir les individus au joug du
travail collectif, sans égard à leur bien-être personnel,
même contre leur propre volonté, et quand il le faut, par
la violence. L'ordre moral aussi bien que l'ordre juridique ne serait plus,
dès lors, qu'une émanation du système économique
en vigueur; il ne serait fondé que sur des valeurs terrestres, changeantes
et caduques.
Bref, on prétend
ouvrir une ère nouvelle, inaugurer une nouvelle civilisation résultant
d'une évolution aveugle : " une humanité sans Dieu ! "
13. Enfin quand
l'idéal collectiviste sera devenu pour tous une réalité,
au terme utopique de cette évolution, où la société
ne connaîtra plus les différences de classes, l'État
politique, aujourd'hui instrument de domination des capitalistes sur les
prolétaires, perdra toute sa raison d'être et " disparaîtra
de lui-même ".
Cependant,
en attendant cet âge d'or, le communisme considère l'État
et le pouvoir politique comme le moyen le plus efficace et le plus universel
pour arriver à ses fins.
14. Vénérables
Frères, voilà le nouvel Évangile que le communisme
bolchevique et athée prétend annoncer au monde, comme un
message de salut et de rédemption ! Système rempli d'erreurs
et de sophismes, opposé à la raison comme à la révélation
divine : doctrine subversive de l'ordre social puisqu'elle en détruit
les fondements mêmes, système qui méconnaît la
véritable origine, la nature et la fin de l'État, ainsi que
les droits de la personne humaine, sa dignité et sa liberté.
LA DIFFUSION
Promesses éblouissantes.
15. Mais comment
se fait-il qu'un tel système, depuis longtemps dépassé
scientifiquement, et démenti par la réalité des faits,
puisse se répandre aussi rapidement dans toutes les parties du monde
? C'est que bien peu de personnes ont su pénétrer la vraie
nature du communisme; le plus souvent on cède à la tentation
habilement présentée sous les plus éblouissantes promesses.
Sous prétexte de ne vouloir que l'amélioration du sort des
classes laborieuses, de supprimer les abus réels provoqués
par l'économie libérale et d'obtenir une réparation
plus équitable des richesses (objectifs parfaitement légitimes,
sans aucun doute), en profitant de la crise économique mondiale,
le communisme réussit à faire pénétrer son
influence même dans les milieux sociaux où par principe on
rejette le matérialisme et le terrorisme. Et comme toute erreur
contient une part de vrai, cet aspect de la vérité, auquel
Nous avons fait allusion, a été mis habilement en relief
suivant les temps et les lieux pour cacher au besoin la brutalité
repoussante et inhumaine des principes et des méthodes du communisme
; on séduit ainsi des esprits distingués au point d'en faire
à leur tour des apôtres auprès des jeunes intelligences
trop peu averties pour découvrir les erreurs intrinsèques
au système. Les fauteurs de communisme ne manquent pas non plus
de mettre à profit les antagonismes de race, les divisions et les
oppositions qui proviennent des différents systèmes politiques,
enfin le désarroi qui règne dans le camp de la science séparée
de Dieu, pour s'insinuer dans les Universités et appuyer les principes
de leur doctrine sur des arguments pseudo-scientifiques.
Le libéralisme
a frayé la voie au communisme.
16. Pour comprendre
comment le communisme a réussi à se faire accepter sans examen
par les masses ouvrières, il faut se rappeler que les travailleurs
étaient déjà préparés à cette
propagande par l'abandon religieux et moral où ils furent laissés
par l'économie libérale. Le système des équipes
de travail ne leur donnait même plus le temps d'accomplir les devoirs
religieux les plus importants, aux jours de fête : on ne s'est pas
mis en peine de construire des églises à proximité
des usines ni de faciliter la tâche du prêtre ; au contraire,
on a favorisé le laïcisme et continué son oeuvre. On
recueille donc l'héritage des erreurs tant de fois dénoncées
par Nos Prédécesseurs et par Nous-même ; il n'y a pas
à s'étonner qu'en un monde déjà largement déchristianisé
se propage l'erreur communiste.
Propagande
insidieuse et étendue.
17. De plus,
la diffusion si rapide des idées communistes, qui s'infiltrent dans
tous les pays grands et petits, civilisés ou moins développés,
au point qu'aucune partie du monde n'y échappe, cette diffusion
s'explique par une propagande vraiment diabolique, telle que le monde n'en
a peut-être jamais vue : propagande dirigée par un centre
unique et qui s'adapte très habilement aux conditions des différents
peuples ; propagande qui dispose de grands moyens financiers, d'organisations
gigantesques, de Congrès internationaux, de forces nombreuses et
bien disciplinées ; propagande qui se fait par des tracts et des
revues, par le cinéma, le théâtre et la radio, dans
les écoles et même dans les Universités, qui envahit
peu à peu tous les milieux même les meilleurs, si bien que
le poison pénètre presque insensiblement et toujours davantage
les esprits et les coeurs.
Conjuration
du silence dans la presse.
18. Un troisième
facteur contribue largement à la diffusion du communisme, c'est
la conjuration du silence dans une grande partie de la presse mondiale
non catholique. Nous disons conjuration, car on ne saurait expliquer autrement
le fait qu'une presse aussi avide de commenter les menus incidents de la
vie quotidienne ait pu si longtemps garder le silence au sujet des horreurs
commises en Russie, au Mexique et dans une grande partie de l'Espagne,
qu'elle parle relativement peu d'une organisation mondiale aussi vaste
que le communisme dirigé par Moscou. Cette conjuration est due en
partie à des raisons inspirées par une politique à
courte vue ; elle est favorisée par diverses organisations secrètes,
qui depuis longtemps cherchent à détruire l'ordre social
chrétien.
CONSÉQUENCES DOULOUREUSES
Russie et Mexique.
19. Cependant les douloureux effets de cette propagande sont sous nos yeux. Là où le communisme a
pu s'affirmer
et dominer, - et ici Nous songeons avec une particulière affection
paternelle aux peuples de la Russie et du Mexique,- il s'est efforcé
par tous les moyens de détruire (et il le proclame ouvertement)
la civilisation et la religion chrétiennes jusque dans leurs fondements,
d'en effacer tout souvenir du coeur des hommes, spécialement de
la jeunesse. Évêques et prêtres ont été
bannis, condamnés aux travaux forcés, fusillés et
mis à mort de façon inhumaine ; de simples laïques,
pour avoir défendu la religion, ont été suspectés,
malmenés, poursuivis et traînés en prison et devant
les tribunaux.
Horreurs du
communisme en Espagne.
20. Et là
où, comme en Notre chère Espagne, le fléau communiste
n'avait pas eu le temps encore de faire sentir tous les effets de ses théories,
il s'est déchaîné, hélas ! avec une violence
plus furieuse. Ce n'est pas l'une ou l'autre église, tel ou tel
couvent qu'on a abattus, mais quand ce fut possible, ce sont toutes les
églises et tous les couvents et toute trace de la religion chrétienne
qu'on a voulu détruire, même quand il s'agissait des monuments
les plus remarquables de l'art et de la science ! La fureur communiste
ne s'est pas contentée de tuer des évêques et des milliers
de prêtres, de religieux et de religieuses, s'en prenant plus particulièrement
à ceux et à celles qui justement s'occupaient avec plus de
zèle des ouvriers et des pauvres, mais elle fit un nombre beaucoup
plus grand de victimes parmi les laïques de toute classe, qui, encore
maintenant, chaque jour, peut-on dire. sont massacrés en masse pour
le seul fait d'être bons chrétiens ou du moins opposés
à l'athéisme communiste. Et cette épouvantable destruction
est perpétrée avec une haine, une barbarie, une sauvagerie
qu'on n'aurait pas cru possibles en notre temps. Aucun particulier de jugement
sain, aucun homme d'État, conscient de sa responsabilité,
ne peut, sans frémir d'horreur, penser que les événements
d'Espagne pourraient se répéter demain en d'autres nations
civilisées.
Fruits naturels
du système.
21. Or, on
ne peut dire que de telles atrocités soient de ces phénomènes
passagers qui accompagnent d'ordinaire toute grande révolution,
des excès isolés d'exaspération comme il s'en trouve
dans toutes les guerres ; non, ce sont les fruits naturels d'un système
qui est dépourvu de tout frein intérieur. Un frein est nécessaire
à l'homme pris individuellement comme à l'homme vivant en
société. Même les peuples barbares trouvèrent
ce frein dans la loi naturelle gravée par Dieu dans l'âme
humaine. Et quand cette loi naturelle fut mieux observée, on vit
des nations anciennes monter à un niveau de grandeur qui étonne
encore, plus qu'il ne conviendrait, des observateurs superficiels de l'histoire.
Mais lorsque du coeur des hommes l'idée même de Dieu s'efface,
leurs passions débridées les poussent à la barbarie
la plus sauvage.
Lutte contre
tout ce qui est divin.
