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(Frère ROGER, de Taizé)

Nous entrons en Carême. C'est un temps fort pour examiner l'intérieur de l'homme. Ce sont quarante jours de fête où se redécouvre la joie du pardon.

La fête, c'est comme un petit champ que l'on cultive en soi-même, un petit soi-même, un petit terrain de sport où s'exercent liberté et spontanéité. Il est vrai que ce champ a une limite; je ne peux violenter la conscience de l'autre et le rendre captif de moi-même. La fête chante en l'homme à partir de ce petit coin de spontanéité, aussi longtemps qu'il ne viole pas la liberté de l'autre et qu'il consent à sa créativité.

En tout homme se trouve une part de solitude qu'aucune intimité humaine ne peut remplir c'est là que Dieu nous rencontre. Et c'est là, dans cette profondeur, que se situe la fête intime du Christ ressuscité. Désormais, au creux de notre personne, nous découvrons le Christ ressuscité, il est notre fête.

Savoir les drames présents, des guerres, des minorités raciales malmenées, est intolérable. Un homme qui avance en âge est peut-être plus touché encore par de tels événements, quand une longue vie chrétienne l'a sensibilisé. L'intolérable, c'est la détresse de l'homme, cet homme, qui, pour nous, est sacré. Comment rester les bras ballants face à l'homme victime de l'homme?

Mais dans notre soif de participer à une justice plus grande, irions-nous jusqu'à renoncer à la fête intime offerte à tout chrétien ? Il ne nous resterait plus alors qu'à ployer sous le fardeau du désespoir et à proposer à l'humanité entière notre tristesse.

Vivre la fête empêcherait-il d'entrer dans le combat et la lutte pour la justice? Au contraire. La fête n'est en rien une euphorie passagère. Elle est animée par le Christ en des hommes et des femmes pleinement lucides sur la situation du monde et capables d'assumer les événements les plus graves. Mais ces hommes et ces femmes savent qu'ils sont, eux aussi, habités par le besoin de puissance et d'oppression qui est à l'origine de la guerre et de l'injustice. Ils savent que le combat commence d'abord en eux-mêmes, afin de ne pas être à leur insu parmi les oppresseurs.

Alors la lutte elle-même devient fête du combat pour que le Christ soit notre premier amour, fête de la lutte pour l'homme écrasé.

PRIÈRE

 Que ta grâce nous obtienne, Seigneur, d'imiter avec joie la charité du Christ qui a donné sa vie par amour pour le monde.

 

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