Ubi arcano
Dei consilio
AUX PATRIARCHES,
PRIMATS, ARCHEVÊQUES, ÉVÊQUES ET AUTRES ORDINAIRES EN
PAIX ET COMMUNION AVEC LE SIÈGE APOSTOLIQUE.
De la paix
du Christ dans le règne du Christ.
PIE XI, PAPE
VÉNÉRABLES FRÈRES, SALUT ET BÉNÉDICTION APOSTOLIQUE.
Du jour où,
sans que nul mérite assurément Nous signalât, un mystérieux
dessein de la Providence divine Nous eut élevé sur cette
Chaire de vérité et de charité, Nous Nous proposâmes,
Vénérables Frères, de vous exprimer le plus tôt
possible, en une Lettre Encyclique, Nos sentiments de vive affection, à
vous et par vous à tous Nos fils bien-aimés dont vous êtes
directement chargés.
Cette résolution,
Nous croyons l'avoir manifestée lorsque, à peine élu,
Nous avons, du balcon de la basilique vaticane, devant une foule immense,
donné Notre bénédiction Urbi et Orbi, à Rome
et au monde ; le concert de joyeuses félicitations par lequel de
tous les coins de l'horizon, le Collège sacré des cardinaux
au premier rang, vous avez accueilli cette bénédiction, Nous
apporta, au moment d'assumer le fardeau si inattendu du pontificat, un
réconfort bien opportun, le plus précieux après la
confiance que Nous mettions dans le secours divin.
Aujourd'hui
enfin, à la veille de la Nativité de Notre-Seigneur Jésus-Christ
et au seuil d'une nouvelle année, il Nous est donné de vous
adresser la parole (II Cor. VI, 11). Que cette lettre soit pour vous comme
un de ces présents traditionnels qui traduisent les vœux de bonheur
d'un père à ses enfants.
Si Nous n'avons
pu le faire plus tôt, comme Nous le souhaitions, c'est que des empêchements
successifs y ont jusqu'ici mis obstacle.
Tout d'abord,
il fallut répondre aux adresses délicates des catholiques
qui, dans les lettres qui Nous arrivaient chaque jour innombrables, saluaient
le nouveau successeur de saint Pierre avec tous les témoignages
de la plus ardente piété filiale. Puis, tout de suite, Nous
eûmes à connaître ces préoccupations de chaque
jour dont parle l'Apôtre, le souci de toutes les Églises (II
Cor. XI, 28).
Et des problèmes
nouveaux vinrent accroître la tâche ordinaire de Notre charge.
Il nous fallut poursuivre les démarches d'une haute importance que
Nous avions trouvées engagées au sujet de la Terre Sainte
ainsi que du statut à assurer en ce pays aux chrétiens et
à des Églises vénérables entre toutes.
Fidèle
à Notre mission, Nous eûmes, auprès des Conférences
où les États vainqueurs débattaient le sort des peuples,
à défendre la cause de la charité en même temps
que de la justice, surtout en les priant d'accorder la considération
qu'ils méritent aux intérêts spirituels, dont la valeur
n'est pas inférieure mais supérieure à celle des intérêts
temporels.
Nous dûmes
rechercher tous les moyens de secourir d'innombrables populations lointaines
minées par la famine et des souffrances de toute sorte, et Nous
y avons travaillé soit en expédiant les plus larges secours
que permettaient Nos pauvres ressources, soit en faisant appel à
la générosité de l'univers entier.
Dans le pays
même où nous avons vu le jour et au centre duquel Dieu a dressé
le Siège de Pierre, il fallut Nous ingénier à apaiser
les conflits que les excès de la violence multipliaient depuis quelque
temps et qui semblaient menacer des pires dangers une nation très
chère.
Parallèlement,
des événements se produisirent qui Nous apportèrent
une profonde joie. Les fêtes du XXVIe Congrès eucharistique
international et du tricentenaire de la fondation de la S. Congrégation
de la Propagande inondèrent Notre âme de célestes consolations
avec une abondance que Nous pouvions difficilement espérer au début
de Notre pontificat. Il nous fut donné ainsi de recevoir en audience
particulière presque tous Nos chers Fils les cardinaux, et même
un tel nombre de Nos Vénérables Frères les évêques
qu'il ne serait pas aisé d'en voir davantage en l'espace de plusieurs
années. En outre, des foules considérables de fidèles,
qui étaient comme autant de délégations de la famille
presque infinie confiée à Notre sollicitude par le Seigneur,
et, comme dit l'Apocalypse (V, 9), constituée de toute tribu, de
toute langue, de toute race, de toute nation, ont pu Nous être présentées
et recevoir la consolation, que Nous désirions tant leur donner,
d'une paternelle attention.
Ce fut alors
comme des visions de paradis qui se déroulèrent devant Nous
: Jésus-Christ Notre Rédempteur, caché sous les voiles
eucharistiques, s'avançant, tel un triomphateur, à travers
la ville de Rome au milieu d'un imposant cortège de fidèles
accourus de toutes parts, semblant rentrer en possession des honneurs dus
au Roi des individus et des nations ; prêtres et pieux laïques,
comme au sortir d'une nouvelle Pentecôte, manifestant an grand jour
la ferveur et la flamme apostolique dont brillaient leurs âmes ;
la foi vivace du peuple romain, attestée comme jadis à la
face du monde entier, pour la plus grande gloire de Dieu et le plus grand
bien des âmes.
De son côté,
la Vierge Marie, Mère de Dieu en même temps que notre toute
bonne Mère à tous, elle qui Nous avait déjà
souri dans ses sanctuaires de Czenstochowa et d'Ostrabrama, à la
Grotte miraculeuse de Lourdes, et surtout à Milan du haut du piédestal
aérien qui surmonte le Dôme ainsi que du sanctuaire voisin
de Rhô, parut agréer l'hommage de piété filiale
que Nous lui rendîmes quand, après réparation des ravages
causés par l'incendie, Nous fîmes remplacer dans la sacrée
basilique de Lorette sa statue vénérée, artistement
reconstituée ici même, consacrée et couronnée
de Nos propres mains. Ce fut pour l'auguste Vierge elle aussi comme un
magnifique et éclatant voyage triomphal : du Vatican à Lorette,
dans toutes les localités qu'elle traversa, la sainte image fut
de la part des pieux fidèles l'objet d'un concert ininterrompu de
louanges, et les gens de toutes classes, accourant des alentours au-devant
d'elle, manifestèrent leur attachement profond et leur dévouement
envers Marie et envers le Vicaire de Jésus-Christ.
À la
leçon des événements joyeux ou tristes dont Nous venons
de consigner le souvenir pour la postérité, Nous sommes arrivé
peu à peu à Nous faire une idée de plus en plus claire
de la tâche principale qui s'imposait à Nous dans le suprême
pontificat et des paroles qu'il importait d'écrire en ce message
d'avènement.
C'est un fait
évident pour tous : ni les individus, ni la société,
ni les peuples n'ont encore, après la catastrophe d'une pareille
guerre, retrouvé une véritable paix ; la tranquillité
active et féconde que le monde appelle n'est pas encore rétablie.
Il convient de mesurer d'abord avec soin l'étendue et la gravité
de cette crise, puis d'en rechercher les causes et les origines, si l'on
veut - comme Nous le désirons Nous-même - y appliquer le remède
approprié. C'est précisément à quoi, en vertu
de Notre charge apostolique, Nous Nous proposons de consacrer cette lettre,
et ce qui sera dans la suite le but de Nos constants efforts.
L'état
de choses n'a pas changé qui a préoccupé, durant tout
son pontificat, Notre très regretté prédécesseur
Benoît XV ; il est donc logique que Nous fassions Nôtres ses
initiatives et ses vues en ce qui concerne ces questions. Il est à
souhaiter que tous les gens de bien s'associent à Notre propre manière
de voir et à Nos projets, et Nous prêtent leur concours actif
et empressé en vue d'obtenir de Dieu une réconciliation sincère
et durable entre les hommes.
