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A la suite du Christ, une Vie selon l'Évangile

 

1re méditation: La RENCONTRE DU CHRIST

 

- Et toi, que dis-tu que je suis ? Philippiens. 3, 7

 

Le dessein du Pere par rapport a chaque baptisé n’est pas un programme a réaliser, ni un systeme destiné a orienter la vie des hommes: c’est une personne, son propre Fils. Nous sommes tous appelés a édifier ou former le Christ en nous, jusqu’a ce que nous parvenions a sa pleine connaissance expérimentale, de façon a ce qu’elle grandisse en chacun dans la totalité de son corps mystique, et parvienne ainsi a une stature parfaite (cf.Gal 4,19; Eph 4,12). Car le Pere veut révéler le Fils a chacun de ses élus, et le Christ le précede de l’une ou l‘autre maniere, celles que le Pere lui a concédée (Jn 17, 6).

 

Saint Jean l’évangéliste rappelle d‘une façon tres détaillée le lieu, le jour, l’heure de cette premiere rencontre des disciples avec Jésus de Nazareth, la sienne et celle de ses quatre compagnons: Viens, et vois (cf. Jn 1,35-51), prosélytisme, qui mérite d’etre imité. Mais a travers cette rencontre comme celles qui suivront, ceux-ci trouveront la meme difficulté pour découvrir le mystere du Maître. Les évangélistes, Saint Marc en particulier, font état de l’exclamation spontanée qui jaillissait parmi les douze quand ils étaient témoins de quelqu’un qui proclamait ses pouvoirs surnaturels: Qu’ est-ce que cela ? Voila un enseignement nouveau, plein d’autorité (cf. Mc 1,27).

 

A la fin de la premiere année de prédication de Jésus, dans toute la Palestine, et par dela ses frontieres, on parlait de lui. Un jour se trouvant avec les douze a Césarée de Philippe, il les interroge: “Au dire des hommes, qui est le Fils de l’homme ? Ils répondirent ce qu’ils avaient entendu ici et la: Les uns disent que tu es Jean Baptiste (ressuscité); d’autres Élie; d’autres Jérémie ou l’un des prophetes. Et changeant de ton Jésus continua: Et vous que dites-vous que je suis ? Il dut y avoir entre temps un silence embarrassant. Ils l’avaient suivi, invités par lui, ils écoutaient plein d’admiration sa doctrine, ils se sentaient compromis avec lui dans l’annonce du regne, ils entrevoyaient quelque chose d’exceptionnel dans sa relation a Dieu, qu’invariablement ils appelaient Pere - mais ils ne réussissaient pas a découvrir l’inconnu fondamental. Ce fut Simon Pierre qui sauva la situation, avec sa spontanéité habituelle: Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant ! Lui meme devait etre surpris de la réponse qu’il venait de donner. Reprenant alors la parole, Jésus lui déclara: Heureux es-tu Simon, fils de Jonas, car ce n’est ni la chair ni le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Pere qui est aux cieux. Un peu comme s’il disait : cette réponse tu ne l’as apprise de personne; c’est le Pere qui l’a mise dans ton esprit et sur tes levres. Et il leur annonça son intention de faire de Simon la pierre fondamentale de l’Église (cf. Mt 16,13-19).

 

Imaginons que la scene de Césarée de Philippe se répete aujourd’hui en notre présence, et que nous entendions la meme question de Jésus: Quelle idée vous faites-vous de moi ? Qu’avez-vous entendu, vu, lu, appris a mon sujet ? Nous pourrions lui répondre, rassemblant toute l’ information sure et véritable, que nous avons acquise sur sa personne, sa doctrine, son action salvifique, son ministere... - une connaissance que nous avons eu la chance d’acquérir depuis notre catéchese d’enfant, jusqu’a une possible formation théologique -. Nous pourrions y ajouter une immense variété d’opinions, interprétations, et jusqu’aux fantaisies des journalistes et cinéastes, dans lesquelles sa figure apparaît completement déformée...

 

Et sans attendre, Jésus arriverait aussitôt a la deuxieme question:

 

Et vous, et toi ?..qui penses-tu que je suis ?

Avec toute ma sincérité, serais-je capable de lui donner une réponse?

 

.Non pas une réponse apprise de quelqu’un d’autre ou suggérée par mon raisonnement, mais une réponse communiquée par le Pere du ciel, fruit de cette superconnaissance dont parle Saint Paul et a laquelle on arrive par le moyen de l’amour ? (cf.Eph. 3, 19; Phil.3, 8.10).

 

La rencontre du Christ, comme expérience de foi, ouvre sur un changement radical dans l’existence des grands convertis. Le cas le plus spectaculaire est celui de Paul de Tarse: juif de race et pharisien de pratique, éduqué a l’école de Gamaliel dans la stricte observance de la loi (Act 22,3;Phil 3,5), il était de tous, le moins préparé a accueillir le message du Christ. Mais a partir de cette révélation: ”Je suis Jésus que tu persécutes”, il se sentit saisi, envahi, renouvelé dans le Christ. Un homme nouveau, différent. Maintenant c’est le Christ qui lui demande sa vie et la remplit completement: “Je vis, mais ce n’est plus moi qui vis; c’est le Christ qui vit en moi!” (Gal 2,20). Je suis le chemin, la vérité et la vie (Jn 14, 6)

 

Je suis le chemin, la vérité et la vie

 

Trois paroles, d’une grande densité, qui résument parfaitement ce qu’a été la mission du Fils de Dieu durant son passage parmi nous et dans sa vie glorieuse d’aujourd’hui, et qui ont été l’objet de fréquentes méditations et contemplations de la part de François et de Claire (cf.1R 22,40; EX 1,1.15;TCL 5).

