I. " Vous puiserez
des eaux avec joie aux sources du Sauveur. " Par ces mots, le prophète
Isaïe, en se servant d'images expressives, prédisait ces dons
de Dieu multiples et surabondants que l'ère chrétienne allait
apporter. Ces mots, disons-Nous, Nous viennent spontanément à
l'esprit, au moment de célébrer le centenaire du jour où
Notre Prédécesseur d'immortelle mémoire, Pie IX, condescendant
volontiers aux voeux qui affluaient de tout le monde catholique, ordonna
de célébrer la fête du Sacré-Coeur de Jésus
dans l'Église universelle.
2. À
la vérité, il est impossible d'énumérer les
dons célestes que le culte rendu au Sacré-Coeur de Jésus
répand dans les coeurs des fidèles : il les purifie, les
ranime par ses divines consolations et il les entraîne à l'acquisition
de toutes les vertus. C'est pourquoi, Nous souvenant du mot très
sage de l'apôtre saint Jacques : " Tout beau présent, tout
don parfait vient d'en haut et descend du Père des lumières
", Nous voyons à bon droit, dans ce culte même, qui plus ardent
que jamais prospère dans le monde entier, le don inestimable que
le Verbe incarné et notre divin Sauveur, en tant que médiateur
unique de grâce et de vérité entre son Père
céleste et le genre humain, a communiqué à l'Église,
sa mystique Épouse, dans le cours de ces derniers siècles,
où il lui faut surmonter tant de difficultés et supporter
tant d'épreuves. Grâce à ce don inestimable, l'Église
peut en effet manifester une charité plus ardente à l'égard
de son divin Fondateur et, pour ainsi dire, réaliser plus largement
cette exhortation que, nous dit saint Jean l'Évangéliste,
Jésus proféra lui-même : " Le dernier jour de la fête,
le plus solennel, Jésus debout, s'écria : " Si quelqu'un
a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. Celui qui croit en moi,
comme l'a dit l'Écriture, des fleuves d'eau vive couleront de son
sein. " Il disait cela de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient
en lui. " Il n'était pas difficile pour ceux qui l'entendaient parler,
de rapporter ces mots, par lesquels il promettait une source d'eau vive
qui devait naître de leur sein, aux paroles des saints prophètes
Isaïe, Ezéchiel et Zacharie dans leurs prédictions du
règne du Messie, ou encore à cette pierre symbolique d'où
l'eau jaillit miraculeusement sous la verge de Moïse.
3. La charité
divine tire sa première source du Saint-Esprit, qui est l'Amour
personnel tant du Père que du Fils au sein de l'auguste Trinité.
C'est donc très justement que l'Apôtre des nations, faisant
comme écho aux paroles de Jésus-Christ, attribue l'effusion
de la charité dans les âmes des fidèles à cet
Esprit d'amour : " L'amour de Dieu a été répandu dans
nos coeurs par l'Esprit-Saint qui nous a été donné.
"
4. Ce lien
très étroit que les Saintes Écritures affirment intervenir
entre la divine charité, qui doit brûler dans les coeurs des
chrétiens, et l'Esprit Saint - qui est essentiellement Amour - nous
dévoile à tous, Vénérables Frères, la
nature intime elle-même de ce culte que l'on doit rendre au très
saint Coeur de Jésus-Christ. Car, s'il est manifeste que ce culte,
si nous considérons sa nature particulière, est l'acte de
religion par excellence - puisqu'il requiert de notre part une volonté
pleine et absolue de nous vouer et consacrer à l'amour du divin
Rédempteur, dont son Coeur transpercé est le vivant témoignage
et le signe, - de même il est également manifeste, et dans
un sens encore plus profond, que ce même culte suppose avant tout
que nous rendions amour pour amour à ce divin Amour. En effet, du
fait seul de la charité découle cette conséquence
que les coeurs des hommes se soumettent pleinement et parfaitement à
l'autorité suprême du Seigneur, puisque, en réalité,
le sentiment de notre amour s'attache à la volonté divine
au point de ne faire qu'un en quelque sorte, selon ce qui est dit : "
Celui qui s'unit au Seigneur n'est avec lui qu'un esprit. "
5. Pourtant,
bien que l'Église ait eu et ait encore en telle estime le culte
du Coeur très saint de Jésus, au point qu'elle prend soin
de le propager et de le faire prospérer dans les peuples chrétiens
du monde entier, et qu'elle s'efforce, en outre, de tout son pouvoir, de
le défendre contre les attaques du naturalisme et du sentimentalisme,
il est néanmoins bien regrettable que dans les temps passés,
et même de nos jours, ce culte très noble ne jouisse pas d'une
égale estime et d'un égal honneur près de quelques
chrétiens, même parfois de la part de ceux qui font montre
de zèle pour la religion et l'acquisition de la sainteté.
6. " Si tu
savais le don de Dieu. " Par ces mots, Vénérables Frères,
Nous, qui par un secret conseil de Dieu avons été choisis
comme gardien et dispensateur de ce trésor de foi et de piété
que le divin Rédempteur a confié à son Église,
conscient du devoir de Notre charge, Nous avertissons tous ceux qui, bien
qu'étant Nos fils, et bien que le culte du Sacré-Coeur de
Jésus, triomphant, pour ainsi dire, des erreurs et de l'indifférence
des hommes, se répande dans son Corps mystique, cèdent aux
préjugés et opinions et vont parfois jusqu'à estimer
ce culte moins adapté, pour ne pas dire nuisible, aux nécessités
spirituelles de l'Église et de l'humanité, les plus urgentes
à l'heure actuelle.
Il n'en manque
pas en effet qui, parce qu'ils confondent et mettent sur le même
plan la nature supérieure de ce culte avec les formes particulières
et diverses de dévotion que l'Église approuve et favorise
sans les commander, pensent que ce culte est quelque chose de superflu
que chacun peut pratiquer ou non à son gré ; certains vont
jusqu'à prétendre que ce culte est importun et de peu d'utilité,
voire même tout à fait inutile pour ceux qui militent pour
le règne de Dieu, principalement dans le but de travailler, en y
consacrant toutes leurs forces, leur temps et leurs ressources, à
la défense et propagation de la vérité catholique,
à la diffusion de la doctrine sociale chrétienne et à
la multiplication des actes de religion et des oeuvres qu'ils estiment
beaucoup plus nécessaires à notre époque.
Il n'en manque
pas enfin qui, bien loin de voir dans ce culte une aide efficace pour rénover
et réformer honnêtement les moeurs chrétiennes, tant
dans la vie privée des individus que dans les familles, y voient
plutôt une piété plus nourrie de sensibilité
que d'esprit et de coeur, et pour cela plutôt digne des femmes ;
car ils y voient quelque chose qui ne convient guère à des
hommes cultivés.
7. Il y en
a encore, d'autre part qui, du fait qu'ils considèrent que ce culte
fait appel surtout à la pénitence, à l'expiation et
aux autres vertus qu'on déclare " passives " parce que privées
apparemment de fruits extérieurs, ne l'estiment pas propre à
ranimer la spiritualité de notre époque à qui incombe
le devoir d'entreprendre une action franche et d'envergure pour le triomphe
de la foi catholique et la défense vigoureuse des moeurs chrétiennes.
Car ces moeurs, de nos jours, comme tout le monde le sait, se trouvent
facilement entachées des erreurs de ceux qui pratiquent l'indifférence
pour toute forme de religion, sans que leur esprit distingue le vrai du
faux, et sont malheureusement pénétrés des principes
du matérialisme athée et du laïcisme.
8. Qui ne voit,
Vénérables Frères, que de telles manières de
penser sont en totale opposition avec les déclarations qu'ont faites
solennellement de cette chaire de vérité Nos Prédécesseurs,
en approuvant le culte du Sacré-Coeur de Jésus ?
Qui oserait
déclarer inutile et moins adaptée à notre présente
époque cette piété que Notre Prédécesseur
d'immortelle mémoire, Léon XIII, a déclaré
être " la forme de religion la plus estimable " ? et il ne doutait
pas qu'on y trouvât un remède capable de guérir les
maux qui, de nos jours mêmes, et sans aucun doute d'une manière
plus ample et plus aiguë, inquiètent et font souffrir les individus
et la société. " Cette consécration qu'à tous
Nous conseillons, sera pour tous d'un grand profit ", disait-il. Et il
y ajoutait cet avertissement et cette exhortation qui se rapportent au
culte même du Sacré-Coeur de Jésus : " De là
cette virulence des maux qui nous accablent et nous pressent vivement de
demander le secours de Celui-là seul qui a pouvoir de les éloigner.
Qui peut-il être Celui-là, sinon Jésus-Christ, Fils
unique de Dieu ? " Car il n'est sous le ciel aucun autre nom, parmi ceux
qui ont été donnés chez les hommes, qui doive nous
sauver. " Il faut donc recourir à Celui qui est la Voie, la Vérité
et la Vie. "
9. Et Notre
Prédécesseur immédiat d'heureuse mémoire, Pie
XI, déclarait également ce culte non moins recommandable
et non moins apte à nourrir la piété chrétienne
quand il écrivait dans son Encyclique : " Dans cette... forme de
la dévotion, n'y a-t-il pas la synthèse de toute la religion
et plus encore la norme d'une vie plus parfaite, capable d'acheminer les
âmes à connaître plus profondément et plus rapidement
le Christ Seigneur, à l'aimer plus ardemment, à l'imiter
avec plus d'application et plus d'efficacité ? "
Pour Nous,
non moins que Nos Prédécesseurs, ce point capital de vérité
Nous paraît évident et probant ; et lorsque Nous avons pris
en charge le souverain pontificat, Nous Nous sommes félicité
de voir ce culte du Sacré-Coeur de Jésus se développer
heureusement dans les nations chrétiennes, triomphalement pour ainsi
dire. Nous Nous sommes réjoui des innombrables fruits de salut qui
en découlaient sur l'Église tout entière. Il Nous
a plu de le faire savoir dès Notre première Encyclique.
Ces fruits
mêmes, au cours des années de Notre pontificat - elles ne
furent pas remplies seulement de peines et d'angoisses, mais aussi de consolations
ineffables - n'ont diminué ni en nombre, ni en force, ni en beauté
; mais ils ont plutôt augmenté. À la vérité,
des entreprises variées ont heureusement vu le jour, capables de
renouveler ce culte, tout en étant des plus adaptées aux
besoins de notre temps : des associations pour promouvoir la culture de
l'esprit, la religion et la bienfaisance ; des publications pour en expliquer
la doctrine, des points de vue historique, ascétique et mystique
; des pratiques de réparation et, surtout, mentionnons ces manifestations
de piété très ardente que multiplie l'" Association
de l'Apostolat de la Prière ". On a vu, surtout, sous sa direction
et son impulsion, des familles, des collèges, des Instituts et parfois
même des nations se consacrer au très saint Coeur de Jésus,
et plus d'une fois Nous nous en sommes réjoui d'un coeur paternel
dans des Lettres, des Allocutions publiques, ou même des Radiomessages
que Nous avons donnés à cette intention.