22. C'est,
hélas ! le spectacle qui s'offre à nous : pour la première
fois dans l'histoire nous assistons à une lutte froidement voulue
et savamment préparée de l'homme contre " tout ce qui est
divin " (9). Le communisme est par sa nature antireligieux et considère
la religion comme " l'opium du peuple ", parce que les principes religieux
qui parlent de la vie d'outre-tombe empêchent le prolétaire
de poursuivre la réalisation du paradis soviétique, qui est
de cette terre.
(9) Cf. II
Thess. II, 4.
Le terrorisme.
23. Mais on
ne foule pas aux pieds impunément la loi naturelle et son Auteur
: le communisme n'a pu et ne pourra réaliser son but, pas même
sur le plan purement économique. Il est vrai qu'en Russie il a contribué
à secouer hommes et choses d'une longue et séculaire inertie
et à obtenir par des moyens souvent sans scrupules quelques succès
matériels ; mais nous savons par des témoignages non suspects,
dont certains sont récents, que de fait, ce qu'il s'était
promis, il ne l'a pas atteint ; sans compter l'esclavage que le terrorisme
a imposé à des millions d'hommes. Même sur le terrain
économique, on ne peut se passer de la morale, du sentiment moral
de la responsabilité, pour lequel il n'y a pas de place dans un
système aussi matérialiste que le communisme. Pour en tenir
lieu, il n'y a que le terrorisme, tel que précisément nous
le voyons maintenant en Russie, où les anciens camarades de conspiration
et de lutte se détruisent les uns les autres : un terrorisme qui.
au demeurant, ne réussit pas à endiguer la corruption morale,
ni même à empêcher la désorganisation de la structure
sociale.
UNE PENSÉE PATERNELLE POUR LES PEUPLES OPPRIMÉS, EN RUSSIE
24. En parlant
ainsi, Nous ne voulons aucunement condamner en masse les peuples de l'Union
Soviétique, auxquels Nous portons une affection paternelle.
Nous savons
que beaucoup d'entre eux gémissent sous le joug qui leur est imposé
de force par des hommes souvent étrangers aux véritables
intérêts du pays et Nous reconnaissons que beaucoup d'autres
ont été trompés par des espérances fallacieuses.
Ce que Nous accusons, c'est le système, ses auteurs et ses fauteurs,
qui ont considéré la Russie comme un terrain plus propice
pour faire l'expérience d'une théorie élaborée
depuis des dizaines d'années, et qui de là continuent à
la propager dans le monde entier.
III
LA LUMINEUSE
DOCTRINE DE L'ÉGLISE
25. Après
avoir exposé les erreurs et les moyens d'action violents et trompeurs
du communisme bolchevique et athée, il est temps désormais,
Vénérables Frères, de leur opposer brièvement
la vraie notion de la " Cité humaine ", de la Société
humaine, telle que Vous la connaissez, et telle que nous l'enseignent la
raison et la révélation par l'intermédiaire de l'Église
Magistra gentium.
LA RÉALITÉ SUPRÊME : DIEU
26. Au-dessus
de tous les êtres, il y a l'Être unique, suprême, souverain,
c'est-à-dire Dieu, Créateur tout-puissant de toutes choses,
Juge infiniment sage et juste de tous les hommes. Cette réalité
suprême de Dieu est la condamnation la plus absolue des impudents
mensonges du communisme. Ce n'est point, en effet, parce que les hommes
croient en Dieu que Dieu existe ; mais c'est parce que Dieu existe que
tout homme, ne fermant pas volontairement les yeux devant la vérité,
croit en Lui et Lui adresse ses prières.
NATURE DE L'HOMME ET DE LA FAMILLE D'APRÈS LA RAISON ET LA FOI
27. Ce que
la raison et la foi disent de l'homme, Nous l'avons résumé,
quant aux points fondamentaux, dans l'Encyclique sur l'éducation
chrétienne (10).
(10) Lettre
Encycl. Divini illius Magistri, 31 déc. 1929 (A. A. S., vol. XXI,
1930, pp. 49-86).
L'homme a une
âme spirituelle et immortelle ; il est une personne, admirablement
pourvue par le Créateur d'un corps et d'un esprit, un vrai " microcosme
", comme disaient les anciens, c'est-à-dire un petit monde, qui
vaut (à lui seul) beaucoup plus que l'immense univers inanimé.
En cette vie et dans l'autre, l'homme n'a qu'un Dieu pour fin dernière
; par la grâce sanctifiante, il est élevé à
la dignité de fils de Dieu et incorporé au royaume de Dieu
dans le corps mystique du Christ. C'est pourquoi Dieu l'a doté de
prérogatives nombreuses et variées : le droit à la
vie, à l'intégrité du corps, aux moyens nécessaires
à l'existence ; le droit de tendre à sa fin dernière
dans la voie tracée par Dieu ; le droit d'association, de propriété,
et le droit d'user de cette propriété.
28. Comme le
mariage et le droit à son usage naturel sont d'origine divine, ainsi
la constitution et les prérogatives fondamentales de la famille
ont été déterminées et fixées par le
Créateur lui-même, et non par les volontés humaines
ni par les faits économiques.
Dans l'Encyclique
sur le mariage chrétien (11) et dans Notre Encyclique, mentionnée
plus haut, sur l'éducation, Nous Nous sommes étendu longuement
sur ces questions.
(11) Lettre
Encycl. Casti connubii, 31 déc. 1930 (A. A. S., vol. XXII, 1930,
pp. 539-592).
NATURE DE LA
SOCIÉTÉ
Droits et devoirs
mutuels de l'homme et de la société.
29. En même
temps Dieu destina l'homme à vivre en société comme
sa nature le demande. Dans le plan du Créateur, la société
est un moyen naturel, dont l'homme peut et doit se servir pour atteindre
sa fin, car la société est faite pour l'homme et non l'homme
pour la société. Ce qui ne veut point dire, comme le comprend
le libéralisme individualiste, que la société est
subordonnée à l'utilité égoïste de l'individu,
mais que, par le moyen de l'union organique avec la société,
la collaboration mutuelle rend possible à tous de réaliser
la vraie félicité sur terre : cela veut dire encore que c'est
dans la société que se développent toutes les aptitudes
individuelles et sociales données à l'homme par la nature,
aptitudes qui, dépassant l'intérêt immédiat
du moment, reflètent dans la société la perfection
de Dieu, ce qui est impossible, si l'homme reste isolé.
Ce dernier
but de la société est lui-même, en dernière
analyse, ordonné à l'homme, afin que, reconnaissant ce reflet
des perfections divines, par la louange et l'adoration, il le fasse remonter
à son Créateur. Seul l'homme, seule la personne humaine,
et non la collectivité en soi, est doué de raison et de volonté
moralement libre.
30. Ainsi de
même que l'homme ne peut se soustraire aux devoirs qui, selon la
volonté de Dieu, le lient envers la société civile,
et que les représentants de l'autorité ont le droit, dans
les cas où l'individu s'y refuserait sans raison légitime,
de le contraindre à l'accomplissement de son devoir; de même
la société ne peut frustrer l'homme des droits personnels
que le Créateur lui a concédés et dont Nous avons
signalé plus haut les plus importants ; elle ne peut lui en rendre,
par principe, l'usage impossible. Il est donc conforme à la raison
et à ses exigences qu'en dernier lieu toutes les choses de la terre
soient ordonnées à la personne humaine, afin que, par son
intermédiaire, elles retournent au Créateur. À l'homme,
à la personne humaine s'applique vraiment ce que l'Apôtre
des Gentils écrit aux Corinthiens sur l'économie du salut
: " Tout est à vous, mais vous êtes au Christ et le Christ
est à Dieu " (12). Tandis que le communisme, renversant l'ordre
des relations entre l'homme et la société, appauvrit la personne
humaine, voilà les hauteurs où s'élèvent la
raison et la révélation !
(12) I Cor.
III, 23.
L'ordre économique
et social.
31. De l'ordre
économique et social Léon XIII a exposé les principes
directeurs dans l'Encyclique sur la question du travail (13), ces principes,
dans Notre Encyclique sur la reconstruction de l'ordre social (14).
(13) Lettre Encycl. Rerum novarum, 15 mai 1891 (Acta Leonis XIII, vol. IV, pp. 177-209).
(14) Lettre
Encycl. Quadragesimo anno, 15 mai 1931 (A. A. S., vol. XIII, 1931, pp.
177-228).
Nous les avons
adaptés aux exigences du temps présent. De plus, insistant
encore sur la doctrine séculaire de l'Église touchant le
caractère individuel et social de la propriété privée,
Nous avons précisé le droit et la dignité du travail,
les rapports de collaboration qui doivent exister entre ceux qui possèdent
le capital et les travailleurs, le salaire dû en stricte justice
à l'ouvrier pour lui et pour sa famille.
32. Dans cette
même Encyclique, Nous avons montré que les moyens de sauver
le monde actuel de la ruine dans laquelle le libéralisme amoral
nous a plongés, ne consistent ni dans la lutte des classes ni dans
la terreur, beaucoup moins encore dans l'abus autocratique du pouvoir de
l'État, mais dans l'instauration d'un ordre économique inspiré
par la justice sociale et les sentiments de la charité chrétienne.
