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LE LEPREUX (Saint GREGOIRE de Nazianze)

 «Il y avait beaucoup de lépreux en Israël. »

Chaque époque n'a-t-el1e pas ses lépreux? 

A tous les pauvres et à tous ceux qui souffrent, il faut ouvrir notre coeur. Mais ceux qui ont un droit tout spécial à la pitié, ce sont les malades atteints de la lèpre et rongés jusqu'aux chairs, aux os et aux moëlles.

Sous nos yeux s'étale un spectacle affreux et pitovable, incroyable pour quiconque ne le sait pas : des hommes devenus cadavres de leur vivant, mutilés dans plusieurs parties de leur corps, si bien qu'on ne sait presque plus qui ils étaient. Pour se faire reconnaître, ils citent le nom de leur père, de leur mère, de leur frère, lieu où ils habitaient; ils nous disent : «je suis d'un tel; une telle est ma mère; je m'appelle de nom; tu étais jadis mon ami et mon familier.»Tel est leur langage, car ils ne peuvent plus se reconnaître par les traits de ce qui était autrefois leur visage. Rongés par le mal, ils ont leur fortune, leurs parents, leurs corps.Ils sont les seuls hommes qui ont pour eux-mêmes à la fois de la pitié et de l'aversion. Ils ne savent s'ils doivent plus gémir sur ce qu'il manque à leur corps ou sur ce qui lui reste, sur ce que la maladie a dévoré ou sur ce qui l'en est une proie pour la maladie. Une partie d'eux-mêmes s'en est allée avant la sépulture, l'autre partie n'aura personne pour lui donner la sépulture.

Même les gens les meilleurs et les plus charitables sont à leur égard totalement insensibles. A cause d'eux seulement que nous oublions que nous sommes chair et que nous sommes entouré d'un corps de misère. Nous sommes si loin de prendre soin de ces hommes qui sont de notre race, que les fuir nous parait une sécurité pour nos corps. Plus d'un parmi nous s'approche, à l'occasion, d'un cadavre, même s'il sent mauvais; plus d'un supporte l'odeur d'un cadavre d'animal ou encore accepte d'être enlisé dans la boue; mais eux, nous les fuyons de toutes nos forces. Ah, quelle insensibilité! - et nous nous indignons presque de respirer le même air!

Qui donc est plus généreux qu'un père? Qui donc est plus compatissant qu'une mère? Eh bien, pour les lépreux, la nature se ferme. Le père tout en se lamentant sur son fils qu'il a engendré, qu'il a élevé, en qui il a cru avoir comme l'oeil de toute sa vie et pour qui il a adressé à Dieu de multiples prières, le chasse à la fois librement et à contrecoeur. La mère se souvient des douleurs qu'elle a supportées pour son fils et, le coeur déchiré, elle le pleure vivant comme s'il était mort; elle veut embrasser son fils, la malheureuse, mais elle redoute la chair de ce fils comme une ennemie... On accepte de vivre avec un meurtrier, on reçoit un adultère dans sa maison, on l'admet même à sa table, on fait son associé d'un sacrilège, on se lie d'amitié avec celui qui vous a fait du mal; mais on se détourne de quelqu'un qui ne vous a fait aucun mal à cause de sa maladie, comme si c'était un crime. Ainsi le vice est dans une condition meilleure que la maladie.

On interdit aux lépreux les villes, on leur interdit les maisons, la place publique, les chemins, les fêtes, les banquets, et - ô calamité! même l'eau.

Qu'allons-nous donc faire, nous qui avons reçu en partage le grand nom, le nom nouveau, le nom qui nous vient du Christ, nous qui sommes les disciples du Christ doux et bon, du Christ qui a porté nos maladies ? Quelles seront nos pensées et notre attitude à l'égard de ces malades?

PRIÈRE

Donne-nous de rencontrer des hommes qui vivent selon ta parole. Sinon, où pourrions-nous apprendre ce qu'est l'amour et la grâce, et la fidélité et le pardon? Alors nous serons l'un pour l'autre lumière, chaleur, espoir. Nous serons vin et pain, et vêtement, force, richesse. Nous serons tout ce que lui a été pour nous, Jésus, ton Fils.

 

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