Quas Primas
Aux Patriarches,
Primats, Archevêques, Évêques et autres ordinaires de
lieu, en paix et communion avec le Siège apostolique.
De l'institution
d'une fête du Christ-Roi.
1. Dans (1)
la première Encyclique qu'au début de Notre Pontificat Nous
adressions aux évêques du monde entier (2), Nous recherchions
la cause intime des calamités contre lesquelles, sous Nos yeux,
se débat, accablé, le genre humain.
1. AAS XVII (1925) 593-610.
2. Pie XI,
Lettre encyclique Ubi arcano, 23 décembre 1922, AAS, XIV (1922)
673-700, CH pp. 602-629.
Or, il Nous
en souvient, Nous proclamions ouvertement deux choses : l'une, que ce débordement
de maux sur l'univers provenait de ce que la plupart des hommes avaient
écarté Jésus-Christ et sa loi très sainte des
habitudes de leur vie individuelle aussi bien que de leur vie familiale
et de leur vie publique ; l'autre, que jamais ne pourrait luire une ferme
espérance de paix durable entre les peuples tant que les individus
et les nations refuseraient de reconnaître et de proclamer la souveraineté
de Notre Sauveur. C'est pourquoi, après avoir affirmé qu'il
fallait chercher la paix du Christ par le règne du Christ, Nous
avons déclaré Notre intention d'y travailler dans toute la
mesure de Nos forces ; par le règne du Christ, disions-Nous, car,
pour ramener et consolider la paix, Nous ne voyions pas de moyen plus efficace
que de restaurer la souveraineté de Notre Seigneur.
2. Depuis,
Nous avons clairement pressenti l'approche de temps meilleurs en voyant
l'empressement des peuples à se tourner - les uns pour la première
fois, les autres avec une ardeur singulièrement accrue - vers le
Christ et vers son Église, unique dispensatrice du salut : preuve
évidente que beaucoup d'hommes, jusque-là exilés,
peut-on dire, du royaume du Rédempteur pour avoir méprisé
son autorité, préparent heureusement et mènent à
son terme leur retour au devoir de l'obéissance.
Tout ce qui
est survenu, tout ce qui s'est fait au cours de l'Année sainte,
digne vraiment d'une éternelle mémoire, n'a-t-il pas contribué
puissamment à l'honneur et à la gloire du Fondateur de l'Église,
de sa souveraineté et de sa royauté suprême ?
Voici d'abord
l'Exposition des Missions, qui a produit sur l'esprit et sur le cœur des
hommes une si profonde impression. On y a vu les travaux entrepris sans
relâche par l'Église pour étendre le royaume de son
Époux chaque jour davantage sur tous les continents, dans toutes
les îles, même celles qui sont perdues au milieu de l'océan
; on y a vu les nombreux pays que de vaillants et invincibles missionnaires
ont conquis au catholicisme au prix de leurs sueurs et de leur sang ; on
y a vu enfin les immenses territoires qui sont encore à soumettre
à la douce et salutaire domination de notre Roi.
Voici les pèlerins
accourus, de partout, à Rome, durant l'Année sainte, conduits
par leurs évêques ou par leurs prêtres. Quel motif les
inspirait donc, sinon de purifier leurs âmes et de proclamer, au
tombeau des Apôtres et devant Nous, qu'ils sont et qu'ils resteront
sous l'autorité du Christ ?
Voici les canonisations,
où Nous avons décerné, après la preuve éclatante
de leurs admirables vertus, les honneurs réservés aux saints,
à six confesseurs ou vierges. Le règne de notre Sauveur n'a-t-il
pas, en ce jour, brillé d'un nouvel éclat ? Ah ! quelle joie,
quelle consolation ce fut pour Notre âme, après avoir prononcé
les décrets de canonisation, d'entendre, dans la majestueuse basilique
de Saint-Pierre, la foule immense des fidèles, au milieu du chant
de l'action de grâces, acclamer d'une seule voix la royauté
glorieuse du Christ : Tu Rex gloriae Christe !
À l'heure
où les hommes et les États sans Dieu, devenus la proie des
guerres qu'allument la haine et des discordes intestines, se précipitent
à la ruine et à la mort, l'Église de Dieu, continuant
à donner au genre humain l'aliment de la vie spirituelle, engendre
et élève pour le Christ des générations successives
de saints et de saintes ; le Christ, à son tour, ne cesse d'appeler
à l'éternelle béatitude de son royaume céleste
ceux en qui il a reconnu de très fidèles et obéissants
sujets de son royaume terrestre.
Voici encore
le XVIe centenaire du Concile de Nicée qui coïncida avec le
grand Jubilé. Nous avons ordonné de célébrer
cet anniversaire séculaire ; Nous l'avons Nous-même commémoré
dans la basilique vaticane, d'autant plus volontiers que c'est ce Concile
qui définit et proclama comme dogme de foi catholique la consubstantialité
du Fils unique de Dieu avec son Père ; c'est lui qui, en insérant
dans sa formule de foi ou Credo les mots cuius regni non erit finis, affirma
du même coup la dignité royale du Christ.
Ainsi donc,
puisque cette Année sainte a contribué en plus d'une occasion
à mettre en lumière la royauté du Christ, Nous croyons
accomplir un acte des plus conformes à Notre charge apostolique
en accédant aux suppliques individuelles ou collectives de nombreux
cardinaux, évêques ou fidèles ; Nous clôturerons
donc cette année par l'introduction dans la liturgie de l'Église
d'une fête spéciale en l'honneur de Notre Seigneur Jésus-Christ
Roi.
Ce sujet, Vénérables
Frères, Nous tient à ce point à cœur que Nous désirons
vous en entretenir quelques instants ; il vous appartiendra ensuite de
rendre accessible à l'intelligence et aux sentiments de votre peuple
tout ce que Nous dirons sur le culte du Christ-Roi, afin d'assurer, dès
le début et pour plus tard, des fruits nombreux à la célébration
annuelle de cette solennité.
