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L'Ascension. (Kari RAHNER)

 «Il vaut mieux pour vous que je parte. »

Est-il donc loin de nous, puisqu'il est parti bien puisqu'il a franchi « tous les cieux » ? Ah! Dieu, qu'est-ce donc qu'être proche ? Est-on proche quand on peut vous toucher et vous embrasser? Mais n'est-ce pas ce que fit Judas, Jésus ? De tels gestes ne s'apparentent-ils pas plutôt à ces signaux conventionnels que s'envoient des prisonniers en frappant sur la cloison de leurs asiles afin d'oublier les barreaux de leur solitude? Ne faut-il pas, pour être vraiment proche, avoir mis entre les autres et soi-même la distance de la mort, qui vous fait descendre et pénétrer au coeur du monde? N'est-ce pas alors en effet que l'on est proche de tout, parce qu'on est à la racine secrète de tout ? Et ce corps de chair que nous portons n'est-il pas une chaîne qui nous rive à une mince portion d'un espace et d'un temps finis, si bien qu'il faut, pour devenir proche de tout, passer par le dépouillement de la mort et revêtir le corps céleste ?

Pourtant, direz-vous, comme il paraît loin! N'a-t-il pas dit d'ailleurs qu'il allait nous quitter? Non, son langage ne fait allusion qu'à cette proximité de caractère terrestre qui n'a en définitive rien de proche. C'est à celle-là qu'il renonce. Finis, ces signes matériels de présence analogues au télégraphe des prisonniers dont nous parlons plus haut. D'ailleurs à quoi serviraient-ils ? Libéré de la prison de son corps, passible et terrestre, le Christ n'est plus à côté de nous, mais grâce à sa mort et à sa glorification, au coeur de nous-mêmes; exactement là où nous sommes, et non plus à côté. Voici que je suis chez vous, tous les jours... Et lorsqu'il nous dit, ou nous fait dire par saint Paul, qu'il est chez nous dans son Esprit, que par son Esprit il vit en nous et nous avec lui, qu'il se laisse revêtir par nous... un tel langage ne désigne pas ses saints commandements, ses attitudes intérieures et extérieures, son système doctrinal, les perspectives qu'il nous a ouvertes, mais son Esprit lui-même.

Cet Esprit procède de lui, il est le Don par excellence de son amour, il est la vie divine elle-même que le Fils a reçue du Père; et le Fils nous la transmet à son tour lorsque, ruisselant de son coeur transpercé sur la croix, elle pénètre les profondeurs les plus secrètes de la terre et de notre propre coeur.

En vérité, c'est bien parce qu'il voulait se rendre enfin proche de nous qu'il nous a quittés, et qu'il a emporté avec lui ce qui est nôtre; et c'est parce qu'il a été élevé sur la croix de la mort et à la droite du Père qu'il est devenu proche de nous, et qu'en lui tout est devenu proche. Car son Esprit, en lequel il nous est proche, est exactement celui auquel il donne de toute éternité la plénitude infinie de la vie qu'il tient du Père, si bien que nous ne recevrons de lui rien de plus grand, même dans l'éternité; or c'est cet Esprit-là qui est d'ores et déjà en nous, et cette présence annonce et fonde la proximité éternelle de la vision bienheureuse et la glorification de notre chair. Bien sûr, tout cela échappe à notre expérience, et c'est pourquoi l'Ascension est malgré tout une séparation. Mais cette séparation n'en est une qu'au plan de notre pauvre conscience c'est dans la foi que se réalise cette proximité dans l'Esprit Saint, et c'est à quoi il faut nous appliquer.

L'Ascension est la démarche divine qui contient toute l'histoire du salut. Et elle doit se renouveler dans l'histoire surnaturelle personnelle de chacun d'entre nous nous ne deviendrons riches que par le dépouillement, nous ne connaîtrons l'illumination intérieure que si nous acceptons de voir s'obscurcir en nous les lumières du monde, et notre intimité avec le Christ grandira lorsque nous aurons l'impression de voir s'évanouir le caractère sensible de sa présence. Notre coeur nous donne le sentiment d'un désert vide et désolé, et les airs de fête nous semblent des attitudes de commande destinées à nous masquer ce que nous sommes réellement nous-mêmes. C'est alors que contraire- peut-être à ce que nous pensons, nous sommes le mieux préparés à percevoir le message de l'Ascension. Le Christ ne nous ôte les apparences de sa présence que pour nous donner ce qu'I1 est, la réalité infinie et indicible qu'il reçoit de son Père, et pour nous la donner dans son

Esprit. Et nous pouvons la recevoir, car, en retournant dans la maison de son Père avec ce que nous sommes, il nous a rendus capables de participer à la réalité même de Dieu.

O Christ, Roi de gloire, tu as élevé la faiblesse de notre chair jusqu'a la gloire du ciel; ue notre foi nous obtienne de monter près du Père, où nous croyons que tu es monté toi-même.

 

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