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MYSTERE DE LA CROIX. (Henri de LUBAC)

« J'ai fait de toi mon alliance avec le peuple.»  

Quel que soit le domaine où sa réflexion l'ait conduit, le chrétien est toujours ramené, comme par un poids naturel, à la contemplation de la croix.

Tout le mystère du Christ est un mystère de résurrection, mais il est aussi un mystère de mort. L'un ne va point sans l'autre, et un même mot les exprime: la Pâque. Pâque, c'est passage. Alchimie de tout l'être, séparation totale d'avec soi, à laquelle nul ne peut se flatter d'échapper. Négation de toutes les valeurs naturelles en leur être naturel, renoncement à cela même par quoi l'individu s'était dépassé.

Si authentique et si pure que soit la vision d'unité qui inspire et qui oriente l'activité de l'homme, elle doit donc, pour devenir réalité, d'abord s'éteindre. La grande ombre de la croix doit la recouvrir. L'humanité ne se rassemblera qu'en renonçant à se prendre elle-même pour fin. L'homme, en effet, ne veut-il pas et n' aime-t-il pas, au fond, l'humanité du même mouvement naturel qu'il se veut et qu'il s'aime ? Or Dieu est essentiellement celui qui n'admet point de partage; Celui qu'il faut aimer uniquement sous peine de ne point l'aimer. Et s'il est vrai qu'en fin de compte on n'aimera l'humanité pour elle-même, et non d'un amour encore égoiste, qu'en l'aimant en Dieu seul aimé, cette vérité n'apparaît pas d'abord en une telle évidence concrète, qu'elle supprime la réalité du sacrifice.

L'humanisme n' est pas spontanément chrétien.

L'humanisme chrétien doit être un humanisme converti.

D'aucun amour naturel on ne passe de plain gré à l'amour surnaturel. Il faut se perdre pour se trouver. Dialectique spirituelle, dont la rigueur est étrange à l'humanité comme à l'individu, c'est à dire : à mon amour de l'homme et des hommes aussi bien qu'à mon amour pour moi-même. Loi de l'exode, loi de l'extase... Si nul ne doit s'évader de l'humanité, l'humanité tout entière doit se surpasser à elle-même en chacun de ses membres pour vivre, transfigurée, en Dieu. Il n'y a de l'éternité définitive que dans une commune adoration.Gloria Dei, vivens homo : Gloire de Dieu c'est l'homme vivant, mais l'homme qui n'accède à la vie, que dans la seule société totale qui doit être, que par la seule et pour la gloire de Dieu: Deo gloria. Telle est la Pâque universelle, qui prépare la Cité de Dieu.Dans le Christ mourant sur la croix, l'humanité portait toute en lui, se renonce, et meurt. Et ce mystère est plus profond encore. Celui qui portait en lui tous les hommes était délaissé de tous. L'homme universel mourut seul. Plénitude de la kénose et perfection du sacrifice! Il subit cet abandon - et jusqu'à ce délaissement du tout pour opérer la réunion.

Mystère de solitude et mystère de déchirement, seul efficace du rassemblement et de l'unité, il crée, allant jusqu'à séparer l'âme de l'esprit pour y faire pénétrer la vie universelle; lui qui es seul entre les seuls, et qui es tout au bois de la croix, conclut saint Irénée.Verbe de Dieu est devenue manifeste à tous : ses mains y sont étendues pour rassembler tous les hommes. Deux mains étendues, car il y a deux peuples dispersés sur toute la terre. Une seule tête au centre, car il y a un seul Dieu au-dessus de tous, au milieu de tous et en tous.

PRIÈRE

Seigneur, mets en oeuvre ta miséricorde!Pour qu'en célébrant la passion de ton Fils nous entrions dans son mystère d'amour.

 

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