4. Depuis longtemps,
dans le langage courant, on donne au Christ le titre de Roi au sens métaphorique
; il l'est, en effet, par l'éminente et suprême perfection
dont il surpasse toutes les créatures. Ainsi, on dit qu'il règne
sur les intelligences humaines, à cause de la pénétration
de son esprit et de l'étendue de sa science, mais surtout parce
qu'il est la Vérité et que c'est de lui que les hommes doivent
recevoir la vérité et l'accepter docilement. On dit qu'il
règne sur les volontés humaines, parce qu'en lui, à
la sainteté de la volonté divine correspond une parfaite
rectitude et soumission de la volonté humaine, mais aussi parce
que sous ses inspirations et ses impulsions notre volonté libre
s'enthousiasme pour les plus nobles causes. On dit enfin qu'il est le Roi
des cœurs, à cause de son inconcevable charité qui surpasse
toute compréhension humaine (1) et à cause de sa douceur
et de sa bonté qui attirent à lui tous les cœurs : car dans
tout le genre humain il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais personne
pour être aimé comme le Christ Jésus.
1. S. PAUL,
Ephés. III 19.
5. Mais, pour
entrer plus à fond dans Notre sujet, il est de toute évidence
que le nom et la puissance de roi doivent être attribués,
au sens propre du mot, au Christ dans son humanité ; car c'est seulement
du Christ en tant qu'homme qu'on peut dire : Il a reçu du Père
la puissance, l'honneur et la royauté (2) ; comme Verbe de Dieu,
consubstantiel au Père, il ne peut pas ne pas avoir tout en commun
avec le Père et, par suite, la souveraineté suprême
et absolue sur toutes les créatures.
2. DANIEL,
VII 13-14.
6. Que le Christ
soit Roi, ne le lisons-nous pas dans maints passages des Écritures
! C'est lui le Dominateur issu de Jacob (3), le Roi établi par le
Père sur Sion, sa montagne sainte, pour recevoir en héritage
les nations et étendre son domaine jusqu'aux confins de la terre
(4), le véritable Roi futur d'Israël, figuré, dans le
cantique nuptial, sous les traits d'un roi très riche et très
puissant, auquel s'adressent ces paroles : Votre trône, ô Dieu,
est dressé pour l'éternité ; le sceptre de votre royauté
est un sceptre de droiture (5).
3. Nombres XXXIV 19.
4. Ps. II.
5. Ps. XLIV
(XLV) 7.
Passons sur
beaucoup de passages analogues ; mais, dans un autre endroit, comme pour
dessiner avec plus de précision les traits du Christ, on nous prédit
que son royaume ignorera les frontières et sera enrichi des trésors
de la justice et de la paix : En ses jours se lèvera la justice
avec l'abondance de la paix... Il dominera, d'une mer à l'autre,
du fleuve jusqu'aux extrémités de la terre (1).
1. Ps. LXXI
(LXXII) 7-8.
À ces
témoignages s'ajoutent encore plus nombreux les oracles des prophètes
et notamment celui, bien connu, d'Isaïe : Un petit enfant... nous
est né, un fils nous a été donné. La charge
du commandement a été posée sur ses épaules.
On l'appellera l'Admirable, le Conseiller, Dieu, le Fort, le Père
du siècle futur, le Prince de la paix. Son empire s'étendra
et jouira d'une paix sans fin ; il s'assoira sur le trône de David
et dominera sur son royaume, pour l'établir et l'affermir dans la
justice et l'équité, maintenant et à jamais (2).
2. ISAÏE,
IX 6-7.
Les autres prophètes ne s'expriment pas différemment.
Tel Jérémie,
annonçant dans la race de David un germe de justice, ce fils de
David qui régnera en roi, sera sage et établira la justice
sur la terre (3). Tel Daniel, prédisant la constitution par le Dieu
du ciel d'un royaume qui ne sera jamais renversé... et qui durera
éternellement (4) ; et, peu après, il ajoute : Je regardais
durant une vision nocturne, et voilà que, sur les nuées du
ciel, quelqu'un s'avançait semblable au Fils de l'homme ; il parvint
jusqu'auprès de l'Ancien des jours et on le présenta devant
lui. Et celui-ci lui donna la puissance, l'honneur et la royauté
; tous les peuples, de toutes races et de toutes langues, le serviront
; sa puissance est une puissance éternelle, qui ne lui sera pas
retirée, et son royaume sera incorruptible (5). Tel Zacharie, prophétisant
l'entrée à Jérusalem, aux acclamations de la foule,
du juste et du sauveur, le Roi plein de mansuétude monté
sur une ânesse et sur son poulain (6) : les saints évangélistes
n'ont-ils pas constaté et prouvé la réalisation de
cette prophétie ?
3. JÉRÉMIE, XXIII 5.
4. DANIEL XX 44.
5. DANIEL, VII 13-14.
6. ZACHARIE,
IX 9.
Cette doctrine
du Christ-Roi, Nous venons de l'esquisser d'après les livres de
l'Ancien Testament ; mais tant s'en faut qu'elle disparaisse dans les pages
du Nouveau ; elle y est, au contraire, confirmée d'une manière
magnifique et en termes splendides.
Rappelons seulement
le message de l'archange apprenant à la Vierge qu'elle engendrera
un fils ; qu'à ce fils le Seigneur Dieu donnera le trône de
David, son père ; qu'il régnera éternellement sur
la maison de Jacob et que son règne n'aura point de fin (1). Écoutons
maintenant les témoignages du Christ lui-même sur sa souveraineté.
Dès que l'occasion se présente - dans son dernier discours
au peuple sur les récompenses ou les châtiments réservés
dans la vie éternelle aux justes ou aux coupables ; dans sa réponse
au gouverneur romain, lui demandant publiquement s'il était roi
; après sa résurrection, quand il confie aux Apôtres
la charge d'enseigner et de baptiser toutes les nations - il revendique
le titre de roi (2), il proclame publiquement qu'il est roi (3), il déclare
solennellement que toute puissance lui a été donnée
au ciel et sur la terre (4). Qu'entend-il par là, sinon affirmer
l'étendue de sa puissance et l'immensité de son royaume ?