Les prophètes
ont des mots qui s'appliquent et conviennent merveilleusement à
notre époque : Nous attendions la paix et nous n'avons rien obtenu
de bon ; le temps du remède, et voici la terreur (Jer. VIII, 15)
; le temps de la guérison, et voici l'épouvante (Jer. XIV,
19). Nous attendions la lumière, et voici les ténèbres...;
le jugement, et il n'y en a pas ; le salut, et il s'est éloigné
de nous (Isaïe LIX, 9-11). Si en Europe on a déposé
les armes, vous savez que dans le Proche Orient s'amoncellent des menaces
de guerres nouvelles ; en ce pays, sur d'immenses étendues de territoire,
ce n'est partout, comme Nous avons eu l'occasion de le dire, qu'horreur
et misère ; une multitude d'infortunés, surtout de vieillards,
de femmes et d'enfants, succombent chaque jour à la famine, aux
épidémies et aux dévastations. Dans tous les pays
qui ont participé à la dernière guerre, les vieilles
haines ne sont point tombées encore ; elles continuent de s'affirmer
ou sournoisement dans les intrigues de la politique comme dans les fluctuations
du change, ou sur le terrain découvert de la presse quotidienne
et périodique ; elles ont même envahi des domaines qui de
par leur nature sont fermés aux conflits aigus, tels que l'art et
la littérature.
Il en résulte
que des inimitiés et des attaques réciproques entre États
empêchent les peuples de respirer ; et ce ne sont pas seulement les
vaincus qui sont aux prises avec les peuples vainqueurs, mais les vainqueurs
eux-mêmes se traitent mutuellement en ennemis, les plus faibles se
plaignant d'être opprimés et dépouillés par
les plus forts, et ceux-ci se déclarant victimes des haines et des
embûches des plus faibles.
Ces pénibles
conséquences de la dernière guerre, tous les pays sans exception
les ressentent ; elles accablent les nations vaincues, mais elles pèsent
lourdement sur celles mêmes qui n'ont point pris part à la
lutte. Et, le remède tardant à venir, la crise devient chaque
jour plus intolérable ; d'autant plus que les multiples échanges
de vues auxquels les hommes politiques ont procédé jusqu'ici,
et leurs efforts pour remédier à la situation ont donné
un résultat nul, et pire même qu'on ne prévoyait.
De là
comme une nécessité pour toutes les nations, dans la crainte
toujours croissante de nouveaux conflits plus épouvantables, de
vivre sur le pied de guerre, ce qui, outre l'épuisement du trésor
public, amène l'affaiblissement physique de la race et la perturbation
dans la culture intellectuelle comme dans la vie religieuse et morale.
Aux inimitiés
extérieures entre peuples viennent s'ajouter, fléau plus
triste encore, les discordes intestines qui mettent en péril les
régimes politiques et la société même.
Il faut signaler
en premier lieu cette lutte de classe qui, tel un ulcère mortel,
s'est développée au sein des nations, paralysant l'industrie,
les métiers, le commerce, tous les facteurs enfin de la prospérité,
privée et publique. Cette plaie est rendue plus dangereuse encore
du fait de l'avidité des uns à acquérir les biens
temporels, de la ténacité des autres à les conserver,
de l'ambition commune à tous de posséder et de commander.
De là de fréquentes grèves, volontaires ou forcées
; de là encore des soulèvements populaires et des répressions
par la force publique, fort pénibles et dommageables pour tous les
citoyens.
Dans le domaine
de la politique, les partis se sont presque fait une loi non point de chercher
sincèrement le bien commun par une émulation mutuelle et
dans la variété de leurs opinions, mais de servir leurs propres
intérêts au détriment des autres. Que voyons-nous alors
? Les conjurations se multiplient : embûches, brigandages contre
les citoyens et les fonctionnaires publics eux-mêmes, terrorisme
et menaces, révoltes ouvertes et autres excès de même
genre, qui deviennent plus graves dans la mesure où, comme c'est
le cas pour les modernes régimes représentatifs, le peuple
prend une part plus large à la direction de l'État. La doctrine
de l'Église ne réprouve point ces institutions politiques
- non plus que les autres institutions conformes au droit et à la
raison, - mais il est manifeste qu'elles se prêtent plus aisément
que toutes autres au jeu déloyal des factions.
Or, fait très
déplorable, ce mal s'est infiltré jusqu'aux racines profondes
de la société, c'est-à-dire jusqu'à la cellule
de la famille ; elle était déjà en voie de désagrégation,
mais le cataclysme de la guerre en a précipité la ruine en
dispersant pères et fils sur des fronts lointains, et en multipliant
de toute manière les éléments de corruption. Il en
résulte que l'autorité paternelle a cessé d'être
respectée, les liens du sang se sont relâchés, maîtres
et serviteurs se traitent en ennemis, trop fréquemment la fidélité
conjugale même est violée, et les époux abandonnent
leurs devoirs sacrés envers Dieu et la société.
La maladie
d'un organisme ou d'une de ses parties essentielles compromet nécessairement
la force des autres membres, même des plus petits ; par une loi analogue,
les maux dont souffre la collectivité humaine et la famille rejaillissent
naturellement sur tous et chacun des individus. Et de fait, nul ne l'ignore,
chez les hommes de tout âge et de toute condition, les âmes
sont devenues inquiètes, aigries et ombrageuses ; l'insubordination
et la paresse sont devenues chose courante ; les limites imposées
par la pudeur sont dépassées, surtout dans les modes et les
danses, par suite de la légèreté des femmes et des
jeunes filles, dont les toilettes fastueuses excitent la haine des déshérités
; enfin, la foule des miséreux grandit qui fournissent à
l'armée de la sédition des effectifs considérables
et toujours renouvelés.
Aussi la confiance
et la sécurité ont-elles fait place à des préoccupations
anxieuses et à des craintes toujours en éveil : l'inertie
et la paresse ont remplacé l'activité et le travail ; au
lieu de la tranquillité de l'ordre, gardienne de la paix, règnent
un trouble et un chaos universels. De là cet arrêt de l'industrie,
cette crise du commerce international, ce déclin de la littérature
et de l'art. Conséquence bien plus grave encore, la vie chrétienne
a si bien disparu en beaucoup de milieux qu'il semble que, loin d'avancer
indéfiniment dans la voie du progrès, comme l'on a accoutumé
de s'en vanter, l'humanité semble retourner à la barbarie.
Comme pour
mettre le comble à tous les maux que Nous avons rappelés,
viennent s'en ajouter d'autres qui échappent à l'homme animal
(I Cor. II, 14), mais doivent être mis au nombre des pires fléaux
de l'heure présente. Nous voulons parler des ravages exercés
spécialement dans l'ordre spirituel et surnaturel ; comme ils mettent
en jeu la vie des âmes, on voit tout de suite qu'ils dépassent
en gravité la perte des biens extérieurs dans la mesure même
où l'esprit est supérieur à la matière.
Sans revenir
sur l'oubli général, déjà signalé, des
devoirs chrétiens, quelle douleur pour Nous, et pour vous tout ensemble,
Vénérables Frères, de constater qu'une partie notable
des nombreuses églises qui furent affectées à des
usages profanes pendant la guerre, n'ont pas encore été rendues
au culte ; de nombreux Séminaires destinés à la formation
religieuse des chefs et maîtres des peuples, fermés dans les
mêmes circonstances, ne sont pas encore autorisés à
se rouvrir.
