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"DIEU COMBLE de biens les affamés" (Karl BARTH) «Ici je meurs de faim, je me lèverai et j'irai vers mon Père. » C'est à rendre jaloux ceux qui ne sont pas affamés, ceux qui sortent de table, ceux qui sont, comme on dit, comblés par la vie. Qu'est-ce donc qu'avoir faim? Les affamés, quelle sorte de gens est-ce donc? Un affamé est manifestement un homme qui manque de l'essentiel, non de quelque objet plaisant et beau dont il pourrait à la rigueur se passer, mais de l'essentiel, dont il ne saurait se priver. Et il n'a aucun moyen de se le procurer. Il ne peut plus que descendre la pente qui le conduit vers la mort. Il a faim. Il doit craindre de mourir de faim. L'essentiel peut être un bout de pain et une assiette de soupe, ou, comme pour tant de gens en Asie, quelques poignées de riz. Je suppose que vous avez tous vu des photographies de femmes et d'enfants affamés, aux Indes, en Algérie ou en Sicile. Peut-être que l'un ou l'autre d'entre vous a déjà été affamé à ce point. Mais je pense que pour l'instant votre problème n'est pas là. L'essentiel qui peut faire défaut à un homme peut être simplement une vie qui lui semble digne d'être vécue. Ce qu'il voit, c'est une vie gâchée, vaine et corrompue. Il a faim. L'essentiel qui lui manque pourrait aussi être un peu de joie. Il regarde autour de lui et ne trouve rien, absolument rien qui pourrait le réjouir vraiment. Aussi est-il affamé. L'essentiel pourrait être une vraie affection que quelqu'un éprouverait pour lui. Mais personne ne peut l'aimer. Alors, il a faim. Et si l'essentiel dont il manque était une bonne conscience? Qui ne voudrait et ne devrait avoir bonne conscience? Eh bien! Il ne peut qu'être affamé. Le besoin essentiel pourrait être celui d'être certain, ne serait-ce que d'une seule chose. Mais il n'a en lui que des incertitudes, le désespoir le menace. C'est ainsi qu'il a faim. Alors l'essentiel pour lui serait d'être au clair au sujet de Dieu. Mais ce qu'il a appris jusqu'ici sur ce dernier ne lui a rien dit, il n'en avait que faire, il n en voulait rien. Et maintenant, c'est de cette chose essentielle qu'il a faim. C'est de ces affamés-là qu'on nous dit il les a comblés de biens. Il ne s'est pas contenté de leur donner une petite compensation, une friandise, un cadeau de Noël bon marché ou même cher, quelque chose du genre des miettes de la table du riche pour Lazare. Non, il les a nourris, désaltérés et réjouis à satiété. Il a «fait pleuvoir du ciel des torrents d'amour ». Il a fait d'eux, qui étaient les plus pauvres, les plus riches des hommes, en devenant leur frère, lui-même un affamé qui cria avec eux et pour eux Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné? Car il s'est rangé de leur côté, pour éloigner d'eux et prendre sur lui leur faiblesse, toute leur absurdité, tout leur péché et toute leur misère. Payant de sa personne, il a pris fait et cause pour eux contre le diable, contre la mort, contre tout ce qui rend leur vie triste, mauvaise et sombre. Il a pris tout cela sur lui, pour leur donner en échange ce qui était sien la gloire, l'honneur, la joie des enfants de Dieu. J'entrevois comme deux camps, celui des gens qui mangent et celui des gens qui ont faim. Donne-moi, Jésus, d'être avec toi, du côté des gens qui ont faim. |
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