 

Jésus est le chemin qui conduit au Pere, il ne se contente pas de nous indiquer une direction, il ne s’est pas limité a cheminer devant nous et avec nous: lui-meme, en personne, il s’est fait notre chemin. Au milieu de tant de traces incertaines et tant de croisements ambigus, il y a toujours un chemin: Celui qui a été marqué par les plaies ensanglantées du Rédempteur (cf.1 P 2,21). Sainte Claire écrit dans son Testament: “Le Fils de Dieu s’est fait pour nous la voie, que par la parole et par l’exemple nous a montrée et enseignée notre tres bienheureux pere François, son véritable amant et imitateur”(TCL 5).

 

Christ est la vérité. Non seulement le Maître qui enseigne la vérité, mais il est lui-meme, la Vérité éternelle, la Sagesse, la Parole de Dieu incarnée. Il apparut sur la terre plein de grâce et de vérité (Jn 1,14), cette vérité dont il est venu rendre témoignage (Jn 5, 31), la vérité unique qui nous rend libres (Jn 8, 32). Pour l’avoir proclamée avec hardiesse, il dut comparaître devant le tribunal de Pilate: C’est pour cela que je suis venu dans le monde, pour rende témoignage a la vérité (Jo 18, 37). Mais la vérité affirmée a laquelle le Christ a rendu témoignage, contrariant certaines vérités équivoques ou demi- vérités de sagesse humaine, Il est une lumiere que dissipent difficilement les ténebres qui nous entourent (cf.Jn 1,9-11).

 

Christ est la vie. Le Verbe de Dieu en qui était la vie (Jn 1,4) est venu dans le monde pour que nous ayons la vie, et la vie en abondance (Jn 10,10).Dans l’allégorie de la vigne, Jésus a montré l’union vitale entre le cep, qui le représente et les sarments qui vivent de lui (Jn 15,1-11). Saint Paul compare cette union de la vie a celle de la tete avec tous les membres de son corps (1 Co 12,12-28). Et pour demeurer avec nous d’une façon permanente, il veut devenir lui-meme pain de vie (Jn 6, 27-58) dans le sacrement. Cette vie en Christ peut résulter d’une expérience ineffable, comme cela apparaît dans les lettres de Saint Paul.

 

François rencontre le Christ

 

Apres sa rencontre avec le frere lépreux, François était en condition pour rencontrer le frere Christ, représenté par l’image du Christ pauvre et crucifié qui le regarda avec amour dans la chapelle de Saint-Damien. A partir de ce moment, l’énorme capacité affective du jeune converti se concentra sur le divin Rédempteur, contemplé avec un émerveillement amoureux dans l’anéantissement de l’Incarnation; adoré avec joie et tendresse dans l’étable de Bethléem, suivi comme Pasteur, écouté comme Maître, et surtout pleuré et aimé, jusqu’a une totale configuration, dans le sacrifice de la croix. Son premier biographe décrit ce que Jésus représentait pour le Petit Pauvre :

 

”Les freres qui vécurent avec lui savent avec quelle tendresse et douceur, chaque jour et continuellement, il les entretenait de Jésus. Sa bouche parlait de l’abondance de son cour et l’on eut dit que la source du pur amour qui remplissait son âme laissait alors jaillir au dehors son trop plein. Que de rencontres entre Jésus et lui ! Il portait Jésus dans son cour, Jésus sur ses levres, Jésus dans ses oreilles, Jésus dans ses yeux, Jésus dans ses mains, Jésus partout présent en tous ses membres...”(1C 115)

 

Le Christ vénéré et aimé par François n’est pas seulement le centre de sa dévotion; Il est aussi celui de la foi, contemplé en chacun des mysteres de sa vie, dans le mystere de la création comme dans celui de sa glorification, dans l’Eucharistie comme dans l’Église. Avec des expressions, comme celle de l’Évangile de Saint Jean et des lettres de Saint Paul, il célebre le “Fils du Dieu Tres Haut”, par lequel “tout fut créé, restauré, pacifié”; Le Pere l’a envoyé dans le monde comme “Sauveur et Libérateur”; c’est un don ineffable du Pere; un don pour lequel nous ne serons jamais capables de le remercier comme il convient; lui seul étant celui qui suffit au Pere, peut lui rendre les grâces dues, en union avec le Saint-Esprit (1R 23, 5-11). Il est la Sagesse du Pere, sa Parole, lumiere véritable qui illumine notre chemin, car il est notre puissance et notre force (2LFid 3s, 12, 61n, 66).

 

Quand François laisse parler son cour amoureux, utilisant la terminologie biblique, il appelle le Christ notre époux, frere et fils, “et tous ceux et celles qui feront de telles choses et persévereront jusqu’a la fin, l’esprit du Seigneur reposera sur eux et fera chez eux son habitation et sa demeure. Et ils seront les fils du Pere céleste dont ils font les ouvres. Et ils sont les époux, les freres et les meres de notre Seigneur Jésus Christ.” Il se complait a savourer le nom de Jésus, le prononçant avec une ineffable suavité, sans oublier que devant de tels noms qui sont au dessus de tous les noms, ils doivent plier les genoux en les prononçant, sur la terre comme dans le ciel et tous les abîmes (1Lfid 2); et il continue: “En entendant ce nom adorez-le avec crainte et révérence, prostrés en terre: et le nom de notre Seigneur Jésus-Christ, Fils du Tres Haut soit béni dans les siecles”(Lord 4).

