991

Les racines de la LIBERTE. (Jean MOUROUX)

Pour être libre, il faut voir clair. Or, chez l'homme qui se convertit, qui entre dans le monde de la foi, et qui change de vie, ce qui agit, c'est d'abord une grâce qui fait voir. La grâce est lumière, et elle fait apparaître, à travers le monde familier, des réalités inconnues, et divines; elle est principe de vision, et elle transforme du dedans le pouvoir propre de l'esprit; elle est l'intelligence du Christ, greffée sur la nôtre, et la rendant capable de saisir, en lui, un double et unique mystère : celui de Dieu qui se donne et invite aux choses éternelles, celui de l'homme, déchu, racheté, introduit par la croix dans la vie même de Dieu. Par la grâce de la foi, l'intelligence, à la lettre, est recréée et naît une seconde fois; elle devient capable de connaître en vérité, et elle peut lire dans sa vie et dans le monde ce que Dieu même y voit et veut y réaliser.

Le chrétien est un homme qui sait, un homme délivré par cette vérité qui est le Christ lui-même. Il peut mesurer avec exactitude le sens véritable des choses, les exigences véritables de sa destinée, la portée véritable de ses actes. Dès lors, il est capable d'un jugement lucide, et c'est en pleine lumière, arraché aux fantômes et aux mensonges qu'il peut choisir. Béni soyez-vous, mon Dieu, qui m'avez délivré des idoles!

Pour être libre, il faut être maître de soi, et donc faire régner l'esprit sur la chair. Or la grâce est une énergie véritable, qui vient fortifier du dedans la volonté vaincue. Celle-ci est faible, d'abord parce qu'elle est séparée de sa fin : en l'arrachant au péché, la grâce l'unit au Dieu de bénédiction, dont la puissance est plénitude et grandeur dépassant toute compréhension. La seule présence de la foi dans une âme révèle en pleine activité la puissance de cette force. Et cette force est celle-là même qui agissait dans le Christ et l'a ressuscité d'entre les morts.

Maintenant que la force du Christ habite en elle, la volonté est délivrée de son impuissance radicale; elle peut lutter contre la chair et la vaincre; elle est capable de posséder son corps dans la sainteté et dans l'honneur, et non dans le désir des passions, comme les païens qui ne connaissent pas Dieu; elle voit se lever devant elle l'aube de la liberté.

Pour être libre, enfin, il faut aimer et se donner. Région de l'amour, lieu de la blessure la plus profonde, et aussi de la guérison la plus radicale. Car la grâce est un amour qui se donne, et qui envahit l'âme pour susciter en elle un autre amour; elle est l'amour de Dieu répandu dans nos coeurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné. Il y a désormais au coeur de la volonté et à la source de son énergie, une force de charité divine, méritée par le Christ et donnée par l'Esprit; une traction bienheureuse en quoi se manifeste la présence du Père; un appel profond, et tellement accordé au mouvement naturel, qu'il ne fait que le prolonger en le redressant et en le dépassant; l'élan d'un désir, d'un don, d'une joie, qui jaillissent jusqu'à la vie éternelle, - une eau vivante, disait Ignace d'Antioche, et qui murmure en moi, et me dit au-dedans : Viens vers le Pére!

Les racines de la liberté sont donc transformées par la grâce du Christ : Verbe de la liberté (S. Irénée)

 

991