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PRENDRE DU TEMPS pour soi? (Saint BFRNARD)

 « Venez à l'écart et reposez-vous un peu. »

Ce n'est pas un luxe, mais une nécessité. Saint Bernard exhorte le pape Eugène III, et avec lui tous ceux qui risquent de se laisser submerger par leur service du prochain.

Si tout ce qui fait ta vie et ta sagesse, tu les donnes à l'action, sans rien réserver pour la réflexion et la méditation, vais-je te louer ? Non, en cela je ne te louerai pas. Et il ne se trouvera personne, je pense, pour le faire, s'il a entendu cette parole de Salomon : Qui limite son action acquerra la sagesse. Et assurément, l'action elle-même a besoin d'être précédée par la réflexion. Par ailleurs, si tu veux être tout entier à tous, à l'exemple de celui qui s'est fait tout à tous je loue ton humanité, mais à condition qu'elle soit pleine et totale. Or, comment le serait-elle, si tu t'en exclus? Toi aussi tu es homme. Donc, pour que ton humanité soit pleine et entière il faut qu'elle t'inclue, toi aussi, dans cette ouverture du coeur que tu réserves à tous. Autrement, que te sert-il, comme disait le Seigneur, de gagner l'ensemble des hommes, si toi, tu te perds ? Ainsi, puisque tu es le bien de tous, sois toi-même l'un de ceux qui te possèdent. Pourquoi serais-tu le seul à être privé de cette faveur? Jusqu'à quand ton esprit va-t-i1 s'éloigner sans revenir à toi? Jusqu'à quand vas-tu négliger de te recevoir toi-même, à ton tour, parmi tous ceux qui se présentent ? Tu te dois aux sages et aux ignorants, et à toi seul tu te refuserais ? Le fou et le sage, le serf et l'homme libre, le riche et le pauvre, l'homme et la femme, le vieillard et l'adolescent, le clerc et le laïc, le juste et l'impie : tous pareillement se partagent ta vie, tous, comme à une fontaine publique, puisent à ton coeur, et toi, tu te tiendrais à part, mourant de soif? Si l'on déclare maudit celui qui se fait la part la plus mauvaise, que dire de celui qui s'exclut totalement du partage? Oui, que tes eaux se répandent sur les places, que les hommes et le bétail s'y désaltèrent; verse à boire même aux chameaux du serviteur d'Abraham. Mais, parmi eux tous, bois, toi aussi, à l'eau jaillissante de ton puits. C'est l'étranger qui ne doit pas en boire, comme il est écrit. Serais-tu donc un étranger? A qui ne seras-tu pas étranger, si tu l'es à toi-même ? Qui se traite comme moins que rien, envers qui sera-t-il bon? Sou-viens-toi donc, je ne dis pas toujours, je ne dis pas même souvent, mais au moins de temps en temps, de te rendre toi-même à toi. Parmi beaucoup d'autres, ou même après beaucoup d'autres, recours à tes services.

Quand donc, Seigneur, aurons-nous compris que le prier, c'est te parler d'amour? Quand donc serons-nous comblés de joie à la seule pensée de passer un moment avec toi, pour toi, parce que c'est toi...

Seigneur tout-puissant et miséricordieux, ne laisse pas le souci de nos tâches présentes entraver notre marche à la rencontre de ton Fils; Mais éveille en nous cette intelligence du coeur qui nous prépare à l'accueillir et nous fait entrer dans sa propre vie.

HEUREUX deux amis. (Charles PEGUY)

Nous nous taisions :Heureux ceux, heureux deux amis qui s'aiment assez, qui veulent assez se plaire, qui se connaissent assez, qui s'entendent assez, qui sont assez parents, qui pensent et sentent assez de même, assez ensemble du dedans séparément, assez les mêmes choses, chacun côte à côte, qui éprouvent, qui goûtent le plaisir de se taire ensemble, de se taire côte à côte, de marcher longtemps, longtemps, d'aller, de marcher silencieusement le long des routes silencieuses. Heureux deux amis qui s'aiment assez pour savoir se taire ensemble. Dans un pays qui sait se taire, nous montions, nous nous taisions. Depuis longtemps, nous nous taisions...

SEIGNEUR,

Entraîne-nous vers le silence fécond. Ne cesse pas de nous parler jusqu'à ce que nous t'entendions, et que nous sachions reconnaître en tout homme, en toute chose, ton message.

 

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