 

Le cour virginal de la jeune Claire, avec la ferveur des exhortations de Saint François s’ouvrit sans effort a l’amour du Christ pauvre et crucifié. Elle assimila fidelement les sentiments et les idées d’un tel maître et elle sut les transmettre a ses filles spirituelles, spécialement a Agnes de Prague. Comme quelqu’un qui l’expérimenta mystiquement, elle lui répete l’expression de François, que rien ne peut égaler la chance d’etre “épouse, sour et mere du Seigneur Jésus Christ”, et elle l’incite a s’unir a lui d’un amour inespéré:

 

“Heureuse certes, celle a qui il est donné de jouir de ce banquet sacré pour s’attacher de toutes les fibres de son cour a celui dont toutes les bienheureuses armées des cieux admirent sans cesse la beauté, dont l’affection affecte, dont la contemplation refait, dont la bienveillance comble, dont la suavité remplit, dont la mémoire brille suavement: a son odeur les morts revivront, sa vision glorieuse rendra bienheureux tous les citoyens de la Jérusalem d’en haut”(4LCL 4, 9-31).

 

Ensuite elle l’invite a se voir tous les jours réfléchie dans ce miroir sans tâche, c’est a dire dans la vie meme de Jésus, “dans lequel resplendit l’heureuse pauvreté, la sainte humilité et l’ineffable charité.

 

 

Deuxieme méditation

 

UNE VIE SELON L’ÉVANGILE

 

Lecture biblique : Matthieu 5, 1-16

 

L’Évangile message de vie

 

Le Christ a désigné sa proposition de salut avec le nom de bonne nouvelle, (évangile), annonce joyeuse de la présence du regne de Dieu dans le monde. Pour l’accueillir la conversion est requise, Convertissez-vous et croyez a l’Évangile (Mc 1) Les pages de l’Évangile nous appellent en premier lieu a une connaissance de la vie du Sauveur a partir de l’Incarnation, grand mystere d’anéantissement, jusqu’a la consommation pascale a travers les souffrances, la mort, la résurrection et la glorification, themes inépuisables de méditation amoureuse, qui a déja transformé tant d’âmes.

 

En second lieu, les pages évangéliques contiennent les paroles de Jésus qui sont esprit et vie (Jn 6, 64). Ces paroles sont arrivées jusqu’a nous comme une nouvelle toujours “nouvelle”, a travers d’innombrables vicissitudes, allant au dela des cultures, des déviations, accommodations, et interprétations diverses et malgré l’intention de beaucoup de les défigurer avec des intentions apocryphes ou de pieuses révélations.

 

Nous devons nous approcher de l’évangile avec l’intention contemplative de Marie, réfléchissant et les méditant en son cour (Lc 2,19). Matthieu l’évangéliste a regroupé en trois chapitres du sermon sur la montagne ce qui est le plus fondamental dans l’enseignement de Jésus durant sa vie publique, le projet chrétien de vivre selon les exigences qui lui sont propres. Il commence par la proclamation des huit béatitudes, ce programme paradoxal dans lequel il inverse la traditionnelle échelle des valeurs. Les aspirations égoistes des hommes les poussent a la richesse, a l’ambition, au plaisir, a la domination, a l’exhibitionnisme, utilisant pour y parvenir violence, fourberie, oppression, compétition et lutte, et le monde applaudit celui qui triomphe ainsi. Jésus au contraire se réjouit avec les esprits pauvres et humbles, avec qui souffre et pleure, avec les doux et humbles de cour, avec les victimes des injustices et du mensonge qui regne, avec les miséricordieux, avec ceux dont les intentions sont droites et simples, avec les artisans de paix, avec celui qui est persécuté et calomnié pour ces raisons. Tous ceux-la, qui collaborent au dessein de Dieu et a la mission du Sauveur, sont les destinataires du Royaume.

 

Le sermon sur la montagne, comme tout l’évangile de Jésus, ne doit pas etre lu avec des yeux de moraliste cherchant a savoir quand se commet le péché, quand les normes de la morale ne sont pas respectées... Le Fils de Dieu n’est pas venu dans le monde, uniquement pour nous délivrer du péché et nous assurer le ciel; il est venu, comme lui meme le dit pour que ”nous ayons la vie et que nous l’ayons en abondance” Jo 10, 10), pour établir ici, sur la terre, le regne du Pere, un regne d’amour et de paix. Par exemple, si je reçois une gifle et que je réponde par une autre, je peux ne pas me sentir coupable et arriver a penser que cela est “normal”; mais ce geste arrete en moi et autour de moi la croissance du Regne de Dieu; occasion perdue ! Mais si au contraire, je supporte avec calme et charité l’offense reçue et que je présente l’autre joue a mon agresseur, je provoque une croissance du regne de Dieu, d’abord en moi, avec cette victoire de l’amour, et aussi autour de moi, pour avoir ainsi témoigné du regne en moi, Christ a rendu gloire au Pere du ciel (cf.Mt 5,16).

 

Une interprétation incorrecte de la réponse de Jésus au jeune homme riche: Si tu veux etre parfait... (Mt 19,21), a été a l’origine d’une distinction sans fondement entre “préceptes” et “conseils” évangéliques, comme si certaines exigences étaient obligatoires sous peine de péché et d’autres facultatives, destinées a ceux qui ne se contentaient pas d’etre sauvés, mais qui aspiraient a la “perfection”. Dans l’Évangile tout est “nécessaire” pour la croissance de la vie divine en nous et pour l’établissement du Regne de Dieu parmi les hommes. Il est temps de dépasser la tendance égocentrique de considérer le projet de Dieu comme une perspective personnelle, et de prendre en compte les intérets de Dieu et l’ouvre du Rédempteur. Dans cette perspective, pour le chrétien, rien n’est “facultatif” dans l’Évangile, meme si certaines options dépendent du degré de renonciation a laquelle chacun est appelé.

