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Révision de vie. Joseph BOUCHAUD

Denise, une militante de l'équipe dont je suis l'aumônier, a rencontré Renée toute découragée, qui lui a fait part de ses difficultés : Renée a été élevée dans un orphelinat en Bretagne. Elle est arrivée à Paris sans travail, sans logement. Elle a cherché beaucoup, mais elle n'a rien trouvé. Les tentations sont grandes; Renée s'est raccrochée à Denise comme le naufragé à une bouée.

Toutes ensemble, les militantes ont cherché. L'une a trouvé une petite chambre, dans un vieil immeuble. L'autre a trouvé une place dans un atelier : Renée travaillera sur une machine à poser les spirales métalliques qui tiennent les pages et les couvertures des cahiers scolaires. Et Renée, toute heureuse, demande à devenir, elle aussi, jociste. Elle veut faire pour d'autres ce que Denise et ses amies ont fait pour elle. Mais, dès la première réunion, elle arrive à nouveau triste et découragée. Son atelier est très prolétaire. Très mal payés, les ouvriers et ouvrières qui y restent sont uniquement ceux qui ne peuvent rien trouver ailleurs. Les conversations, la moralité, l'ambiance générale paraissent écrasantes, et l'amitié semble ne pas pouvoir s'y exprimer, même à travers des gestes tout simples. Je pose des questions à Renée pour essayer de trouver ces toutes petites marques d'amour qui seraient déjà signe de la présence du Christ... mais en vain... et, devant Renée découragée, qui n'a plus envie de prier, d'aller à la messe, ni d'espérer en quoi que ce soit, je conclus que cela nous montre qu'il y a des lieux sur la terre où c'est dejâ l'enfer, parce qu'il n'y a pas d'amour et parce que la présence d'une chrétienne n'y change rien.

A ces derniers mots, Monique bondit... Elle a seize ans; elle a été baptisée l'année précédente

- Ah non! Je ne suis pas d'accord avec vous! le crois, au contraire, que le principal est changé vivant, quand Renée ne travaillait pas là, le Christ continuait à souffrir sa passion, mais il souffrait dehors. Maintenant, il souffre dedans ; c'est formidable! Avec toi, Renée, c'est le Christ qui est entré dans ton atelier. Tu ne le vois pas encore, mais le principal est fait : le Christ est entré avec sa croix; sûrement qu'après t'avoir fait vivre sa croix, il te fera vivre sa résurrection.

Moi, j'écoutais et je pensais : Attrape, petit, cette bonne leçon d'évangile!

Et la réunion continua. Monique fit découvrir à Renée comment sa messe était déjà le baptême de son milieu de travail, à la condition qu'elle continue à porter en elle la souffrance de ses camarades de travail. Cette solidarité, vois-tu, c'est la condition de la vérité de ta messe : toi, tu viens avec la souffrance de ton atelier, le Christ vient avec la souffrance de sa croix et vous partagez ; c 'est formidable!

Et moi, je me taisais... moi qui chaque jour, à la messe, répète : Faites ceci en mémoire de moi.

 

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