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REMISE EN QUESTION. (GUILAUME de Saint-Thierry) « Qui donc peut être sauvé? » A qui te désire, Seigneur, se présentent du moins tes bontés. Et du ciel et de la terre, et par toutes tes créatures, elles s'offrent et se présentent à moi d'elles-mêmes, ô Seigneur en tout adorable et aimable. Et autant elles te proclament et te prouvent aimable avec plus d'évidence et de vérité, autant elles te rendent pour moi plus ardemment désirable. Mais hélas! de même que mes offrandes ne te plaisent pas parfaitement Si je ne suis pas avec elles, ainsi la contemplation de tes biens nous rafraîchit-elle sans doute avec douceur, mais elle ne nous satisfait pas parfaitement, Si tu n'es pas avec elle. Tel est l'exercice assidu de mon âme. De là, assidûment, je scrute, ou applique, mon esprit; et, avec l'aide de tes biens et de tes bontés, comme faisant effort avec les pieds et les mains et toute ma vigueur, je tends vers le haut, vers toi, en toi souverain amour, souverain bien. Mais plus fort je tends, plus durement je suis rejeté en bas, en moi-même, sous moi-même. Ainsi donc, je me regarde, et je me jauge, et je me juge moi-même; et je deviens à moi-même, à propos de moi-même. une laborieuse et ennuyeuse question. Enfin cependant, Seigneur, je suis certain, de par ta grâce, d'avoir en moi le désir de te désirer et l'amour de t'aimer de tout mon coeur et de toute mon âme. Jusque-là tu m'as fait progresser, jusqu'à désirer te désirer et aimer t'aimer. Mais quand j'aime ainsi, ce que j'aime je ne le sais. Qu'est-ce en effet qu'aimer l'amour, désirer le désir? C'est par l'amour que nous aimons, si nous aimons quelque chose; c'est par le désir que nous désirons tout ce que nous désirons. Mais sans doute, quand j'aime l'amour, ce n'est point l'amour que j'aime - cet amour par lequel j'aime ce que je veux aimer, et par lequel j'aime tout ce que j'aime -' mais c'est moi que j'aime aimant, lorsque je loue et aime mon âme dans le Seigneur - cette âme que sans aucun doute je détesterais et aurais en haine, Si je la trouvais ailleurs que dans le Seigneur et dans son amour. Mais encore, du désir, que dirons-nous? Si je dis : « Je désire être désirant », déjà je me trouve désirant. Mais est-ce que je désire le désir de toi, comme si je ne l'avais pas, ou bien un désir plus grand que celui que j'ai? Lors donc qu'en cette façon défaillent et s'obscurcissent et s'aveuglent mes yeux intérieurs, je demande qu'au plus vite par toi ils soient ouverts, non pas comme furent ouverts les yeux charnels d'Adam, pour qu'il vit sa confusion, mais pour que je voie, Seigneur, ta gloire; pour qu'oubliant ma petitesse et ma pauvreté, je me redresse tout entier, et coure dans les embrassements de ton amour, voyant celui que j 'aimerai et aimant celui que je verrai; et que, mourant àmoi-même, je commence à vivre en toi. Et que m'advienne ce bien d'être en toi: moi pour qui le pire est d'être en soi! |
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