Le clergé
- dont certains membres ont été fauchés par la guerre
dans l'exercice du ministère divin, et d'autres, oublieux de leurs
engagements sacrés, sont tombés sous le poids de leurs infidélités
- a vu presque partout se réduire ses effectifs ; c'est ce qui explique
qu'en trop de paroisses la chaire ne retentit plus de la divine parole,
pourtant indispensable au développement du corps du Christ (Ephes.
IV, 12).
Des confins
de l'univers et du fond des régions barbares, nos missionnaires
avaient été rappelés en grand nombre dans leur patrie
pour contribuer aux travaux de la guerre ; après avoir quitté
les champs de si fécond apostolat qu'ils arrosaient de leurs sueurs
pour la cause de la religion et de l'humanité, bien peu, hélas
! sont retournés à leurs œuvres sains et saufs.
Des résultats
fort consolants, il est vrai, ont contrebalancé ces pertes dans
une certaine mesure. On put constater d'une manière plus tangible
que - contrairement aux calomnies répandues par les adversaires
- les clercs portent très profondément ancrés au cœur
l'amour de la patrie et le sentiment de tous les devoirs ; une foule de
soldats que frôlait de si près la mort, ayant sous les yeux
les exemples éclatants de bravoure, de zèle, et de dévouement
donnés par les ministres sacrés, leurs compagnons de tous
les jours, se sont réconciliés avec le clergé et avec
l'Église. Admirons ici la bonté et la sagesse de Dieu, qui
seul sait tirer le bien du mal même.
Tels sont les
maux dont le monde souffre présentement. Efforçons-nous maintenant
d'en rechercher les causes, encore que Nous ayons nécessairement
déjà quelque peu touché ce sujet.
Et tout d'abord,
Vénérables Frères, il Nous semble entendre le divin
Consolateur et Médecin des infirmités humaines affirmer de
nouveau : Tous ces maux procèdent du dedans (Marc. VII, 23). Un
pacte solennel, sans doute, a scellé la paix entre les belligérants
; mais cette paix a été consignée en des instruments
diplomatiques, elle n'a pas été gravée dans les cœurs,
et c'est dans les cœurs que couvent encore, à l'heure actuelle,
des passions belliqueuses qui sont chaque jour plus néfastes à
la société. Trop longtemps a partout triomphé le droit
de la force. Insensiblement il a émoussé les sentiments de
bonté et de miséricorde mis au cœur de l'homme par la nature,
et perfectionnés par la loi de la charité chrétienne.
Ces sentiments, la réconciliation dans la paix, tout artificielle
et non réelle, est loin de les avoir remis en honneur. Chez la plupart,
la haine entretenue durant de longues années a créé
comme une seconde nature ; c'est le règne de la loi aveugle que
saint Paul gémissait de voir contrarier dans ses propres membres
la loi de l'esprit (Rom. VII, 23). Aussi, trop souvent, l'homme voit-il
dans son semblable non un frère, comme l'ordonne le Christ, mais
un étranger et un ennemi ; on ne fait presque aucun cas de la dignité
et de la personne humaine même ; il n'y a que la force et le nombre
qui comptent ; chacun s'efforce d'écraser son prochain, afin de
jouir le plus possible des biens de cette vie.
Partout on
trouve le dédain des biens éternels que le Christ ne cesse
d'offrir à tous par son Église, et une soif insatiable de
posséder les biens éphémères et caducs d'ici-bas.
Or, ces biens
matériels ont pour effet, si on les recherche avec excès,
d'engendrer des maux de tout genre et tout d'abord la corruption des mœurs
et la discorde. Car, vils et grossiers de leur nature, ils ne peuvent rassasier
le cœur de l'homme, qui, créé par Dieu et destiné
à jouir de sa gloire, est voué à vivre dans une instabilité
et une inquiétude perpétuelles aussi longtemps qu'il ne se
repose pas dans le sein de Dieu.
De plus, ces
biens étant fort limités, la part qu'en reçoit chacun
diminue a mesure que grandit le nombre de ceux qui se les partagent ; tandis
que les biens spirituels, même répartis entre un grand nombre,
les enrichissent tous sans être amoindris. Il s'ensuit que, impuissants
à satisfaire tout le monde également et ne pouvant rassasier
personne complètement, les biens terrestres deviennent de ce chef
des sources de discordes et d'animosité, et sont vraiment vanité
des vanités et affliction de l'esprit (Ecclésiaste, I, 2,
14), comme les appelait d'expérience le prince des sages, Salomon.
Et il en est de la société comme des individus. D'où
viennent les guerres et les conflits parmi vous ? demandait l'apôtre
Jacques ; n'est-ce pas de vos convoitises ? (Jacques, IV, 1, 2)
On ne saurait,
en effet, imaginer peste plus mortelle que la concupiscence de la chair,
c'est-à-dire la recherche effrénée du plaisir, pour
bouleverser non seulement la famille, mais les États mêmes
; la concupiscence des yeux, c'est-à-dire la soif des richesses,
donne naissance à cette lutte acharnée des classes, attachées
chacune outre mesure à ses avantages particuliers ; quant à
l'orgueil de la vie, c'est-à-dire la passion de dominer tous les
autres, il a en propre d'inciter les partis politiques à des guerres
civiles si âpres qu'ils ne reculent ni devant les attentats de lèse
majesté, ni devant le crime de haute trahison, ni jusqu'au meurtre
même de la patrie.
C'est à
ces convoitises déréglées, se dissimulant pour donner
le change, sous le voile du bien public et du patriotisme, qu'il faut attribuer
sans contredit les haines et les conflits qui s'élèvent périodiquement
entre les peuples. Cet amour même de sa patrie et de sa race, source
puissante de multiples vertus et d'actes d'héroïsme lorsqu'il
est réglé par la loi chrétienne, n'en devient pas
moins un germe d'injustice et d'iniquités nombreuses si, transgressant
les règles de la justice et du droit, il dégénère
en nationalisme immodéré. Ceux qui tombent en cet excès
oublient, à coup sûr, non seulement que tous les peuples,
en tant que membres de l'universelle famille humaine, sont liés
entre eux par des rapports de fraternité et que les autres pays
ont droit à la vie et à la prospérité, mais
encore qu'il n'est ni permis ni utile de séparer l'intérêt
de l'honnêteté : la justice fait la grandeur des nations,
le péché fait le malheur des peuples (Prov. XIV, 34). Que
si une famille, ou une cité, ou un État, a acquis des avantages
au détriment des autres, cela pourra paraître aux hommes une
action d'éclat et de haute politique ; mais saint Augustin nous
avertit sagement que de pareils succès ne sont pas définitifs
et n'excluent pas les menaces de ruine : C'est un bonheur qui a l'éclat
et aussi la fragilité du verre, pour lequel on redoute que soudain
il ne se brise à jamais (S. Aug. de civitate Dei, l. IV, c. 3).
Si la paix
est absente et si, comme le remède à tant de maux, elle se
fait attendre encore aujourd'hui, il faut en rechercher les raisons, plus
profondément que nous ne l'avons fait jusqu'ici.
Bien avant
que la guerre mît l'Europe en feu, la cause principale de si grands
malheurs agissait déjà avec une force croissante par la faute
des particuliers comme des nations, cause que l'horreur même de la
guerre n'aurait pas manqué d'écarter et de supprimer, si
tous avaient saisi la portée de ces formidables événements.
Qui donc ignore la prédiction de l'Écriture : Ceux qui abandonnent
le Seigneur seront réduits à néant (Isaïe I,
28) ? Et l'on ne connaît pas moins l'avertissement si grave de Jésus,
Rédempteur et Maître des hommes : Sans moi, vous ne pouvez
rien faire (Jean XV, 5) ; et cet autre : Celui qui ne recueille point avec
moi dissipe (Luc, XI, 23).