10. Aussi,
en voyant cette féconde abondance des eaux de salut, c'est-à-dire
des dons célestes de l'amour surnaturel, jaillir du Coeur sacré
de notre divin Rédempteur et se répandre sur les fils sans
nombre de l'Église catholique, sous l'inspiration et l'action de
l'Esprit-Saint, Nous ne pouvons Nous empêcher, Vénérables
Frères, de vous exhorter d'un coeur paternel à rendre avec
Nous les plus hautes louanges et les plus grandes grâces à
Dieu dispensateur de tout bien, Nous écriant avec l'Apôtre
des nations : " A Celui qui peut, par la puissance qui agit en nous, faire
infiniment au delà de nos demandes ou de nos pensées, à
lui soit la gloire dans l'Eglise et le Christ-Jésus, pour tous les
âges et dans le cours des siècles !.Amen. "
Mais, après
avoir rendu grâces comme il faut à l'éternelle Divinité,
Nous désirons vous exhorter, vous et tous Nos très chers
fils de l'Église, par cette Encyclique, à étudier
avec un esprit plus attentif ces principes qui, découlant de nos
Saints Livres et de la doctrine des saints Pères et des théologiens,
établissent comme sur des bases solides ce culte du très
saint Coeur de Jésus. Car Nous sommes entièrement persuadé
que c'est seulement après avoir considéré à
fond l'essence et la sublime nature de ce culte dans l'éclat de
la lumière de la vérité divinement révélée,
c'est seulement alors, disons-Nous, que nous pourrons exactement et pleinement
estimer son incomparable excellence et son abondance jamais épuisée
des dons célestes. Alors surtout, ayant médité et
contemplé pieusement les bienfaits sans nombre qui en ont découlé,
nous pourrons ainsi commémorer dignement le premier centenaire de
l'extension à l'Église universelle de la fête du très
saint Coeur de Jésus.
11. Dans le
but d'offrir aux fidèles un aliment à de salutaires réflexions
dont ils puissent plus facilement se nourrir pour comprendre plus à
fond la véritable nature de ce culte et en recevoir des fruits abondants,
Nous allons parcourir ces pages de l'Ancien et du Nouveau Testament qui
nous révèlent et nous proposent la charité infinie
de Dieu à l'égard du genre humain. Nous ne pourrons jamais
l'approfondir assez. Nous aborderons dans leurs grandes lignes les commentaires
que nous ont laissés les Pères et les Docteurs de l'Église.
Enfin, Nous prendrons soin de mettre en lumière ce lien très
étroit qui intervient entre cette forme de dévotion que l'on
doit au Coeur du divin Rédempteur et te culte qui est dû à
son amour et à l'amour de l'auguste Trinité envers tous les
hommes.
Nous pensons,
en effet, que déjà en projetant de cette lumière qui
nous vient des Saintes Écritures et de la tradition patristique
sur les principaux éléments fondamentaux de cette très
noble forme de piété, il sera plus facile aux chrétiens
de puiser " les eaux avec joie aux sources du salut ".
On le fera,
en considérant toute l'importance particulièrement grave
dont jouit le culte du très saint Coeur de Jésus dans la
liturgie de l'Église et dans sa vie et son action, tant au dedans
qu'au dehors. On pourra plus facilement alors recueillir ces fruits spirituels
qui permettront à chacun de renouveler ses moeurs pour son salut,
comme le désirent les pasteurs du troupeau du Christ.
12. Pour que
tous puissent comprendre plus exactement la valeur de la doctrine dont
témoignent les textes cités de l'Ancien et du Nouveau Testament
relatifs à ce culte, il faut avoir bien présente à
l'esprit la raison pour laquelle l'Église accorde un culte de latrie
au Coeur du divin Rédempteur.
Comme vous
le savez parfaitement, Vénérables Frères, il y a une
double raison. La première, qui se rapporte également aux
autres membres saints du Corps de Jésus-Christ, repose sur ce principe
par lequel nous savons que son Cœur, en tant que la plus noble part de
sa nature humaine, est uni hypostatiquement à la personne du Verbe
divin.
C'est pourquoi
on doit lui attribuer le même culte d'adoration dont l'Église
honore la personne même du Fils de Dieu incarné. C'est là
une vérité qu'il faut professer, de foi catholique, car elle
a été sanctionnée solennellement dans le Concile oecuménique
d'Éphèse et le deuxième de Constantinople.
La seconde
raison qui se rapporte particulièrement au Coeur du divin Rédempteur
et qui, pour un motif également particulier, exige qu'on lui rende
un culte de latrie, découle du fait que son Coeur, plus que tout
autre membre de son Corps, est un signe ou symbole naturel de son immense
charité envers le genre humain. Comme le remarquait Notre Prédécesseur
d'immortelle mémoire, Léon XIII : " Il y a dans le Sacré-Coeur
de Jésus un symbole et une image claire de l'amour infini de Jésus-Christ,
amour qui nous pousse à nous aimer les uns les autres. "
13. Sans aucun
doute, certes, les Livres Saints ne font jamais une mention claire d'un
culte particulier d'amour et de dévotion rendu au Coeur physique
du Verbe incarné comme symbole de sa très ardente charité.
S'il faut assurément le reconnaître franchement, cela ne doit
pas cependant nous étonner et ne peut en aucune façon nous
amener à douter que l'amour de Dieu à notre égard,
principale raison de ce culte, est proclamé et inculqué,
tant dans l'Ancien que dans le Nouveau Testament, par de telles images
que les coeurs en sont vivement émus. Ces images, puisqu'elles étaient
mises en avant déjà dans les Saintes Écritures pour
annoncer la venue du Fils de Dieu fait homme, peuvent donc être considérées
comme un présage du signe et du témoignage de cet amour divin
très noble, c'est-à-dire du très saint et adorable
Coeur du divin Rédempteur.
14. En ce qui
concerne notre sujet, Nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire
de citer de nombreux passages des Livres de l'Ancien Testament qui contiennent
les premières vérités divinement révélées.
Nous estimons qu'il suffit de rappeler que le souvenir de cette Alliance
conclue entre Dieu et son peuple et consacrée par des victimes pacifiques
- dont Moïse publia la Loi fondamentale gravée sur les deux
Tables et que les prophètes ont expliquée - ne fut pas seulement
un pacte ratifié par les engagements de l'autorité suprême
de Dieu et l'obéissance à elle due par les hommes, mais un
pacte confirmé et vivifié par les plus nobles motifs d'amour.
Car même
pour le peuple d'Israël, la suprême raison d'obéir à
Dieu n'était pas la crainte des châtiments divins que les
tonnerres et les éclairs de la cime du Sinaï jetaient dans
les coeurs, mais plutôt l'amour dû à Dieu : " Écoute,
Israël : Yahweh est notre Dieu, Yahweh est unique. Tu aimeras Yahweh,
ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta force.
Et ces commandements que je te donne aujourd'hui seront sur ton coeur.
"
15. Ne nous
étonnons donc pas si Moïse et les prophètes, que le
docteur Angélique appelle à bon droit les ancêtres
du peuple élu, convaincus que le fondement de toute la Loi repose
sur ce précepte de l'amour, ont décrit les liens et rapports
qui existaient entre Dieu et son peuple par des images empruntées
à l'amour mutuel entre père et fils, ou entre époux,
plutôt qu'à l'aide d'images sévères inspirées
par l'autorité suprême de Dieu ou l'obéissance obligatoire
et craintive due par nous tous.
Ainsi, pour
donner des exemples, Moïse lui-même, quand il entonne son chant
si célèbre pour l'affranchissement de son peuple libéré
de la servitude d'Égypte, formula ces pensées et images qui
émeuvent si fortement le cœur : " Tel un aigle qui, éveillant
sa nichée, plane au-dessus de ses petits, il (Dieu) déploya
ses ailes, le prit et l'emporta sur son pennage. "
Mais peut-être
nul autre des saints prophètes mieux qu'Osée ne dévoile
et ne décrit aussi nettement et aussi fortement l'amour dont Dieu
poursuit sans cesse son peuple. Dans les écrits de ce prophète,
en effet, qui se distingue parmi les autres petits prophètes par
la sublimité de sa phrase concise, Dieu professe, à l'égard
de son peuple cet amour juste et saintement soucieux comme l'est l'amour
d'un père aimant et miséricordieux, ou d'un époux,
dont l'honneur est blessé.
Il s'agit d'un
amour qui, bien loin de diminuer ou de cesser à cause de la perfidie
des trahisons ou de crimes affreux, les punit plutôt comme ils le
méritent, dans ce seul but de laver de leurs fautes, de purifier
et - bien loin de les répudier ou de les abandonner - de s'attacher
par des liens nouveaux et raffermis l'épouse infidèle et
égarée et ses fils ingrats : " Quand Israël était
jeune, je l'aimais et j'appelais mon fils hors de l'Egypte... C'est moi
qui guidais les pas d'Ephraïm, le soutenant par ses bras ; et ils
n'ont pas vu que je les guérissais. Je les tirais avec des liens
d'humanité, avec des liens d'amour... Je guérirai leur infidélité,
j'aurai pour eux un amour sincère, car ma colère s'est détournée
d'eux. Je serai comme la rosée pour Israël, il fleurira comme
le lis et il poussera des racines comme le Liban. "
16. Ce sont
de semblables pensées que traduit le prophète Isaïe
quand il montre Dieu lui-même et son peuple élu conversant
et discutant ensemble de points de vue opposés : " Sion disait:
" Yahweh m'a abandonnée, le Seigneur m'a oubliée ! " Une
femme peut-elle oublier son nourrisson, n'ayant pas pitié du fruit
de ses entrailles ? Si même celles-ci oubliaient, moi je ne t'oublierai
pas ". Et ces paroles ne sont pas moins émouvantes pour le coeur
que celles de l'auteur du Cantique des cantiques, qui, à l'aide
des images de l'amour conjugal, décrit d'une manière expressive
les liens de mutuel amour qui lient entre eux Dieu et la nation qu'il chérit
: " Comme un lis au milieu des épines, telle est mon amie parmi
les jeunes filles... Je suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé
est à moi ; il fait paître son troupeau parmi les lis... Mets-moi
comme un sceau sur ton coeur, comme un sceau sur ton bras; car l'amour
est fort comme la mort, la jalousie est inflexible comme le séjour
des morts ; ses ardeurs sont des traits de feu, une flamme de Yahweh. "
17. Cet amour
de Dieu, très tendre, indulgent et patient, qui, s'il se détourne
de son peuple d'Israël à cause de ses crimes accumulés
ne le répudie cependant pas, nous semble certes fort et sublime,
mais il ne fut, en somme, que le présage prophétique de cette
charité très ardente que le Rédempteur promis aux
hommes allait faire déborder pour tous de son Coeur très
aimant et qui devait être l'exemplaire de notre dilection et le fondement
de la Nouvelle Alliance. Car, en réalité, Celui seul qui
est le Fils unique du Père, et le Verbe fait chair " plein de grâce
et de vérité ", en venant vers les hommes écrasés
de péchés innombrables et de misères, put faire jaillir
de sa nature humaine unie hypostatiquement à la Personne divine,
sur le genre humain, " une source d'eau vive " qui arroserait très
largement la terre aride et la transformerait en jardin florissant et plein
de fruits.
C'est ce prodige
si étonnant qu'allait produire l'éternel et très miséricordieux
amour de Dieu que le prophète Jérémie semble annoncer
en quelque sorte par ces mots : " C'est d'un amour éternel que je
t'ai aimée, aussi je t'ai conservé ma faveur... Voici que
des jours viennent - oracle de Yahweh - où je conclurai avec la
maison d'Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle...
