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Notre Eglise est l'EGLISE DES SAINTS. (Georges BERNANOS) « Ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort. » L'heure des saints vient toujours. Notre Eglise est l'Eglise des saints. Qui s'approche d'elle avec méfiance ne croit voir que des portes closes, des barrières et des guichets, une espèce de gendarmerie spirituelle. Mais notre Eglise est l'Eglise des saints. Pour être un saint, quel évêque ne donnerait pas son anneau, sa mitre, sa crosse, quel cardinal sa pourpre, quel pontife sa robe blanche, ses camériers, ses suisses, et tout son temporel ? Qui ne voudrait pas avoir la force de courir cette admirable aventure. Car la sainteté est une aventure, elle est même la seule aventure. Qui l'a une fois compris est entré au coeur de la foi catholique, a senti tressaillir dans sa chair mortelle une autre terreur que celle de la mort, une espérance surhumaine. Notre Eglise est l'Eglise des saints.Mais qui se met en peine des saints ;on voudrait qu'ils soient des vieillards pleins d'expérience et de politique, et la plupart sont des enfants. Or l'enfance est seule contre tous. Les malins haussent les épaules, sourient : quel saint eut beaucoup à se louer des gens d'Eglise? Hé, que font ici les gens-d'Eglise... Dieu n'a pas fait l'Eglise pour la prospérité des saints, mais pour qu'elle transmit leur mémoire, pour que ne fût pas perdu, avec le divin miracle, un torrent d'honneur et de poésie. Le moindre petit garçon de nos catéchismes sait que la bénédiction de tous les hommes d'Eglise ensemble n'apporte jamais la paix qu'aux âmes déjà prêtes à la recevoir, aux âmes de bonne volonté. Aucun rite ne dispense d'aimer. Notre Eglise est l'Eglise des saints. Nulle part ailleurs on voudrait imaginer seulement telle aventure, et si humaine, d'une petite héroïne qui passe un jour tranquillement du bûcher de l'inquisiteur en paradis, au nez de cent cinquante théologiens. « Si nous sommes arrivés à ce point », écrivaient au Pape les juges de Jeanne, « que les devineresses vaticinant faussement au nom de Dieu, comme certaine femelle prise dans les limites du diocèse de Beauvais, soient mieux accueillies par la légèreté populaire que les pasteurs et les docteurs, c'en est fait, la religion va périr, la foi s'écroule, l'Eglise est foulée aux pieds, l'iniquité de Satan dominera le monde. » Et voilà qu'un peu moins de cinq cents ans plus tard, l'effigie de la devineresse est exposée à S. Pierre de Rome - il est vrai peinte en guerrière, sans tabard, ni robe fendue - et à cent pieds au-dessous d'elle, Jeanne aura pu voir un minuscule homme blanc, prosterné, qui était le Pape lui-même. Notre Eglise est l'Eglise des saints. Nous respectons les services d'intendance, la prévôté, les majors et les cartographes, mais notre coeur est avec les gens de l'avant, notre coeur est avec ceux qui se font tuer. Nul d'entre nous portant sa charge - patrie, métier, famille - avec nos pauvres visages creusés par l'angoisse, nos mains dures, l'énorme ennui de la vie quotidienne, du pain de chaque jour à défendre, et l'honneur de nos maisons, nul d'entre nous n'aura assez de théologie pour devenir seulement chanoine, mais nous en avons assez pour devenir des saints. Que d'autres administrent en paix le royaume de Dieu! Nous avons déjà trop à faire d'arracher chaque heure du jour, une à une, à grand-peine, chaque heure de l'interminable jour, jusqu'à l'heure attendue, l'heure unique où Dieu daignera souffler sur sa créature exténuée, ô mort si fraîche, ô seul matin! Que d'autres prennent soin du spirituel, argumentent, légifèrent nous tenons le temporel à pleines mains, nous tenons à pleines mains le royaume temporel de Dieu. Nous tenons l'héritage des saints. Car depuis que furent bénis avec nous la vigne et le blé, la pierre de nos seuils, le toit où nichent les colombes, nos pauvres lits pleins de songes et d'oubli, la route où grincent les chars, nos garçons au rire dur et nos filles qui pleurent au bord de la fontaine, depuis que Dieu lui-même nous visita, est-il rien en ce monde que nos saints n'aient dû reprendre, est-il rien qu'ils ne puissent donner? |
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