De tout temps
ces oracles divins se sont vérifiés, mais la vérité
n'en a jamais avec une telle évidence éclaté aux yeux
de tous que de nos jours. C'est pour s'être misérablement
séparés de Dieu et de Jésus-Christ que de leur bonheur
d'autrefois les hommes sont tombés dans cet abîme de maux
; c'est pour la même raison que sont frappés d'une stérilité
à peu près complète tous les programmes qu'ils échafaudent
en vue de réparer les pertes et de sauver ce qui reste de tant de
ruines. Dieu et Jésus-Christ ayant été exclus de la
législation et des affaires publiques, et l'autorité ne tirant
plus son origine de Dieu, mais des hommes, les lois ont perdu la garantie
de sanctions réelles et efficaces, ainsi que des principes souverains
du droit, qui, aux yeux mêmes de philosophes païens comme Cicéron,
ne peuvent dériver que de la loi éternelle de Dieu ; bien
plus, les bases mêmes de l'autorité ont été
renversées dès là qu'on supprimait la raison fondamentale
du droit de commander pour les uns, du devoir d'obéir pour les autres.
Inéluctablement, il s'en est suivi un ébranlement de la société
tout entière, désormais privée de soutien et d'appui
solides, livrée en proie aux factions qui briguaient le pouvoir
pour assurer leurs propres intérêts et non ceux de la patrie.
On décida
de même que Dieu ni le Seigneur Jésus ne présideraient
plus à la fondation de la famille, et l'on fit rentrer dans la catégorie
des contrats civils le mariage, dont le Christ avait fait un grand sacrement
(Ephes. V, 32) et qui, dans sa pensée, devait être le symbole
saint et sanctificateur du lien indissoluble qui l'unit lui-même
à son Église. Aussi, dans les masses populaires s'obscurcissent
les idées et les sentiments religieux que l'Église avait
infusés à la cellule-mère de la société
qu'est la famille ; la hiérarchie et la paix du foyer disparaissent
; l'union et la stabilité de la famille sont de jour en jour plus
compromises ; le feu des basses convoitises et l'attachement mortel à
des intérêts mesquins violent si fréquemment la sainteté
du mariage, que les sources mêmes de la vie des familles et des peuples
en sont infectées.
Enfin, on a
paru exclure Dieu et le Christ de l'éducation de la jeunesse ; on
est arrivé, et c'était inévitable, non pas tant à
supprimer la religion dans les écoles qu'à l'y faire attaquer
à mots couverts ou même ouvertement ; les enfants en ont conclu
qu'ils n'avaient rien ou pour le moins fort peu à attendre, pour
la conduite de la vie, de cet ordre de choses, qu'on passait absolument
sous silence ou dont ou ne parlait qu'avec des termes de mépris.
Et, de fait, si Dieu et sa loi sont proscrits de l'enseignement, on ne
voit plus comment on peut demander aux jeunes gens de fuir le mal et de
mener une vie honnête et sainte, ni comment préparer pour
la famille et la société des hommes de mœurs rangées,
partisans de l'ordre et de la paix, capables, et à même de
contribuer à la prospérité publique.
Puisqu'on a
renié les préceptes de la sagesse chrétienne, il n'y
a pas lieu de s'étonner que les germes de discorde semés
partout, comme en un sol bien préparé, aient fini par produire
cet exécrable fruit d'une guerre, qui, loin d'affaiblir par la lassitude
les haines internationales et sociales, ne fit que les alimenter plus abondamment
par la violence et le sang.
Nous venons,
Vénérables Frères, d'énumérer brièvement
les causes des maux qui accablent la société. Il reste à
étudier les remèdes que, en se basant sur la nature même
de ces maux, on peut juger susceptibles de la guérir.
La tâche
qui s'impose avant toute autre, c'est la pacification des esprits. Il y
a bien peu à attendre d'une paix artificielle et extérieure
qui règle et commande les rapports réciproques des hommes
comme ferait un code de politesse ; ce qu'il faut, c'est une paix qui pénètre
les cœurs, les apaise et les ouvre peu à peu à des sentiments
réciproques de charité fraternelle. Une telle paix ne saurait
être que la paix du Christ : et que la paix du Christ apporte l'allégresse
en vos cœurs (Coloss. III, 15) ; il ne peut y avoir de paix autre et différente
que celle que le Christ donne lui-même aux siens (Jean XIV, 27),
lui qui, comme Dieu, voit dans les cœurs (I Samuel XVI, 7) et règne
dans l'intime des âmes. C'est d'ailleurs à bon droit que le
Seigneur Jésus appelait cette paix sa paix à lui, car il
fut le premier à dire aux hommes : Vous êtes tous des frères
(Matth. XXIII, 8) ; c'est lui qui a promulgué la loi de l'amour
et du support mutuel entre tous les hommes, et la scella pour ainsi dire
de son sang : Mon précepte à moi est que vous vous aimiez
les uns les autres comme moi-même je vous ai aimés (Jean,
XV, 12) ; Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi
la loi du Christ (Gal. VI, 2).
Il découle
de là clairement que la paix authentique du Christ ne saurait s'écarter
de la règle de la justice, puisque c'est Dieu qui juge la justice
(Ps. IX, 5) et que la paix est œuvre de justice (Isaïe XXXII, 17).
Mais encore cette justice ne doit-elle pas adopter une brutale inflexibilité
de fer ; il faut qu'elle soit dans une égale mesure tempérée
par la charité, cette vertu qui est essentiellement destinée
à établir la paix entre les hommes. C'est dans ce sens que
le Christ a procuré la paix au genre humain ; bien mieux, suivant
la forte parole de saint Paul, il est lui-même notre paix (Ephes.
II, 14), puisque, en même temps que dans sa chair il satisfaisait
sur la croix à la justice divine, il tuait en lui-même les
inimitiés, réalisant la paix (Ibid.), et en lui réconciliait
les hommes et le monde avec Dieu. Dans la rédemption même,
saint Paul considère et relève moins une œuvre de justice
- elle l'est, certes - qu'une œuvre divine de réconciliation et
de charité : Dans le Christ Dieu se réconciliait le monde
(II Cor. V, 19) ; Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné
son Fils unique (Jean III, 16). Le Docteur angélique exprime cette
pensée quand il dit, en une formule très heureuse comme toujours,
que la paix véritable et authentique est plus de l'ordre de la charité
que de la justice, cette dernière ayant mission d'écarter
les obstacles à la paix tels que les torts, les dommages, tandis
que la paix est proprement et tout spécialement un acte de charité
(Summ. Theol., II-II, q. 29 art. 3, ad. III).
A cette paix
du Christ, qui, fille de la charité, réside dans les profondeurs
de l'âme, est applicable la parole de saint Paul sur le royaume de
Dieu, car c'est précisément par la charité que Dieu
règne dans les âmes : le royaume de Dieu n'est ni mets ni
breuvage (Rom. XIV, 17). En d'autres termes, la paix du Christ ne s'alimente
point de biens périssables, mais des réalités spirituelles
et éternelles dont le Christ lui-même a révélé
au monde et n'a cessé de montrer aux hommes l'excellence et la supériorité.
C'est en ce sens qu'il disait : Que sert à l'homme de gagner l'univers
s'il perd son âme ? Ou que pourra-t-il donner pour racheter son âme
? (Matth. XVI, 26.) De même il a indiqué la persévérance
et la fermeté d'âme dont le chrétien doit être
animé : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps mais ne peuvent
tuer l'âme ; craignez plutôt celui qui peut perdre à
la fois le corps et l'âme dans la géhenne (Matth. X, 28 ;
Luc. XII, 4, 5).
