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UN COEUR qui prie. (MARIE DE L'INCARNATION)

« A qui frappe, on ouvrira. »  

J'avais pour lors 19 ans, auquel temps, Notre Seigneur fit une séparation, appelant à soi la personne avec laquelle, par sa permission, j'étais liée.

Diverses affaires qui suivirent cette séparation m'apportèrent de nouvelles croix, et naturellement plus grandes qu'une personne de mon âge et de ma capacité les eusse pu porter. Mais les excès de la bonté divine mirent une force et un courage dans mon esprit et dans mon coeur qui me fit porter le tout... de sorte que la perte des biens temporels, les procès, ni la disette, ni mon fils qui n'avait que six mois, que je voyais dénué de tout aussi bien que moi, ne m'inquiétait point. L'esprit étant sans expérience humaine, l'Esprit m'occupait intérieurement, me remplissant de foi, d'espérance et de confiance, me faisait venir à bout de tout ce que j 'entreprenais.

Je faisais l'office de servante envers les serviteurs de mon frère et quelquefois j'en avais cinq lits de malades sur les bras. Je n'avais garde à souffrir que d'autres en prissent le soin, et jusqu'aux choses les plus viles, je n'eusse pas voulu laisser faire aux servantes, mais je faisais leurs lis en cachette, en sorte que, quand elles se entaient pour s'en acquitter, elles trouvaient fait.

Durant l'espace de trois ou quatre ans, je fis toujours la cuisine, y endurant de grandes incommodités; mais plus je souffrais, plus Notre Seigneur me consolait.

Il est vrai que je fus plus de trois ou quatre ans dans la vue des abaissements du Fils de Dieu -lorsque je fus en la maison de mon frère.

Cette grande application que j 'avais à Dieu m'occupait toujours. Je me suis trouvée dans le bruit des marchands, et cependant mon esprit était abîmé dans cette divine Majesté. On eût jugé à me voir que j'écoutais avec attention tout ce qu'on me disait; mais qui m'en eût demandé des nouvelles, j'y eusse été bien empêchée; et néanmoins dans les affaires qui m'étaient commises, Notre Seigneur me faisait la grande faveur d'en venir à bout.

Je passais presque les jours entiers dans une écurie qui servait de magasin, et quelquefois il était minuit que j 'étais sur le port à faire charger ou décharger des marchandises. Ma compagnie ordinaire était des crocheteurs, des charretiers, et même cinquante à soixante chevaux dont il fallait que j 'eusse le soin.

J 'avais encore sur les bras toutes les affaires de mon frère et de ma soeur quand ils étaient à la campagne, ce qui arrivait fort souvent. Je me voyais quelquefois si surchargée d'affaires que je ne savais par où commencer. Je m'adressais à mon refuge ordinaire, lui disant : Mon Amour, il n'y a pas moyen que je fasse toutes ces choses, mais faites-les pour moi, autrement tout demeurera. Ainsi, me confiant en sa bonté, tout m'était facile. Je le caressais, faisant tout cela, y étant aussi tranquille que si j 'eusse été dans la solitude la plus retirée du monde.

Ce puissant secours me faisait embrasser courageusement et de gaieté de coeur toutes les actions que je connaissais lui être agréables... Je sentais une légèreté non pareille, faisant tout pour le Bien-Aimé. Toutes mes austérités ne m'appesantissaient pas le corps. J'étais fort joyeuse avec ceux avec qui il me fallait être, et on croyait que je me plaisais avec eux, mais c'etait l'union que j'avais avec Dieu qui me rendait ainsi gaie et allègre, car je ne trouvais rien de plaisant dans le monde. 

PRIÈRE 

Délivre-nous par ta puissance, et viens à mon secours, moi qui suis seule, moi qui n'ai que toi, Seigneur, toi qui sais tout.

 

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