1 S. LUC, I 32-33.
2. S. MATTHIEU, XXV 31-40.
3. S. JEAN, XVIII 37.
4 S. MATTHIEU,
XXVIII 18.
Dès
lors, faut-il s'étonner qu'il soit appelé par saint Jean
le Prince des rois de la terre (5) ou que, apparaissant à l'Apôtre
dans des visions prophétiques, il porte écrit sur son vêtement
et sur sa cuisse : Roi des rois et Seigneur des seigneurs (6). Le Père
a, en effet, constitué le Christ héritier de toutes choses
(7) ; il faut qu'il règne jusqu'à la fin des temps, quand
il mettra tous ses ennemis sous les pieds de Dieu et du Père (8).
5. Apocalypse I 5.
6. Apocalypse XIX 16.
7. S. PAUL, Hébr. I 1.
8. S. PAUL,
I Cor. XV 25.
7. De cette
doctrine, commune à tous les Livres Saints, dérive naturellement
cette conséquence : étant le royaume du Christ sur la terre,
qui doit s'étendre à tous les hommes et tous les pays de
l'univers, l'Église catholique se devait, au cours du cycle annuel
de la liturgie, de saluer par des manifestations multiples de vénération,
en son Auteur et Fondateur, le Roi, le Seigneur, le Roi des rois. Sous
une admirable variété de formules, ces hommages expriment
une seule et même pensée ; l'Église les employait jadis
dans sa psalmodie et dans les anciens sacramentaires ; elle en fait le
même usage à présent dans les prières publiques
de l'Office qu'elle adresse chaque jour à la majesté divine
et, à la sainte messe, dans l'immolation de l'hostie sans tache.
En cette louange perpétuelle du Christ-Roi, il est facile de saisir
le merveilleux accord de nos rites avec ceux des Orientaux, en sorte que
se vérifie, ici encore, l'exactitude de la maxime : " Les lois de
la prière établissent les lois de la croyance. "
8. Quant au
fondement de cette dignité et de cette puissance de Notre-Seigneur,
saint Cyrille d'Alexandrie l'indique très bien : " Pour le dire
en un mot, dit-il, la souveraineté que Jésus possède
sur toutes les créatures, il ne l'a point ravie par la force, il
ne l'a point reçue d'une main étrangère, mais c'est
le privilège de son essence et de sa nature " (1). En d'autres termes,
son pouvoir royal repose sur cette admirable union qu'on nomme l'union
hypostatique.
1. S. CYRILLE
D'ALEXANDRIE, In Lucam X, PG LXXII 666.
Il en résulte
que les anges et les hommes ne doivent pas seulement adorer le Christ comme
Dieu, mais aussi obéir et être soumis à l'autorité
qu'il possède comme homme ; car, au seul titre de l'union hypostatique,
le Christ a pouvoir sur toutes les créatures.
9. Mais quoi
de plus délectable, de plus suave que de penser que le Christ, en
outre, règne sur nous non seulement par droit de nature, mais encore
par droit acquis, puisqu'il nous a rachetés ? Ah ! puissent tous
les hommes qui l'oublient se souvenir du prix que nous avons coûté
à notre Sauveur : Vous n'avez pas été rachetés
avec de l'or ou de l'argent corruptibles, mais par le sang précieux
du Christ, le sang d'un agneau sans tache et sans défaut (2). Le
Christ nous a achetés à grand prix (3) ; nous ne nous appartenons
plus. Nos corps eux-mêmes sont des membres du Christ (4).
2. S. PIERRE, I Epître I 18-19.
3. S. PAUL, I Cor. VI 20.
4. S. PAUL,
I Cor. VI 15.
Nous voulons
maintenant expliquer brièvement la nature et l'importance de cette
royauté.
10 II est presque
inutile de rappeler qu'elle comporte les trois pouvoirs, sans lesquels
on saurait à peine concevoir l'autorité royale. Les textes
des Saintes Lettres que Nous avons apportés en témoignage
de la souveraineté universelle de notre Rédempteur le prouvent
surabondamment. C'est, d'ailleurs, un dogme de foi catholique que le Christ
Jésus a été donné aux hommes à la fois
comme Rédempteur, de qui ils doivent attendre leur salut, et comme
Législateur, à qui ils sont tenus d'obéir (1). Les
évangélistes ne se bornent pas à affirmer que le Christ
a légiféré, mais ils nous le montrent dans l'exercice
même de son pouvoir législatif.
1. Concile
de Trente sess. VI c. 21, Denzinger n. 831.
À tous
ceux qui observent ses préceptes, le divin Maître déclare,
en diverses occasions et de diverses manières, qu'ils prouveront
ainsi leur amour envers lui et qu'ils demeureront en son amour (2).
2. Cf. S. JEAN,
XIV 15 ; XV 10.
Quant au pouvoir
judiciaire, Jésus en personne affirme l'avoir reçu du Père,
dans une réponse aux Juifs qui l'accusaient d'avoir violé
le Sabbat en guérissant miraculeusement un malade durant ce jour
de repos : " Le Père, leur dit-il, ne juge personne, mais il a donné
au Fils tout jugement (3). Dans ce pouvoir judiciaire est également
compris - car il en est inséparable - le droit de récompenser
ou de châtier les hommes, même durant leur vie.
3. S. JEAN,
V 22.
Il faut encore
attribuer au Christ le pouvoir exécutif : car tous inéluctablement
doivent être soumis à son empire ; personne ne pourra éviter,
s'il est rebelle, la condamnation et les supplices que Jésus a annoncés.