Ce n'est pas
que celui qui veut goûter la paix du Christ soit tenu de renoncer
aux biens de cette vie ; loin de là, le Christ lui-même les
lui promet en abondance : Cherchez tout d'abord le royaume de Dieu et sa
justice, et tous ces biens vous seront donnés par surcroît
(Matth. VI, 33 ; Luc. XII, 31). Seulement la paix de Dieu surpasse tout
sentiment (Philip. IV, 7), et c'est pourquoi précisément
elle commande aux appétits aveugles, et ignore les discussions et
discordes que ne peut manquer d'engendrer la soif des richesses.
Que la vertu
mette un frein aux convoitises, que l'on accorde aux biens spirituels la
considération qu'ils méritent, et l'on obtient tout naturellement
cet heureux résultat que la paix chrétienne assure l'intégrité
des mœurs et met en honneur la dignité de la personne humaine, rachetée
par le sang du Christ, adoptée par le Père céleste,
consacrée par les liens fraternels qui l'unissent au Christ, rendue
par les prières et les sacrements participante do la grâce
et de la nature divines, en attendant que, en récompense d'une sainte
vie ici-bas, elle jouisse éternellement de la possession de la gloire
du ciel.
Nous avons
déjà montré qu'une des causes principales du chaos
où nous vivons réside dans ce fait que de graves atteintes
ont été portées au culte du droit et au respect de
l'autorité, - ce qui s'est produit le jour où on s'est refusé
à voir en Dieu, Créateur et Maître du monde, la source
du droit et de l'autorité. Ce mal trouvera lui aussi son remède
dans la paix chrétienne, qui se confond avec la paix divine et par
là même prescrit le respect de l'ordre, de la loi et de l'autorité.
Nous lisons, en effet, dans l'Écriture : Conservez la discipline
dans la paix (Ecclésiastique, XLI, 14) ; La paix comble ceux qui
chérissent ta loi, Seigneur (Ps. CXVIII, 165) ; Celui qui a le respect
de la loi vivra dans la paix (Prov. XIII, 13). Le Seigneur Jésus
ne s'est pas contenté de dire : Rendez à César ce
qui est a César (Matth. XXII, 21) ; il a affirmé qu'il révérait
en Pilate lui-même la puissance qui lui avait été donnée
d'en haut (Jean, XIX, 11) ; et précédemment n'avait-il pas
fait une loi à ses disciples de respecter ces scribes et pharisiens
qui étaient assis sur la chaire de Moïse ? (Matth. XXIII, 2)
Dans sa famille,
le Christ fut d'une admirable déférence pour l'autorité
de ses parents, se soumettant pour l'exemple à Marie et à
Joseph (Luc, II, 51). C'est en son nom, enfin, que les apôtres promulguèrent
cette règle : Que tout homme soit soumis aux autorités supérieures,
car il n'est point de pouvoir qui ne vienne de Dieu (Rom. XIII, 1 ; cf.
I Petr. II, 13, 18).
Remarquons
par ailleurs ce fait : sa doctrine et ses préceptes touchant la
dignité de la personne humaine, la pureté des mœurs, le devoir
de l'obéissance, l'organisation divine de la société,
le sacrement de mariage et la sainteté de la famille chrétienne,
tout cela et l'ensemble des vérités qu'il avait apportées
du ciel sur la terre, le Christ ne l'a confié en dépôt
qu'à son Église seule, avec la promesse formelle qu'il l'aiderait
et serait avec elle à jamais, et il lui a donné mission de
l'enseigner, en un magistère infaillible, à toutes les nations
jusqu'à la fin des siècles. Cette observation fait entrevoir
tout de suite quels puissants remèdes peut et doit offrir l'Église
catholique pour la pacification du monde.
Ayant été
seule constituée par Dieu interprète et gardienne de ces
vérités et de ces préceptes, l'Église seule
aussi jouit à jamais du pouvoir efficace d'extirper de la vie publique,
de la famille et de la société civile, la plaie du matérialisme,
qui y a déjà opéré tant de ravages ; d'y faire
pénétrer les principes chrétiens, bien supérieurs
aux systèmes des philosophes, sur la nature spirituelle ou l'immortalité
de l'âme ; d'opérer le rapprochement de toutes les classes
de citoyens, et d'unir le peuple tout entier par les sentiments d'une profonde
bienveillance et par une certaine fraternité (S. Aug., de Moribus
Ecclesiæ Catholicæ, I, 30) : de défendre la dignité
humaine et de l'élever jusqu'à Dieu qui voit les cœurs, et
conforme à ses enseignements et à ses préceptes, que
le sentiment sacré du devoir soit la loi de tous, particuliers et
gouvernants, et même des institutions publiques ; et qu'ainsi le
Christ soit tout et en tous (Coloss. III, 11).
L'Église,
qui détient la vérité et le pouvoir du Christ, a seule
mission de donner aux esprits la formation qui convient ; elle est aussi
seule en mesure non seulement de rétablir aujourd'hui la véritable
paix du Christ, mais encore de la consolider pour l'avenir en conjurant
les menaces imminentes de nouvelles guerres que Nous avons signalées.
Seule, en vertu d'un mandat et d'un ordre divin, l'Église enseigne
l'obligation pour les hommes de conformer à la loi éternelle
de Dieu toute leur activité, publique aussi bien que privée,
en tant que particuliers comme en tant que membres de la collectivité
: par ailleurs, il est évident que ce qui a trait au sort du grand
nombre a une importance beaucoup plus grande.
Le jour où
États et gouvernements se feront un devoir sacré de se régler,
dans leur vie politique, au dedans et au dehors, sur les enseignements
et les préceptes de Jésus-Christ, alors, mais alors seulement,
ils jouiront à l'intérieur d'une paix profitable, entretiendront
des rapports de mutuelle confiance, et résoudront pacifiquement
les conflits qui pourraient surgir.
En cet ordre
d'idées, certains efforts ont bien été tentés
jusqu'ici ; mais, on le sait, ils n'ont abouti à rien ou presque
rien, principalement sur les points où les divergences internationales
sont les plus vives.
C'est qu'il
n'est point d'institution humaine en mesure d'imposer à toutes les
nations une sorte de Code international, adapté à notre époque,
analogue à celui qui régissait au moyen âge cette véritable
Société des Nations qui s'appelait la chrétienté.
Elle aussi a vu commettre en fait beaucoup trop d'injustices ; du moins
la valeur sacrée du droit demeurait incontestée, règle
sûre d'après laquelle les nations avaient à rendre
leurs comptes.
Mais il est
une institution divine capable de garantir l'inviolabilité du droit
des gens ; une institution qui, embrassant toutes les nations, les dépasse
toutes, qui jouit d'une autorité souveraine et du glorieux privilège
de la plénitude du magistère, c'est l'Église du Christ
: seule elle se montre à la hauteur d'une si grande tâche
grâce à sa mission divine, à sa nature, à sa
constitution même, et au prestige que lui confèrent les siècles
; et les vicissitudes mêmes des guerres, loin de l'amoindrir, lui
apportent de merveilleux développements.
Il ne saurait
donc y avoir aucune paix véritable - cette paix du Christ si désirée
- tant que tous les hommes ne suivront pas fidèlement les enseignements,
les préceptes et les exemples du Christ, dans l'ordre de la vie
publique comme de la vie privée ; il faut que, la famille humaine
régulièrement organisée, l'Église puisse enfin,
en accomplissement de sa divine mission, maintenir vis-à-vis des
individus comme de la société tous et chacun des droits de
Dieu.
Tel est le
sens de notre brève formule : le règne du Christ.
Jésus-Christ,
en effet, règne d'abord sur tous les hommes pris individuellement
: il règne sur leurs esprits par ses enseignements, sur leurs cœurs
par la charité, sur toute leur vie enfin quand elle se conforme
à sa loi et imité ses exemples.