 

Jésus lui-meme nous a montré l’intention qu’il poursuivait a travers ses enseignements, aussitôt apres les béatitudes. Faire en sorte que les disciples soient sel de la terre et lumiere du monde destinés a assaisonner la vie terrestre et a illuminer les chemins humains, de telle maniere qu’en voyant vos bonnes ouvres, tous puissent rendre gloire au Pere du ciel (Mt 5,13-18). Il est bon de remarquer la finalité du témoignage évangélique: que le Pere soit glorifié. Il serait également souhaitable de réviser un certain nombre d’expressions tres utilisées, en particulier dans le langage traditionnel des personnes consacrées, et qui ne s’inspirent guere de l’action du Pere: donner le bon exemple pour “l’édification des fideles” ou pour édifier de généreux bienfaiteurs; promouvoir des initiatives pastorales ou sociales pour remédier a certaines nécessités ou affirmer sa capacité d’agir...Vous avez déja reçu votre récompense, sera la réponse le jour de la rétribution (cf. Mt 6, 1-18).

 

Une réflexion calme et attentive sera tres utile sur chacun des enseignements contenus dans les trois chapitres de la “grande lettre du Regne” (Mt.Chap.5, 6, 7), confrontant sincerement avec elle mes choix et mes attitudes personnelles.

 

François découvre l’Évangile de l’envoi en mission

 

Pendant deux ans et demi, le jeune converti espérait que Dieu lui ferait connaître l’orientation qu’il voulait donner a sa vie, et cela jusqu’au jour ou, contre toute espérance, il reçut la réponse, en entendant la lecture de l’évangile de la mission, dans la chapelle de la Portioncule. ”N’emportez avec vous ni or ni argent, ni besaces, ni vetements, ni meme un bâton; n’ayez ni sandales ni deux tuniques” C’est cela meme que je cherche - s’exclama-t-il -, ce que je cherche a réaliser de tout mon cour”. Et surabondant de joie, vetu d’une simple tunique, ceint d’une corde, devenu homme évangélique, “il commence a precher la conversion a tous ceux qu’il rencontre et cela avec une tres grande ferveur d’esprit et de joie intérieure” (1C 22s, R.Manselli p.71 - Édition 2004 p. 190)

 

C’est ainsi que naquit dans l’Église une nouvelle forme de vie consacrée. François commençait alors a se faire une idée plus précise de la vie qu’il devait suivre, une vie a partager avec d’autres et un message de changement a proposer au monde. Peu de jours aprés, commencerent a se joindre a lui les premiers compagnons, reçus comme un don de Dieu. Des qu’ils se présenterent, François voulut vérifier si eux aussi étaient destinés a la meme vie. Pour cela il allerent ensemble dans une église, la ils ouvrirent au hasard le livre des évangiles, et les passages qui leur tomberent sous les yeux allaient tous dans la meme ligne de ce qu’il avait déja entendu. Ce fait est rapporté dans son Testament: “quand le Seigneur m’eut donné des freres, personne ne m’indiquait ce que je devais faire, mais le Tres Haut lui-meme me révéla que je devais vivre selon la forme du saint évangile” (Test. 14).

 

Avec le groupe des premiers freres qu’il avait reçus, ils commencerent a expérimenter, ensemble, la vie évangélique, alternant la retraite a Rivo Torto avec quelques visites dans les régions voisines, portant l’annonce de la Paix et de la conversion. A partir de cette expérience fut ébauchée une regle composée des textes les plus significatifs de ce projet évangélique. C’est avec elle que débuta le petit groupe, avec l’intention d’obtenir son approbation par le Pape Innocent III. François se réfere a la situation avec une précision théologique et juridique: “Le Tres Haut me révéla..., le Seigneur Pape me confirma” (Test 14s).

 

C’est de ce premier engagement franciscain, que dérivent tous les autres, exprimés clairement par le fondateur dans les deux regles qu’il composera:

 

“Ceci est la vie que le frere François demanda au Pape Innocent de lui confirmer et accorder... La regle et la vie des Freres Mineurs consiste a ...suivre la doctrine et l’exemple de notre Seigneur Jésus Christ...que nous soyons fideles aux paroles, a la vie, a la doctrine, au saint évangile...” (1R, Prologue;1, 22, 41).

 

La regle de vie des freres mineurs est la suivante: observer le Saint évangile de notre Seigneur Jésus Christ...Que nous soyons stables dans la foi catholique, observant la pauvreté et l’humilité et le saint évangile de notre Seigneur Jésus-Christ, que fermement nous professons” (2R 1,1;12, 4).

 

La “forme de vie” donnée a Claire et a ses sours est la meme: “Par inspiration divine ...vous avez choisi de vivre conformémént au saint évangile de Notre Seigneur Jésus Christ, vivant dans l’obéissance, sans rien en propre, et dans la chasteté”. Et la petite plante de S.François, quand elle compose sa propre regle en 1252, apres quarante ans d’expérience, elle pensa ne rien faire de mieux que de transcrire textuellement les paroles du fondateur: “la forme de vie des sours pauvres que le bienheureux pere François institua, consiste a observer le saint évangile de notre Seigneur Jésus Christ” (RCL 1.2).

 

La base de la pédagogie de François fut d’initier les freres a la connaissance et a la méditation de l’évangile; et il réussit a ce que le groupe initial de Rivo Torto, prenne en affection la contemplation du texte sacré. En vertu de sa foi et de sa propre expérience, il était convaincu que la parole de Dieu semée dans le cour produit ce qu’elle signifie, quand elle est accueillie sur un terrain docile (cf. 1R 22, 10-26), parce que Dieu accompagne et communique efficacité a sa parole.

