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nouvelle évangélisation-retour

Pierre Riouffrait - ("pretre sans frontieres" en Équateur depuis 26 ans)

La mission en Amérique latine a partir de l’expérience des CEB

 

 

 

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Nous sommes en Équateur dans la ville de Guayaquil, pres de l’Océan Pacifique. Les Communautés Ecclésiales de Base (CEB) y sont tres actives depuis de nombreuses années dans une dizaine de quartiers populaires. Elles cherchent a construire la fraternité et la solidarité dans le quartier a partir de la réalité de vie et de la foi. Pour ce faire, leurs animateurs se réunissent chaque semaine pour partager leurs expériences et préparer themes de rencontres et réunions a réaliser avec les voisins.

 

 

UNE EXPÉRIENCE A LA MANIERE DES CEB

 

La voisine Mercédes

 

Mercédes a 47 ans et est équatorienne. Elle habite un secteur populaire de Guayaquil ou elle est couturiere-modiste. Elle est célibataire, mais elle a élevé, depuis sa naissance, une niece qui a aujourd’hui 15 ans. Elle est la 4e enfant d’une famille de 10 enfants. Il y a 25 ans, elle faisait partie de la JOC (Jeunesse Ouvriere Chrétienne), mouvement chrétien qui réunit les jeunes des quartiers populaires qui travaillent ou cherchent un emploi. Elle a conservé des liens avec les anciens ‘jocistes’, pour continuer de nourrir sa foi, maintenir des activités au service des autres et célébrer cette expérience entre chrétiens.

 

Des relations de voisinages difficiles

 

Lorsque Mercédes est arrivé dans son nouveau quartier il y a 3 ans, elle a décidé d’aider ses voisins a vivre plus humainement en partant de leur réalité et de leur religiosité. Dans ce secteur de plus de 5000 familles, il n’y a pas d’église ni de pretre résident. Les relations de voisinage sont assez conflictuelles ; beaucoup de mamans avec enfants ont été abandonnées par leur compagnon. Il est difficile de trouver du travail et les salaires sont tres bas : 100 euros de moyenne pas mois. Avoir a manger un peu tous les jours releve de la prouesse pour la majorité des familles.

 

La chance de la religiosité populaire

 

Comme on approche de Noël, Mercédes décide de réunir les enfants autour de la creche qu’elle a faite dans sa maison. On chantera des chants de Noël que tout le monde sait, on fera une petite lecture de la Parole de Dieu, on se dira ce qui a frappé les uns et les autres, on verra ensemble le message qu’on peut en retirer, on fera de breves prieres a partir de ce que l’on a partagé et on terminera par boire joyeusement un lait au chocolat avec de petits gâteaux. Avant de se séparer, elle demandera quels sont les enfants qui ont fait une creche dans leur maison et a qui l’on va rendre visite demain en reprenant le meme schéma de réunion, si les parents sont d’accord. Dans le cas des enfants qui n’ont pas de creche, elle leur montre plusieurs personnages : Marie, Joseph et Jésus ; elle en fera meme cadeau a ceux qui ne pourraient pas se les acheter.

 

Autour de la creche

 

Comme toutes les semaines, le mercredi précédent, Mercédes a participé a une réunion des animateurs des Communautés Ecclésiales de Base de la ville. On s’y est distribué une neuvaine de Noël faite avec le pretre qui accompagne ces groupes. Chaque soir donc, le theme des rencontres est différent, la lecture biblique aussi et le sujet de vie également. C’est un succes : a chaque nouvelle veillée il y a plus de monde, non seulement la famille mais aussi des voisins qui ont déja eu chez eux une réunion. Pour la nuit de Noël, on a su que le pretre va dire la messe de minuit en plein air : on va la préparer avec lui et tout le quartier ira en procession avec quelques personnages de la creche. Dans le quartier l’ambiance est différente : on commence a se connaître, a se parler, on rend visite a Mercedes pour prendre un café ou parler un moment. Le jour de Noël, on a meme fait une petite fete ou chacun a apporté quelque chose a boire ou a manger. On se promet de recommencer a une prochaine occasion.