Jésus-Christ
règne ensuite dans la famille lorsque, ayant à sa base le
sacrement du mariage chrétien, elle conserve inviolablement son
caractère d'institution sacrée, où l'autorité
paternelle reflète la paternité divine qui en est la source
et lui donne son nom (Ephes. III, 15), où les enfants imitent l'obéissance
de Jésus adolescent, et dont toute la vie respire la sainteté
de la Famille de Nazareth.
Jésus-Christ
règne dans la société lorsque, rendant à Dieu
un souverain hommage, elle reconnaît que c'est de lui que dérivent
l'autorité et ses droits, ce qui donne au pouvoir ses règles,
à l'obéissance son caractère impératif et sa
grandeur ; quand cette société reconnaît à l'Église
son privilège, qu'elle tient de son Fondateur, de société
parfaite, maîtresse et guide des autres sociétés ;
non que l'Église amoindrisse l'autorité de ces sociétés
- légitimes chacune dans sa sphère, - mais elle les complète
très heureusement, comme le fait la grâce pour la nature ;
d'ailleurs le concours de l'Église permet à ces sociétés
d'apporter aux hommes une aide puissante pour atteindre leur fin dernière,
qui est le bonheur éternel, et les met plus à même
d'assurer le bonheur de leurs membres durant leur vie mortelle.
Il apparaît
ainsi clairement qu'il n'y a de paix du Christ que par le règne
du Christ, et que le moyen le plus efficace de travailler au rétablissement
de la paix est de restaurer le règne du Christ.
Aussi, lorsqu'il
s'efforçait de tout restaurer dans le Christ, Pie X, comme par une
inspiration divine, préparait cette grande œuvre du rétablissement
de la paix, qui devait être le programme de Benoît XV.
Quant à
Nous, poursuivant la tâche que Nos deux prédécesseurs
s'étaient proposée, ce que tous Nos efforts tendront à
réaliser, c'est la paix du Christ par le règne du Christ,
avec une confiance absolue dans la grâce de Dieu, qui, en Nous appelant
au souverain pontificat, Nous a promis son assistance permanente.
Pour mettre
ce programme à exécution. Nous comptons sur le concours de
tous les hommes de bien ; mais c'est d'abord à vous que Nous faisons
appel, Vénérables Frères, vous que le Christ, notre
Guide et Chef qui Nous a confié le soin de l'ensemble de son troupeau,
a appelés à prendre une part très importante de Notre
sollicitude pastorale. L'Esprit-Saint, en effet, vous a constitués
pour gouverner l'Église de Dieu (Actes XX, 28) ; vous êtes
tout spécialement investis du ministère de la réconciliation,
vous remplissez le rôle de légats du Christ (II Cor. V, 18,
20) ; vous participez au magistère de Dieu, vous êtes dispensateurs
de ses mystères (I Cor. IV, 1) ; et pour cette raison vous êtes
appelés sel de la terre et lumière du monde (Matth. V, 13,
14), docteurs et pères des peuples chrétiens, modèle...
du troupeau (I Petr. V, 3), et serez magnifiés dans le royaume des
cieux (Matth. V, 19) ; vous tous enfin êtes comme les membres principaux,
unis par des liens d'or, qui maintiennent la forte unité du corps
du Christ (Ephes. IV, 15, 16), c'est-à-dire de l'Église,
établie sur le fondement inébranlable de Pierre.
Vous Nous avez
donné naguère un nouveau témoignage éclatant
de votre zèle empressé quand, comme Nous le marquions au
début de cette lettre, à l'occasion du Congrès eucharistique
de Rome et du centenaire de la S. Congrégation de la Propagande,
vous êtes presque tous accourus de toutes les régions du monde
dans la Ville Éternelle auprès des tombeaux des Apôtres.
Cette assemblée
de pasteurs, à laquelle leur renom et leur autorité donnaient
tant d'éclat, Nous a suggéré l'idée de convoquer
en temps opportun ici à Rome, capitale de l'univers catholique,
une assemblée solennelle analogue, chargée d'appliquer les
remèdes les plus appropriés après un pareil bouleversement
de la société humaine ; et le retour prochain de l'Année
Sainte est un heureux augure qui confirme encore les grands espoirs que
Nous mettons en ce projet.
Toutefois,
Nous n'osons point Nous résoudre à procéder sans délai
à la reprise du Concile œcuménique ouvert par le très
saint Pape Pie IX - ce souvenir remonte à Nos jeunes années,
- qui ne mena à terme qu'une partie, fort importante, d'ailleurs,
de son programme. Le motif de Notre hésitation est que Nous voulons,
comme le célèbre guide des Israélites, attendre dans
l'attitude suppliante de la prière que le Dieu bon et miséricordieux
Nous manifeste plus clairement sa volonté (Juges, VI, 17).
En ces conjonctures,
Nous le savons parfaitement, votre dévouement et votre activité
n'ont nullement besoin de stimulant, et Nous leur rendons au contraire
les hommages les plus mérités. Néanmoins, la conscience
de Notre charge apostolique et de Nos devoirs paternels à l'égard
de tous Nous inspire et Nous fait une sorte d'obligation d'ajouter comme
de nouvelles flammes au feu qui vous dévore, dans l'assurance que
Nos exhortations vous porteront à consacrer des soins encore plus
attentifs à la portion du troupeau que le Maître a confiée
à chacun de vous.
Que d'œuvres
aussi excellentes qu'opportunes, concernant le clergé et tout le
peuple fidèle, Nos prédécesseurs n'ont-ils pas, avec
votre collaboration, sagement conçues, heureusement commencées
et menées à bonne fin, initiatives que, étant données
les circonstances, ils ont eu un singulier mérite à réaliser
! Nous en avons été informé par la renommée,
transmise par la presse et confirmée par d'autres témoignages,
comme aussi par les rapports particuliers que Nous tenons de vous-mêmes
et d'un grand nombre d'autres personnes. Nous en rendons au Dieu éternel
les plus ferventes actions de grâces dont Nous sommes capable.
Parmi ces œuvres,
Nous relevons particulièrement celles, nombreuses et singulièrement
opportunes, qui ont trait à la diffusion des saines doctrines et
à la sanctification des âmes ; de même, les organisations,
dites Pieuses Unions, de clercs et de laïques, qui ont pour objet
le soutien et le développement des missions chez les infidèles,
en vue d'étendre le règne de Dieu et de porter aux peuples
barbares le salut temporel et éternel ; de même encore, les
groupements si multipliés de jeunes gens, qui allient à une
dévotion particulière envers la Sainte Vierge et surtout
envers la sainte Eucharistie une pratique exemplaire de la foi, de la pureté,
et d'une charité réciproque toute fraternelle ; ajoutons
les associations tant d'hommes que de femmes, et tout spécialement
les associations eucharistiques, qui se vouent à honorer l'auguste
Sacrement, soit par des hommages plus fréquents ou plus solennels,
tels même que de grandioses processions se déroulant par les
rues des cités, soit encore par l'organisation d'imposants Congrès
régionaux, nationaux, et même internationaux, où presque
tous les peuples ont des représentants, mais dont tous les membres
sont merveilleusement unis par la même foi, la même adoration,
les mêmes prières, la même participation aux dons du
ciel.
C'est à
ce courant de piété que Nous attribuons l'accroissement fort
notable de l'esprit apostolique, Nous voulons dire ce zèle très
ardent qui, d'abord par la prière assidue et une vie exemplaire,
puis par la voie féconde de la parole et de la presse et les autres
moyens, y compris les œuvres de charité, tend à faire rendre
au Cœur de Jésus, par les individus, par la famille et par la société,
l'amour, le culte et les hommages dus à sa divine royauté.
C'est le même but que poursuit ce bon combat " pour l'autel et le
foyer ", cette lutte qu'il faut engager sur de multiples fronts en faveur
des droits que la société religieuse qu'est l'Église
et la société domestique qu'est la famille tiennent de Dieu
et de la nature pour l'éducation des enfants. A cet apostolat se
rattache enfin tout cet ensemble d'organisations, de programmes et d'œuvres
qui, par l'appellation sous laquelle on les réunit, constituent
l'action catholique, qui Nous est très particulièrement chère.
