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L'EGLISE. (Karl RAHNER)

 « Il était pour eux un scandale. » Baptisé dans l'Eglise. Oui, je le suis. Dès lors me laisserais-je interroger par les accusations que je lui porte?"

Ne sommes-nous pour rien dans ce fardeau accablant qui met en péril notre propre foi? Ne sommes-nous pas pécheurs nous-mêmes? Ne sommes-nous pas nous aussi quelque part dans la foule lasse et grise de ces chrétiens qui, par leur médiocrité, leur lâcheté et leur égoïsme, obscurcissent la lumière de l'Évangile ? Quel droit avons-nous donc de jeter la première pierre à l'Eglise, cette pauvre pécheresse qui se tient devant son Seigneur dans une posture d'accusée? Ne tombons-nous pas nous-mêmes avec elle sous l'accusation dont on la charge, et ne sommes-nous pas remis, comme elle et avec elle, au jugement de Dieu et à sa miséricorde ? Ne savons-nous pas que les idées pures sont stériles, qu'elles ne prennent consistance et vérité qu'en s'incarnant dans l'épaisseur du monde et dans la trame de l'Histoire ? Ne savons-nous pas, aujourd'hui plus que jamais, que l'homme ne saurait se faire hors des âpres exigences de la vie communautaire, et que toute espèce de solipsisme et de culte jaloux de l'individualité, si tant est qu'il ait jamais représenté un idéal, est en tout cas complètement dépassé, si bien qu'il ne reste plus à l'homme de notre temps d'autre issue que d'accepter les contraintes pesantes de la vie communautaire, seule voie d'accès à la liberté personnelle et à la vérité ? Dès lors, « l'Eglise des pécheurs " a beau continuer à peser lourdement sur nous, elle cesse d'être la pierre d'achoppement où bute le courage de la foi. Comment enfin chercher Dieu dans le concret de l'existence, recevoir le corps du Seigneur, être baptisé dans sa mort, prendre place dans le cortège des saints et des grands esprits qui ont aimé l'Eglise et lui sont demeurés fidèles, sinon en vivant dans l'Eglise et en portant précisément son fardeau, ce fardeau dans lequel nous sommes nous-mêmes pour quelque chose? Tant que l'Eglise sera le lieu ou s accomplit le sacrement de l'Esprit et du corps du Seigneur, toutes ces déficiences humaines ne seront en définitive qu'un fantôme inconsistant, quelque chose qui peut faire peur, mais qui ne tue pas. Notre amour, notre obéissance, notre silence, notre courage à revendiquer éventuellement devant l'autorité ecclésiastique, comme le fit Paul devant Pierre, le véritable esprit de l'Eglise, esprit d'amour et de liberté : voilà des vérités ecclésiales plus saintes, et donc en fin de compte plus puissantes, que toutes les médiocrités et toutes les scléroses d'un traditionalisme incapable de voir que notre Dieu est le Dieu éternel de tous les avenirs. La vie concrète de l'Eglise peut fournir une arme contre notre foi. Mais elle peut aussi lui procurer une maturité plus grande. Si elle devait signifier sa mort, n'est-ce pas que nous l'aurions déjà laissé mourir dans notre propre coeur ?

PRIÈRE

Donne-nous, Seigneur Jésus, d'aimer ton Eglise de l'amour dont tu l'as aimée, toi qui t'es livré pour elle; donne-nous, Seigneur, d'aimer notre Eglise comme notre propre chair, puisqu'elle est la chair de ta chair.

 

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