Nous avons montré comment une saine prospérité doit
se baser sur les vrais principes d'un corporatisme sain qui respecte la
hiérarchie sociale nécessaire, et comment toutes les corporations
doivent s'organiser dans une harmonieuse unité, en s'inspirant du
bien commun de la société. La mission principale et la plus
authentique du pouvoir civil est précisément de promouvoir
efficacement cette harmonie et la coordination de toutes les forces sociales.
Hiérarchie
sociale et prérogatives de l'État.
33. Afin d'assurer
cette collaboration organique et cette tranquille harmonie, la doctrine
catholique revendique pour l'État la dignité et l'autorité
d'un vigilant et prévoyant défenseur des droits divins et
humains, dont les Saintes Écritures et les Pères de l'Église
parlent si souvent. Il est faux que tous les hommes aient les mêmes
droits dans la société civile et qu'il n'existe aucune hiérarchie
légitime. Qu'il nous suffise de rappeler les Encycliques de Léon
XIII, indiquées plus haut, en particulier celle qui concerne le
pouvoir de l'État (15) et celle qui traite de la constitution chrétienne
de l'État (16).
(15) Lettre Encycl. Diuturnum illud, 20 juin 1881 (Acta Leonis XIII, vol. I, pp. 210-222).
(16) Lettre
Encycl. lmmortale Dei, 1er nov. 1885 (Acta Leonis XIII, vol. II, pp. 146-168).
Ces Encycliques
exposent clairement au catholique les principes de la raison et de la foi
qui le rendront capable de se prémunir contre les erreurs et les
dangers de la conception bolchevique de l'État. La spoliation des
droits et l'asservissement de l'homme, la négation de l'origine
première et transcendante de l'État et de son pouvoir, l'horrible
abus de l'autorité publique au service du terrorisme collectiviste,
tout cela est précisément le contraire de ce qu'exigent la
morale naturelle et la volonté du Créateur. La société
civile et la personne humaine tirent leur origine de Dieu et sont par lui
mutuellement ordonnées l'une à l'autre ; aucune des deux,
par conséquent, ne peut se soustraire à ses devoirs envers
l'autre, ni renier ou diminuer les droits de l'autre.
C'est Dieu
qui a réglé ces rapports mutuels dans leurs lignes essentielles
; le communisme commet une usurpation injuste quand il impose, au lieu
de la loi divine basée sur les principes immuables de la vérité
et de la charité, un programme politique de parti, provenant de
l'arbitraire humain et tout rempli de haine.
BEAUTÉ DE LA DOCTRINE DE L'ÉGLISE
34. Quand elle
enseigne cette lumineuse doctrine, l'Église n'a pas d'autre but
que de réaliser l'heureux message chanté par les anges sur
la grotte de Bethléem, à la naissance du Rédempteur
: " Gloire à Dieu... et paix aux hommes... " (17) ; paix véritable
et vraie félicité, même ici-bas, autant qu'il est possible,
en vue de préparer la félicité éternelle, mais
paix réservée aux hommes de bonne volonté.
(17) Lc. II,
14.
Cette doctrine
se tient à égale distance des erreurs extrêmes comme
des exagérations des partis ou des systèmes qui s'y rattachent
: elle garde toujours l'équilibre de la justice et de la vérité
; elle proclame la juste mesure dans la théorie et en assure la
réalisation progressive dans la pratique, s'efforçant de
concilier les droits et les devoirs de tous, l'autorité avec la
liberté, la dignité de l'individu avec celle de l'État,
la personnalité humaine du subordonné avec l'origine divine
du pouvoir ; la juste soumission, l'amour ordonné de soi-même,
de sa famille et de sa propre patrie avec l'amour des autres familles et
des autres peuples, sentiment fondé sur l'amour de Dieu, père,
premier principe et fin dernière de tous les hommes. Elle ne sépare
pas le souci modéré des biens temporels de la sollicitude
pour les biens éternels. Si elle subordonne les premiers aux autres,
suivant la parole de son divin fondateur: " Cherchez d'abord le royaume
de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît
" (18), elle est bien loin toutefois de se désintéresser
des choses humaines et d'entraver le progrès et les avantages matériels
: au contraire, elle les aide et les favorise de la manière la plus
raisonnable et la plus efficace. Ainsi, bien que l'Église n'ait
jamais, sur le terrain économique et social, présenté
de système technique déterminé, ce qui d'ailleurs
ne lui appartient pas, elle a pourtant clairement indiqué, sur certains
points, des directives qui, tout en s'adaptant dans le concret à
des applications diverses selon les différentes conditions de temps,
de lieux et de peuples, montrent la bonne voie pour assurer l'heureux progrès
de la société.
(18) Mt. VI,
33.
35. La sagesse,
la valeur de cette doctrine est admise par tous ceux qui la connaissent
véritablement. Avec raison, des hommes d'État éminents
ont pu affirmer qu'après avoir étudié les divers systèmes
sociaux, ils n'avaient rien trouvé de plus sage que les principes
exposés dans les Encycliques Rerum novarum et Quadragesimo anno.
Jusque dans les pays non catholiques, et même non chrétiens,
on reconnaît la grande valeur sociale des doctrines de l'Église.
C'est ainsi qu'un homme politique éminent, non chrétien,
de l'Extrême-Orient, n'hésitait pas à proclamer, il
y a un mois à peine, que l'Église avec sa doctrine de paix
et de fraternité chrétienne apporte une très précieuse
contribution à l'établissement et au maintien si laborieux
de la paix entre les nations. Enfin, des rapports authentiques arrivant
au Centre de la Chrétienté affirment que les communistes
eux-mêmes, s'ils ne sont pas totalement corrompus, lorsqu'on leur
expose la doctrine sociale de l'Église, en reconnaissent la supériorité
sur les doctrines de leurs chefs et de leurs maîtres. Ceux que la
passion aveugle et à qui la haine ferme les yeux devant la lumière
de la vérité, ceux-là seuls la combattent obstinément.
EST-IL VRAI QUE L'ÉGLISE N'A PAS AGI EN CONFORMITÉ AVEC SA DOCTRINE ?
36. Mais les
ennemis de l'Église, forcés de reconnaître la sagesse
de sa doctrine, l'accusent cependant de n'avoir pas su confronter ses actes
à ses principes et affirment en conséquence la nécessité
de chercher d'autres voies. Combien cette accusation est fausse et injuste,
toute l'histoire du Christianisme le démontre.
Pour ne rappeler
ici que quelques faits caractéristiques, c'est le Christianisme
qui, le premier, proclama généreusement, avec une ardeur
et une conviction inconnues aux siècles précédents,
la vraie et universelle fraternité de tous les hommes, à
quelque race ou condition qu'ils appartiennent; il contribua ainsi puissamment
à l'abolition de l'esclavage, non par des révoltes sanguinaires,
mais par la force intérieure de sa doctrine, en faisant voir à
l'orgueilleuse patricienne de Rome, dans son esclave, une soeur dans le
Christ.
C'est le Christianisme
qui adore le Fils de Dieu fait homme par amour des hommes et devenu " Fils
du Charpentier ", " Charpentier " lui-même (19) ; c'est le Christianisme
qui consacra la vraie dignité du travail manuel, tâche autrefois
méprisée, au point que l'honnête Marcus Tullius Cicéron,
résumant l'opinion générale de son temps, ne craignit
pas d'écrire ces paroles qui, aujourd'hui, feraient honte à
n'importe quel sociologue : " Tous les artisans s'occupent de métiers
méprisables, car l'atelier ne peut rien avoir de noble (20) ".
(19) Cf. Mt. XIII, 55; Mc. VI, 3.
(20) De officiis,
I, XLII.
37. Fidèle
à ses principes, l'Église a régénéré
l'humanité. Sous son influence, ont surgi d'admirables oeuvres de
charité, des corporations puissantes d'artisans et de travailleurs
de toutes catégories : le libéralisme du siècle passé
s'en est moqué, parce qu'elles étaient des organisations
du moyen âge ; mais elles s'imposent aujourd'hui à l'admiration
de nos contemporains, qui, en divers pays, cherchent à les faire
revivre. Lorsque d'autres courants entravaient son oeuvre et empêchaient
son influence salutaire, l'Église, et cela jusqu'à nos jours,
ne cessait pas d'avertir les égarés. Il suffit de rappeler
avec quelle fermeté, quelle énergie et quelle constance Notre
Prédécesseur Léon XIII a revendiqué pour l'ouvrier
le droit d'association, que le libéralisme régnant dans les
plus puissants États s'acharne à lui refuser. Même
à l'heure actuelle, la doctrine de l'Église exerce une influence
plus grande qu'il ne paraît ; car le pouvoir des idées sur
les faits est certainement considérable, bien qu'il soit invisible
à mesurer.