Voici l'alliance que je conclurai avec la maison d'Israël, après
ces jours-là - oracle de Yahweh ; - je mettrai ma loi au dedans
d'eux ; je l'écrirai dans leur cœur ; et je serai leur Dieu, et
ils seront mon peuple... ; car je pardonnerai leur iniquité, et
je ne me souviendrai plus de leur péché. "
18. Toutefois,
c'est grâce aux seuls Évangiles que nous avons la certitude
et la preuve de cette Nouvelle Alliance conclue entre Dieu et les hommes
- car ce pacte que Moïse avait conclu entre Dieu et le peuple d'Israël
n'était que le signe et le symbole de celui que le prophète
Jérémie avait prédit, - la Nouvelle Alliance, disons-Nous,
est en réalité celle qui a été établie
et réalisée grâce au Verbe incarné qui nous
a concilié la faveur divine. Il faut reconnaître que cette
Alliance est, d'une manière incomparable, plus noble et plus ferme,
du fait qu'elle n'a pas été sanctionnée comme la précédente
dans le sang des boucs et des veaux, mais dans le Sang très saint
de Celui que ces animaux pacifiques et privés de raison annonçaient
: " L'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde ".
L'Alliance
chrétienne, en effet, bien mieux que l'ancienne, se montre franchement
comme un pacte fondé, non sur l'assujettissement, ni la crainte,
mais conclu en vertu de cet amour qui doit unir le père et les fils.
Elle s'entretient et se renforce par une effusion plus généreuse
de grâce divine et de vérité, selon ce mot de l'apôtre
saint Jean : " De sa plénitude, nous avons tous reçu, et
grâce sur grâce ; car la Loi a été donnée
par Moïse, mais la grâce et la vérité sont venues
par Jésus-Christ. "
19. Puisque
cette parole du disciple " que Jésus aimait, et qui, pendant la
Cène, reposa sur sa poitrine ", nous introduit dans le mystère
de l'amour infini du Verbe incarné, il semble juste, équitable
et salutaire, Vénérables Frères, de nous arrêter
un peu dans la contemplation très douce de ce mystère. Ainsi,
baignés par la lumière que reflète l'Évangile
pour éclairer ce mystère, puissions-nous parvenir à
réaliser le voeu qu'exprimait l'Apôtre des nations dans sa
lettre aux Éphésiens : " Que le Christ habite en vos coeurs
par la foi ; soyez enracinés dans la charité et fondés
sur elle, afin de pouvoir comprendre avec tous les saints ce qu'est la
Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur, et connaître l'amour
du Christ qui défie toute connaissance. Ainsi serez-vous remplis
de la plénitude même de Dieu. "
20. Le mystère
de la Rédemption divine est, en effet, par une raison de premier
ordre et toute naturelle, un mystère d'amour ; c'est-à-dire
de cet amour équitable du Christ pour son Père céleste
à qui il présente le sacrifice de la croix, offert d'un coeur
aimant et soumis, et la satisfaction surabondante et infinie qui lui était
due pour les fautes du genre humain : " Le Christ en souffrant, par amour
et obéissance, a offert à Dieu quelque chose de plus grande
valeur que ne l'exigerait la compensation de toute l'offense du genre humain.
" C'est de plus, un mystère d'amour miséricordieux de l'auguste
Trinité et du divin Rédempteur à l'égard de
tous les hommes : puisque ceux-ci étaient dans l'impuissance totale
d'expier leurs crimes, le Christ, par les richesses insondables de ses
mérites que, par l'effusion de son Sang très précieux,
il s'est acquis, a pu rétablir et perfectionner ce pacte d'amitié
entre Dieu et les hommes que la misérable faute d'Adam une première
fois, puis les innombrables péchés du peuple élu avaient
violé.
Ainsi le divin
Rédempteur - en tant que Médiateur légitime et parfait
- du fait que, par son amour très ardent à notre égard,
il a parfaitement concilié les devoirs et obligations du genre humain
avec les droits de Dieu, a été sans contredit l'auteur de
cette conciliation admirable réalisée entre la divine justice
et la divine miséricorde qui constitue le mystère transcendant
de notre salut. Le Docteur Angélique en parle en ces termes : "
Il faut dire qu'il convenait à sa miséricorde et à
sa justice de délivrer l'homme par la Passion du Christ. À
sa justice, d'une part, parce que, par sa Passion, le Christ a satisfait
pour le péché du genre humain ; et ainsi, par la justice
du Christ, l'homme a été libéré. À sa
miséricorde, d'autre part, parce que, du fait que l'homme ne pouvait
lui-même satisfaire pour le péché de l'humanité
tout entière, Dieu lui a fait don dans son Fils d'un Rédempteur.
Et ce fut le fait d'une miséricorde plus abondante que s'il avait
pardonné les péchés sans satisfaction. Aussi, il est
dit : " Dieu qui est riche en miséricorde et poussé par le
grand amour dont il nous a aimés, alors même que nous étions
morts par suite de nos fautes, Dieu nous a fait revivre avec le Christ.
"
21. Mais, pour
que nous puissions, autant qu'il est possible à des mortels, " comprendre
avec tous les saints ce qu'est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la
Profondeur " de l'amour mystérieux du Verbe incarné envers
son Père céleste et les hommes souillés de la tache
de leurs péchés, il faut remarquer que son amour ne fut pas
uniquement spirituel, comme il convient à Dieu en tant que " Dieu
est Esprit ". Il était, certes, de cette nature, l'amour dont Dieu
aima nos parents et le peuple hébreu ; et ainsi, les expressions
d'amour humain conjugal ou paternel, qu'on lit dans les psaumes, les écrits
des prophètes et le Cantique des cantiques, sont des témoignages
et des manifestations de l'amour authentique, mais entièrement spirituel
dont Dieu poursuivait le genre humain.
Par contre,
l'amour qui s'exhale dans l'Évangile, les lettres des apôtres
et les pages de l'Apocalypse, où est décrit l'amour du Coeur
même de Jésus-Christ, exprime non seulement la charité
divine, mais encore les sentiments d'une affection humaine ; et cela, pour
tous ceux qui sont catholiques, est absolument certain. Le Verbe de Dieu,
en effet, n'a pas pris un corps impalpable et artificiel, comme déjà
au premier siècle du christianisme le prétendaient certains
hérétiques que l'apôtre saint Jean condamne par ces
mots : " Car beaucoup de séducteurs se sont répandus dans
le monde qui ne professent pas que Jésus-Christ se soit incarné.
Le voilà bien le séducteur et l'antéchrist ! " Mais,
en réalité, il a uni à sa Personne divine une nature
humaine, individuelle, complète et parfaite, qui fut conçue
dans le sein très pur de la Vierge Marie par la puissance du Saint-Esprit.
Il ne manqua donc rien à cette nature humaine que s'est uni le Verbe
de Dieu. Lui-même l'a prise, en vérité, sans aucune
diminution ni aucun changement, tant pour ce qui est du corps que pour
ce qui est de l'esprit : c'est-à-dire douée d'intelligence
et de volonté, et de toutes les autres facultés de connaissance
internes et externes, des facultés sensibles d'affection et de toutes
les passions naturelles. Toutes ces choses sont enseignées par l'Église
comme solennellement proclamées et confirmées par les Pontifes
de Rome et les Conciles oecuméniques : " Tout entier dans sa nature,
tout entier dans la nôtre ", " parfait dans sa divinité, et
également parfait dans son humanité ", " entièrement
Dieu-homme et entièrement homme-Dieu ".
22. C'est pourquoi,
comme on ne peut mettre en doute d'aucune façon que Jésus-Christ
a pris un Corps véritable qui jouit de tous les sentiments qui lui
sont propres et parmi lesquels l'amour surpasse tous les autres, il ne
peut y avoir également aucun doute qu'il a été doué
d'un coeur physique et semblable au nôtre, puisque, sans cette partie
très excellente du corps, il ne peut y avoir de vie d'homme, même
en ce qui concerne ses affections.
Aussi, le Coeur
de Jésus-Christ, uni hypostatiquement à la divine Personne
du Verbe a, sans aucun doute, palpité d'amour et de tout autre sentiment,
et cependant, tous ces sentiments étaient en parfait accord et s'harmonisaient
et avec sa volonté d'homme pleine de divine charité, et avec
l'amour divin lui-même que le Fils partage en commun avec le Père
et avec l'Esprit-Saint, de telle sorte qu'il n'y eut jamais entre ces trois
amours, aucun manque d'accord ou d'harmonie.
23. Cependant
que le Verbe de Dieu ait pris pour lui une nature humaine véritable
et parfaite, et se soit formé et modelé un coeur de chair
qui, non moins que le nôtre, pouvait souffrir et être transpercé,
cela, disons-Nous, à moins de le mettre et le considérer
dans la lumière qui se dégage non seulement de l'union hypostatique
et substantielle, mais également dans cette lumière qui vient
de la Rédemption de l'homme comme de son complément, peut
paraître scandale et folie pour certains, comme ce fut le cas du
Christ crucifié pour les Juifs et les gentils. Car les symboles
de la foi catholique, en accord parfait avec les Saintes Lettres nous assurent
que le Fils unique de Dieu a pris une nature humaine capable de souffrir
et mortelle pour cette raison principale qu'il désirait offrir,
suspendu à la croix, un sacrifice sanglant pour consommer l'oeuvre
du salut des hommes. C'est d'ailleurs ce que nous enseigne l'Apôtre
des nations par ces mots : " Car Sanctificateur et sanctifiés ont
tous une même origine. C'est pour cette raison qu'il ne rougit pas
de les appeler frères, quand il dit : j'annoncerai ton nom à
mes frères. Et encore : me voici, moi et les enfants que Dieu m'a
donnés. Puis donc que les enfants avaient en partage une nature
de sang et de chair, il en a, lui aussi, pris une toute semblable... Voilà
pourquoi il devait se faire en tout semblable à ses frères
pour devenir ainsi un grand prêtre miséricordieux et fidèle,
capable d'expier les péchés du peuple. C'est pour avoir connu
lui-même l'épreuve et la souffrance qu'il peut venir en aide
à ceux qui sont dans l'épreuve ".
24. Aussi,
les saints Pères, témoins véridiques de la doctrine
divinement révélée, ont parfaitement compris ce que
l'apôtre Paul avait déjà affirmé très
clairement, que le mystère de l'amour divin était comme le
principe et le couronnement, tant de l'Incarnation que de la Rédemption.
On lit souvent
et clairement dans leurs écrits que Jésus-Christ a pris une
nature humaine parfaite, avec un corps fragile et périssable comme
le nôtre, pour entreprendre notre salut éternel, et nous manifester
et nous dévoiler, de la manière la plus évidente,
son amour infini aussi bien que sensible.
25. Saint Justin,
comme un écho à la voix de l'Apôtre des nations, écrit
ceci : " Nous adorons et aimons le Verbe Fils du Dieu incréé
et ineffable ; puisqu'il s'est fait homme pour nous, pour que, devenu participant
à nos affections, il leur apporte le remède. " De même,
saint Basile, le premier des trois Pères de Cappadoce, affirme qu'il
y eut dans le Christ de véritables affections sensibles et saintes
: " Il est évident que le Seigneur a assumé les affections
naturelles pour confirmer sa véritable et non fantastique incarnation
; quant aux affections des vices qui souillent la pureté de notre
vie, il les rejeta comme indignes de sa divinité sans tache. " Pareillement,
saint Jean Chrysostome, lumière de l'Église d'Antioche, reconnaît
que les émotions sensibles qu'éprouvait le divin Rédempteur
démontraient clairement qu'il avait revêtu la nature humaine
dans son intégrité : " S'il n'avait pas été
de notre nature il n'aurait pas été ému par la douleur.
