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(Pierre TEILHARD DE CHARDIN)

 La terre en travail d'enfantement.

Pourquoi donc, homme de peu de foi, craindre ou bouder les progrès du Monde? Pourquoi multiplier imprudemment les prophéties et les défenses?N'allez pas... n'essayez pas... tout est connu la Terre est vide et vieille : il n'y a rien à trouver...

Tout essayer pour le Christ! Tout espérer pour le Christ! « Nihil intentatum! » Voilà, juste le contraire, la véritable attitude chrétienne.

Diviniser n'est pas détruire, mais surcréer.

Nous ne saurons jamais tout ce que l'Incarnation attend encore des puissances du monde. Nous n'espérerons jamais assez de l'unité humaine croissante.

Les prodigieuses durées qui précèdent le premier Noël ne sont pas vides du Christ, mais pénétrées de son influx puissant. C'est l'agitation de sa conception qui remue les masses cosmiques et dirige les premiers courants de la biosphère. C'est préparation de son enfantement qui accélère progrès de l'instinct et l'éclosion de la pensée et de la terre. Ne nous scandalisons plus sottement des attentes interminables que nous a imposées le Messie.

Il ne fallait rien moins que les labeurs effrayants et anonymes de l'Homme primitif, et la longue royauté égyptienne, et l'attente inquiète d'Israèl et parfum lentement distillé des mystiques orientales, et la sagesse cent fois raffinée des Grecs pour que sur la tige de Jessé et de l'Humanité la Fleur pût éclore.

Toutes ces préparations étaient cosmiquement, biologiquement, nécessaires pour que le Christ prit pied sur la scène humaine. Et tout ce travail était mû par l'éveil actif et créateur de son âme en tant que cette âme humaine était élue pour animer l'univers.

Quand le Christ apparut entre les bras de Marie, il venait de soulever le monde.

Non, je ne me scandalise pas de ces attentes interminables et de ces longues préparations. Je les contemple encore au coeur des hommes d'aujourd'hui qui, de lumière en lumière, cheminent lentement vers celui qui est la lumière, marchent vers cette parole qui a été dite, mais pas encore entendue, un peu comme l'éclat des étoiles qui met tant d'années à atteindre nos yeux.

 

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