 

Nouvelles activités

 

La prochaine occasion sera le temps de Careme ou il y aura des réunions dans les maisons au moins 2 fois par semaine pour y faire le chemin de croix, avec des lectures bibliques en lien avec chaque station et avec la réalité du quartier. Mercédes aura photocopié auparavant les 14 scenes selon une reproduction latino-américaine du chemin de croix actualisé. Ensuite, le vendredi saint, ce meme chemin de croix se fera dans les rues du quartier avec tous les voisins. Le jour de la résurrection, il y aura une fete pour se dire, apres avoir vu souffrir le Christ aujourd’hui, quels sont les signes de sa résurrection existant entre nous.

 

Entre temps, toujours a partir des enfants, il y aura eu un nettoyage du secteur avec la collaboration de plusieurs voisins, on aura planté des fleurs devant les maisons et meme des arbres. Également, on aura commencé a célébrer les anniversaires de certains des enfants.

 

Au cours de l’année, il y aura aussi des jours marquants que l’on célébrera ensemble : le 8 mars pour la femme, le 1er juin pour les enfants, le 12 octobre pour l’invasion européenne, la derniere semaine d’octobre pour feter le Christ roi et la construction (ou destruction) de son royaume, le 10 décembre pour les Droits de l’homme, le 12 pour Notre Dame de Guadaloupe du Mexique, etc. Mercédes ne manquera pas de rendre visite aux malades accompagnée de quelques voisines, aux mamans qui viennent d’avoir un enfant ; on l’invitera pour qu’elle prie a l’occasion d’un déces. On lui demandera meme d’organiser le catéchisme : elle le fera avec les parents, puis ira voir le pretre.

 

Une maison communautaire pour le quartier

 

Des groupes d’amis français ont aidé Mercédes a acheter une petite maison dans le quartier. C’est ainsi plus facile pour se réunir, passer un moment de dialogue, s’entraider les uns avec les autres. Depuis plus d’un an, c’est un lieu de rencontre et d’animation du quartier. On y parle de beaucoup de problemes, on en résout certains Les femmes apprennent á cuisiner, a coudre, a couper les cheveux, a procurer les premiers soins dans les petites maladies. Les hommes viennent pour écouter un alcoolique qui a changé de vie grâce aux Groupes ?Alcooliques Anonymes?. Une psychologue du quartier se réunit avec les familles en difficulté : problemes de couple, de violence contre les enfants, de manque d’estime de soi, etc. Une infirmiere aide les mamans a avoir une meilleure alimentation, a prendre soin des nouveaux-nés, a résoudre quelques problemes de santé. Des jeunes apprennent a jouer de la guitare, regardent des cassettes video éducatives. Mercédes fait des réunions sur la Bible a partir de la réalité.

 

QUELQUES REFLEXIONS SUR LA MISSION

 

Dans leurs réunions latino-américaines, les éveques ont toujours insisté sur les bienfaits des CEB parce qu’elles sont "moteur d’évangélisation et source de libération" : elles sont "le plus petit noyau ecclésial" et représente une "grande espérance pour le futur de l’Eglise et la transformation de la société". La mission doit toucher ces deux objectifs. L’expérience de Mercédes dans son quartier en est un exemple. Pour les CEB, la Nouvelle Evangélisation est un défi si on la conçoit comme l’engagement a évangéliser a partir des pauvres et des cultures opprimées pour avancer vers une transformation de l’Église et un changement social.

 

Les CEB ont marqué l’Eglise d’Amérique Latine et celle-ci a aidé l’Eglise universelle a retourner a la source de l’Evangile par "le choix prioritaire pour la cause des pauvres, qui est notre cause et la cause de Jésus-Christ" (Message des Éveques réunis a Puebla, au Mexique, en 1979). Actuellement, trois mots peuvent nous aider a ouvrir de nouveaux chemins de vie, de foi, de joie. Ce sont ceux que le Pape a utilisés pour résumer le Synode des Éveques des Amériques en 1998: conversion, communion et solidarité.

 

La Conversion au choix prioritaire des pauvres

 

Le mot "conversion" veut dire changement, dans le sens de se convertir a la pauvreté et aux pauvres pour pouvoir nous dire chrétiens, disciples de Jésus-Christ. Rappelons ici que le choix prioritaire pour les pauvres comprend trois étapes complémentaires :

Le choix d'etre "avec" les pauvres, dont on partage la vie de temps a autres. Cette attitude ne permet pas aux pauvres d'etre les acteurs de leur propre changement de situation ni de détruire les structures qui la provoquent, encore moins de créer les alternatives aux actuelles inégalités. Cette premiere préoccupation, paternaliste, doit faire des progres significatifs afin de cesser d'humilier les pauvres et de les enfoncer dans leur pauvreté.