11. Toutefois,
ce royaume est avant tout spirituel et concerne avant tout l'ordre spirituel
: les paroles de la Bible que Nous avons rapportées plus haut en
sont une preuve évidente, que vient confirmer, à maintes
reprises, l'attitude du Christ-Seigneur.
Quand les Juifs,
et même les Apôtres, s'imaginent à tort que le Messie
affranchira son peuple et restaurera le royaume d'Israël, il détruit
cette illusion et leur enlève ce vain espoir ; lorsque la foule
qui l'entoure veut, dans son enthousiasme, le proclamer roi, il se dérobe
à ce titre et à ces honneurs par la fuite et en se tenant
caché ; devant le gouverneur romain, encore, il déclare que
son royaume n'est pas de ce monde. Dans ce royaume, tel que nous le dépeignent
les Évangiles, les hommes se préparent à entrer en
faisant pénitence. Personne ne peut y entrer sans la foi et sans
le baptême ; mais le baptême, tout en étant un rite
extérieur, figure et réalise une régénération
intime. Ce royaume s'oppose uniquement au royaume de Satan et à
la puissance des ténèbres ; à ses adeptes il demande
non seulement de détacher leur cœur des richesses et des biens terrestres,
de pratiquer la douceur et d'avoir faim et soif de la justice, mais encore
de se renoncer eux-mêmes et de porter leur croix. C'est pour l'Église
que le Christ, comme Rédempteur, a versé le prix de son sang
; c'est pour expier nos péchés que, comme Prêtre, il
s'est offert lui-même et s'offre perpétuellement comme victime
: qui ne voit que sa charge royale doit revêtir le caractère
spirituel et participer à la nature supraterrestre de cette double
fonction ?
12. D'autre
part, ce serait une erreur grossière de refuser au Christ-Homme
la souveraineté sur les choses temporelles, quelles qu'elles soient
: il tient du Père sur les créatures un droit absolu, lui
permettant de disposer à son gré de toutes ces créatures.
Néanmoins,
tant qu'il vécut sur terre, il s'est totalement abstenu d'exercer
cette domination terrestre, il a dédaigné la possession et
l'administration des choses humaines, abandonnant ce soin à leurs
possesseurs. Ce qu'il a fait alors, il le continue aujourd'hui. Pensée
exprimée d'une manière fort heureuse dans la liturgie : "
Il ne ravit point les diadèmes éphémères, celui
qui distribue les couronnes du ciel (1). "
1. Non eripit
mortalia, qui regna dat coelestia, Office de la fête de l'Épiphanie,
hymne Crudelis Herodes.
13. Ainsi donc,
le souverain domaine de notre Rédempteur embrasse la totalité
des hommes. Sur ce sujet, Nous faisons Volontiers Nôtres les paroles
de Notre Prédécesseur Léon XIII, d'immortelle mémoire
: " Son empire ne s'étend pas exclusivement aux nations catholiques
ni seulement aux chrétiens baptisés, qui appartiennent juridiquement
à l'Église même s'ils sont égarés loin
d'elle par des opinions erronées ou séparés de sa
communion par le schisme ; il embrasse également et sans exception
tous les hommes, même étrangers à la foi chrétienne,
de sorte que l'empire du Christ Jésus, c'est, en stricte vérité,
l'universalité du genre humain (1). "
1. LÉON
XIII, Lettre encyclique Annum sacrum, 25 mai 1899 AAS XXXI (1898-1899)
647.
Et, à
cet égard, il n'y a lieu de faire aucune différence entre
les individus, les familles et les États ; car les hommes ne sont
pas moins soumis à l'autorité du Christ dans leur vie collective
que dans leur vie privée. Il est l'unique source du salut, de celui
des sociétés comme de celui des individus : Il n'existe de
salut en aucun autre ; aucun autre nom ici-bas n'a été donné
aux hommes qu'il leur faille invoquer pour être sauvés (2).
2. Actes IV
12.
Il est l'unique
auteur, pour l'État comme pour chaque citoyen, de la prospérité
et du vrai bonheur : " La cité ne tient pas son bonheur d'une autre
source que les particuliers, vu qu'une cité n'est pas autre chose
qu'un ensemble de particuliers unis en société (3). " Les
chefs d'État ne sauraient donc refuser de rendre - en leur nom personnel,
et avec tout leur peuple - des hommages publics, de respect et de soumission
à la souveraineté du Christ ; tout en sauvegardant leur autorité,
ils travailleront ainsi à promouvoir et à développer
la prospérité nationale.
3. S. AUGUSTIN,
Epist. CLIII ad Macedonium ch. III, PL XXXIII, 656.
14. Au début
de Notre Pontificat, Nous déplorions combien sérieusement
avaient diminué le prestige du droit et le respect dû à
l'autorité ; ce que Nous écrivions alors n'a perdu dans le
temps présent ni de son actualité ni de son à-propos
: " Dieu et Jésus-Christ ayant été exclus de la législation
et des affaires publiques, et l'autorité ne tenant plus son origine
de Dieu mais des hommes, il arriva que... les bases mêmes de l'autorité
furent renversées dès lors qu'on supprimait la raison fondamentale
du droit de commander pour les uns, du devoir d'obéir pour les autres.
Inéluctablement, il s'en est suivi un ébranlement de la société
humaine tout entière, désormais privée de soutien
et d'appui solides (4). "
4. PIE XI,
Lettre encyclique Ubi arcano, 23 décembre 1922, AAS XIV (1922),
683, CH n. 936.
Si les hommes
venaient à reconnaître l'autorité royale du Christ
dans leur vie privée et dans leur vie publique, des bienfaits incroyables
- une juste liberté, l'ordre et la tranquillité, la concorde
et la paix -- se répandraient infailliblement sur la société
tout entière.
