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L'originalité du CHRETIEN. (Romano GUARDINI)

«L'Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu.»  

Le fait d'être chrétien retrouve, peu à peu, son aspect extraordinaire. Etre touché par la révélation de Dieu, vivre en harmonie avec le Dieu qui se révèle, croire en son royaume et en porter la préoccupation dans son coeur, posséder la sainteté de Dieu dans son intérieur, ne serait-ce que sous forme de nostalgie et de repentir - tout cela est, de nouveau, ressenti comme une chose extraordinaire : à la fois grâce, bonheur, responsabilité, grandeur et danger. Ainsi, le sens primitif du mot « saint » redevient apparent ; le saint est simplement le chrétien.

Cela ne veut pas dire que chaque chrétien doive vivre des expériences religieuses extraordinaires ou qu'il doive accomplir des actes de foi héroïques. Au contraire, l'existence chrétienne sera probablement aujourd'hui sans éclat. Elle n'aura plus les grandes possibilités de s'exprimer et de s'affirmer, qu'un monde chrétien à ses débuts avait pu lui offrir. Elle deviendra pauvre, pauvre étant pris, ici, non pas seulement dans son sens matériel, mais aussi dans son sens spirituel ; il lui faudra se réfugier entièrement dans la sincérité de la foi et dans les choses banales de la vie quoditienne.

Et c'est justement dans ce quoditien qu'elle aquerra une nouvelle qualité de pureté et de courage, d'abandon, qui sera sa sauvegarde.

Pour pouvoir subsister, le chrétien devra acquérir une connaissance bien plus profonde et plus sure de son être. Il lui faudra connaître l'histoire sainte qui va des commencements du monde jusqu'au Christ et qui, du Christ, l'atteint directement. Sa foi en une providence à l'oeuvre dans sa vie personnelle deviendra bien plus vivante. Il éprouvera la providence non pas comme une sage ordonnance générale, mais comme le fait que le Père céleste dirige son destin et comme le lien qui unit le salut de son existence, si fortuite et pourtant si précieuse devant Dieu, au devenir du Royaume de Dieu.

C'est de cela que tout ce qui lui arrive reçoit son sens et que chaque heure reçoit son exigence. La vie du chrétien sera régie par cette conviction générale et acceptée - plus que par des règles et des méthodes. Le sentiment vivant de sa filiation divine s'éveillera en lui :celui de faire partie de la famille divine, d'être frère ou soeur du Christ, fils ou fille du Père, ami du Saint Esprit. Le baptême y gagnera une signification entièrement nouvelle.

Il s'agit d'un ressourcement général. L'expérience religieuse parait gagner en force. Tout ce qu'on appelle mesure chrétienne, tout ce qui est enracinement, origine, étiquette et ordonnancement, système et méthode, quelles qu'en soient la légitimité et l'importance, a également eu une influence équivoque et néfaste.

Tout cela a fait minimiser l'expérience chrétienne, l'a laissée paraître superflue, peut-être même suspecte. A l'instant où le chrétien doit de nouveau vivre isolé dans un monde étranger, soutenu seulement par son accord intérieur avec Dieu, il importe pour lui et cela d'une manière nouvelle, de pouvoir dire avec Paul : Je sais à qui j'ai donné ma foi.

Apprendre à connaître le Christ, et dans le Christ: le Père, à se sentir guidé par le Saint-Esprit et gardé par la Providence - c'est en cela et non en des compétences et des performances extérieures que consistera la véritable maturité du chrétien.

 

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