 

Mais toute l’Écriture sainte, et pas seulement l’évangile était pour François l’objet d’une lecture attentive et de méditation, écrit Thomas de Celano:

 

“Bien que cet homme n’ait pas été initié a la science par les études; c’est Dieu qui lui enseignait la sagesse d’en haut; grâce aux rayons de la lumiere éternelle, il comprenait magnifiquement les écritures. Son âme pure de toute souillure, trouvait l’acces des mysteres cachés, et son amour impétueux ouvrait les portes devant lesquelles piétine la science des Maîtres” (2C 102).

 

Ayant conscience que ce don lui avait été concédé par la libéralité divine, véritable pauvre d’esprit, il ne le gardait pas pour lui, mais se sentait obligé a le partager avec les autres, “servant et distribuant a tous les paroles parfumées du Seigneur” (2 LFid 2s).

 

Considérer l’évangile comme norme supreme de vie, ne signifie pas seulement qu’on l’accepte comme point de référence de considérations morales et ascétiques, par lequel nous avons l’habitude de produire des citations bibliques pour justifier nos positions, cela va beaucoup plus loin, nous devons les placer au dessus de toutes les convenances, et meme au dessus de toute loi humaine. Cela explique que François ait résisté a la tentation de formuler des prescriptions tres concretes pour la vie des freres, en effet cela risquait de placer au second plan les invitations évangéliques, les restreignant a des normes disciplinaires. Son hypothese de départ est celle d’un compromis librement assumé par des freres dociles a l’Esprit, toujours soumis aux préceptes de Dieu et de l’Église, animés du désir de se rendre service mutuellement et d’obéir, expression de la liberté des enfants de Dieu (cf, 1R 5,13-70).

 

L’engagement évangélique de mettre nos pas dans ceux de Jésus Les invitations de Jésus dans l’évangile sont toujours formulées en terme de suite: Suis-moi ! - Celui qui veut venir apres moi, qu’il prenne sa croix et me suive - Vous qui m’avez suivis...- Ils laisserent la leurs filets et me suivirent...”Suivre” représente beaucoup plus qu’exprimer une attitude réceptive de pure adhésion aux paroles du Maître; “Suivre” signifie se compromettre entierement avec lui dans son action de salut, dans l’annonce et dans l’implantation du Regne. Suivre le Christ exige la libération de quelque empechement ou calcul qui peut limiter la totalité d’un amour devant lequel tous les autres liens affectifs et tous les autres intérets ne représentent qu’une valeur tres relative.

 

François et Claire vivent cet impératif dynamique de leur adhésion au Christ. Tres souvent ils utilisent l’expression de la lettre de Pierre, suivre les pas de notre Seigneur Jésus Christ (I P2, 21), suivre la vie et la doctrine..., suivre ses pas et sa pauvreté ... Beaucoup trop de chrétiens, et meme certaines personnes consacrées, ont coutume de considérer la foi, la piété, et jusqu’a leur propre sainteté, comme des moyens pour assurer leur vie éternelle, pour d’autres, comme un travail de perfection personnelle, et cela au prix de certaines pratiques ascétiques. Nous avons la manie de voir tout, disons le une fois de plus, du point de vue de notre perspective mesquine, a partir de nous meme, au lieu de nous élever comme Jésus, au plan divin.

 

Dans le programme proposé par Jésus a ceux qui le suivent, il y a deux séries d’exigences. La plus générale est dirigée a tous les disciples qui accueillent sa doctrine et veulent sincerement accorder avec elle leur propre vie, comme sel de la terre et lumiere du monde. Ils sont les destinataires du sermon sur la montagne, et de beaucoup d’autres appels : la confiance dans le Pere du ciel, sans se préoccuper du lendemain; la charité fraternelle, l’humilité et la simplicité; la fidélité perpétuelle dans le mariage; l’oraison continue, le pardon sans limites...

 

Il y a encore d’autres séries de conditions que Jésus impose a ses collaborateurs immédiats, ceux qu’il souhaite voir engagés a fond dans la construction du Regne. Ceux qui font partie des soixante douze disciples dont parle Luc, l’évangéliste (10,1), choisis parmi la multitude de ceux qui l’écoutent, qui doivent etre préparés a certaines campagnes de préparation prophétiques. Mais ce sont surtout les douze apôtres, appelés par Jésus pour l’accompagner et qu’il va envoyer precher la bonne nouvelle (Mc 3, 14). Ceux ci doivent etre totalement libérés dans l’intéret du Regne, comme lui meme s’était libéré des biens terrestres et des recours d’une vie sure, libres des engagements familiaux, libres des commodités et des ambitions humaines, libres enfin de soi-meme (cf.Mt 4, 18-22; 9, 9; 16, 24s;19 ,21s; Lc 9, 57-62).

 

Le programme de vie destiné par Jésus au groupe de ceux qui se sont compromis a fond pour le suivre, s’applique a juste titre, non seulement aux éveques successeurs des apôtres mais a tous ceux qui exercent le ministere pastoral dans l’Église. Il s’applique de façon particuliere aux personnes consacrées, qui ont répondu a l’appel de tout laisser pour suivre de pres le Sauveur. La profession des trois voux évangéliques est comme une garantie de liberté, condition pour un don total, a partir de l’appel a un amour préférentiel, qui relativise tous les autres liens humains et terrestres.

 

L’ensemble de renoncements exigés pour marcher a la suite du Christ, inclue meme la libération radicale de soi-meme: Que celui qui veut venir a ma suite se renonce a lui-meme (Mt 16, 24). L’amour égocentrique de soi-meme est la racine de toute ambition possessive, de toutes tendances désordonnées; il est l’idole devant laquelle nous sacrifions les aspirations les plus nobles de l’esprit, il est le grand ennemi de la charité. Jésus ne nous demande pas de renoncer a notre personnalités, ni aux initiatives qui nous sont propres, au succes d’une carriere ou d’une profession; l’unique chose qu’il souhaite est de faire en sorte que notre “moi” ne soit plus ce centre autour duquel gravitent tous nos sentiments, plans, projets, préoccupations, désirs et craintes. Et cela jusqu’au destin fondamental de la vie, cette tendance que nous avons a séparer salut ou condamnation personnelle, comme s’il n’y avait, surpassant tout cela, un grandiose dessein divin d’amour et une mission a accomplir sous l’action salvifique du Christ.