En imprimant
à l'autorité des princes et des chefs d'État un caractère
sacré, la dignité royale de Notre Seigneur ennoblit du même
coup les devoirs et la soumission des citoyens. Au point que l'Apôtre
saint Paul, après avoir ordonné aux femmes mariées
et aux esclaves de révérer le Christ dans la personne de
leur mari et dans celle de leur maître, leur recommandait néanmoins
de leur obéir non servilement comme à des hommes, mais uniquement
en esprit de foi comme à des représentants du Christ ; car
il est honteux, quand on a été racheté par le Christ,
d'être soumis servilement à un homme : Vous avez été
rachetés un grand prix, ne soyez plus soumis servilement à
des hommes. (1).
1. S. PAUL,
I Cor. VII 25.
Si les princes
et les gouvernants légitimement choisis étaient persuadés
qu'ils commandent bien moins en leur propre nom qu'au nom et à la
place du divin Roi, il est évident qu'ils useraient de leur autorité
avec toute la vertu et la sagesse possibles. Dans l'élaboration
et l'application des lois, quelle attention ne donneraient-ils pas au bien
commun et à la dignité humaine de leurs subordonnés
!
15. Alors on
verrait l'ordre et la tranquillité s'épanouir et se consolider
; toute cause de révolte se trouverait écartée ; tout
en reconnaissant dans le prince et les autres dignitaires de l'État
des hommes comme les autres, ses égaux par la nature humaine, en
les voyant même, pour une raison ou pour une autre, incapables ou
indignes, le citoyen ne refuserait point pour autant de leur obéir
quand il observerait qu'en leurs personnes s'offrent à lui l'image
et l'autorité du Christ Dieu et Homme.
Alors les peuples
goûteraient les bienfaits de la concorde et de la paix. Plus loin
s'étend un royaume, plus il embrasse l'universalité du genre
humain, plus aussi - c'est incontestable - les hommes prennent conscience
du lien mutuel qui les unit. Cette conscience préviendrait et empêcherait
la plupart des conflits ; en tout cas, elle adoucirait et atténuerait
leur violence. Pourquoi donc, si le royaume du Christ s'étendait
de fait comme il s'étend en droit à tous les hommes, pourquoi
désespérer de cette paix que le Roi pacifique est venu apporter
sur la terre ? Il est venu tout réconcilier (1) ; il n'est pas venu
pour être servi, mais pour servir (2) ; maître de toutes créatures,
il a donné lui-même l'exemple de l'humilité et a fait
de l'humilité, jointe au précepte de la charité, sa
loi principale ; il a dit encore : Mon joug est doux à porter et
le poids de mon autorité léger (3).
1. S. PAUL, Coloss. I 20.
2. S. MATTHIEU, XX 28.
3. S. MATTHIEU,
XI 30.
16. Oh ! qui
dira le bonheur de l'humanité si tous, individus, familles, États,
se laissaient gouverner par le Christ ! " Alors enfin - pour reprendre
les paroles que Notre Prédécesseur Léon XIII adressait,
il y a vingt-cinq ans, aux évêques de l'univers - il serait
possible de guérir tant de blessures ; tout droit retrouverait,
avec sa vigueur native, son ancienne autorité ; la paix réapparaîtrait
avec tous ses bienfaits ; les glaives tomberaient et les armes glisseraient
des mains, le jour où tous les hommes accepteraient de bon cœur
la souveraineté du Christ, obéiraient à ses commandements,
et où toute langue confesserait que " le Seigneur Jésus-Christ
est dans la gloire de Dieu le Père " (4) ".
4. LÉON
XIII, Lettre encyclique Annum sacrum, 25 mai 1899, AAS XXXI (1898-1899)
647.
17. Pour que
la société chrétienne bénéficie de tous
ces précieux avantages et qu'elle les conserve, il faut faire connaître
le plus possible la doctrine de la dignité royale de notre Sauveur.
Or, aucun moyen ne semble mieux assurer ce résultat que l'institution
d'une fête propre et spéciale en l'honneur du Christ-Roi.
Car, pour pénétrer
le peuple des vérités de la foi et l'élever ainsi
aux joies de la vie intérieure, les solennités annuelles
des fêtes liturgiques sont bien plus efficaces que tous les documents,
même les plus graves, du magistère ecclésiastique.
Ceux-ci n'atteignent, habituellement, que le petit nombre et les plus cultivés,
celles-là touchent et instruisent tous les fidèles ; les
uns, si l'on peut dire, ne parlent qu'une fois ; les autres le font chaque
année et à perpétuité ; et, si les derniers
s'adressent surtout à l'intelligence, les premières étendent
leur influence salutaire au cœur et à l'intelligence, donc à
l'homme tout entier.
Composé
d'un corps et d'une âme, l'homme a besoin des manifestations solennelles
des jours de fête pour être saisi et impressionné ;
la variété et la splendeur des cérémonies liturgiques
l'imprègnent abondamment des enseignements divins ; il les transforme
en sève et en sang, et les fait servir au progrès de sa vie
spirituelle.
Du reste, l'histoire
nous apprend que ces solennités liturgiques furent introduites,
au cours des siècles, les unes après les autres, pour répondre
à des nécessités ou des avantages spirituels du peuple
chrétien. Il fallait, par exemple, raffermir les courages en face
d'un péril commun, prémunir les esprits contre les pièges
de l'hérésie, exciter et enflammer les cœurs à célébrer
avec une piété plus ardente quelque mystère de notre
foi ou quelque bienfait de la bonté divine.
C'est ainsi
que, dès les premiers temps de l'ère chrétienne, alors
qu'ils étaient en butte aux plus cruelles persécutions, les
chrétiens introduisirent l'usage de commémorer les martyrs
par des rites sacrés, afin, selon le témoignage de saint
Augustin, que " les solennités des martyrs " fussent " des exhortations
au martyre " (1).
1. S. AUGUSTIN,
Sermo XLVII de sanctis, PL XXXVIII, 295.
Les honneurs
liturgiques qu'on décerna plus tard aux saints confesseurs, aux
vierges et aux veuves contribuèrent merveilleusement à stimuler
chez les chrétiens le zèle pour la vertu, indispensable même
en temps de paix.
