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LE TEMOIN du Dieu vivant. (A.-M. BESNARD)

En vérité, le mystère chrétien de Jean Baptiste est que ce prophète, qui ne nous introduit plus en personne auprès de Jésus, continue à être le témoin pour nous des voies déconcertantes du Dieu vivant. Témoin silencieux : mais l'exercice de notre vie de foi n'a-t-il pas depuis longtemps attiré notre attention sur ce genre de témoignage ? Il y a un office public du témoignage, une prédication, une parole d'annonce et de mise en demeure : ce fut l'office du Baptiste au bord du Jourdain, un tel office commence et s'achève; et il y a un office silencieux de témoignage, qui ne s'achève plus, qui est de l'ordre de la présence révélatrice, de l'inépuisable existence aussi perpétuelle et nécessaire qu'une respiration ou qu'une amitié. L'Eglise a découvert, dans la demeure de sa foi, un tel témoignage silencieux de la Vierge et il y a un semblable témoignage silencieux du Baptiste.

Etonnant témoignage! Ce plus grand des prophètes a été traité, par le Dieu qui pourtant l'aimait, comme le moindre dans le Royaume des Cieux n'a jamais été traité. Ce privilégié du Seigneur n'a d'aucune manière été choyé par le Seigneur. Il n'a pas eu son Thabor comme Pierre, ou son troisième ciel comme Paul, il n'a goûté aucun vin et pas même celui de l'Esprit dont se sont enivres après lui tous les enfants du Royaume.

Prophète de l'attente et du renoncement, il a été, est vrai, comblé dans son renoncement en ayant entendu la voix de l'Époux; mais cette voix ne s'adressait même pas à lui et l'Époux ne vivait que pour d'autres... La rigueur et le dénuement de la vie du Baptiste, ce désert implacable qui fut sa seule demeure, nous épouvantent, au fur et à mesure que nous en mesurons l'intensité, l'immensité. Il fallait être Dieu pour concevoir pareil destin et le proposer à un homme; pour oser lui demander pareil effacement, pareille passion avant que la mémoire de la Passion du Christ puisse tempérer la souffrance et en illuminer la nuit.

Nul, à part la Vierge, n'a été associé de plus près à l'Incarnation du Fils de Dieu; mais dans sa pauvreté même, la Vierge trouvait sa gloire, tandis que le Baptiste n'a trouvé que l'abandon et la mort. Sa figure pourrait nous apparaître, si nous ne nous doutions de l'inconcevable amour de Dieu pour cet homme effacé, comme la seule figure réellement tragique de toute l'histoire biblique. Non, parmi les enfants des femmes, il n'en a pas surgi de plus grand que Jean Baptiste », mais quelle redoutable et incompréhensible grandeur que celle dont Dieu seul, les yeux fixés sur son dessein, s'est réservé la taille! Nous pouvons à peine soupçonner dans quelle tendresse de gloire le Seigneur a dû envelopper son serviteur, l'humble prophète du Jourdain, et quel ravissement occupe désormais ce coeur qui, derrière sa rude apparence, était incapable d'aucune joie et n'avait été façonné que pour vivre et pour vibrer à l'unique voix de l'Agneau et de l'Époux, à l'unique Parole du Verbe éternel.

 

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