" Parmi les Pères latins, méritent d'être évoqués
ceux que l'Église vénère de nos jours comme les plus
grands docteurs. Ainsi saint Ambroise témoigne que les émotions
sensibles et les affections dont le Verbe incarné ne fut pas exempt,
naissaient comme d'un principe naturel : " Et c'est pourquoi, ayant pris
une âme, il prit aussi les affections de l'âme ; Dieu, en effet,
du fait qu'il était Dieu, n'aurait pu être ému ou mourir.
" C'est de ces affections que saint Jérôme tire son principal
argument que le Christ a réellement pris la nature humaine : Notre-Seigneur
pour prouver la vérité de sa nature humaine, a vraiment été
sujet à la tristesse. Saint Augustin reconnaît particulièrement
ces rapports qui existent entre les affections du Verbe incarné
et la fin de la Rédemption de l'homme : " Mais ces affections de
l'infirmité humaine, comme la chair même de l'humanité
infirme et la mort de la chair humaine, le Seigneur Jésus les a
prises, non par nécessité de sa condition, mais par une volonté
de miséricorde, pour transfigurer en lui-même son Corps, qui
est l'Église, dont il a daigné être la tête,
c'est-à-dire ses membres qui sont ses saints et ses fidèles
; en sorte que si l'un d'eux venait, dans les épreuves humaines,
à s'attrister et à souffrir, qu'il ne s'estime pas pour cela
soustrait à l'action de sa grâce ; ce ne sont pas là
des péchés, mais des marques de l'infirmité humaine,
et, comme le choeur s'accorde à la voix qui entonne, ainsi son corps
se modèlerait sur son propre Chef. " Avec plus de concision, mais
non moins d'efficacité, les citations qui suivent, de saint Jean
Damascène, proclament la doctrine manifeste de l'Église.
" Dieu tout entier m'a pris entièrement, comme un tout uni au tout,
pour apporter le salut à tout l'homme. Car n'aurait pu être
guéri ce qui n'a pas été pris. " " Il a donc pris
tout pour tout sanctifier. "
26. Il faut
remarquer cependant que ces citations de la Sainte Écriture et des
Pères, et de nombreux passages semblables que nous n'avons pas cités,
bien que témoignant nettement que Jésus-Christ fut doué
d'affections et d'émotions sensibles et qu'il prit la nature humaine
pour réaliser notre salut éternel, ne rapportent néanmoins
jamais ces affections à son Coeur physique de manière à
en faire expressément un symbole de son amour infini. Mais si les
Évangélistes et les autres écrivains ecclésiastiques
ne décrivent pas directement le Coeur de notre Rédemption,
Coeur vivant et doué de la faculté de sentir non moins que
le nôtre, et palpitant et tressaillant des émotions et affections
diverses de son âme, néanmoins, ils mettent souvent dans sa
pleine lumière son amour divin et les émotions sensibles
qui l'accompagnent, telles que désir, joie, peine, crainte et colère,
comme ils se manifestent dans ses regards, ses paroles et ses gestes.
La face surtout
de notre adorable Sauveur fut le témoignage et comme le miroir le
plus fidèle de ces affections qui, émouvant diversement son
âme, atteignaient comme dans un reflux son Coeur et en activaient
les battements. À la vérité, en cette question, garde
toute sa valeur ce que le Docteur Angélique instruit par l'expérience
commune, note à propos de la psychologie humaine et de ce qui en
découle : " L'ébranlement de la colère s'étend
jusqu'aux membres extérieurs, et surtout à ces parties du
corps où l'influence du coeur se révèle d'une manière
plus expressive, comme les yeux, la face et la langue. "
27. C'est à
bon droit, par conséquent, que le Coeur du Verbe incarné
est considéré comme le signe et le principal symbole de ce
triple amour dont le divin Rédempteur aime et continue d'aimer son
Père éternel et tous les hommes, car il est le symbole de
cet amour divin qu'il partage avec le Père et l'Esprit-Saint, mais
qui pourtant, en lui seul, en tant que Verbe fait chair se manifeste à
nous par son corps humain périssable et fragile, puisque " c'est
en lui qu'habite corporellement toute la plénitude de la divinité
".
Il est, de
plus, le symbole de cet amour très ardent qui, répandu dans
son âme, enrichit la volonté du Christ, et dont les actes
sont éclairés et dirigés par une double science très
parfaite, à savoir la science bienheureuse et infuse. Enfin, il
est aussi - et cela d'une manière plus naturelle et directe - le
symbole de son amour sensible, car le Corps de Jésus-Christ, formé
par le Saint-Esprit dans le sein de la Vierge Marie, jouit d'un pouvoir
de sentir et de percevoir très parfait, plus, assurément,
que tous les autres corps des hommes.
28. L'Écriture
Sainte et les symboles de la foi catholique nous enseignent donc que dans
l'âme très sainte de Jésus-Christ règne la plus
haute consonance et harmonie, et qu'il a appliqué manifestement
son triple amour à la réalisation de la fin poursuivie dans
notre Rédemption. Par conséquent, il est évident que
c'est à très bon droit que nous pouvons voir et vénérer
le Coeur du divin Rédempteur comme l'image expressive de son amour
et le témoignage de notre Rédemption, et comme aussi l'échelle
mystique qui nous élève jusqu'à embrasser " Dieu notre
Sauveur ". C'est pourquoi dans ses paroles, ses actes, ses préceptes,
ses miracles et particulièrement dans ses oeuvres qui nous témoignent
plus clairement son amour - comme l'Institution de la divine Eucharistie,
sa Passion si douloureuse et sa mort, le don affectueux qu'il nous fit
de sa très Sainte Mère, l'Église qu'il fonda pour
nous et, enfin, le Saint-Esprit envoyé à ses apôtres
comme à nous - en tout cela, disons-Nous, nous devons admirer comme
des preuves de son triple amour.
Nous devons
pareillement méditer avec beaucoup d'amour les battements de son
très saint Coeur, dont il a comme mesuré le temps de son
passage sur cette terre jusqu'au moment suprême où, au témoignage
des Évangélistes, " poussant un grand cri, il dit : " Tout
est consommé. " Et ayant incliné la tête, il rendit
l'esprit ".
Alors, son
Coeur s'arrêta et cessa de battre et son amour sensible fut suspendu
jusqu'au jour où, triomphant de la mort, le Christ ressuscita du
tombeau. Depuis que son Corps, revêtu de l'état de gloire
éternelle, s'est réuni à l'âme du divin Rédempteur
vainqueur de la mort, son Coeur très saint n'a jamais cessé
et ne cessera de battre d'un mouvement paisible et imperturbable. Il ne
cessera jamais pareillement de signifier le triple amour qui lie le Fils
de Dieu à son Père céleste et à toute la communauté
des hommes, dont il est de plein droit le Chef mystique.
29. Maintenant,
Vénérables Frères, afin de recueillir des pieuses
considérations que Nous venons de faire des fruits abondants et
salutaires, il convient de méditer un moment sur les nombreuses
manifestations d'affections divines et humaines de notre Sauveur Jésus-Christ
et de les contempler, affections que son Coeur a exprimées pendant
sa vie mortelle, qu'il exprime maintenant et qu'il exprimera pendant toute
l'éternité. Des pages de l'Évangile, tout particulièrement,
nous vient une lumière qui nous éclaire et nous réconforte
pour nous permettre de pénétrer dans le sanctuaire de ce
divin Coeur et d'admirer avec l'Apôtre des gentils " l'infinie richesse
de la grâce (de Dieu) par sa bonté envers nous en Jésus-Christ
".
30. C'est un
amour à la fois humain et divin qui habite le Coeur de Jésus-Christ,
après que la Vierge Marie eut prononcé son " Fiat " magnanime
et que le Verbe de Dieu, selon les paroles de l'Apôtre : " dit en
entrant dans le monde : Vous n'avez voulu ni sacrifice ni oblation, mais
vous m'avez formé un corps ; vous n'avez agréé ni
holocauste ni sacrifices pour le péché. Alors j'ai dit :
" Me voici (car il est question de moi dans le rouleau du livre), je viens,
ô Dieu, pour faire votre volonté... C'est en vertu de cette
volonté que nous sommes sanctifiés, par l'oblation que Jésus-Christ
a faite, une fois pour toutes, de son propre corps. "
Il était
animé du même amour, en parfaite harmonie avec les désirs
de sa volonté humaine et l'amour divin, lorsque dans la maison de
Nazareth il s'entretenait des choses divines avec sa très douce
Mère et Joseph, son père putatif, qu'il secondait laborieusement
et avec obéissance dans son métier de charpentier.
Et il était
animé de ce triple amour dont Nous avons parlé dans ses continuelles
courses apostoliques ; dans les innombrables miracles qu'il accomplissait,
ressuscitant les morts ou guérissant des maladies de toutes sortes
; dans ses travaux épuisants ; dans la sueur, la faim, la soif ;
dans les veilles au cours desquelles il priait avec beaucoup d'amour son
Père céleste ; dans les prières qu'il faisait, dans
les paraboles qu'il proposait et expliquait ; dans celles, particulièrement,
qui ont trait à la miséricorde, celle de la drachme perdue,
de la brebis égarée et du fils prodigue ; c'est dans ces
actes et ces paroles, comme le dit saint Grégoire le Grand, que
se manifeste le Coeur même de Dieu : " Apprends à connaître
le Coeur de Dieu par les paroles de Dieu, afin que tu aspires plus ardemment
aux choses éternelles. "
31. Une plus
grande charité encore remplissait le Coeur de Jésus-Christ
lors qu'il prononçait des paroles exprimant l'amour le plus ardent.
Lorsque, par exemple, il s'exclamait devant la foule fatiguée et
affamée : " J'ai compassion de cette foule " ; et lorsqu'il contemplait
Jérusalem, sa ville qu'il aimait, aveuglée de ses péchés
et à cause de cela destinée à une ruine extrême,
il disait : " Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes
et lapides ceux qui te sont envoyés ! Que de fois j'ai voulu rassembler
tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et
vous n'avez pas voulu ! "
Son Coeur frémissait
d'amour envers son Père et d'une sainte indignation lorsqu'il vit
le commerce sacrilège qui se faisait dans le Temple et qu'il adressa
aux coupables ces paroles : " Il est écrit : Ma maison sera appelée
maison de prière ; mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs.