38. On peut
dire en toute vérité que l'Église, à l'imitation
du Christ, a passé à travers les siècles en faisant
du bien à tous. Il n'y aurait ni socialisme ni communisme si les
chefs des peuples n'avaient pas dédaigné ses enseignements
et ses maternels avertissements. Mais ils ont voulu élever, sur
les bases du libéralisme et du laïcisme, d'autres constructions
sociales, qui tout d'abord paraissaient puissantes et grandioses; mais
on vit bientôt qu'elles n'avaient pas de fondements solides ; elles
s'écroulent misérablement l'une après l'autre, comme
doit s'écrouler fatalement tout ce qui ne repose pas sur l'unique
pierre angulaire qui est Jésus-Christ.
IV
REMÈDES ET MOYENS
39. Telle est,
Vénérables Frères, la doctrine de l'Église,
la seule qui puisse apporter la vraie lumière, dans les choses sociales
comme dans les autres problèmes, la seule doctrine de salut en face
de l'idéologie communiste. Mais il faut que cette doctrine passe
dans la pratique de la vie, suivant l'avertissement de l'Apôtre saint
Jacques : " Agissez d'après cet enseignement, et ne vous contentez
pas de l'écouter, en vous abusant vous-même " (21) ; voilà
pourquoi la tâche la plus urgente, à l'heure actuelle, c'est
d'appliquer énergiquement les remèdes appropriés et
efficaces pour détourner la révolution menaçante qui
se prépare.
(21) Jac. I,
22.
Nous en avons
la ferme confiance, l'acharnement avec lequel les fils de ténèbres
travaillent jour et nuit à leur propagande matérialiste et
athée sera du moins pour les fils de lumière un stimulant
de piété, leur inspirera un zèle égal et même
plus grand pour l'honneur de la Majesté divine.
40. Que faut-il
donc faire, quels remèdes employer pour défendre le Christ
et la civilisation chrétienne contre cet ennemi pernicieux ? Comme
un père au milieu du cercle de famille. Nous voudrions, pour ainsi
dire dans l'intimité, vous entretenir des devoirs que le grand combat
d'aujourd'hui impose à tous les fils de l'Église, et même
aux enfants qui se sont éloignés d'elle Nous adressons ce
paternel avertissement.
RENOUVEAU DE VIE CHRÉTIENNE
Remède
fondamental.
41. Comme aux
époques des plus violentes tempêtes dans l'histoire de l'Église,
aujourd'hui encore le remède fondamental consiste dans une rénovation
sincère de la vie privée et publique selon les principes
de l'Évangile chez tous ceux qui se glorifient d'appartenir au Christ,
afin qu'ils soient vraiment le sel de la terre et préservent la
société humaine de la corruption totale.
42. Avec un
sentiment de profonde reconnaissance envers le Père des lumières,
de qui descend " tout don excellent et toute grâce parfaite " (22),
Nous voyons partout les signes consolants de ce renouveau spirituel, non
seulement dans les âmes particulièrement choisies qui, à
notre époque, se sont élevées jusqu'au sommet de la
plus sublime sainteté et dans les âmes toujours plus nombreuses
qui tendent généralement vers ces hauteurs de lumière,
mais encore dans une renaissance de piété sentie et vécue,
au sein de toutes les classes sociales, même les plus cultivées,
comme Nous l'avons rappelé récemment dans Notre Motu proprio
In multis solaciis du 2 octobre dernier, à l'occasion de la réorganisation
de l'Académie Pontificale des Sciences (23).
(22) Jac. I, 17.
(23) A. A.
S., vol. XXVIII (1936), pp. 421-424.
43. Cependant,
il faut avouer que dans ce travail de rénovation spirituelle il
reste encore beaucoup à faire. Même dans les pays catholiques,
un trop grand nombre de personnes ne sont pour ainsi dire que des catholiques
de nom. Tout en observant plus ou moins fidèlement les pratiques
les plus essentielles de la religion qu'ils se vantent de professer, un
trop grand nombre n'ont pas le souci de perfectionner leurs connaissances
religieuses, d'acquérir des convictions plus intimes et plus profondes
; ils s'appliquent encore moins à vivre de telle sorte qu'à
l'apparence extérieure corresponde vraiment la beauté intérieure
d'une conscience droite et pure, comprenant et accomplissant tous ses devoirs
sous le regard de Dieu. Cette religion de façade, vaine et trompeuse
apparence, déplaît souverainement au Divin Sauveur, car I1
veut que tous adorent le Père " en esprit et en vérité
" (24). Celui qui ne vit pas véritablement et sincèrement
la foi qu'il professe ne saurait résister longtemps au vent de persécution
et à la tempête violente qui souffle aujourd'hui ; il sera
misérablement emporté par le nouveau déluge qui menace
le monde, et, tout en se perdant lui-même, il fera du nom chrétien
un objet de dérision.
(24) Jn, IV,
23.
Détachement
des biens de la terre.
44. Ici, Vénérables
Frères, Nous voulons rappeler avec une particulière insistance
deux préceptes de Notre-Seigneur, qui s'appliquent tout spécialement
aux conditions présentes du genre humain : le détachement
des biens de la terre et la loi de charité.
" Bienheureux
les pauvres en esprit ", telles furent les premières paroles tombées
des lèvres du Divin Maître, dans le sermon sur la montagne
(25). Cette leçon est plus nécessaire que jamais, à
notre époque de matérialisme avide des biens et des jouissances
terrestres.
(25) Mt. V,
3.
Tous les chrétiens,
riches ou pauvres, doivent tenir toujours leurs regards fixés vers
le ciel, et ne jamais oublier que " nous n'avons pas ici-bas de cité
permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir " (26).
(26) Heb. XIII,
14.
Les riches
ne doivent pas mettre leur bonheur dans les biens de la terre ni consacrer
le meilleur de leur effort à la conquête de ces biens ; mais
qu'ils se considèrent comme de simples administrateurs tenus de
rendre des comptes au Maître suprême, qu'il se servent de leurs
richesses comme de moyens précieux que Dieu leur accorde pour faire
du bien : qu'ils ne manquent pas de distribuer leur superflu aux pauvres,
selon le précepte évangélique (27). Sinon, ils verront
se réaliser pour eux-mêmes et leurs richesses le jugement
sévère de l'Apôtre saint Jacques : " À vous
maintenant, riches ! Pleurez, éclatez en sanglots. à la vue
des misères qui vont fondre sur vous. Vos richesses sont pourries
et vos vêtements sont mangés de vers. Votre or et votre argent
se sont rouillés et leur rouille rendra témoignage contre
vous, et comme un feu dévorera vos chairs. Vous avez amassé
des trésors de colère dans les derniers jours " (28).
(27) Cf. Lc. XI. 41.
(28) Jac. V.
1-3.
45. Quant aux
pauvres, tout en cherchant selon les lois de charité et de justice
à se pourvoir du nécessaire et même à améliorer
leur sort, ils doivent toujours rester, eux aussi. " des pauvres en esprit
" (29), plaçant dans leur estime les biens spirituels au-dessus
des biens et des jouissances terrestres, qu'ils se souviennent qu'on ne
réussira jamais à faire disparaître de ce monde les
misères, les douleurs et les tribulations, qu'à cette loi
personne n'échappe. Il faut donc à tous la patience, cette
patience chrétienne qui réconforte le coeur par les promesses
divines d'un bonheur éternel. " Prenez donc patience, mes frères.
- dirons-Nous encore avec saint Jacques, - jusqu'à l'avènement
du Seigneur. Voyez, le laboureur, dans l'espérance du précieux
fruit de la terre, attend patiemment jusqu'à ce qu'il reçoive
la pluie de l'automne et celle du printemps. Vous aussi, soyez patients,
et affermissez vos coeurs, car l'avènement du Seigneur est proche
" (30). C'est ainsi que s'accomplira la consolante promesse de Notre-Seigneur
: " Bienheureux les pauvres ! " Ce n'est pas une vaine consolation ni une
promesse trompeuse comme celles des communistes, mais ce sont des paroles
de vie et de vérité profonde, qui se réalisent pleinement
ici-bas et ensuite dans l'éternité. Dans ces paroles et dans
l'espérance du royaume céleste qui déjà leur
appartient, " car le royaume de Dieu est à vous " (31), a proclamé
Notre-Seigneur, combien de pauvres trouvent un bonheur que des riches cherchent
en vain dans leur fortune, toujours inquiets et tourmentés par le
désir insatiable de posséder davantage.
(29) Mt. V, 3.
(30) Jac. V. 7, 8.
(31) Lc. VI,
20.
La charité
chrétienne.
46. Mais il
y a un remède encore plus efficace, qui doit atteindre plus directement
le mal actuel, c'est le précepte de la charité. Nous voulons
parler de cette charité chrétienne " patiente et bonne "
(32). qui sait éviter les airs de protection humiliante et toute
ostentation ; charité qui, depuis les débuts du Christianisme,
a gagné au Christ les plus pauvres d'entre les pauvres, les esclaves.