L'option de vivre "au milieu" des pauvres. En allant vivre au milieu des pauvres, on fait un pas de plus vers la véritable option pour les pauvres. On peut difficilement rester les bras croisés et ne rien faire pour qu'ils sortent de cette situation insupportable. La parole de Jésus interpelle fortement : "Si vous ne l'avez pas fait a l'un de ces petits, c'est a moi que vous ne l'avez pas fait" (Matthieu 25,45). Cette présence solidaire au milieu des pauvres n'est toutefois pas suffisante : c'est beaucoup, mais il s'agit de nous laisser convertir et évangéliser par les pauvres eux-memes.

L'option de penser "a partir" des pauvres et de lutter "selon" eux. C'est l'exemple de Jésus qui doit nous guider : se faire pauvre avec les pauvres. Lui est né, a vécu, travaillé, est mort comme eux ; il parlait a tous, mais a partir de son identification avec les pauvres. Si les pauvres sont les premiers héritiers du Royaume, il s'agit de s'identifier a eux, de faire nôtres les causes pour lesquelles ils vivent et donnent leur vie, de se laisser instruire par leur sagesse et évangéliser par leur sens de Dieu : vivre le plus possible comme eux et devenir les mendiants de leurs richesses. C'est sans doute cela la conversion a Jésus-Christ : « Nous demandons comme une nécessité la conversion de toute l'Eglise a l'option prioritaire des pauvres dans le but de leur libération intégrale » (Document de Puebla n°1134). « Cette option éclairera toute notre action évangélisatrice » (Document de Saint Domingue n°296).

Si la mission est l’annonce d’un salut, ce salut doit commencer aujourd’hui, et cela veut dire que les pauvres ont le droit de vivre. Or la pauvreté est la premiere menace pour la vie des pauvres. La conversion chrétienne doit montrer des signes efficaces pour avancer vers plus de justice, d’égalité et de paix, a partir de ce que les pauvres eux-memes décident pour changer leur situation. Ce sont eux également les premiers responsables de la mission et, pretres et religieuses, nous sommes au service de leurs initiatives, comme "serviteurs des serviteurs de Dieu".

 

La Communion ecclésiale dans le sens de la Nouvelle Évangélisation

 

En Amérique Latine, parler de Nouvelle Évangélisation, c’est dénoncer ce qu’il y a eu de mauvais dans la premiere évangélisation : son imposition de formules, rites et symboles européens, l’anéantissement des civilisations indigenes, la destruction des signes religieux des peuples autochtones, le pouvoir concentré dans les mains du clergé, la marginalisation de la femme, etc., réalités encore tres présentes aujourd’hui. Quant a la Nouvelle Evangélisation, ses trois caractéristiques, selon le Pape, sont les suivantes :

 

Elle doit etre "nouvelle dans son ardeur'". Ceci est une invitation a retrouver la mystique et l'enthousiasme qui caractérisent la vie chrétienne, un peu comme un retour aux sources de notre identité, a la maniere de Jésus, des premiers chrétiens et évangélisateurs comme Bartolomé de Las Casas. Plus que jamais, notre continent doit "boire a son propre puits" (Gustavo Gutierrez), c’est-a-dire, puiser dans sa religiosité et ses cultures populaires un nouvel élan pour redonner a l'Évangile toute sa force transformatrice.

 

Elle doit etre "nouvelle dans sa méthode". Le plus grand document pastoral du Concile a confirmé la méthode classique de l'Action Catholique : "voir, juger, agir". Ce meme schéma de travail a été repris dans les trois Conférences Générales de l'Épiscopat latino-américain (Medellín, Puebla et Saint Domingue). L'expérience des Communautés Ecclésiales de Base d'Amérique Latine y a ajouté une quatrieme caractéristique : "célébrer". A Saint Domingue, les éveques latino-américains ont repris ces quatre étapes a partir de l'épisode évangélique des "disciples d'Emmaüs" (Luc 24,13-35) : d’abord l'écoute et l'amitié, ensuite la parole qui éclaire, puis le partage et enfin la célébration. La Nouvelle Évangélisation assume cette méthode pastorale.