Toutes ces
œuvres, et les autres institutions de même nature qu'il serait trop
long d'énumérer, il importe de les maintenir avec énergie
; bien plus, on doit les développer avec une ardeur chaque jour
croissante en les enrichissant des perfectionnements nouveaux que réclament
les circonstances de choses et de personnes. Cette tâche peut paraître
ardue et difficile aux Pasteurs et aux fidèles ; elle n'en est pas
moins évidemment nécessaire, et il faut la ranger parmi les
devoirs primordiaux du ministère pastoral et de la vie chrétienne.
Tous ces motifs
démontrent - avec trop d'évidence pour qu'il soit besoin
d'insister - à quel point toutes ces œuvres se commandent les unes
les autres, et quels étroits rapports elles ont avec la restauration
si désirée du règne du Christ et avec le retour de
la paix chrétienne, impossible hors de ce règne : la paix
du Christ par le règne du Christ.
Et voici maintenant,
Vénérables Frères, ce que Nous vous demandons de dire
à vos prêtres. Témoin et naguère collaborateur
des travaux de toute sorte qu'ils ont courageusement entrepris pour le
troupeau du Christ, le Pape a toujours apprécié et continue
d'apprécier hautement le zèle admirable qu'ils déploient
dans l'accomplissement de leur tâche, comme leur ingéniosité
à découvrir des méthodes toujours nouvelles pour faire
face aux nouvelles situations créées par l'évolution
du temps. Ils Nous seront unis par un lien d'autant plus étroit,
et, à Notre tour, Nous leur porterons une affection d'autant plus
paternelle que, par la sainteté de leur vie et l'intégrité
de leur obéissance, ils seront de meilleur cœur et plus étroitement
unis à leurs chefs et maîtres les évêques, comme
au Christ en personne.
Que Nous placions
dans le clergé régulier une confiance spéciale pour
la réalisation de Nos desseins et de Nos projets, il n'est pas besoin,
Vénérables Frères, de longs discours pour vous en
convaincre : vous savez trop bien l'importance du rôle que remplit
ce clergé pour l'extension du règne du Christ dans nos pays
et au dehors.
Voués
à l'observation et à la pratique non seulement des préceptes
mais encore des conseils évangéliques, les membres des familles
religieuses, soit qu'ils s'exercent à la contemplation des choses
divines dans l'ombre des cloîtres, soit qu'ils se produisent au grand
jour de l'apostolat, expriment au vif dans leur existence l'idéal
des vertus chrétiennes et, se consacrant tout entiers au bien commun,
renoncent sans réserve aux biens et aux commodités de la
terre pour jouir plus abondamment des biens spirituels ; ils excitent les
fidèles, témoins constants de tels exemples, à porter
leurs aspirations vers les biens supérieurs, et ils obtiennent ce
résultat en s'adonnant aux œuvres admirables par lesquelles la bienfaisance
chrétienne soulage toutes les souffrances du corps et de l'âme.
Dans ce dévouement, comme en témoignent les monuments de
l'histoire ecclésiastique, ces prédicateurs de l'Évangile
sont allés à maintes reprises, sous l'impulsion de la divine
charité, jusqu'à sacrifier leur vie pour le salut des âmes,
et par leur mort ils ont contribué à étendre le règne
du Christ, en reculant les frontières de la vraie foi et de la fraternité
chrétienne.
Rappelez par
ailleurs à l'attention des fidèles que c'est en travaillant,
dans des œuvres d'apostolat privé et public, sous votre direction
et celle de votre clergé, à développer la connaissance
de Jésus-Christ et à faire régner son amour, qu'ils
mériteront le titre magnifique de race élue, sacerdoce royal,
nation sainte, peuple racheté (I Petr. II, 9) ; c'est en s'unissant
très étroitement à Nous et au Christ pour étendre
et fortifier par leur zèle industrieux et actif le règne
du Christ, qu'ils travailleront avec plus d'efficacité à
rétablir la paix générale entre les hommes. Car le
règne du Christ établit et fait épanouir une certaine
égalité de droits et de dignité entre les hommes,
tous ennoblis du sang précieux du Christ ; et ceux qui paraissent
commander aux autres doivent en droit et en fait, à l'exemple du
Christ Seigneur lui-même, être les administrateurs des biens
communs, et par suite les serviteurs de tous les serviteurs de Dieu, principalement
des plus humbles et des plus pauvres.
Cependant les
transformations sociales qui ont amené ou accru la nécessité
de recourir au concours des laïques dans les œuvres d'apostolat, ont
exposé les inexpérimentés à des dangers nouveaux,
aussi graves que nombreux. L'épouvantable guerre à peine
finie, l'agitation des partis est venue bouleverser les cités ;
un tel débordement de passions et une telle perversion d'idées
se sont emparés du cœur et de l'esprit des hommes qu'on peut redouter
de voir l'élite des chrétiens et même des prêtres,
pris au mirage des apparences de la vérité et du bien, s'infecter
de la funeste contagion de l'erreur.
Combien sont-ils,
en effet, ceux qui admettent la doctrine catholique sur l'autorité
civile et le devoir de lui obéir, le droit de propriété,
les droits et devoirs des ouvriers de la terre et de l'industrie, les relations
réciproques des États, les rapports entre ouvriers et patrons,
les relations du pouvoir religieux avec le pouvoir civil, les droits du
Saint-Siège et du Pontife romain, les privilèges des évêques,
enfin les droits du Christ Créateur, Rédempteur et Maître,
sur tous les hommes et tous les peuples ?
Et même
ceux-là, dans leurs discours, leurs écrits et tout l'ensemble
de leur vie, agissent exactement comme si les enseignements et les ordres
promulgués à tant de reprises par les Souverains Pontifes,
notamment par Léon XIII, Pie X et Benoît XV, avaient perdu
leur valeur première ou même n'avaient plus du tout à
être pris en considération.
Ce fait révèle
comme une sorte de modernisme moral, juridique et social ; Nous le condamnons
aussi formellement que le modernisme dogmatique.
Il les faut
donc remettre en vigueur, ces enseignements et ces prescriptions ; il faut
réveiller dans toutes les âmes cette flamme de la foi et de
la charité divine, indispensables pour la pleine intelligence de
ces doctrines et l'observation de ces ordres.
Ce renouveau,
c'est principalement dans la formation de la jeunesse chrétienne
que Nous voulons le voir s'opérer, chez celle surtout qui a le bonheur
de se destiner au sacerdoce ; évitons que cette jeunesse, ballottée
dans ce bouleversement social et cette perturbation de toutes les idées,
se laisse emporter, selon le mot de l'Apôtre, à tout vent
de doctrine, à la merci de la malice des hommes et des astuces enveloppantes
de l'erreur (Ephes. IV, 14).
Quand de ce
Siège apostolique, comme du haut d'un observatoire, ou d'une tour
de citadelle, Nous embrassons l'horizon du regard, Nous apercevons un nombre
trop grand encore d'hommes qui, par ignorance totale du Christ ou par infidélité
à sa doctrine intégrale et authentique ainsi qu'à
l'unité qu'il a voulue, ne font point partie encore du bercail que
le ciel leur a pourtant destiné. C'est pourquoi, partageant les
ardents désirs du Pasteur éternel, dont il tient la place,
le Pape ne peut s'empêcher de redire après lui cette parole
si brave mais tout empreinte d'amour et de la plus indulgente tendresse
: Celles-là aussi, il faut que je les amène (Jean X, 16),
ni de se rappeler et répéter, le cœur débordant de
joie, cette prédiction du Christ : Et elles entendront ma voix,
et il n'y aura qu'un seul bercail et un seul Pasteur. Fasse Dieu - Nous
l'en supplions de Nos prières et de Nos vœux, unis aux vôtres,
Vénérables Frères, et à ceux de vos fidèles
- que Nous puissions voir au plus tôt la réalisation de ce
très consolant et infaillible oracle du Cœur divin.