"
32. Son Coeur
était particulièrement affecté par l'amour et la crainte
lorsque devant l'imminence de son atroce passion et la répulsion
naturelle que lui causaient ses immenses souffrances et la mort, il s'écria
: " Mon Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne
de moi ! " c'est avec un amour invincible et une profonde tristesse, qu'après
avoir reçu le baiser du traître, il lui adressa ces paroles
qui apparaissent comme le suprême appel adressé par son Coeur
très miséricordieux à l'ami qui, imprégné
avec une obstination extrême de sentiments impies et infidèles,
devait le livrer à ses bourreaux : " Ami, tu es là pour cela
? C'est par un baiser que tu livres le Fils de l'homme ! " ; au moment
de subir le supplice immérité de la croix, il dit, avec une
commisération et un amour très profonds, aux saintes femmes
qui pleuraient sur lui : " Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur
moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants... ; car, si
l'on traite ainsi le bois vert, qu'en sera-t-il du sec ? "
33. Enfin,
lorsqu'il fut suspendu à la croix, notre divin Rédempteur
sentit son Coeur bouillonner de sentiments divers et impétueux,
d'un amour intense, d'épouvante, de miséricorde, de violent
désir et de paix sereine, sentiments qui sont exprimés d'une
façon significative par ces paroles : " Père, pardonnez-leur,
car ils ne savent pas ce qu'ils font " ; " Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi
m'avez-vous abandonné ? " ; " Je te le dis en vérité,
aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis " ; " J'ai soif " ; " Père,
je remets mon esprit entre vos mains. "
34. Qui pourrait
décrire dignement les sentiments dont était imprégné
le Coeur divin, indices de son amour infini, aux moments où il se
donnait lui-même aux hommes dans le sacrement de l'Eucharistie, où
il leur donnait sa Mère très Sainte et nous faisait participer
à la charge sacerdotale ?
35. Avant de
partager la dernière Cène avec ses disciples, le Christ Notre-Seigneur,
qui savait qu'il devait instituer le sacrement de son corps et de son sang,
par l'effusion duquel une nouvelle alliance devait être scellée,
sentit son Coeur s'animer de sentiments ardents, qu'il exprima à
ses apôtres par ces paroles : " J'ai ardemment désiré
manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. " Ces sentiments
ont, sans aucun doute, été plus ardents lorsque " Il prit
du pain et, après avoir rendu grâces, il le rompit et le leur
donna, en disant : " Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites
ceci en mémoire de moi. " Et pareillement pour la coupe, après
qu'ils eurent soupé, en disant : " Cette coupe est la nouvelle alliance
en mon sang, répandu pour vous. "
36. On peut
donc affirmer que la divine Eucharistie, en tant que sacrement par lequel
il se donne aux hommes et sacrifice par lequel il s'immole perpétuellement
" du lever jusqu'au coucher du soleil ", ainsi que le sacerdoce, sont des
dons du Coeur très sacré de Jésus.
37. Un don
très précieux également de ce Coeur très sacré
est comme Nous l'avons dit, Marie, la Mère de Dieu et aussi notre
Mère très aimante à tous. Elle a été
la Mère de notre Rédempteur selon la chair et son Associée
pour ramener les fils d'Ève à la vie de la grâce, ce
qui lui valut d'être appelée la Mère spirituelle de
tout le genre humain.
Saint Augustin
a écrit à ce sujet : " Elle est la Mère des membres
du Sauveur que nous sommes, parce qu'elle a coopéré par sa
charité à ce que naissent à l'Église des fidèles
qui sont membres de cette tête. "
38. Au don
non sanglant de lui-même, sous les espèces du pain et du vin,
notre Sauveur Jésus-Christ a voulu ajouter comme témoignage
principal de son intime et infini amour, le sacrifice cruel de la croix.
Il a ainsi donné un exemple de cette charité suprême
qu'il a proposée à ses disciples comme le plus haut point
d'amour, lorsqu'il leur a dit : " Nul ne peut avoir d'amour plus grand
que de donner sa vie pour ses amis. " C'est pourquoi l'amour de Jésus-Christ,
Fils de Dieu, par le sacrifice du Golgotha, révèle excellemment
et d'une façon significative l'amour de Dieu lui-même : "
À ceci nous avons connu l'amour, c'est que lui a donné sa
vie pour nous. Nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères.
" C'est pourquoi notre Rédempteur a été cloué
sur la croix par ses bourreaux plus par amour que par force ; et son sacrifice
volontaire est le don suprême qu'il a fait à tous les hommes,
selon cette phrase concise de l'Apôtre : " Il m'a aimé et
il s'est livré lui-même pour moi. "
39. Il ne peut
y avoir aucun doute que le Coeur très sacré de Jésus,
puisqu'il participe intimement à la vie du Verbe incarné
et que par là il est devenu comme un instrument de la divinité,
non moins que les autres membres de la nature humaine, pour accomplir les
oeuvres de la grâce et de la toute-puissance divine, est le symbole
légitime de cette immense charité dont était animé
notre Sauveur en contractant son union mystique avec l'Église par
son sang : " Il a souffert par amour, pour faire de l'Église son
épouse. " C'est donc du Coeur blessé de notre Rédempteur
qu'est née l'Église, comme dispensatrice du sang de la Rédemption,
et c'est aussi de lui que coule avec abondance la grâce des sacrements
où les fils de l'Église puisent la vie suprême, comme
nous le lisons dans la sainte liturgie ; " C'est du Coeur transpercé
que l'Église, épouse du Christ, prend naissance..., qui de
ton Coeur donne la grâce. "
De ce symbole,
qui n'était pas inconnu des anciens Pères de l'Église
et des anciens auteurs, le Docteur commun écrit, comme faisant écho
à leurs voix : " Du côté du Christ a coulé l'eau
pour nous laver, le sang pour nous racheter. C'est pourquoi le sang concerne
le sacrement de l'Eucharistie, et l'eau le sacrement du Baptême ;
lequel cependant, a le pouvoir de laver par la vertu du sang du Christ.
" Ce qui est écrit ici du côté du Christ, ouvert par
le soldat, doit également être dit de son Coeur qui a été
atteint par le coup de lance donné par lui pour s'assurer de la
mort de Jésus-Christ crucifié. C'est pourquoi la blessure
du Coeur très sacré de Jésus, qu'avait déjà
quitté cette vie mortelle, restera pendant le cours des siècles
l'image vivante de cet amour, manifesté de plein gré, par
lequel Dieu a donné son Fils unique pour racheter les hommes ; amour
dont le Christ nous a tous aimés si fortement qu'il s'est immolé
pour nous sur le calvaire en hostie sanglante : " Le Christ nous a aimés
et s'est livré lui-même à Dieu, pour nous, comme une
oblation et un sacrifice d'agréable odeur. "
40. Après
que notre Sauveur fut monté au ciel, avec son corps, orné
des splendeurs de la gloire éternelle, et qu'il se fut assis à
la droite du Père, il n'a pas cessé d'entourer l'Église,
son épouse, de cet amour très ardent dont brûle son
Coeur.
Il porte dans
ses mains, ses pieds et son côté les signes manifestes de
ses blessures, qui représentent sa triple victoire sur le démon,
le péché et la mort. Il a de même dans son Coeur, comme
dans un écrin très précieux, les immenses trésors
de ses mérites, fruits de son triple triomphe, qu'il dispense largement
au genre humain racheté. C'est là la vérité
très consolante que l'Apôtre exprime par ces paroles : " Il
est monté dans les hauteurs, il a emmené des captifs et il
a fait des largesses aux hommes... Celui qui est descendu est celui-là
même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de tout
remplir. "
41. Le don
du Saint-Esprit, envoyé aux apôtres, a été la
première manifestation de sa généreuse charité,
après sa triomphale ascension à la droite du Père.
Dix jours après, l'Esprit-Saint, envoyé par le Père,
est descendu sur eux, qui étaient réunis au Cénacle,
selon qu'il le leur avait promis à la dernière Cène
: " Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre intercesseur
pour qu'il soit avec vous toujours. " Le Saint-Esprit, étant amour
personnel mutuel, c'est-à-dire du Père à l'égard
du Fils et du Fils à l'égard du Père, est envoyé
par l'un et l'autre, sous forme de langues de feu, et il a infusé
dans leurs âmes l'abondance de la charité divine et des autres
dons célestes. Cette infusion de l'amour divin est également
née du Coeur de notre Sauveur " dans lequel sont cachés tous
les trésors de la sagesse et de la science ".
Cet amour est,
en effet, un don du Coeur de Jésus et de son Esprit, lequel est
l'Esprit du Père et du Fils ; c'est lui qui explique la naissance
de l'Église et son admirable propagation dans toutes les nations
qui étaient livrées au culte des idoles, à la haine
fraternelle, à la corruption des moeurs et à la violence.
Cet amour divin
est le don très précieux du Coeur de Jésus et de son
Esprit ; c'est lui qui a donné aux apôtres et aux martyrs
ce courage qui leur a permis de lutter jusqu'à leur mort héroïque,
afin de prêcher la vérité de l'Évangile et d'en
témoigner par leur sang ; c'est lui qui a fait grandir les vertus
des confesseurs et les a incités à faire des oeuvres très
utiles et remarquables qui devaient profiter pour leur propre salut temporel
et éternel et celui des autres ; c'est lui, enfin, qui a amené
des vierges à renoncer spontanément et joyeusement aux voluptés
des sens et à se consacrer complètement au céleste
Époux. Pour célébrer cet amour divin qui coule du
Coeur du Verbe incarné et qui est infusé par le Saint-Esprit
dans les âmes de tous les croyants, l'Apôtre des gentils a
écrit cet hymne victorieux qui prédisait le triomphe de Jésus-Christ
et des membres du Corps mystique, dont il est la tête, sur tous ceux
qui entraveraient de quelque manière l'instauration parmi les hommes
du divin royaume de l'amour : " Qui nous séparera de l'amour du
Christ ? Sera-ce la tribulation, ou l'angoisse, ou la persécution,
ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou l'épée
?... Mais dans toutes ces épreuves, nous sommes plus que vainqueurs,
par Celui qui nous a aimés. Car j'ai l'assurance que ni la mort,
ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les choses présentes,
ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur,
ni aucune créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu
dans le Christ Jésus Notre-Seigneur. "
42. Rien par
conséquent ne s'oppose à ce que nous adorions le Coeur très
sacré de Jésus-Christ en tant que participation et symbole
naturel et très expressif de cet amour inépuisable que notre
divin Rédempteur ne cesse d'éprouver à l'égard
du genre humain. Bien qu'il ne soit plus soumis aux vicissitudes de cette
vie mortelle, il n'en continue pas moins de vivre et de battre, il est
uni d'une façon indissoluble à la Personne du Verbe divin,
et, en elle et par elle, à la volonté divine.
C'est pourquoi,
puisque le Coeur du Christ déborde d'amour divin et humain, et qu'il
est rempli des trésors de toutes les grâces que notre Rédempteur
a acquis durant sa vie par ses souffrances et par sa mort, il est la source
éternelle de cet amour que son Esprit répand dans tous les
membres de son Corps mystique.
43. Le Coeur
de notre Sauveur reflète donc d'une certaine façon l'image
de la divine Personne du Verbe et de sa double nature humaine et divine,
et en lui nous pouvons considérer non seulement le symbole, mais
comme la somme de tout le mystère de notre Rédemption. Lorsque
nous adorons le Coeur très sacré de Jésus-Christ,
nous adorons en lui et par lui tant l'amour incréé du Verbe
divin que son amour humain, ses autres sentiments et ses autres vertus,
puisque c'est l'un et l'autre amours qui ont poussé notre Rédempteur
à s'immoler pour nous et pour toute l'Église son épouse,
selon les paroles de l'Apôtre : " Le Christ a aimé l'Église
et s'est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier,
après l'avoir purifiée dans l'eau baptismale, avec la parole,
pour la faire paraître devant lui, cette Église, glorieuse,
sans tache, sans ride ni rien de semblable, mais sainte et immaculée.