Nous remercions tous ceux qui se sont dévoués et se consacrent
encore aux oeuvres de miséricorde corporelle et spirituelle, depuis
les
(32) I Cor.
XIII, 4.
Conférences
de Saint-Vincent de Paul jusqu'aux grandes organisations de service social
récemment établies. À mesure que les ouvriers et les
pauvres ressentiront les bienfaits de cet esprit d'amour, animé
par la vertu du Christ, ils se dépouilleront de ce préjugé
que le Christianisme a perdu de son efficacité et que l'Église
est du côté de ceux qui exploitent le travail.
47. Mais quand
Nous voyons cette foule d'indigents accablés par la misère
et pour des causes dont ils ne sont pas responsables, et à côté
d'eux, tant de riches qui se divertissent sans penser aux autres, qui gaspillent
des sommes considérables pour des choses futiles, Nous ne pouvons
Nous empêcher de constater avec douleur que non seulement la justice
n'est pas suffisamment observée, mais que le commandement de la
charité reste encore incompris et n'est pas vécu dans la
pratique quotidienne. Aussi, Vénérables Frères, Nous
désirons que, par la parole et la plume, on s'attache à faire
mieux connaître ce précepte divin, signe précieux et
marque distincte des vrais disciples du Christ. En nous apprenant à
voir Jésus lui-même dans ceux qui souffrent, la charité
nous fait un devoir d'aimer nos frères comme le Divin Sauveur nous
a aimés, jusqu'au renoncement, et, s'il le faut, jusqu'au sacrifice
de la vie. Que l'on médite souvent les paroles consolantes mais
en même temps terribles que le Juge Suprême prononcera dans
la sentence du Jugement dernier : " Venez, les bénis de mon Père:
- car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ; j'ai
eu soif, et vous m'avez donné à boire. - En vérité,
je votre le dis, toutes les fois que vous l'avez fait au plus petit de
mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait " (33).
(33) Mt. XXV,
34-40.
Et d'autre
part : - " Retirez-vous de moi. maudits, allez au feu éternel :
- car j'ai eu faim, et vous ne m'avez pas donné à manger;
j'ai eu soif, et vous ne m'avez pas donné à boire. - En vérité,
je vous le dis, chaque fois que vous ne l'avez pas fait à l'un de
ces petits, c'est à moi que vous ne l'avez pas fait " (34).
(34) Mt. XXV.
41-45.
48. Ainsi donc,
pour mériter la vie éternelle, pour être en mesure
de secourir efficacement les pauvres, il faut revenir à une vie
plus modeste, renoncer aux plaisirs, souvent coupables, que le monde actuel
offre si abondamment, en un mot, s'oublier soi-même par amour du
prochain. Le " commandement nouveau " (comme l'appelle Notre-Seigneur)(35),
la charité chrétienne contient une puissance divine de régénération
; si on l'observe fidèlement, elle fera naître dans les âmes
une paix intérieure que le monde ne connaît pas : elle apportera
un remède efficace aux maux qui tourmentent l'humanité.
(35) Jn. XIII,
34.
Devoir de stricte
justice.
49. Mais pour
être authentiquement vraie, la charité doit toujours tenir
compte de la justice. L'Apôtre nous enseigne que " celui qui aime
son prochain a accompli la loi " ; et il en donne la raison : " ces commandements
: Tu ne commettras point d'adultère ; tu ne tueras point ; tu ne
déroberas point, et ceux qu'on pourrait citer encore, se résument
dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même " (36).
Puisque selon l'Apôtre, tous les devoirs se ramènent au seul
précepte de la charité, cette vertu commande aussi les obligations
de stricte justice, comme le devoir de ne pas tuer et de ne pas commettre
de vol. Une prétendue charité qui prive l'ouvrier du salaire
auquel il a un droit strict n'a rien de la vraie charité, ce n'est
qu'un titre faux, un simulacre de charité. L'ouvrier ne doit pas
recevoir à titre d'aumône ce qui lui revient en justice ;
il n'est pas permis de se dérober aux graves obligations imposées
par la justice en accordant quelques dons à titre de miséricorde.
La charité et la justice imposent des devoirs, souvent par rapport
au même objet, mais sous un aspect différent : lorsqu'il s'agit
des obligations d'autrui envers eux, les ouvriers ont le droit de se montrer
particulièrement sensibles par conscience de leur propre dignité.
(36) Rom. XIII,
8, 9.
50. Aussi Nous
Nous adressons tout particulièrement à vous, patrons et industriels
chrétiens, dont la tâche est souvent si difficile parce que
vous portez le lourd héritage des fautes d'un régime économique
injuste, qui a exercé ses ravages durant plusieurs générations
; songez à vos responsabilités. Il est malheureusement trop
vrai que les pratiques admises en certains milieux catholiques ont contribué
à ébranler la confiance des travailleurs dans la religion
de Jésus-Christ. On ne voulait pas comprendre que la charité
chrétienne exige la reconnaissance de certains droits qui appartiennent
à l'ouvrier et que l'Église lui a explicitement reconnus.
Que faut-il penser des manoeuvres de quelques patrons catholiques qui,
en certains endroits, ont réussi à empêcher la lecture
de Notre Encyclique Quadragesimo anno, dans leur églises patronales
? Que dire de ces industriels catholiques qui n'ont cessé jusqu'à
présent de se montrer hostiles à un mouvement ouvrier que
Nous avons Nous-même recommandé ? N'est-il pas déplorable
qu'on ait parfois abusé du droit de propriété, reconnu
par l'Église, pour frustrer l'ouvrier du juste salaire et des droits
sociaux qui lui reviennent ?
Justice sociale.
51. En effet,
outre la justice commutative, il y a aussi la justice sociale, qui impose
des devoirs auxquels patrons et ouvriers n'ont pas le droit de se soustraire.
C'est précisément la fonction de la justice sociale d'imposer
aux membres de la communauté tout ce qui est nécessaire au
bien commun. Mais de même que dans l'organisme vivant on pourvoit
aux besoins du corps entier en donnant à chacune des parties et
à chacun des membres ce qu'il leur faut pour remplir leurs fonctions,
ainsi dans l'organisme social, pour assurer le bien commun de toute la
collectivité, il faut accorder à chacune des parties et à
chacun des membres, c'est-à-dire à des hommes qui ont la
dignité de personnes, ce qui leur est nécessaire pour l'accomplissement
de leurs fonctions sociales. La réalisation de la justice sociale
produira une activité intense de toute la vie économique,
dans la paix et dans l'ordre, manifestant ainsi la santé du corps
social, tout comme la santé du corps humain se reconnaît à
l'harmonieuse et bienfaisante synergie des activités organiques.
52. Mais la
justice sociale demande que les ouvriers puissent assurer leur propre subsistance
et celle de leur famille par un salaire proportionné ; qu'on les
mette en mesure d'acquérir un modeste avoir, afin de prévenir
ainsi un paupérisme général qui est une véritable
calamité ; qu'on leur vienne en aide par un système d'assurances
publiques ou privées qui les protègent au temps de la vieillesse,
de la maladie ou du chômage. En résumé. Nous réitérons
la déclaration que Nous avons faite dans l'Encyclique Quadragesimo
anno : " L'organisme économique et social sera sainement constitué
et atteindra sa fin, alors seulement qu'il procurera à tous et à
chacun de ses membres tous les biens que les ressources de la nature et
de l'industrie, ainsi que l'organisation vraiment sociale de la vie économique,
ont le moyen de leur procurer. Ces biens doivent être assez abondants
pour satisfaire aux besoins d'une honnête subsistance et pour élever
les hommes à ce degré d'aisance et de culture qui, pourvu
qu'on en use sagement, ne met pas obstacle à la vertu, mais en facilite
au contraire singulièrement l'exercice " (37).
(37) Lettre
Encycl. Quadragesimo anno, 15 mai 1931 (A. A. S., vol. XXIII, 1931, p.
202).
53. Comme il
arrive de plus en plus dans le salariat, la justice ne peut être
observée par chacun que si tous s'accordent à la pratiquer
ensemble moyennant des institutions qui relient les uns aux autres les
employeurs afin d'éviter une concurrence incompatible avec la justice
due aux travailleurs ; alors, le devoir des entrepreneurs et des patrons
est de promouvoir, de soutenir ces institutions nécessaires qui
deviennent le moyen normal par lequel la justice peut être satisfaite.
Mais que les travailleurs se souviennent aussi de leurs devoirs de charité
et de justice, c'est en respectant ces obligations qu'il pourront mieux
sauvegarder leurs propres intérêts.
54. Et si l'on
considère l'ensemble de la vie économique. - Nous l'avons
dit déjà dans Notre Encyclique Quadragesimo anno, - ce n'est
que par un corps d'institutions professionnelles et interprofessionnelles,
fondées sur des bases solidement Chrétiennes, reliées
entre elles et formant sous des formes diverses, adaptées aux régions
et aux circonstances, ce qu'on appelait la Corporation, ce n'est que par
ces institutions que l'on pourra faire régner dans les relations
économiques et sociales l'entraide mutuelle de la justice et de
la charité.