Les fêtes
instituées en l'honneur de la bienheureuse Vierge eurent encore
plus de fruit : non seulement le peuple chrétien entoura d'un culte
plus assidu la Mère de Dieu, sa Protectrice la plus secourable,
mais il conçut un amour plus filial pour la Mère que le Rédempteur
lui avait laissée par une sorte de testament.
Parmi les bienfaits
dont l'Église est redevable au culte public et légitime rendu
à la Mère de Dieu et aux saints du ciel, le moindre n'est
pas la victoire constante qu'elle a remportée en repoussant loin
d'elle la peste de l'hérésie et de l'erreur. Admirons, ici
encore, les desseins de la Providence divine qui, selon son habitude, tire
le bien du mal.
Elle a permis,
de temps à autre, que la foi et la piété du peuple
fléchissent, que de fausses doctrines dressent des embûches
à la vérité catholique ; mais toujours avec le dessein
que, pour finir, la vérité resplendisse d'un nouvel éclat,
que, tirés de leur torpeur, les fidèles s'efforcent d'atteindre
à plus de perfection et de sainteté.
Les solennités
récemment introduites dans le calendrier liturgique ont eu la même
origine et ont porté les mêmes fruits. Telle la Fête-Dieu,
établie quand se relâchèrent le respect et la dévotion
envers le Très Saint Sacrement ; célébrée avec
une pompe magnifique, se prolongeant pendant huit jours de prières
collectives, la nouvelle fête devait ramener les peuples à
l'adoration publique du Seigneur.
Telle encore
la fête du Sacré Cœur de Jésus, instituée à
l'époque où, abattus et découragés par les
tristes doctrines et le sombre rigorisme du jansénisme, les fidèles
sentaient leurs cœurs glacés et en bannissaient tout sentiment d'amour
désintéressé de Dieu ou de confiance dans le Rédempteur.
18. C'est ici
Notre tour de pourvoir aux nécessités des temps présents,
d'apporter un remède efficace à la peste qui a corrompu la
société humaine. Nous le faisons en prescrivant à
l'univers catholique le culte du Christ-Roi. La peste de notre époque,
c'est le laïcisme, ainsi qu'on l'appelle, avec ses erreurs et ses
entreprises criminelles.
Comme vous
le savez, Vénérables Frères, ce fléau n'est
pas apparu brusquement ; depuis longtemps, il couvait au sein des États.
On commença, en effet, par nier la souveraineté du Christ
sur toutes les nations ; on refusa à l'Église le droit -
conséquence du droit même du Christ - d'enseigner le genre
humain, de porter des lois, de gouverner les peuples en vue de leur béatitude
éternelle. Puis, peu à peu, on assimila la religion du Christ
aux fausses religions et, sans la moindre honte, on la plaça au
même niveau. On la soumit, ensuite, à l'autorité civile
et on la livra pour ainsi dire au bon plaisir des princes et des gouvernants.
Certains allèrent jusqu'à vouloir substituer à la
religion divine une religion naturelle ou un simple sentiment de religiosité.
Il se trouva même des États qui crurent pouvoir se passer
de Dieu et firent consister leur religion dans l'irréligion et l'oubli
conscient et volontaire de Dieu.
Les fruits
très amers qu'a portés, si souvent et d'une manière
si persistante, cette apostasie des individus et des États désertant
le Christ, Nous les avons déplorés dans l'Encyclique Ubi
arcano (1). Nous les déplorons de nouveau aujourd'hui. Fruits de
cette apostasie, les germes de haine, semés de tous côtés
; les jalousies et les rivalités entre peuples, qui entretiennent
les querelles internationales et retardent, actuellement encore, l'avènement
d'une paix de réconciliation ; les ambitions effrénées,
qui se couvrent bien souvent du masque de l'intérêt public
et de l'amour de la patrie, avec leurs tristes conséquences : les
discordes civiles, un égoïsme aveugle et démesuré
qui, ne poursuivant que les satisfactions et les avantages personnels,
apprécie toute chose à la mesure de son propre intérêt.
Fruits encore de cette apostasie, la paix domestique bouleversée
par l'oubli des devoirs et l'insouciance de la conscience ; l'union et
la stabilité des familles chancelantes ; toute la société,
enfin, ébranlée et menacée de ruine.
1. PIE XI,
Lettre encyclique Ubi arcano, 23 décembre 1922, AAS XIV (1922) 673-700,
CH pp. 602-629.
19. La fête,
désormais annuelle, du Christ-Roi Nous donne le plus vif espoir
de hâter le retour si désirable de l'humanité à
son très affectueux Sauveur. Ce serait assurément le devoir
des catholiques de préparer et de hâter ce retour par une
action diligente ; mais il se fait que beaucoup d'entre eux ne possèdent
pas dans la société le rang ou l'autorité qui siérait
aux apologistes de la vérité. Peut-être faut-il attribuer
ce désavantage à l'indolence ou à la timidité
des bons ; ils s'abstiennent de résister ou ne le font que mollement
; les adversaires de l'Église en retirent fatalement un surcroît
de prétentions et d'audace. Mais du jour où l'ensemble des
fidèles comprendront qu'il leur faut combattre, vaillamment et sans
relâche, sous les étendards du Christ-Roi, le feu de l'apostolat
enflammera les cœurs, tous travailleront à réconcilier avec
leur Seigneur les âmes qui l'ignorent ou qui l'ont abandonné,
tous s'efforceront de maintenir inviolés ses droits.
Mais il y a
plus. Une fête célébrée chaque année
chez tous les peuples en l'honneur du Christ-Roi sera souverainement efficace
pour incriminer et réparer en quelque manière cette apostasie
publique, si désastreuse pour la société, qu'a engendrée
le laïcisme. Dans les conférences internationales et dans les
Parlements, on couvre d'un lourd silence le nom très doux de notre
Rédempteur ; plus cette conduite est indigne et plus haut doivent
monter nos acclamations, plus doit être propagée la déclaration
des droits que confèrent au Christ sa dignité et son autorité
royales.