"
44. Le Christ
a aimé l'Église d'un triple amour, comme Nous l'avons dit,
et il continue à l'aimer ardemment, lui qui se fait comme notre
Avocat pour nous concilier la grâce et la miséricorde du Père,
" toujours vivant pour intercéder en notre faveur ". Les prières
qui naissent de son amour inépuisable et sont adressées au
Père ne cessent jamais. Comme " dans les jours de sa chair ", aujourd'hui,
triomphant dans le ciel, il prie son Père céleste avec non
moins d'efficacité, et à Celui qui " a tellement aimé
le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit
en lui ne périsse point, mais ait la vie éternelle ", il
montre son Coeur vivant et comme blessé, brûlant d'un amour
plus intense que lorsque, inanimé, il fut blessé par la lance
du soldat romain : " (ton Coeur), a été blessé afin
que, par la blessure visible, nous voyions la blessure de l'amour invisible
"...
45. Il ne fait
donc aucun doute que le Père céleste, " qui n'a pas épargné
son propre Fils, mais l'a livré à la mort pour nous tous
", lorsque des prières lui sont adressées par un tel avocat,
avec un amour si ardent, ne refusera jamais de faire descendre par lui
sur tous les hommes l'abondance de ses grâces divines.
46. Nous avons
voulu, Vénérables Frères, vous exposer, à vous
et au peuple chrétien, dans ses grands traits, la nature intime
du culte du Coeur très sacré de Jésus et les éternelles
richesses qui en découlent, telles qu'elles résultent, comme
de leur source première, de la doctrine révélée.
Nous pensons cependant que Nos considérations, éclairées
de la lumière de l'Évangile, ont fait ressortir que ce culte
n'est rien d'autre en substance que le culte de l'amour divin et humain
du Verbe incarné, et même que le culte de cet amour dont également
le Père et l'Esprit-Saint entourent les pécheurs ; car, comme
l'enseigne le Docteur Angélique, l'amour de la Sainte Trinité
est le principe de la Rédemption humaine, puisqu'il débordait
sur la volonté humaine de Jésus-Christ et son Coeur adorable,
et que c'est ce même amour qui l'a conduit à répandre
son Sang pour nous délivrer de la captivité du péché
: " J'ai à recevoir un baptême, et comme je suis dans l'angoisse
jusqu'à ce qu'il soit accompli ! "
47. Nous sommes
donc persuadés que le culte par lequel nous honorons l'amour de
Dieu et de Jésus-Christ envers le genre humain, à travers
le signe auguste du Coeur transpercé du Rédempteur crucifié,
n'a jamais été complètement étranger à
la piété des fidèles, bien qu'il ait été
mis en pleine lumière et qu'il ait été répandu
universellement d'une façon remarquable dans l'Église à
une époque qui n'est pas si éloignée de la nôtre,
particulièrement après que le Seigneur eut lui-même
révélé en privé ce mystère divin à
certains de ses fils privilégiés qu'il avait choisis pour
être ses messagers et ses hérauts.
48. À
la vérité, il y eut toujours des hommes spécialement
dévoués à Dieu, qui, suivant l'exemple de la Mère
de Dieu, des apôtres et des illustres Pères de l'Église,
ont rendu un culte d'adoration, d'action de grâce et d'amour à
la nature humaine très sainte du Christ, et particulièrement
aux blessures dont son Corps a été déchiré
lors de ses salutaires tourments.
49. Ces paroles
de l'apôtre Thomas : " Mon Seigneur et mon Dieu ! " qui expriment
que de l'incrédule qu'il était il est devenu un héraut
de la foi, ne contiennent-elles pas, sans aucun doute, une profession de
foi, d'adoration et d'amour qui, au delà de la nature humaine blessée
du Seigneur, s'élève à la majesté de la Personne
divine ?
50. Si, par
le Coeur transpercé du Sauveur, les hommes sont toujours plus ardemment
portés à honorer son amour infini qui embrasse le genre humain
- les paroles du prophète Zacharie, appliquées par saint
Jean l'Évangéliste à Jésus crucifié
: " Ils regarderont Celui qu'ils ont transpercé ", s'adressent aux
chrétiens de tous les temps - il faut cependant reconnaître
que ce n'est que peu à peu et progressivement que ce même
Coeur a fait l'objet d'un culte particulier, en tant qu'image de l'amour
divin et humain du Verbe incarné.
51. Si Nous
voulons évoquer les étapes glorieuses parcourues par ce culte
au cours de l'histoire de la piété chrétienne, nous
voyons tout de suite se présenter à nous les noms de certains
de ceux qui ont acquis une célébrité particulière
dans ce domaine et qui doivent être tenus pour les pionniers d'une
forme de religion qui se répandait de plus en plus privément
et progressivement dans les communautés religieuses. Nous citons
par exemple, parmi ceux qui ont affermi ce culte du Coeur très sacré
de Jésus, l'ont fait progressivement se développer et ont,
ainsi, bien mérité de lui : saint Bonaventure, saint Albert
le Grand, sainte Gertrude, sainte Catherine de Sienne, le bienheureux Henri
Suso, saint Pierre Canisius, saint François de Sales. Saint Jean
Eudes fut l'auteur du premier office liturgique célébré
en l'honneur du Coeur très sacré de Jésus, dont la
fête solennelle, avec l'approbation de nombreux évêques
de France, fut célébrée pour la première fois
le 20 octobre 1672. Mais, parmi ceux qui ont promu ce mode très
noble de religion, il faut assurément faire une place spéciale
à sainte Marguerite-Marie Alacoque, qui, avec le bienheureux Claude
de la Colombière, son directeur spirituel, réussit, par son
zèle remarquable, à ce que soit établit ce culte,
qui prit tant d'extension, à la grande admiration des fidèles,
et que, à cause de ses propriétés d'amour et de réparation,
il soit distingué des autres formes de la piété chrétienne.
52. Il suffit
d'évoquer cette époque où se développait le
culte du Coeur très sacré de Jésus pour comprendre
parfaitement que son admirable progression tenait à ce qu'il convenait
parfaitement à la nature de la religion chrétienne, qui est
une religion d'amour. On ne doit donc pas dire que ce culte tire son origine
d'une révélation privée faite par Dieu ni qu'il est
apparu soudainement dans l'Église, mais qu'il a fleuri spontanément
de la foi vivante et de la piété fervente dont étaient
animées des personnes privilégiées à l'égard
du Rédempteur adorable et de ses glorieuses blessures, témoignages
les plus éloquents de son immense amour.
Ainsi, comme
on le voit, ce qui a été révélé à
sainte Marguerite-Marie n'a rien apporté de nouveau à la
doctrine catholique. Son importance vient de ce que le Christ Notre-Seigneur,
en montrant son Coeur très sacré, a voulu retenir d'une façon
extraordinaire et singulière les esprits des hommes pour qu'ils
contemplent et honorent le mystère de l'amour miséricordieux
de Dieu à l'égard du genre humain. Par cette manifestation
particulière, le Christ, en des paroles expresses et réitérées,
a montré son Coeur comme le symbole qui attirerait les hommes à
la connaissance de son amour ; en même temps, il en a fait comme
le signe et le gage de sa miséricorde et de sa grâce pour
les besoins de l'Église de notre temps.
53. En outre,
le fait que le Siège apostolique ait approuvé cette liturgie
solennelle avant les écrits de sainte Marguerite-Marie montre manifestement
que ce culte découle des principes mêmes de la doctrine chrétienne
; ce n'est pas proprement à cause d'une révélation
divine privée, mais pour répondre aux voeux des fidèles
que la Sacrée Congrégation des Rites, par un décret
du 25 janvier 1765, approuvé par Notre Prédécesseur
Clément XIII le 6 février de la même année,
a autorisé les évêques de Pologne et l'Archiconfrérie
romaine, dite du Coeur très sacré de Jésus, à
célébrer la fête liturgique ; ce faisant, le Siège
apostolique a voulu développer un culte déjà en vigueur
dont le symbole était de " rappeler le souvenir de ce divin amour
", qui a conduit notre Sauveur à s'offrir comme victime pour expier
les crimes des hommes.
54. Cette première
approbation, qui était un privilège et se restreignait à
certaines fins, fut suivie, presque un siècle plus tard, d'une autre
beaucoup plus importante et exprimée en paroles plus solennelles.
Nous voulons parler du décret que nous avons rappelé plus
haut, de la Sacrée Congrégation des Rites, du 23 août
1856, par lequel Notre prédécesseur d'immortelle mémoire,
Pie IX, répondant aux prières des évêques de
France et de presque tout le monde catholique, a ordonné que la
fête du Coeur très sacré de Jésus fût
étendue à l'Église entière et fût célébrée
par elle comme il convient. Ce fait, doit être avec juste raison
recommandé au souvenir éternel des fidèles car, comme
nous le lisons dans la liturgie de cette fête : " Le culte du Coeur
très sacré de Jésus, comme un fleuve débordant,
renversant tous les obstacles, se répand dans le monde entier. "
55. Après
ce que Nous venons d'exposer, Vénérables Frères, il
ressort avec évidence de la Sainte Écriture, de la Tradition,
de la Liturgie sacrée, comme d'une source claire et profonde, que
les fidèles doivent revenir au culte du Coeur très sacré
de Jésus s'ils désirent pénétrer dans son intimité
et y trouver dans la méditation un aliment pour entretenir et augmenter
leur ardeur religieuse. Si ce culte est pratiqué assidûment,
avec un esprit éclairé et des vues élevées,
il est impossible qu'une âme fidèle ne parvienne pas à
cette douce connaissance de l'amour du Christ, qui est la somme de vie
chrétienne, comme l'enseigne l'Apôtre, se référant
à son expérience personnelle : " À cause de cela,
je fléchis le genou devant le Père..., afin qu'il vous donne,
selon les trésors de sa gloire, d'être puissamment fortifiés
par son Esprit en vue de l'homme intérieur et que le Christ habite
dans vos coeurs par la foi, de sorte que, étant enracinés
et fondés dans la charité vous deveniez capables de... connaître
l'amour du Christ, qui surpasse toute connaissance, en sorte que vous soyez
remplis de toute la plénitude de Dieu. "
Le Coeur du
Christ Jésus est lui-même une image très claire de
cette plénitude universelle de Dieu : plénitude de miséricorde,
voulons-Nous dire, qui est propre au Nouveau Testament, dans lequel " se
sont manifestés la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour
pour les hommes " : " Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde
pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
"
56. Ce fut
toujours la conviction de l'Église, à qui il revient d'enseigner
les hommes" dès les premiers documents officiels concernant le culte
du Coeur très sacré de Jésus, que les raisons qui
en sont à la base, c'est-à-dire l'acte d'amour et de réparation
par lequel on honore l'amour infini de Dieu envers le genre humain, ne
sont pas du tout entachées de superstition et de ce que l'on appelle
" matérialisme ", mais que ce culte est une forme de piété
qui parfait pleinement la religion du point de vue spirituel et que le
Sauveur lui-même avait annoncée lorsqu'il disait à
la Samaritaine : " Mais l'heure vient, et c'est maintenant, où les
vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité
; aussi bien, le Père désire que soient tels ceux qui l'adorent
; Dieu est esprit, et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et
en vérité. "
57- Il est
donc faux de dire que la contemplation du Coeur physique de Jésus
empêche de parvenir à l'amour intime de Dieu et qu'elle retarde
l'âme dans le chemin qui conduit aux plus hautes vertus. L'Église
rejette complètement cette fausse doctrine mystique, comme par la
voix de Notre Prédécesseur d'heureuse mémoire, Innocent
XI, elle a rejeté les assertions de ceux qui disaient : " Elles
(les âmes de cette voie intérieure) ne doivent pas exprimer
des mouvements d'amour à l'égard de la Sainte Vierge, des
saints ou de l'humanité du Christ, parce que ces objets étant
sensibles, il en est de même de l'amour à leur égard.