ETUDE ET DIFFUSION DE LA DOCTRINE SOCIALE
55. Pour donner
à cette action sociale une plus grande efficacité, il est
indispensable d'étudier et de faire connaître toujours davantage
les problèmes sociaux à la lumière de la doctrine
de l'Église, et sous l'égide de l'Autorité établie
par Dieu dans l'Église.
Si la conduite
de certains catholiques a laissé à désirer dans le
domaine économique et social, la cause en fut souvent que ces catholiques
ne connaissaient pas assez, n'avaient pas assez médité les
enseignements des Souverains Pontifes sur ce sujet. Aussi est-il absolument
nécessaire de développer dans toutes les classes de la société
une formation sociale plus intense, en rapport avec les degrés divers
de la culture intellectuelle, et de n'épargner aucun soin, aucune
industrie pour assurer aux enseignements de l'Église la plus large
diffusion, surtout parmi la classe ouvrière. Que les esprits soient
éclairés par la sûre lumière de la doctrine
catholique ; que les volontés soient inclinées à la
suivre et à l'appliquer, comme norme de la vie morale, par l'accomplissement
consciencieux des multiples devoirs sociaux. On combattra ainsi cette incohérence,
cette discontinuité dans la vie chrétienne, que Nous avons
déplorée tant de fois, et qui fait que certains hommes, apparemment
fidèles à remplir leurs devoirs religieux, mènent,
avec cela, par un déplorable dédoublement de conscience,
dans le domaine du travail, de l'industrie ou de la profession, dans leur
commerce ou leur emploi, une vie trop peu conforme aux exigences de la
justice et de la charité chrétienne ; d'où scandale
pour les faibles, et facile prétexte offert aux méchants
de jeter sur l'Église elle-même le discrédit.
56. À
cette oeuvre de rénovation, la presse catholique peut largement
contribuer. La presse peut et doit, tout d'abord, s'efforcer sous des formes
variées et attrayantes, de faire toujours mieux connaître
la doctrine sociale : donner des informations exactes, mais suffisamment
abondantes, sur l'activité des ennemis, et des indications sur les
moyens de combat qui se sont révélés plus efficaces
dans les divers pays ; enfin, proposer des suggestions utiles et mettre
en garde contre les ruses et les tromperies avec lesquelles les communistes
s'appliquent et sont déjà parvenus à gagner à
leur cause des hommes qui sont pourtant de bonne foi.
SE PRÉMUNIR CONTRE LES RUSES DU COMMUNISME
57. Sur ce
dernier point, Nous avons déjà insisté dans Notre
allocution du 12 mai de l'année dernière, mais Nous croyons
nécessaire, Vénérables Frères, d'attirer de
nouveau, d'une façon spéciale, votre attention. Le communisme
athée s'est montré au début, tel qu'il était,
dans toute sa perversité, mais bien vite il s'est aperçu
que de cette façon il éloignait de lui les peuples : aussi
a-t-il changé de tactique et s'efforce-t-il d'attirer les foules
par toutes sortes de tromperies, en dissimulant ses propres desseins sous
des idées en elles-mêmes bonnes et attrayantes. Ainsi, voyant
le commun désir de paix, les chefs du communisme feignent d'être
les plus zélés fauteurs et propagateurs du mouvement pour
la paix mondiale ; mais, en même temps, ils excitent à une
lutte de classes qui fait couler des fleuves de sang, et sentant le manque
d'une garantie intérieure de paix, ils recourent à des armements
illimités. Ainsi encore, sous divers noms qui ne font pas même
allusion au communisme, ils fondent des associations franchement catholiques
et religieuses.
Ainsi, sans
rien abandonner de leurs principes pervers, ils invitent les catholiques
à collaborer avec eux sur le terrain humanitaire et charitable comme
on dit, en proposant parfois même des choses entièrement conformes
à l'esprit chrétien et à la doctrine de l'Église.
Ailleurs, ils
poussent l'hypocrisie jusqu'à faire croire que le communisme, dans
les pays de plus grande foi et de civilisation plus avancée, revêtira
un aspect plus doux, n'empêchera pas le culte religieux et respectera
la liberté de conscience. Il y en a même qui, s'en rapportant
à certaines modifications introduites depuis peu dans la législation
soviétique, en concluent que le communisme est près d'abandonner
son programme de lutte contre Dieu.
58. Veillez,
Vénérables Frères, à ce que les fidèles
ne se laissent pas tromper. Le communisme est intrinsèquement pervers,
et l'on ne peut admettre sur aucun terrain la collaboration avec lui de
la part de quiconque veut sauver la civilisation chrétienne. Si
quelques-uns, induits en erreur, coopéraient à la victoire
du communisme dans leur pays, ils tomberaient les premiers, victimes de
leur égarement; et plus les régions où le communisme
réussit à pénétrer se distinguent par l'antiquité
et la grandeur de leur civilisation chrétienne, plus la haine des
" sans-Dieu " se montrera dévastatrice.
PRIÈRE ET PÉNITENCE
59. Mais "
si le Seigneur ne garde la cité, c'est en vain que veille son gardien
" (38). Aussi, comme dernier et très puissant remède, Nous
vous recommandons, Vénérables Frères, de promouvoir
et d'intensifier, le plus efficacement possible, dans vos diocèses,
le double esprit de prière et de pénitence chrétienne.
Quand les Apôtres
demandèrent au Sauveur pourquoi ils n'avaient pu, eux, délivrer
de l'esprit malin un démoniaque, le Seigneur répondit : "
De pareils démons ne se chassent que par la prière et par
le jeûne " (39). Le mal qui aujourd'hui ravage l'humanité
ne pourra de même être vaincu que par une sainte et universelle
croisade de prière et de pénitence. Et Nous recommandons
tout spécialement aux Ordres contemplatifs d'hommes et de femmes
de redoubler leurs supplications et leurs sacrifices, pour obtenir du Ciel
en faveur de l'Église un vigoureux appui dans les luttes présentes,
grâce à la puissante intercession de la Vierge Immaculée,
elle qui écrasa jadis la tête de l'antique serpent et reste
toujours depuis lors, la sûre défense et l'invincible " Secours
des Chrétiens ".
(38) Ps. CXXVI, I.
(39) Mt. XVII,
21.
V
MINISTRES ET
AUXILIAIRES DE CETTE OEUVRE SOCIALE DE L'ÉGLISE
LES PRÊTRES
60. Pour l'oeuvre
mondiale de salut dont Nous venons de tracer les grandes lignes, pour l'application
des remèdes que Nous avons indiqués brièvement, les
ministres et ouvriers évangéliques désignés
par le divin Roi Jésus-Christ, ce sont en premier lieu les prêtres.
Par vocation spéciale, sous la conduite de la hiérarchie
et dans une union de filiale obéissance au Vicaire du Christ sur
la terre, les prêtres ont reçu la mission de garder allumé
dans le monde le flambeau de la foi, et d'infuser aux fidèles cette
surnaturelle confiance avec laquelle l'Église, au nom du Christ,
a combattu, victorieusement, tant d'autres combats : " la victoire qui
vainc le monde, c'est notre loi " (40).
(40 I Jn. V,
4.
61. Et en particulier,
Nous rappelons aux prêtres l'exhortation si souvent répétée,
de Notre Prédécesseur Léon XIII,. d'aller à
l'ouvrier. Cette exhortation, Nous la faisons Nôtre et la complétons
: " Allez à l'ouvrier, spécialement à l'ouvrier pauvre,
et en général allez aux pauvres ", suivant en cela les enseignements
de Jésus et de son Église. Les pauvres, en effet, sont les
plus exposés aux pièges des fauteurs de troubles, qui exploitent
leur condition misérable pour allumer en eux l'envie contre les
riches et les exciter à s'emparer de vive force de ce qui leur semble
injustement refusé par la fortune. Et si le prêtre ne va pas
vers les ouvriers pour les mettre en garde contre les préjugés
et les fausses doctrines ou pour les en détromper, ils deviendront
une proie facile pour les apôtres du communisme.
62. Nous reconnaissons
qu'un grand effort a été fait dans ce sens, surtout depuis
les Encycliques Rerum novarum et Quadragesimo anno, et c'est avec une paternelle
complaisance que Nous saluons le zèle industrieux de tant d'Évêques
et de prêtres, qui inventent, qui essayent (toujours avec les précautions
voulues) de nouvelles méthodes d'apostolat mieux adaptées
aux exigences modernes. Mais tout cela est encore trop peu pour les besoins
de l'heure présente. Quand la patrie est en danger, tout ce qui
n'est pas strictement indispensable ou directement ordonné à
la pressante nécessité de la défense commune passe
au second plan. Ainsi, dans le cas présent, toute autre oeuvre,
si belle, si bonne qu'elle soit, doit céder la place devant la nécessité
vitale de sauver les bases mêmes de la foi et de la civilisation
chrétienne. Que les prêtres donc, dans les paroisses, sans
préjudice bien entendu de ce que réclame le soin ordinaire
des fidèles, que les prêtres réservent la plus grande
et la meilleure partie de leurs forces et de leur activité pour
regagner les masses ouvrières au Christ et à l'Église
et pour faire pénétrer l'esprit chrétien dans les
milieux qui y sont le plus étrangers. Ils trouveront dans les masses
populaires une correspondance, une abondance de fruits inattendue, qui
les récompensera du pénible labeur des premiers défrichements.
