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 JE ME TIENS A LA PORTE. (Paul CLAUDEL)

 « Voici que je me tiens â la porte et que je frappe. »

En écoutant l'effroyable tempête qui secoue en ce moment toute ma maison je ne pouvais m'empêcher de penser à ce verset de l'Apocalypse :Ecce sto ad ostium et pulso. Voici que je me tiens à la porte et je frappe. (En latin, pulso veut dire aussi : je pousse.) De quelle porte s'agit-il ? ;sinon de cette porte perdue au fond de notre âme, de cette porte marquée du sang de l'Agneau (Exode), de cette mystérieuse Porte Orientale dont parle le Prophète Ezéchiel et par qui le seul Sauveur des hommes est admis à passer ? Combien triste et injuste que cette porte soit fermée! Nous sommes comme un mauvais locataire qu'on garde par charité dans une maison qui ne lui appartient pas, qu'il n'a ni bâtie ni payée, et qui se barricade et qui, même pour un moment, ne veut pas accueillir le maître légitime. Enfin nous sommes tout seuls par une nuit de tempête dans notre maison solitaire et désolée, et tout à coup l'on frappe! Ce n'est point la porte ordinaire, c'est cette vieille porte qu'on croyait condamnée pour toujours, mais il n'y a pas à s'y tromper on frappe, on a frappé! On a frappé en nous et cela nous a fait mal, comme l'enfant qui bouge dans une femme pour la première fois.

Qui a frappé? Il n'y a pas à s'y tromper : c'est celui qui vient comme un voleur au milieu de la nuit, celui dont il est écrit Voici que l'époux vient, sortez à sa rencontre! Et nous écoutons, palpitants. Peut-être se battra-t-il contre la porte toute la nuit, comme parfois jusqu'au matin nous entendons ce volet exaspérant qui ne cesse de battre. Mais c'est un tel ennui de se lever et de déclore cette vieille porte! Elle est assujettie de deux verrous qui ne font qu'un de ce qui est mobile et de ce qui est inerte : l'un s'appelle mauvaise habitude et l'autre mauvaise volonté.

La serrure, c'est notre secret personnel et la clef est perdue. Il faudrait de l'huile pour la faire marcher. Et ensuite, qu'est-ce qui arriverait on ouvrait la porte? La nuit, le grand vent qui souffle sur les eaux, quelqu'un qu'on voit pas, mais qui ne nous permettrait plus être installé confortablement chez nous. Esprit de Dieu, pas, je crains les courants d'air!

Cependant on a frappé. Et comment nous a t'on frappés? Dans nos affections, dans notre âme, dans notre chair. Dieu ne frappe pas seulement, il pousse; tantôt une poussée violente, épreuve à fond de notre résistance; tantôt une poussée insistante, gênante, continue.

Il ne pousse pas seulement, il bat (pulso, pulsa-comme les artères douloureuses autour meurtrissure. Il touche, d'une de ces soudaines, qui arrêtent le coeur. Ou seulement il se mêle à chacun des battements de coeur qu'il a fait et qu'il ne cesse de nous faire, il forge en nous comme un mécanisme qui ne cesse de frapper les pensées et les idées. Il ne cesse de nous ausculter toujours, partout, il ne rencontre que cette résistance molle et inerte. Ah! Seigneur, nous allons vous ouvrir, nous savons que cela vous fatigue de nous frapper.

Alors, ouvriras-tu la porte de ta vie? Laisseras-tu frapper en vain le témoin de ton coeur?

 

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