Aucune créature, ni la Sainte Vierge, ni les saints, ne doivent
avoir de place dans notre coeur, parce que seul Dieu veut l'occuper et
le posséder. "
Il est manifeste
que ceux qui pensent ainsi estiment que l'image du Coeur du Christ ne signifie
rien de plus élevé que son amour sensible, et même
qu'il n'y a rien en elle qui puisse constituer le nouveau fondement d'un
culte de latrie, ce culte ne convenant qu'à ce qui est divin de
nature. Mais il n'est personne qui ne voie que cette façon d'interpréter
les saintes images est absolument fausse, puisqu'elle circonscrit dans
des limites trop étroites leur signification transcendante. Les
théologiens catholiques ne pensent ni n'enseignent ainsi. Saint
Thomas écrit : " Il n'est pas rendu de culte religieux aux images
considérées en elles-mêmes comme des choses, mais en
tant qu'elles sont des images conduisant au Dieu incarné. Le sentiment
qui est lié à l'image en tant qu'image ne se limite pas à
elle, mais il tend vers Celui dont elle est l'image. C'est pourquoi, lorsque
l'on rend un culte religieux aux images du Christ il n'y a pas de déviation
du culte de latrie ni de la vertu de religion. " C'est donc à la
Personne même du Verbe incarné en tant que fin que s'adresse
le culte relatif qui est rendu aux images, soit aux reliques se rapportant
aux affreux tourments que notre Sauveur a supportés pour nous, soit
à cette image dont la puissance et la signification dépassent
tout le reste, le Coeur du Christ qui a été transpercé
sur la croix.
58. C'est pourquoi,
de cette chose corporelle qu'est le Coeur de Jésus-Christ et de
sa signification naturelle, nous pouvons et nous devons, soutenus par la
foi chrétienne, nous élever non seulement jusqu'à
la contemplation de son amour, qui est perçu par les sens, mais
encore plus haut, jusqu'à la contemplation et l'adoration de son
suprême amour infus ; et enfin, dans une certaine disposition d'âme
à la fois douce et sublime, jusqu'à la méditation
et l'adoration de l'amour divin du Verbe incarné. À la lumière
donc de la foi, par laquelle nous croyons que les deux natures, humaine
et divine, sont unies dans la personne du Christ, nous pouvons concevoir
les liens très étroits qui existent entre l'amour sensible
du Coeur physique de Jésus et son double amour spirituel humain
et divin. On ne doit pas dire seulement de ces amours qu'ils existent ensemble
dans la personne adorable du divin Rédempteur, mais qu'ils sont
liés entre eux par un lien naturel, l'amour humain et l'amour sensible
sont subordonnés à l'amour divin et ils reflètent
en eux la ressemblance analogique de ce dernier.
Nous ne prétendons
pas qu'il faille penser que dans le Coeur de Jésus l'on doive voir
et adorer l'image dite formelle, c'est-à-dire le signe parfait et
absolu de son amour divin, puisqu'il n'est pas possible d'en représenter
l'essence intime d'une façon adéquate par une quelconque
image créée ; mais le fidèle, en rendant un culte
au Coeur de Jésus, adore avec l'Église un signe et comme
un mémorial de l'amour divin qui a été jusqu'à
aimer, également avec le Coeur du Verbe incarné, le genre
humain coupable de tant de fautes.
59. Il est
donc nécessaire, dans ce chapitre de doctrine si important et si
délicat, que chacun ait toujours présent à l'esprit
que la vérité du symbole naturel en vertu duquel le Coeur
physique de Jésus est rattaché à la Personne du Verbe,
repose tout entière sur la vérité fondamentale de
l'union hypostatique ; si quelqu'un nie cela, il renouvelle les erreurs
plusieurs fois condamnées par l'Église, parce que contraires
à l'unité de personne dans le Christ ainsi qu'à la
distinction et à l'intégrité des deux natures.
60. Cette vérité
fondamentale fait comprendre que le Coeur de Jésus est le Coeur
de la Personne divine, c'est-à-dire du Verbe incarné et qu'il
représente et, pour ainsi dire, met sous nos yeux tout l'amour qu'il
a eu et qu'il continue d'avoir pour nous. C'est pourquoi il faut attacher
une telle importance au culte que l'on doit rendre au Coeur très
sacré de Jésus, comme cela serait de la profession pratique
de toute la religion chrétienne. La religion de Jésus repose
en effet entièrement sur l'homme-Dieu médiateur, de sorte
que l'on ne peut atteindre le Coeur de Dieu que par le Coeur du Christ,
comme lui-même l'a dit : " Je suis le Chemin, la Vérité
et la Vie ; personne ne va au Père que par moi. " Nous pouvons ainsi
facilement conclure que le culte du Coeur très sacré de Jésus
est en substance le culte de l'amour que Dieu a pour nous en Jésus
et en même temps la pratique de notre amour envers Dieu et les autres
hommes ; ou, en d'autres termes, ce culte se propose l'amour de Dieu envers
nous comme objet d'adoration, d'action de grâce et d'imitation ;
il a pour fin de nous conduire à la perfection et à la plénitude
de l'amour qui nous unit à Dieu et aux autres hommes, en suivant
toujours plus allègrement le commandement nouveau que le divin Maître
a laissé aux apôtres comme un héritage sacré,
lorsqu'il leur a dit : " Je vous donne un commandement nouveau : que vous
vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés... Ceci est
mon commandement : que vous vous aimiez les uns les autres. " Ce commandement
est vraiment nouveau et propre au Christ, car, comme l'écrit saint
Thomas d'Aquin : " La différence entre le Nouveau et l'Ancien Testament
se résume à peu de chose ; le prophète Jérémie
dit en effet : " Je conclurai avec la maison d'Israël une alliance
nouvelle. " L'accomplissement de ce commandement dans l'Ancien Testament,
sous l'effet de la crainte et d'un amour saint, relève du Nouveau
Testament : c'est pourquoi ce commandement était dans l'ancienne
Loi, non comme lui étant propre, mais comme une préparation
à la nouvelle Loi.
61. Avant de
mettre fin à ces réflexions si belles et si consolantes sur
l'authentique nature et la richesse chrétienne de ce culte, conscient
des devoirs de Notre charge apostolique qui a été confiée
en premier à saint Pierre après sa triple profession d'amour
envers le Christ Notre-Seigneur, Nous croyons opportun de vous renouveler,
Vénérables Frères, à vous et par votre intermédiaire
à tous Nos chers fils dans le Christ, Nos exhortations à
promouvoir activement cette forme très suave de dévotion
; Nous espérons en effet, qu'il en naîtra pour notre époque
également de nombreux bienfaits.
62. En réalité,
si l'on examine comme il faut les arguments sur lesquels se fonde le culte
rendu au Coeur transpercé de Jésus, il est manifeste pour
tout le monde qu'il ne s'agit pas d'une forme commune de piété
que chacun peut arbitrairement faire passer en second rang ou déprécier,
mais d'une discipline qui conduit excellemment à la perfection chrétienne.
Car si, selon le concept théologique traditionnel enseigné
par le Docteur Angélique " la dévotion apparaît comme
n'étant rien d'autre que la volonté de se donner avec empressement
aux choses qui concernent le service de Dieu ", peut-il y avoir un service
de Dieu plus obligatoire et plus nécessaire, plus noble et plus
doux que celui qui est rendu à son amour ? Quel service peut être
plus agréable à Dieu que celui qui est rendu par amour à
son divin amour, puisque tout service rendu libéralement est en
quelque sorte un don et que l'amour " constitue le premier don, source
de tout don gratuit " ? Il faut donc avoir en très grand honneur
cette forme de culte qui permet à l'homme de mieux honorer et aimer
Dieu et de se consacrer avec plus de facilité et de promptitude
à l'amour divin ; notre Rédempteur lui-même a daigné
nous la proposer et la recommander au peuple chrétien, et les Souverains
Pontifes, dans des documents mémorables, l'ont protégée
et l'ont couverte de louanges élevées. Par conséquent,
celui qui manifestement sous-estimerait ce bienfait donné par Jésus-Christ
à l'Église agirait mal et témérairement, et
offenserait Dieu lui-même.
63. Il ne fait
ainsi aucun doute que les fidèles qui rendent hommage au Coeur très
sacré du Rédempteur satisfont à l'obligation très
importante qu'ils ont de servir Dieu, de consacrer au Créateur et
Rédempteur leurs personnes, leurs sentiments intimes et leurs activités,
et ils obéissent par là au commandement divin : " Tu aimeras
le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout
ton esprit et de toute ta force. " Ils ont de plus la ferme certitude que
ce ne sont pas des avantages personnels, corporels ou spirituels, temporels
ou éternels, qui sont leur principal motif de servir Dieu, mais
la bonté de Dieu lui-même auquel ils cherchent à rendre
hommage en l'aimant, en l'adorant et en lui rendant les grâces qui
lui sont dues.
S'il n'en était
pas ainsi, le culte au Coeur très sacré de Jésus ne
répondrait pas au caractère authentique de la religion chrétienne,
car alors l'homme n'aurait pas en vue dans ce culte avant tout l'amour
divin ; ce serait alors à bon droit que l'on parlerait de l'excès
d'amour ou de sollicitude pour soi-même que manifestent quelquefois
ceux qui comprennent ou pratiquent mal cette très noble dévotion.
Tous doivent donc avoir la ferme persuasion que le culte très auguste
du Coeur de Jésus ne consiste pas avant tout dans des manifestations
extérieures de piété, ni principalement dans la demande
d'avantages dont le Christ Notre-Seigneur a parlé dans des promesses
privées pour que les hommes s'acquittent avec plus de ferveur des
principales obligations de la religion catholique, l'amour et l'expiation,
et par là pourvoient au mieux à leurs avantages spirituels.
64. C'est pourquoi
Nous exhortons tous Nos fils dans le Christ à pratiquer avec ferveur
cette forme de dévotion, ceux qui ont déjà l'habitude
de puiser aux eaux salutaires qui coulent du Coeur du Rédempteur,
ceux surtout qui la regardent de loin, en spectateurs, avec curiosité
et hésitation. Qu'ils voient bien qu'il s'agit, comme Nous l'avons
déjà dit, d'un culte déjà très ancien
dans l'Église, solidement fondé sur l'Écriture, qui
est en accord avec la tradition et la liturgie, et que les Pontifes romains
ont couvert de très nombreuses et très hautes louanges ;
non seulement ils ont institué une fête en l'honneur du Coeur
très auguste du Rédempteur qu'ils ont étendue à
toute l'Église, mais ils lui ont consacré solennellement
tout le genre humain. L'Église en a reçu des fruits abondants
et très réconfortants ; de nombreux retours à la religion
chrétienne, un renouveau de foi chez beaucoup, une union plus étroite
des fidèles avec notre Rédempteur très aimant : tous
ces fruits se sont montrés être particulièrement nombreux
et importants au cours de ces derrières décennies.