Elle doit etre "nouvelle dans son expression". Dans le cas de l'Amérique Latine, pour évangéliser d'une maniere nouvelle, il faut arriver a réexprimer tout le message chrétien a partir de la réalité, de l'histoire et des religions du continent. Nous avons a apprendre des pauvres le chemin d'une nouvelle évangélisation : il s'agit de renaître, comme Nicodeme en son temps, a une nouvelle expérience spirituelle a partir des cultures indigenes, noires et populaires. A Saint Domingue, les éveques latino-américains ont invité tous les chrétiens a entreprendre un effort d'inculturation de l'Évangile, de la liturgie, de l'Église et des dogmes. L'inculturation est certainement le maître mot a l'heure actuelle pour notre continent : arriver a une fécondation de la foi chrétienne par les différentes cultures - post-modernes pour l'Europe -, afin de trouver de nouveaux chemins de vie, d'espérance et de convivialité planétaires.

Comme on le voit, la communion ecclésiale est bien plus qu’un changement superficiel sans lendemain.

 

La Solidarité pour un changement de société

 

Nous avons a etre solidaires avec tous ceux qui luttent pour une vie meilleure pour tous. Entre nous, les frontieres ne peuvent etre que celles du mal, de la souffrance et de la mort, a faire reculer et a supprimer. C’est ensemble que notre vie prend forme et saveur, par dela les religions, les races et les idéologies. "Tout homme est mon frere" : il a quelque chose a me donner pour que je grandisse ; et j’ai quelque chose a lui donner pour que nous avancions ensemble vers plus de liberté, d’égalité et d’alliance avec Dieu. La mission nous engage a faire triompher le droit de tous et de tous les peuples : c’est l’union dans la diversité, contre un systeme de corruption, d’esclavage des pauvres, de faim de plus en plus généralisée, de mort. Il s’agit non seulement de se scandaliser devant les réalités inhumaines de notre monde, mais surtout d’en dénoncer les causes pour mieux les combattre. Et les causes de l’appauvrissement sont des structures et des institutions de dimension internationale. Alors :

 

Il faut arreter cet enrichissement pervers, et donc détruire les structures économiques qui le produisent – c’est le cas du systeme néo-libéral.

Il faut renverser la vapeur : c’est-a-dire se mettre a rendre ce qu’on vole et ce qu’on a volé, pour l’Amérique Latine, depuis 500 ans ; il s’agit la d’une option de vie afin que cela soit possible.

Il faut s’engager a multiplier les initiatives des pauvres organisés et de ceux qui font le choix prioritaire de promouvoir jusque dans ses ultimes conséquences les causes que les pauvres eux-memes ont décidées et décident pour construire un monde économiquement plus égalitaire, politiquement plus participatif, culturellement plus créatif et éthiquement plus respectueux des différences et des richesses de chacun.

Pour nous ouvrir a une plus grande conversion, communion et solidarité, je terminerai par quelques mots de Georges Bernanos, écrits au Brésil en 1945 : "Je dis que le monde sera sauvé par les pauvres, ceux que la société moderne élimine, parce qu’ils ne sont plus capables de s’y adapter et parce qu’elle n’est pas en mesure de les assimiler, jusqu’a ce que leur ingénieuse patience ait, tôt ou tard, raison de sa férocité. Je dis que les pauvres sauveront le monde : ils feront cette colossale affaire" (Les enfants humiliés, NRF, p. 898).

 

La parole de l’apôtre Paul renouvelle notre espérance au milieu de tant de difficultés pour rendre possible la mission des chrétiens, en particulier des chrétiens pauvres : « En effet, nous savons que la création toute entiere gémit et souffre les douleurs de l’enfantement. Et non seulement elle, nous aussi qui possédons en premier les dons de l’Esprit Saint, nous gémissons au fond de nous-memes dans l’attente de nos droits de fils et de la rédemption de notre corps ». (Romains 8,22-24). « Les chrétiens sont appelés a se préparer au commencement du 3e millénaire en renouvelant leur espérance de la venue du Royaume de Dieu, en le préparant jour apres jour dans leur coeur, dans la communauté a laquelle ils appartiennent, dans le contexte social ou ils vivent et aussi dans l’histoire du monde » (Jean Paul II, A l’aube du 3e millénaire, 46).

 

La mission n’est-ce pas se mettre au service de "cette colossale affaire", un nouvel enfantement, pour avancer vers le salut ? Par notre témoignage missionnaire, rendons cela encore plus évident.

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