 

Ce que Jésus attend c’est de se situer lui-meme au lieu meme de notre moi, comme centre absolu de référence, de la meme maniere que le Pere l’est pour lui. Pour cela il nous a donné un ensemble de moyens destinés a guérir les tendances d’affirmations de notre moi : dans la pratique des bonnes ouvres, en excluant toute intention d’etre vus (Mt 6, 4); etre comme un enfant pour entrer dans le regne (Mt 18, 3); se faire le serviteur de tous, pour etre véritablement grand (Mt 20, 16); occuper la derniere place (Lc 14, 8); se considérer sans aucuns mérites devant Dieu: Nous sommes des serviteurs inutiles; nous faisons seulement ce que nous devons (Lc 17,10).

 

Toute la pratique évangélique de François se base sur une attitude de minorité devant Dieu et devant les hommes. Seul réussit a progresser dans les vertus celui qui a commencé a mourir a lui-meme (SV 5). Tout ce qui contribue a s’élever au dessus des autres, a provoquer l’admiration sur sa propre personne, risque d’éveiller chez les autres une situation de dépendance, peu conforme a l’évangile : “Nous ne devons pas etre sages et prudents selon la chair, mais nous efforcer avant tout, detre simples, humbles et purs. Nous ne refusons pas

d’etre l’objet d’humiliation et de mépris... Nous ne pouvons pas désirer etre au dessus des autres, mais au contraire etreserviteurs et nous soumettre a toute créature humaine pour l’amour de Dieu” (2LFid 45-47).

 

L’affirmation du propre moi devient plus tentatrice quand nous réalisons avec succes des initiatives d’apostolat ou d’autres activités et inclusivement quand un frere se voit honoré pour ses dons spirituels:

 

“Je supplie, dans la charité qui est Dieu, tous mes freres, prédicateurs, orants, travailleurs, tant clercs que laics, de s’appliquer a s’humilier en tout, a ne pas se glorifier, a ne pas se réjouir en eux-memes, a ne pas s’exalter intérieurement des bonnes paroles et des bonnes actions, et absolument d’aucun bien que Dieu fait ou dit et opere quelquefois en eux et par eux..Et sachons fermement que rien ne nous appartient, sinon nos vices et nos péchés...” 1 Reg 17, 5-7).

 

ACTUALISATION

 

LE PROJET ÉVANGÉLIQUE AUJOURD’HUI

 

La “nouvelle évangélisation”

 

Le premier biographe de Saint François l’appelle le “nouvel évangéliste”(cf.1C 89; 2C 15). Et Saint Bonaventure reprend pour le définir l’expression de l’Apocalypse (Ap 7,2) : ”J’ai vu monter de l’Orient le deuxieme messager porteur du signe du Dieu vivant” (Itinerarium Prol.1). Le Pape Jean Paul II, a Assise le 5 Novembre 1978 a dit, et il l’a repris dans un message radio-diffusé en 1981: “François, le Petit Pauvre, a écrit en caracteres incisifs l’évangile du Christ dans le cour des hommes de son temps”. Dans le meme message, le Pape a adressé au saint cette priere:

 

“Toi qui, a ton époque, a rendu le Christ aussi proche des hommes, aide-nous a le rendre présent aujourd’hui, en ces jours aussi décisifs que critiques. Aide nous ! Nous attendons le Christ avec anxiété... Aide-nous, François d’Assise, a rapprocher du Christ l’Église et le monde d’aujourd’hui. Tu as porté dans ton cour les préoccupations de tes contemporains, aide-nous, avec ton cour si proche du cour du Rédempteur, a assumer les inquiétudes des hommes de notre époque... a les traduire en langage évangélique, simple et fécond et a résoudre tout selon l’esprit de l’évangile...”

 

Ces dernieres années on a beaucoup écrit sur la nouvelle évangélisation, une expression qui porte en elle des significations trés différentes, selon le contexte socio-religieux d’ou provient cette urgence pastorale. Il n’y a pas de doute que notre société chrétienne ait besoin d’etre évangélisée de nouveau. Cette exigence est urgente, du fait de la “déchristianisation”, un fait sur lequel on se lamente, sans l’avoir pour autant analysé. Mais il est la conséquence d’une nouvelle réalité culturelle, économique et technique dans laquelle les modeles de comportement ont passé de mode. Comme l’a dit Vatican II (GS 5), ”L’humanité est en train de passer d’une réalité statique a une autre plus dynamique et évolutive. Résultent de la, de nouveaux et complexes problemes, qui exigent de nouvelles analyses et de nouvelles syntheses”.

 

Nous ne prétendons pas aborder une matiere aussi ardue, pour laquelle, d’ailleurs, nous manquons de perspective historique, puisque c’est une réalité dans laquelle nous sommes plongés et dans laquelle nous vivons. Mais bien que le climat social et ecclésial fut completement différent du nôtre, ce fut dans une époque en proie a de profonds changements et mutations, que François annonça l’évangile du Christ aux hommes de son temps; et il réussit a discerner les valeurs et contrevaleurs évangéliques, tant de la société féodale en agonie, que du nouveau contexte communal et bourgeois qui commençait a apparaitre. Avec son témoignage et son message prophétique, il aida les uns et les autres a découvrir et a relire l’évangile.