65. En regardant
le si merveilleux spectacle de la piété à l'égard
du Coeur très sacré de Jésus si largement répandue
dans tous les groupes de fidèles, et si ardente, Nous Nous sentons
rempli de consolation, de reconnaissance et de joie ; et après avoir
rendu à notre Rédempteur, qui est un trésor infini
de bonté, les grâces qui lui sont dues, Nous ne pouvons que
remercier paternellement tous ceux, clercs et laïcs, qui ont collaboré
activement à promouvoir ce culte.
66. Mais, Vénérables
Frères, malgré les fruits abondants de vie chrétienne
qu'a produits partout la dévotion au Coeur très sacré
de Jésus, il n'échappe à personne que l'Église
militante et surtout la société civile des hommes n'ont pas
encore atteint cette pleine et absolue mesure de perfection qui répond
aux voeux de Jésus-Christ, Époux de l'Église mystique
et Rédempteur du genre humain. Beaucoup de fils de l'Église,
en effet, défigurent par de nombreuses taches et de nombreuses rides
le visage de leur Mère qu'ils reflètent en eux ; tous les
fidèles, n'ont pas cette sainteté de moeurs à laquelle
Dieu les a appelés ; tous les pécheurs ne sont pas revenus
à la maison du Père qu'ils ont fautivement quittée
pour y revêtir la plus belle robe et recevoir à leur doigt
l'anneau, symbole de la fidélité à l'Époux
de leur âme ; tous les infidèles ne font pas encore partie
du Corps mystique du Christ.
Il y a encore
plus. Si Nous éprouvons une douleur amère à voir la
foi languissante des bons qui, séduits par les faux attraits des
choses terrestres, voient diminuer et progressivement s'éteindre
l'ardeur de l'amour divin dans leurs âmes, Nous souffrons encore
bien davantage des actes des hommes impies qui, aujourd'hui plus que jamais,
comme excités par l'ennemi infernal, poursuivent d'une haine implacable
et ouverte Dieu, l'Église, et surtout le représentant sur
la terre du divin Rédempteur et de son amour envers les hommes,
selon cette phrase bien connue du docteur milanais : " (Pierre) est interrogé
sur ce dont on doute, mais le Seigneur qui interroge ne doute pas" il interroge
non pour apprendre, mais pour enseigner celui que, avant de s'élever
au ciel, il nous laissait comme représentant de son amour. "
67. En vérité,
la haine à l'égard de Dieu et ceux qui le représentent
légitimement est une faute comme il ne peut pas en être commis
de plus grande par les hommes qui ont été créés
à l'image et à la ressemblance de Dieu et destinés
à jouir perpétuellement de sa parfaite amitié dans
le ciel ; la haine de Dieu sépare au plus haut point l'homme du
Bien suprême, elle le conduit à écarter de lui et de
ses proches tout ce qui vient de Dieu, tout ce qui unit à Dieu,
tout ce qui mène à la joie de Dieu : la vérité,
la vertu, la paix, la justice.
68. On doit
malheureusement voir que le nombre des ennemis de Dieu croit en certains
pays, que les erreurs du matérialisme se répandent dans l'opinion,
que la licence effrénée des plaisirs augmente çà
et là ; pourquoi s'étonnerait-on si dans les âmes de
beaucoup diminue la charité qui est la loi suprême de la religion
chrétienne, le fondement solide de la vraie et parfaite justice,
la principale source de la paix et des chastes délices ? Comme nous
en avertit, en effet, notre Sauveur : " À cause des progrès
croissants de l'iniquité, la charité d'un grand nombre se
refroidira. "
69. Devant
le spectacle de tant de maux qui, aujourd'hui plus que jamais, atteignent
si vivement les individus, les familles, les nations et le monde entier,
où devons-nous, Vénérables Frères, chercher
le remède ? Peut-on trouver une forme de piété supérieure
au culte du Coeur de Jésus, qui réponde mieux au caractère
propre de la foi catholique, qui subvienne mieux aux besoins actuels de
l'Église et du genre humain ? Quel culte est plus noble, plus doux,
plus salutaire que celui-là, tout entier dirigé vers l'amour
même de Dieu ? Enfin, quel stimulant plus efficace que l'amour du
Christ - avivé et augmenté sans cesse par la dévotion
au Coeur très sacré de Jésus - pour amener les fidèles
à mettre en pratique, dans leur vie, la loi évangélique,
sans laquelle - comme nous en avertissent les paroles du Saint-Esprit :
" l'oeuvre de la justice sera la paix " - il ne peut pas y avoir entre
les hommes de paix digne de ce nom ?
70. C'est pourquoi,
suivant l'exemple de Notre Prédécesseur immédiat,
il Nous plaît d'adresser de nouveau à tous nos fils dans le
Christ ces paroles d'avertissement que Léon XIII, d'immortelle mémoire,
adressait à la fin du siècle dernier à tous les fidèles
et à tous ceux qui se préoccupent sincèrement de leur
salut et de celui de la société civile : " Aujourd'hui, un
autre symbole divin, présage très heureux, apparaît
à nos yeux : c'est le Coeur très sacré de Jésus...
resplendissant d'un éclat incomparable au milieu des flammes. Nous
devons placer en lui toutes nos espérances ; c'est à lui
que nous devons demander le salut des hommes, et c'est de lui qu'il faut
l'espérer. "
71. C'est Notre
vif désir que tous ceux qui se glorifient du nom de chrétiens
et qui luttent activement pour établir le Royaume du Christ dans
le monde trouvent dans la dévotion au Coeur de Jésus comme
un étendard et une source d'unité, de salut et de paix. Cependant,
personne ne doit penser que ce culte porte préjudice aux autres
formes de dévotion dont le peuple chrétien, sous la conduite
de l'Église, honore le divin Rédempteur. Au contraire, une
dévotion fervente envers le Coeur de Jésus alimentera et
accroîtra sans aucun doute, particulièrement, le culte de
la sainte croix et l'amour envers le très auguste Sacrement de l'autel.
Nous pouvons
en effet affirmer - ce qui est merveilleusement illustré par les
révélations faites par Jésus-Christ à sainte
Gertrude et à sainte Marguerite-Marie - que nul ne peut vraiment
bien comprendre Jésus crucifié s'il n'a d'abord pénétré
dans le mystérieux sanctuaire de son Coeur. Et on ne saisira bien
la force de l'amour qui poussa le Christ à se donner à nous
comme aliment spirituel, qu'en honorant d'un culte particulier le Coeur
eucharistique de Jésus, qui a pour but de nous rappeler, selon les
termes de Notre prédécesseur d'heureuse mémoire Léon
XIII, " l'acte d'amour suprême par lequel notre Rédempteur,
répandant toutes les richesses de son Coeur, afin de demeurer avec
nous jusqu'à la fin des siècles, institua l'adorable Sacrement
de l'Eucharistie ". Et certes " ce n'est pas une part minime de son Coeur
que l'Eucharistie, qu'il a tirée pour nous de la si grande charité
de son Cœur ".
72. Enfin,
poussés par le désir ardent d'opposer de solides barrières
aux machinations impies des ennemis de Dieu et de l'Église, et de
ramener dans le sentier de l'amour de Dieu et du prochain les familles
et les nations, Nous n'hésitons pas à présenter le
culte du Coeur très sacré de Jésus comme l'école
la plus efficace de l'amour divin ; Nous parlons de l'amour divin qui doit
être le fondement du Royaume de Dieu dans toutes les âmes,
dans les familles et les nations, pour les affermir, comme le disait avec
beaucoup de sagesse Notre Prédécesseur de pieuse mémoire
: " Le Royaume de Jésus-Christ trouve sa force et sa beauté
dans l'amour divin : son fondement et son sommet sont d'aimer saintement
et dans l'ordre. De là résultent nécessairement les
principes suivants : remplir ses devoirs inviolablement ; ne pas commettre
d'injustice envers son prochain ; faire passer les biens humains après
les biens célestes ; mettre l'amour de Dieu au-dessus de toutes
choses ".
73. Pour que
des fruits plus abondants découlent dans la famille chrétienne
et dans tout le genre humain du culte du Coeur très sacré
de Jésus, les fidèles doivent veiller à l'associer
étroitement au culte envers le Coeur immaculé de Marie. Puisque,
de par la volonté de Dieu, la Bienheureuse Vierge Marie a été
indissolublement unie au Christ dans l'oeuvre de la Rédemption humaine,
afin que notre salut vienne de l'amour de Jésus-Christ et de ses
souffrances intimement unis à l'amour et aux douleurs de sa Mère,
il convient parfaitement que le peuple chrétien qui a reçu
la vie divine du Christ par Marie, après avoir rendu le culte qui
lui est dû au Coeur très sacré de Jésus, rende
aussi au Coeur très aimant de sa céleste Mère de semblables
hommages de piété, d'amour, de gratitude et de réparation.
C'est en parfait accord avec ce dessein très sage et très
suave de la Providence divine que Nous avons, par un acte mémorable,
solennellement consacré la sainte Église et le monde entier
au Coeur immaculé de la Bienheureuse Vierge Marie.
74. Il y aura
un siècle cette année, comme Nous le disions plus haut, qu'en
vertu d'une décision de Notre Prédécesseur d'heureuse
mémoire Pie IX, la fête du Sacré-Coeur de Jésus
est célébrée dans l'Église Universelle. Nous
désirons vivement, Vénérables Frères, que le
peuple chrétien fête partout solennellement ce Centenaire
en rendant au divin Coeur de Jésus des hommages publics d'adoration,
d'action de grâces et d'expiation. Ces fêtes de la joie et
de la piété chrétiennes se célébreront
avec une ferveur particulière - en union de charité et de
prière avec les fidèles du monde entier - dans la Nation
où Dieu voulut que naquit la Vierge consacrée qui fut l'animatrice
et l'infatigable promotrice de ce culte.
75. Réconforté
d'une très douce espérance et Nous réjouissant à
l'avance des fruits spirituels qui, Nous en avons confiance, résulteront
pour l'Église du culte du Coeur très sacré de Jésus
- si du moins il est bien compris et pratiqué avec ferveur conformément
à ce que Nous avons exposé, - Nous prions Dieu pour qu'il
veuille bien, avec le puissant secours de sa grâce, seconder Nos
voeux ardents ; que, par la grâce du Très-Haut, la piété
des fidèles à l'égard du Coeur très sacré
de Jésus trouve dans les solennités de cette année
un accroissement continuel, et que s'étende davantage pour tous
dans le monde entier sa souveraineté et son royaume très
doux : royaume " de vérité et de vie, royaume de sainteté
et de grâce ; royaume de justice, d'amour et de paix ".
76. En gage
de ces bienfaits, à chacun de vous, Vénérables Frères,
au clergé et aux fidèles qui vous sont confiés, particulièrement
à ceux qui se consacrent à promouvoir et à accroître
le culte du Coeur très sacré de Jésus, Nous accordons
avec toute l'effusion de Notre coeur la Bénédiction apostolique.
Donné
à Rome, auprès de Saint-Pierre, le 15 mai de l'an 1956, de
Notre pontificat le dix-huitième.