C'est ce que Nous avons vu et ce que Nous voyons à Rome et en bien
d'autres grandes villes, où, sitôt bâties de nouvelles
églises dans les quartiers périphériques, on voit
se constituer des communautés paroissiales pleines de zèle
et s'accomplir de vrais miracles de conversions parmi des foules qui n'étaient
hostiles à la religion que faute de la bien connaître.
63. Mais le
plus efficace moyen d'apostolat auprès des pauvres et des humbles
est l'exemple du prêtre, l'exemple de toutes les vertus sacerdotales,
telles que Nous les avons décrites dans Notre Encyclique Ad catholici
sacerdotii (41) ; dans le cas présent, ce qu'il faut surtout, c'est
un exemple lumineux de vie humble, pauvre, désintéressée,
copie fidèle de la vie du divin Maître, qui pouvait proclamer
avec une franchise divine : " Les renards ont des tanières et les
oiseaux du ciel ont des nids mais le Fils de l'homme n'a pas où
reposer sa tête " (42). Un prêtre qui est vraiment, évangéliquement
pauvre et désintéressé fait des miracles de bien au
milieu du peuple : tel un saint Vincent de Paul, un Curé d'Ars,
un Cottolengo, un Don Bosco et tant d'autres. Au contraire, un prêtre
avare et intéressé, comme Nous l'avons rappelé dans
l'Encyclique citée plus haut, même s'il ne se jette pas, comme
Judas, dans l'abîme de la trahison, sera tout au moins un vain "
airain sonore " et une inutile " cymbale retentissante " (43), trop souvent
même un obstacle au bien plutôt qu'un instrument de grâce
parmi le peuple.
Et si le prêtre
séculier ou régulier a par office l'administration de biens
temporels, qu'il se souvienne que non seulement il doit scrupuleusement
observer les prescriptions de la charité et de la justice, mais
encore se montrer, d'une façon toute spéciale, un vrai père
des pauvres.
(41) 20 déc. 1935 (A. A. S., vol. XXVIII, 1936, pp. 5-53).
(42) Mt. VIII, 20.
(43) I Cor.
XIII, I.
L'ACTION CATHOLIQUE
64. Après
cet appel au clergé, Nous adressons Notre invitation paternelle
à Nos très chers fils du laïcat, qui militent dans les
rangs de cette Action catholique qui Nous est si chère, et que Nous
avons appelée, en une autre occasion (44) " une aide particulièrement
providentielle " à l'oeuvre de l'Église, en ces circonstances
si difficiles. L'Action catholique, en effet, est bien un apostolat social,
puisqu'elle vise à étendre le règne de Jésus-Christ
non seulement chez les individus, mais encore dans les familles et dans
la société. Aussi doit-elle s'appliquer d'abord avec un soin
spécial à former ses membres et à les préparer
aux saints combats du Seigneur. À ce travail de formation, d'une
nécessité plus que jamais urgente, préliminaire obligé
de l'action directe et effective, serviront certainement les cercles d'étude,
les Semaines sociales, les cours méthodiques de conférences
et toutes autres semblables initiatives, aptes à faire connaître
la solution chrétienne des problèmes sociaux.
(44) 12 mai
1936.
65. Des militants
de l'Action catholique ainsi bien préparés et exercés
seront immédiatement les premiers apôtres de leurs compagnons
de travail, et deviendront les précieux auxiliaires du prêtre
pour porter la lumière de .la vérité et soulager les
détresses matérielles et spirituelles en d'innombrables zones
que des préjugés invétérés contre le
clergé ou une déplorable apathie religieuse ont rendues réfractaires
à l'action des ministres de Dieu. On coopérera ainsi, sous
la conduite de prêtres particulièrement expérimentés,
à cette assistance religieuse à la classe ouvrière,
qui Nous tient tant à coeur, comme étant le moyen le plus
apte pour préserver des embûches communistes ces fils bien-aimés.
66. Outre cet
apostolat individuel, bien souvent caché, mais extrêmement
utile et efficace, c'est le rôle de l'Action catholique de répandre
largement, par la parole et par la plume, tels qu'ils émanent des
documents pontificaux, les principes fondamentaux qui doivent servir à
la construction d'un ordre social chrétien.
ORGANISATIONS AUXILIAIRES
67. Autour
de l'Action catholique se rangent les organisations que Nous avons saluées
autrefois comme ses auxiliaires. Elles aussi, ces organisations si utiles,
Nous les exhortons paternellement à se consacrer à la grande
mission dont Nous parlons, mission qui aujourd'hui prime toutes les autres
par son importance vitale.
ORGANISATIONS PROFESSIONNELLES
68. Nous songeons
également à ces organisations professionnelles d'ouvriers,
d'agriculteurs, d'ingénieurs, de médecins, de patrons, d'étudiants,
et autres organisations similaires d'hommes et de femmes, vivant dans les
mêmes conditions culturelles et que la nature même a groupés.
Ce sont justement ces groupes et ces organisations qui sont destinés
à introduire dans la société l'ordre que Nous avons
eu en vue dans Notre Encyclique Quadragesimo anno et à faire ainsi
reconnaître la royauté du Christ dans les divers domaines
de la culture et du travail.
69. Que si,
en raison des conditions nouvelles de la vie économique et sociale,
l'État s'est cru en devoir d'intervenir au point d'assister et de
réglementer, par des dispositions législatives particulières,
de semblables institutions (sans préjudice du respect dû à
la liberté et aux initiatives privées), même alors
l'Action catholique n'a pas le droit de rester étrangère
à la réalité. Elle doit avec sagesse fournir sa contribution
de la pensée, en étudiant les problèmes nouveaux à
la lumière de la doctrine catholique, et sa contribution d'activité
par la participation loyale et dévouée de ses membres aux
formes et aux institutions nouvelles. Ils y porteront l'esprit chrétien
qui est toujours principe d'ordre, de mutuelle et fraternelle collaboration.
APPEL AUX OUVRIERS CHRÉTIENS
70. Et ici,
Nous voudrions adresser une parole particulièrement paternelle à
Nos chers ouvriers catholiques, jeunes gens et adultes. En récompense,
sans doute, de leur fidélité parfois héroïque
en ces temps difficiles, ils ont reçu une mission très noble
et très ardue, ce sont eux qui doivent ramener à l'Église
et à Dieu ces multitudes immenses de leurs frères de travail
qui, exaspérés de n'avoir pas été compris ni
traités avec le respect auquel ils avaient droit, se sont éloignés
de Dieu. Que les ouvriers catholiques, par leur exemple, par leurs paroles,
fassent comprendre à leurs frères égarés que
l'Église est une tendre Mère pour tous ceux qui travaillent
et qui souffrent, et qu'elle n'a jamais manqué, ni ne manquera jamais
à son devoir sacré de Mère, qui est de défendre
ses fils.
Si cette mission,
qu'ils doivent accomplir dans les mines, dans les usines, dans les chantiers,
partout où l'on travaille, exige parfois de grands renoncements,
ils se souviendront que le Sauveur du monde nous a donné l'exemple,
non seulement du travail, mais encore du sacrifice.
NÉCESSITÉ DE LA CONCORDE ENTRE CATHOLIQUES
71. À
tous Nos fils enfin, de toute classe, de toute nation, de tout groupement
religieux et laïque dans l'Église, Nous voulons adresser de
nouveau le plus pressant appel à la concorde. Bien des fois, Notre
coeur paternel a été navré des dissensions, futiles
dans leurs causes, mais toujours tragiques dans leurs conséquences,
qui mettent aux prises les fils d'une même Église. Et alors
on voit les fauteurs de désordre, qui ne sont pas tellement nombreux,
profiter de ces discordes, les envenimer, et finir par jeter les catholiques
eux-mêmes les uns contre les autres. Après les événements
de ces derniers mois, Notre avertissement devrait paraître superflu.
Pourtant Nous le répétons une fois encore, pour ceux qui
n'ont pas compris ou qui peut-être ne veulent pas comprendre. Ceux
qui travaillent à augmenter les dissensions entre catholiques se
chargent devant Dieu et devant l'Église d'une terrible responsabilité.