 

Sans cette “conversion” a l’évangile, peut surgir l’ambiguité de faire de la “nouvelle évangélisation” non une relecture simple et docile de l’évangile, mais une accommodation opportuniste qui n’a rien a voir avec l’évangile. L’importance du ferment chrétien réside dans la capacité qu’il a, d’interpeller et de secouer les zones évangélisables des personnes et des cultures, stimulant la conversion. Ce fut la méthode et le secret de la redécouverte évangélique de François. Le mystere de la croix présent a notre monde. Le programme exigeant proposé par Jésus a ceux qui veulent le suivre, culmine en ce qui, pour lui a constitué le terme final de sa mission rédemptrice: Celui qui veut me suivre...qu’il prenne sa croix et qu’il me suive (Mt 16,24). Sincere comme l’était Jésus avec ses intimes, il voulut les préparer pour ce moment qu’il appelait son “heure”. Il commença par quelques insinuations voilées, leur parlant d’un calice qu’il devait boire et d’un bapteme qu’il devait recevoir (Mt 20, 23s; Lc,12, 50), mais dans les derniers six mois de sa vie sur terre, a trois reprises, il leur annonça le mystere, et chaque fois avec plus de précision. Cependant comme le font remarquer les évangélistes, ils ne comprirent rien a cela, et ils ne savaient pas de quoi Jésus était en train de leur parler (Lc 18, 34). Pire encore, quand Jésus aborda le sujet pour la premiere fois, Pierre s’opposa a lui sans détours, tentant de le dissuader de cette espece de cauchemar. Il ne pouvait entrer dans la tete des apôtres, comme de quelque israélite, qu’il put y avoir un tel dénouement a l’implantation du regne messianique. C’est seulement, apres la résurrection et la glorification de Jésus qu’ils réaliserent ce qui devait arriver.

 

Mais meme ainsi, il ne fut pas facile aux apôtres - comme le confesse Saint Paul -, de publier devant le monde le salut réalisé par la mort du Christ en croix. Les juifs exigeaient des preuves spectaculaires, prodigieuses, et la culture hellénique demandait des initiations ésotériques. Cependant l’Apôtre continue a precher Le Christ mort sur la croix, scandale pour les juifs, folie pour les paiens - mais pour ceux qui ont été appelés, qu’ils soient juifs ou non, Christ est pouvoir et sagesse de Dieu (1Co 1, 18-25).

 

La représentation de la croix n’a jamais été accueillie par le monde. Elle apparaît comme un anachronisme, inopportun dans une société de bien-etre qui nourrit l’espérance de pouvoir éliminer la souffrance, la fatigue, et si possible la mort elle meme, grâce aux progres de la science et de la technique. Malgré cela, l’invitation du Christ a porter la croix et a le suivre n’a rien perdu de son actualité. Il s’agit pour chacun d’accepter de porter sa croix, sa croix de chaque jour (Lc 9,23).

 

Pourtant, il est inutile de penser a quelque croix extraordinaire, auréolée d’héroisme, dans un moment particulier de la vie: par exemple quelque grave persécution ou calomnie, une maladie grave, le martyre...; et encore moins d’inventer et fabriquer des croix pour le plaisir masochiste de souffrir...La croix qu’il importe d’accepter avec vaillance, prés de Jésus, est celle qui apparaît sans avoir été souhaitée : un travail imprévu, une incompréhension, une parole qui nous a blessée, un malheur, la mort d’un parent, la contrariété d’un changement, quelque souffrance physique ou morale, cela peut etre aussi une aridité spirituelle, ou le tourment de se croire abandonné de Dieu...

 

Saint Paul expérimenta en lui-meme et nous a enseigné l’énorme richesse de la théologie et de la mystique de la croix. Puissions nous faire nôtre les expressions qui révelent l’ expérience qu’il a de ce mystere:

 

“Dieu me préserve de me glorifier si ce n’est dans la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ; par elle le monde est crucifié pour moi, comme moi pour le monde (Ga 6 14). J’acheve dans mon corps ce qui manque aux souffrances du Christ pour son corps qui est l’Église (Col 1, 24).

 

Le Fils de Dieu, pour réaliser sur terre la mission du Pere, se devait d’assumer la nature humaine, capable de souffrir maintenant qu’il regne glorieux a la droite du Pere, il a besoin d’un supplément d’humanité pour continuer a souffrir. Beaucoup de victimes de la douleur découvrirent le sens de leur vie de souffrances, en voyant comment le Christ sur la croix assuma les souffrances de l’humanité et se sentirent heureux de pouvoir lui offrir leur collaboration en vertu de cette union mystique qui les unissait a lui, pour le bien de “son corps

qui est l’Église”.

 

Le mystere de la croix est au centre de la spiritualité franciscaine. Suivre le “Christ pauvre et crucifié” est la raison d’etre des options de Saint François et de Claire (cf. 2C 105;1 LCL 14; 4LCL 22; 5LCL 11), comme le montre ce passage d’une exhortation de Claire a Agnes de Prague :

 

“Contemple-Le, pour toi, il s’est fait méprisable et suis-Le, te faisant pour lui méprisable en ce monde. Tres noble reine, regarde, considere, contemple, désirant imiter ton époux, le plus beau des fils des hommes, qui pour ton salut, s’est fait le plus vil des hommes, méprisé, frappé et sur tout le corps flagellé, mourant dans les angoisses memes de la croix. Si tu souffres avec Lui, avec Lui tu régneras; t’affligeant avec Lui, avec Lui tu te réjouiras; mourant avec Lui sur la croix de la tribulations, avec Lui tu possederas dans les splendeurs des saints les demeures célestes” (2LCL 19-21).