Un événement
très remarquable, que vous connaissez bien, est venu ces tout derniers
temps offrir comme un augure de cette unité religieuse ; il s'est
produit contre l'attente de tous, a pu déplaire à certains,
mais Nous a procuré à Nous et à vous une joie très
profonde : la plupart des princes et les chefs de presque toutes les nations,
comme pressés par un même désir instinctif de paix,
ont cherché comme à l'envi soit à renouer d'anciens
liens d'amitié, soit à entrer pour la première fois
en relations avec ce Siège apostolique. Nous avons le droit de nous
réjouir de ce fait : non seulement il rehausse le prestige de l'Église,
mais encore il constitue un hommage plus éclatant rendu à
ses services, et fait toucher du doigt à tous la vertu merveilleuse
dont seule dispose l'Église de Dieu pour assurer toute prospérité
même temporelle, à la société humaine.
Encore que,
de par sa mission divine, elle ait directement en vue les biens spirituels
et non les biens périssables, l'Église - tous les biens se
favorisant et s'enchaînant les uns les autres - n'en coopère
pas moins à la prospérité, même terrestre, des
individus et de la société, et cela avec une efficacité
qu'elle ne pourrait surpasser si elle n'avait pour but que le développement
de cette prospérité.
Certes, l'Église
ne se reconnaît point le droit de s'immiscer sans raison dans la
conduite des affaires temporelles et purement politiques, mais son intervention
est légitime quand elle cherche à éviter que la société
civile tire prétexte de la politique, soit pour restreindre en quelque
façon que ce soit les biens supérieurs d'où dépend
le salut éternel des hommes, soit pour nuire aux intérêts
spirituels par des lois et décrets iniques, soit pour porter de
graves atteintes à la divine constitution de l'Église, soit
enfin pour fouler aux pieds les droits de Dieu lui-même dans la société.
Nous faisons
donc absolument Nôtres les vues et les paroles mêmes de Notre
très regretté prédécesseur Benoît XV,
dont Nous avons plusieurs fois rappelé le souvenir ; les déclarations
solennelles qu'il fit, dans sa dernière allocution du 21 novembre
de l'an dernier, consacrée aux rapports mutuels à établir
entre l'Église et la société, Nous les réitérons
et les confirmons à Notre tour : " Nous ne souffrirons à
aucun prix que, dans les accords de ce genre, il se glisse une stipulation
quelconque qui soit contraire à l'honneur ou à la liberté
de l'Église ; d'ailleurs, de nos jours surtout, il importe grandement
à la prospérité de la société même
que l'Église demeure à l'abri de toute atteinte sur ce point.
"
Dans ces conditions,
il est à peine besoin de vous dire combien profonde est Notre douleur
de ne pouvoir compter l'Italie parmi les si nombreuses nations qui entretiennent
des relations d'amitié avec le Siège apostolique - cette
Italie, Notre patrie bien-aimée, que le Dieu qui règle par
sa providence le cours des temps et l'harmonie de toutes choses, a choisie
pour y fixer le siège de son Vicaire ici-bas. De ce fait, cette
auguste cité, jadis le centre d'un empire immense mais que limitaient
néanmoins des frontières déterminées, est devenue
de ce jour la capitale du monde entier ; Rome, en effet, comme siège
du souverain pontificat, qui est par sa nature même au-dessus des
frontières de races et de nationalités, embrasse tous les
peuples et toutes les nations.
Or, l'origine
et la nature divine de cette primauté d'une part, et de l'autre
le droit imprescriptible de l'ensemble des fidèles répartis
dans tout l'univers exigent que ce principat sacré ne paraisse dépendre
d'aucune puissance humaine, d'aucune loi (alors même qu'elle promettrait
une sauvegarde et des garanties pour la liberté du Pontife Romain)
; le Saint-Siège doit, au contraire, être en fait et paraître
manifestement d'une indépendance absolue quant à ses droits
et à sa souveraineté.
Il est d'autres
garanties de liberté par lesquelles la divine Providence, maîtresse
et arbitre des vicissitudes humaines, avait fortifié l'autorité
du Pontife romain, non seulement sans dommage pour l'Italie, mais à
son grand profit ; elles avaient, durant de longs siècles, répondu,
efficacement au dessein divin de sauvegarder cette liberté ; et
jusqu'ici, ni la divine Providence n'a indiqué ni les conseils des
hommes n'ont découvert une solution analogue, appelée à
remplacer ces garanties d'une façon satisfaisante.
Ces garanties
ont été foulées aux pieds par la violence ennemie
et, à l'heure présente, sont encore violées ; c'est
ainsi que le Pontife Romain a été placé dans une situation
indigne de lui, et qui accable d'une lourde et perpétuelle tristesse
les âmes de tous les fidèles de l'univers.
Nous donc,
héritier des idées comme des devoirs de Nos prédécesseurs,
investi de la même autorité, seule compétente pour
trancher une question d'une telle importance ; étranger à
toute vaine ambition de domination temporelle, à laquelle Nous rougirions
de Nous arrêter ne fût-ce qu'un instant, mais pensant à
Notre mort et Nous rappelant le compte très rigoureux que Nous aurons
à rendre au divin Juge ; dans la conscience d'être lié
par un devoir sacré de Notre charge, Nous renouvelons ici les revendications
formulées par Nos prédécesseurs en vue de défendre
les droits et la dignité du Siège apostolique.
Au surplus,
l'Italie n'aura jamais rien à craindre du Siège apostolique
: le Pontife Romain, qui que ce puisse être, se montrera toujours
tel qu'il puisse redire sincèrement ce mot du prophète :
Mes pensées sont des pensées de paix et non d'affliction
(Jer. XXIX, 11), des pensées de paix, disons-Nous , de paix véritable
et donc nullement séparée de la justice, de telle sorte qu'il
pourra ajouter : la justice et la paix se sont embrassées (Ps. LXXXIV,
11). C'est au Dieu tout-puissant et miséricordieux qu'il appartiendra
de faire luire enfin ce jour beau entre tous, jour qui doit être
fécond en toutes sortes de biens pour l'établissement du
règne du Christ comme aussi pour la pacification de l'Italie et
du monde. Pour qu'on en obtienne d'heureux résultats, tous les hommes
au sentiment droit ont le devoir d'unir leur dévouement et leurs
efforts.
Afin de hâter
le jour où sera accordé aux hommes ce don si doux de la paix,
Nous exhortons instamment tous les fidèles de joindre avec persévérance
leurs ferventes prières aux Nôtres, surtout durant ces fêtes
de la Nativité du Christ Seigneur, Roi pacifique, dont les milices
angéliques saluèrent l'entrée dans le monde par ce
chant nouveau : Gloire à Dieu dans les cieux, et sur la terre paix
aux hommes de bonne volonté (Luc, II, 14).
Comme gage
de cette paix, recevez, Vénérables Frères, Notre Bénédiction
Apostolique ; puisse-t-elle, messagère de bonheur pour chacun des
membres de votre clergé et de vos fidèles, pour les cités
et les familles chrétiennes, porter la prospérité
aux vivants et obtenir aux morts le repos et la félicité
éternelle : Nous vous l'accordons de tout cœur, en témoignage
de paternelle bienveillance, à vous, à votre clergé
et à vos fidèles.
Donné
à Rome, près Saint-Pierre, le 23 décembre 1922, de
Notre Pontificat la première année.
PIE XI, PAPE.