APPEL À TOUS CEUX QUI CROIENT EN DIEU
72. Dans ce
combat engagé dans la puissance des ténèbres contre
l'idée même de la Divinité, Nous gardons l'espérance
que la lutte sera vaillamment soutenue, non seulement par ceux qui se glorifient
de porter le nom du Christ, mais aussi par tous les hommes (et ils sont
l'immense majorité dans le monde) qui croient encore en Dieu et
l'adorent. Nous renouvelons donc l'appel lancé, il y a cinq ans,
dans Notre Encyclique Caritate Christi, que tous les croyants s'emploient
avec loyauté et courage " à préserver le genre humain
du grave péril qui le menace ". Car, disions-Nous alors, " la foi
en Dieu est le fondement inébranlable de tout ordre social et de
toute responsabilité sur la terre ; aussi tous ceux qui ne veulent
pas de l'anarchie et du terrorisme, doivent travailler énergiquement
à empêcher la réalisation du plan ouvertement proclamé
par les ennemis de la religion " (45).
(45) Lettre
Encycl. Caritate Christi, 3 mai 1932 (A. A. S., vol. XXIV, 1932, p. 184).
DEVOIRS DE L'ÉTAT CHRÉTIEN
Aider l'Église.
73. Telle est
la tâche positive, d'ordre à la fois doctrinal et pratique,
que l'Église assume, en vertu de la mission même que lui a
confiée le Christ : construire la société chrétienne,
et, à notre époque, combattre et briser les efforts du communisme
; à cet effet, Nous adressons un appel à toutes les classes
de la société. À cette entreprise spirituelle de l'Église,
l'État chrétien doit concourir positivement en aidant l'Église
dans cette tâche, par les moyens qui lui sont propres; moyens extérieurs,
sans doute, mais qui n'en visent pas moins principalement le bien des âmes.
74. Les États
mettront donc tout en oeuvre pour empêcher qu'une propagande athée,
qui bouleverse tous les fondements de l'ordre, fasse des ravages sur leurs
territoires. Car il ne saurait y avoir d'autorité sur la terre,
si l'autorité de la Majesté divine est méconnue, et
le serment ne tiendra pas s'il n'est pas prêté au nom du Dieu
vivant. Nous répétons ce que Nous avons dit souvent et avec
tant d'insistance, en particulier dans Notre Encyclique Caritate Christi
: " Comment peut tenir un contrat quelconque et quelle valeur peut avoir
un traité, là où manque toute garantie de conscience
? Et comment peut-on parler de garantie de conscience là où
a disparu toute foi en Dieu, toute crainte de Dieu ? Cette base enlevée,
toute foi morale s'écroule avec elle, et il n'y a plus aucun remède
qui puisse empêcher de se produire peu à peu, mais inévitablement,
la ruine des peuples, des familles, de l'État, de la civilisation
même " (46).
(46) Lettre
Encycl. Caritate Christi, 3 mai 1932 (A. A. S., vol. XXIV, 1932, p. 190).
Pourvoir au
bien commun.
75. En outre,
l'État ne doit rien négliger pour créer ces conditions
matérielles de vie, sans lesquelles une société ordonnée
ne peut subsister, et pour fournir du travail, spécialement aux
pères de famille et à la jeunesse. À cette fin, qu'on
amène les classes possédantes à prendre sur elles
les charges sans lesquelles ni la société humaine ne peut
être sauvée, ni ces classes elles-mêmes ne sauraient
trouver le salut. Mais les mesures prises dans ce sens par l'État
doivent être telles qu'elles atteignent vraiment ceux qui, de fait,
détiennent entre leurs mains les plus gros capitaux et les augmentent
sans cesse, au grand détriment d'autrui.
Prudence et
sage administration.
76. Que l'État
lui-même, songeant à sa responsabilité devant Dieu
et devant la société, serve d'exemple à tous les autres
par une administration prudente et modérée. Aujourd'hui plus
que jamais, la très grave crise mondiale exige que ceux qui disposent
de fonds énormes, fruit du travail et des sueurs de millions de
citoyens, aient toujours uniquement devant les yeux le bien commun et s'appliquent
à le promouvoir le plus possible. De même, que les fonctionnaires
et tous les employés de l'État, par obligation de conscience,
remplissent leur devoir avec fidélité et désintéressement.
Ils suivront en cela les lumineux exemples, anciens et récents,
d'hommes remarquables, qui, dans un labeur sans relâche, ont sacrifié
toute leur vie pour le bien de la patrie. Enfin, dans les rapports des
peuples entre eux, que l'on s'applique instamment à supprimer les
entraves artificielles de la vie économique, effets d'un sentiment
de défiance et de haine ; et qu'on se rappelle que tous les peuples
de la terre forment une seule famille de Dieu.
Laisser la
liberté à l'Église.
77. Mais en
même temps l'État doit laisser à l'Église la
pleine liberté d'accomplir sa divine et toute spirituelle mission,
pour contribuer puissamment par là même à sauver les
peuples de la terrible tourmente du moment présent. De toutes parts,
on fait aujourd'hui un appel angoissé aux forces morales et spirituelles,
et l'on a bien raison, car le mal à combattre est avant tout, si
on le regarde dans sa source première, un mal de nature spirituelle,
et c'est de cette source empoisonnée que sortent par une logique
infernale, toutes les monstruosités du communisme. Or, parmi les
forces morales et spirituelles, l'Église catholique occupe sans
conteste une place de choix, et c'est pourquoi le bien même de l'humanité
exige que l'on ne mette pas d'obstacle à son action.
78. Agir autrement,
et prétendre quand même arriver au but, avec les moyens purement
économiques et politiques, c'est être victime d'une dangereuse
erreur. Quand on exclut la religion de l'école, de l'éducation,
de la vie publique, quand on expose à la dérision les représentants
de l'Église et ses rites sacrés, est-ce que l'on ne favorise
pas ce matérialisme dont le communisme est le fruit ? Ni la force,
même la mieux organisée, ni les idéals terrestres,
fussent-ils les plus grands et plus nobles, ne peuvent maîtriser
un mouvement qui plonge précisément ses racines dans l'estime
excessive des biens de ce monde.
79. Nous avons
confiance que ceux qui ont en main le sort des nations, pour peu qu'ils
sentent le péril extrême dont les peuples sont aujourd'hui
menacés, sentiront toujours mieux le devoir capital de ne point
empêcher l'Église d'accomplir sa mission. D'autant plus qu'en
l'accomplissant, tout en visant le bonheur éternel de l'homme, elle
travaille inséparablement à son vrai bonheur temporel.
APPEL PATERNEL AUX ÉGARÉS
80. Nous ne
pouvons terminer cette Encyclique sans adresser une parole à ceux
de Nos fils qui sont atteints déjà, ou presque, du mal communiste.
Nous les exhortons vivement à écouter la voix du Père
qui les aime ; et Nous prions le Seigneur de les éclairer, afin
qu'ils abandonnent la voie glissante qui les entraîne tous à
une immense catastrophe ; qu'ils reconnaissent eux aussi, que l'unique
Seigneur est Notre-Seigneur Jésus-Christ, " car il n'y a pas, sous
le ciel, un autre nom donné aux hommes, dont ils puissent attendre
le salut " (47).
(47) Act. IV.
12.
SAINT JOSEPH, MODÈLE ET PATRON
81. Et pour
hâter cette paix tant désirée de tous, la " Paix du
Christ dans le règne du Christ " (48), Nous mettons la grande action
de l'Église catholique contre le communisme athée mondial
sous l'égide du puissant protecteur de l'Église, saint Joseph.
Il appartient, lui, à la classe ouvrière ; il a fait la rude
expérience de la pauvreté, pour lui et pour la Sainte Famille,
dont il était le chef vigilant et aimant ; il reçut en garde
l'Enfant divin quand Hérode lança contre Lui ses sicaires.
Par une vie de fidélité absolue dans l'accomplissement du
devoir quotidien, il a laissé un exemple à tous ceux qui
doivent gagner leur pain par le travail manuel, et a mérité
d'être appelé le Juste, modèle vivant de cette justice
chrétienne qui doit régner dans la vie sociale.
(48) Lettre
Encycl. Ubi arcano, 23 déc. 1922 (A. A. S., vol. XIV, 1922, p. 691).
82. Les yeux
tournés vers les hauteurs, notre foi aperçoit les cieux nouveaux
et la terre nouvelle dont parle Notre premier prédécesseur,
saint Pierre (49).
(49) II Pi.
III. 13. Cf. Is. LXV, 17 ; LXVI, 22. Apoc. XXI, I.
Et tandis que
les promesses des faux prophètes s'éteignent, sur cette terre,
dans le sang et dans les larmes, resplendit d'une céleste beauté
la grande prophétie apocalyptique du Sauveur du monde : " Voici
que je fais toutes choses nouvelles " (50).
(50) Apoc.
XXI, 5.
Il ne Nous
reste plus, Vénérables Frères, qu'à élever
Nos mains paternelles, et à faire descendre sur Vous, sur Votre
clergé et Votre peuple, sur toute la grande famille catholique,
la Bénédiction apostolique.
Donné
à Rome, près Saint-Pierre, en la fête de saint Joseph,
patron de l'Église universelle, le 19 mars 1937, l'an XVI de Notre
Pontificat.
PIE XI, PAPE.