 

François fut appelé un deuxieme Christ, surtout pour avoir été transformé en image vive du crucifié, comme l’observe Saint Bonaventure (LM 13,3). Avant d’avoir été marqué dans son corps par les plaies de Jésus, il était déja crucifié en esprit. Son plus grand désir était d’offrir au Rédempteur la preuve supreme de l’amour, s’unissant étroitement a Lui, mourant pour Lui et comme Lui. Ainsi arriva cette nuit lumineuse de la fete de la Sainte Croix en 1224, quand le Petit Pauvre, dans une extase d’amour, vit devant lui un séraphin ou entre ses deux ailes apparut le divin crucifié. En Le contemplant il expérimentait les intenses sentiments de joie et de douloureuse compassion. L’extase terminée, il découvrit les marques des plaies sacrées dans ses mains, ses pieds et son côté (1C 94s).

 

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Intériorisation

 

“Mon Joug est facile a porter et mon fardeau léger” (Matthieu 11, 30)

 

Toi meme nous l’as dit, ô Maître, dans un moment de tendre effusion. Je crois, et je l’ai déja expérimenté. Tu es en vérité “la manifestation de la bonté et de l’indulgence de Dieu notre sauveur” (Test 3, 4).

 

Mais je dois avouer que l’ensemble des exigences de ton évangile et des conditions exigées pour te suivre, sont pour moi, sous leur aspect humain, peu attrayantes.

 

Avant et apres toi surgirent beaucoup de prophetes, maîtres et novateurs qui annoncerent des temps de prospérité, promettant des solutions faciles, avantages, revendications, pouvoirs, plaisirs... avec des programmes fascinants et attirants, projets a court terme, et nombreux sont ceux qui furent séduits et adhérerent...

 

Mais toi, Jésus de Nazareth, né dans une étable tu es venu nous parler de conversion, d’humilité, de mansuétude, d’aimer ses ennemis, de se mettre au service de tous, de mépriser les richesses, de renoncement, de croix...

 

Et tu as démasqué l’hypocrisie, l’auto-suffisance, la convoitise et l’immoralité des puissants...

 

Logiquement, tu finis par etre ridiculisé, vaincu, jusqu’a etre abandonné par tes amis les plus intimes, condamné comme criminel, alors que tes adversaires célébraient leur victoire sur toi.

 

C’est le paradoxe impénétrable des chemins de Dieu, aussi différents des nôtres. Comment tes disciples auraient-ils pu croire que le Messie-Roi allait implanter son regne de cette maniere ?

 

Tu n’as pas eu recours a l’adulation pour obtenir l’appui des classes dirigeantes, tu n’as pas davantage spéculé sur ta popularité, tu ne nous a pas montré des chemins faciles et commodes.

 

Au contraire, ton invitation s’est dirigée seulement sur ceux qui se sont senti le courage d’accepter inconditionnellement ton programme: Entrez par la porte étroite.. combien est resserré le chemin qui mene a la vie...(Mt 7,13).

 

Mais meme ainsi, et précisément a cause de cela, personne n’attira a lui autant de partisans, personne ne continue a etre autant aimé que toi, mon tres doux Maître. Alors que guides et coryphées disparaissent tous, tu demeures pour toujours: Christ est le meme hier, aujourd’hui et pour toujours ! (He 13, 8).

 

Il est certain que sont nombreux ceux qui ne te connaissent pas, ou vivent encore comme s’ils ne te connaissaient pas, et beaucoup d’autres s’éloignent de toi, te trahissent, te maudissent et te persécutent. Mais ils sont innombrables ceux qui te sont fideles et te redisent la parole de Pierre, dans ce moment critique de Capharnaüm: Seigneur a qui irions nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle et nous croyons ! (Jn 6, 68s).

 

Quant a moi, je vais continuer de répéter comme Saint Paul: Je n’ai pas honte de l’évangile. En lui réside la force de Dieu pour sauver tous ceux qui croient...(Rm 1, 16). Je n’ai pas honte, je sais en qui j’ai mis ma confiance , et je sais en qui j’ai mis ma foi et j’ai la certitude qu’il a le pouvoir de garder le dépôt qui m’est confié jusqu’a ce Jour-la (2Tm 1, 12).

 

Je termine les considérations de cette journée par cette oraison que le Pere séraphique affectionnait tant :

 

“Seigneur que la force

enflammée et trés douce

de ton amour détache

mon âme de tout

ce qu’il y a en ce monde,

de telle maniere que je meure

par amour de ton amour,

 

Toi qui déja a voulu mourir par

amour de mon amour”.

 

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Épilogue et Révision de Vie

 

1 - Je vois bien que c’est a moi que cette parole de Jésus est adressée:

 

“Et toi, qui penses-tu que je suis ?”

 

Je n’ignore certainement pas, qui est mon tres aimé Rédempteur; a son sujet j’ai beaucoup appris et beaucoup médité. Mais en pratique, dans mon quotidien, l’ai-je expérimenté comme chemin, vérité et vie ? Puis-je dire comme Saint Paul:

 

" Maintenant ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ?

 

2 - Ai-je fait comme François la découverte de l’évangile ? Dans quelle mesure les pages de l’évangile, et en général toutes les saintes Écritures, façonnent-elles ma vie intérieure, mon comportement, ma culture ?

 

3 - Est-ce que je me sens engagé, libre pour suivre le Christ a travers les renonciations que cela exige ?

 

4 - Le mystere de la croix continue d’etre une sottise pour le monde, et aujourd’hui plus que jamais. Ne la serait-elle pas aussi pour moi? Ou au contraire, imitant Saint François, pénétré a fond par la passion du Christ, est-ce que j’accepte le sacrifice, le mystere de la douleur rédemptrice en chaque personne qui souffre ?

 

 

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