Ajoutons que,
depuis les dernières années du siècle écoulé,
les voies furent merveilleusement préparées à l'institution
de cette fête.
Chacun connaît
les arguments savants, les considérations lumineuses, apportés
en faveur de cette dévotion par une foule d'ouvrages édités
dans les langues les plus diverses et sur tous les points de l'univers.
Chacun sait que l'autorité et la souveraineté du Christ ont
déjà été reconnues par la pieuse coutume de
familles, presque innombrables, se vouant et se consacrant au Sacré
Cœur de Jésus. Et non seulement des familles, mais des États
et des royaumes ont observé cette pratique. Bien plus, sur l'initiative
et sous la direction de Léon XIII, le genre humain tout entier fut
consacré à ce divin Cœur, au cours de l'Année sainte
1900.
Nous ne saurions
passer sous silence les Congrès eucharistiques, que notre époque
a vus se multiplier en si grand nombre. Ils ont servi merveilleusement
la cause de la proclamation solennelle de la royauté du Christ sur
la société humaine. Par des conférences tenues dans
leurs assemblées, par des sermons prononcés dans les églises,
par des expositions publiques et des adorations en commun du Saint Sacrement,
par des processions grandioses, ces Congrès, réunis dans
le but d'offrir à la vénération et aux hommages des
populations d'un diocèse, d'une province, d'une nation, ou même
du monde entier, le Christ-Roi se cachant sous les voiles eucharistiques,
célèbrent le Christ comme le Roi que les hommes ont reçu
de Dieu. Ce Jésus, que les impies ont refusé de recevoir
quand il vint en son royaume, on peut dire, en toute vérité,
que le peuple chrétien, mû par une inspiration divine, va
l'arracher au silence et, pour ainsi dire, à l'obscurité
des temples, pour le conduire, tel un triomphateur, par les rues des grandes
villes et le rétablir dans tous les droits de sa royauté.
Pour l'exécution
de Notre dessein, dont Nous venons de vous entretenir, l'Année sainte
qui s'achève offre une occasion favorable entre toutes. Elle vient
de rappeler à l'esprit et au cœur des fidèles ces biens célestes
qui dépassent tout sentiment naturel ; dans son infinie bonté,
Dieu a enrichi les uns, à nouveau, du don de sa grâce ; il
a affermi les autres dans la bonne voie, en leur accordant une ardeur nouvelle
pour rechercher des dons plus parfaits. Que Nous prêtions donc attention
aux nombreuses suppliques qui Nous ont été adressées,
ou que Nous considérions les événements qui marquèrent
l'année du grand Jubilé, Nous avons certes bien des raisons
de penser que le jour est venu pour Nous de prononcer la sentence si attendue
de tous : le Christ sera honoré par une fête propre et spéciale
comme Roi de tout le genre humain.
Durant cette
année, en effet, comme Nous l'avons remarqué au début
de cette Lettre, ce Roi divin, vraiment " admirable en ses Saints ", a
été " magnifiquement glorifié " par l'élévation
aux honneurs de la sainteté d'un nouveau groupe de ses soldats ;
durant cette année, une exposition extraordinaire a, en quelque
sorte, montré à tout le monde les travaux des hérauts
de l'Évangile, et tous ont pu admirer les victoires remportées
par ces champions du Christ pour l'extension de son royaume ; durant cette
année, enfin, Nous avons commémoré, avec le centenaire
du Concile de Nicée, la glorification, contre ses négateurs,
de la consubstantialité du Verbe Incarné avec le Père,
dogme sur lequel s'appuie, comme sur son fondement, la royauté universelle
du Christ.
En conséquence,
en vertu de Notre autorité apostolique, Nous instituons la fête
de Notre-Seigneur Jésus-Christ-Roi.
Nous ordonnons
qu'elle soit célébrée dans le monde entier, chaque
année, le dernier dimanche d'octobre, c'est-à-dire celui
qui précède immédiatement la solennité de la
Toussaint. Nous prescrivons également que chaque année, en
ce même jour, on renouvelle la consécration du genre humain
au Sacré Cœur de Jésus, consécration dont Notre Prédécesseur
Pie X, de sainte mémoire, avait déjà ordonné
le renouvellement annuel. Toutefois, pour cette année, Nous voulons
que cette rénovation soit faite le 31 de ce mois.
En ce jour,
Nous célébrerons la messe pontificale en l'honneur du Christ-Roi
et Nous ferons prononcer en Notre présence cette consécration.
Nous ne croyons pas pouvoir mieux et plus heureusement terminer l'Année
sainte ni témoigner plus éloquemment au Christ, " Roi immortel
des siècles ", Notre reconnaissance - comme celle de tout l'univers
catholique, dont Nous Nous faisons aussi l'interprète - pour les
bienfaits accordés en cette période de grâce à
Nous-même, à l'Église et à toute la catholicité.
Il est inutile,
Vénérables Frères, de vous expliquer longuement pourquoi
Nous avons institué une fête du Christ-Roi distincte des autres
solennités qui font ressortir et glorifient, dans une certaine mesure,
sa dignité royale. Il suffit pourtant d'observer que, si toutes
les fêtes de Notre-Seigneur ont le Christ comme objet matériel,
suivant l'expression consacrée par les théologiens, cependant
leur objet formel n'est d'aucune façon, soit en fait, soit dans
les termes, la royauté du Christ.
En fixant la
fête un dimanche, Nous avons voulu que le clergé ne fût
pas seul à rendre ses hommages au divin Roi par la célébration
du Saint Sacrifice et la récitation de l'Office, mais que le peuple,
dégagé de ses occupations habituelles et animé d'une
joie sainte, pût donner un témoignage éclatant de son
obéissance au Christ comme à son Maître et à
son Souverain. Enfin, plus que tout autre, le dernier dimanche d'octobre
Nous a paru désigné pour cette solennité : il clôt
à peu près le cycle de l'année liturgique ; de la
sorte, les mystères de la vie de Jésus-Christ commémorés
au cours de l'année trouveront dans la solennité du Christ-Roi
comme leur achèvement et leur couronnement et, avant de célébrer
la gloire de tous les Saints, la Liturgie proclamera et exaltera la gloire
de Celui qui triomphe, en tous les Saints et tous les élus.
Il est de votre
devoir, Vénérables Frères, comme de votre ressort,
de faire précéder la fête annuelle par une série
d'instructions données, en des jours déterminés, dans
chaque paroisse. Le peuple sera instruit et renseigné exactement
sur la nature, la signification et l'importance de cette fête ; les
fidèles régleront dès lors et organiseront leur vie
de manière à la rendre digne de sujets loyalement et amoureusement
soumis à la souveraineté du divin Roi.
20. Au terme
de cette Lettre, Nous voudrions encore, Vénérables Frères,
vous exposer brièvement les fruits que Nous Nous promettons et que
Nous espérons fermement, tant pour l'Église et la société
civile que pour chacun des fidèles, de ce culte public rendu au
Christ-Roi.
L'obligation
d'offrir les hommages que Nous venons de dire à l'autorité
souveraine de Notre Maître ne peut manquer de rappeler aux hommes
les droits de l'Église. Instituée par le Christ sous la forme
organique d'une société parfaite, en vertu de ce droit originel,
elle ne peut abdiquer la pleine liberté et l'indépendance
complète à l'égard du pouvoir civil. Elle ne peut
dépendre d'une volonté étrangère dans l'accomplissement
de sa mission divine d'enseigner, de gouverner et de conduire au bonheur
éternel tous les membres du royaume du Christ.
Bien plus,
l'État doit procurer une liberté semblable aux Ordres et
aux Congrégations de religieux des deux sexes. Ce sont les auxiliaires
les plus fermes des pasteurs de l'Église ; ceux qui travaillent
le plus efficacement à étendre et à affermir le royaume
du Christ, d'abord, en engageant la lutte par la profession des trois vœux
de religion contre le monde et ses trois concupiscences ; ensuite, du fait
d'avoir embrassé un état de vie plus parfait, en faisant
resplendir aux yeux de tous, avec un éclat continu et chaque jour
grandissant, cette sainteté dont le divin Fondateur a voulu faire
une note distinctive de la véritable Église.
21. Les États,
à leur tour, apprendront par la célébration annuelle
de cette fête que les gouvernants et les magistrats ont l'obligation,
aussi bien que les particuliers, de rendre au Christ un culte public et
d'obéir à ses lois. Les chefs de la société
civile se rappelleront, de leur côté, le dernier jugement,
où le Christ accusera ceux qui l'ont expulsé de la vie publique,
mais aussi ceux qui l'ont dédaigneusement mis de côté
ou ignoré, et punira de pareils outrages par les châtiments
les plus terribles ; car sa dignité royale exige que l'État
tout entier se règle sur les commandements de Dieu et les principes
chrétiens dans l'établissement des lois, dans l'administration
de la justice, dans la formation intellectuelle et morale de la jeunesse,
qui doit respecter la saine doctrine et la pureté des mœurs.
22. Quelle
énergie encore, quelle vertu pourront puiser les fidèles
dans la méditation de ces vérités pour modeler leurs
esprits suivant les véritables principes de la vie chrétienne
! Si tout pouvoir a été donné au Christ Seigneur dans
le ciel et sur la terre ; si les hommes, rachetés par son sang très
précieux, deviennent à un nouveau titre les sujets de son
empire ; si enfin cette puissance embrasse la nature humaine tout entière,
on doit évidemment conclure qu'aucune de nos facultés ne
peut se soustraire à cette souveraineté.
Il faut donc
qu'il règne sur nos intelligences : nous devons croire, avec une
complète soumission, d'une adhésion ferme et constante, les
vérités révélées et les enseignements
du Christ. Il faut qu'il règne sur nos volontés : nous devons
observer les lois et les commandements de Dieu.
Il faut qu'il
règne sur nos cœurs : nous devons sacrifier nos affections naturelles
et aimer Dieu par-dessus toutes choses et nous attacher à lui seul.
Il faut qu'il règne sur nos corps et sur nos membres : nous devons
les faire servir d'instruments ou, pour emprunter le langage de l'Apôtre
saint Paul, d'armes de justice offertes à Dieu (1) pour entretenir
la sainteté intérieure de nos âmes. Voilà des
pensées qui, proposées à la réflexion des fidèles
et considérées attentivement, les entraîneront aisément
vers la perfection la plus élevée.
1. S. PAUL,
Rom. VI 13.
Plaise à
Dieu, Vénérables Frères, que les hommes qui vivent
hors de l'Église recherchent et acceptent pour leur salut le joug
suave du Christ ! Quant à nous tous, qui, par un dessein de la divine
miséricorde, habitons sa maison, fasse le ciel que nous portions
ce joug non pas à contrecœur, mais ardemment, amoureusement, saintement
! Ainsi nous récolterons les heureux fruits d'une vie conforme aux
lois du royaume divin. Reconnus par le Christ pour de bons et fidèles
serviteurs de son royaume terrestre, nous participerons ensuite, avec lui,
à la félicité et à la gloire sans fin de son
royaume céleste.
Agréez,
Vénérables Frères, à l'approche de la fête
de Noël, ce présage et ce vœu comme un témoignage de
Notre paternelle affection ; et recevez la Bénédiction apostolique,
gage des faveurs divines, que Nous vous accordons de grand cœur, à
vous, Vénérables Frères, à votre clergé
et à votre peuple.
Donné
à Rome, près Saint-Pierre, le 11 décembre de l'Année
sainte 1925, la quatrième de Notre Pontificat.
PIE XI, PAPE.