802

Sens de LA SOUFFRANCE. (Maunce BLONDEL)

 « Jésus lui dit ne pleure pas. »

C'est à l'accueil qu'il fait à la souffrance que se mesure le coeur de l'homme, car elle est en lui l'empreinte d'un autre que lui. Même quand elle ort de nous pour entrer avec son aiguillon pénéiant, dans la conscience, c'est toujours malgré le souhait spontané et l'élan primitif du vouloir. Quelque prévue qu'elle soit, si résigné d'avance qu'on s'offre à ses coups, si épris qu'on puisse être de son charme austère et vivifiant, elle n'en demeure pas moins une étrangère et une importune; elle est toujours autre qu'on ne l'attendait; et, sous son atteinte, celui même qui l'affronte, qui la désire et l'aime ne peut en même temps s'empêcher de la haïr : elle tue quelque chose en nous pour y mettre quelque chose qui n'est pas de nous. Et voilà pourquoi elle nous révèle ce scandale de notre liberté et de notre raison nous ne sommes pas ce que nous voulons; et, pour vouloir tout ce que nous sommes, tout ce que nous devons être, il faut que nous comprenions, que nous acceptions sa leçon et son bienfait. Ainsi la souffrance est en nous comme une semaille par elle, quelque chose entre en nous, sans nous, malgré nous; recevons-le donc, avant même de savoir ce que c'est. Le laboureur jette là son grain le plus précieux, il le cache en terre, il le dissémine au point qu'il semble n'en rien rester. Mais c'est justement parce que la semence est répandue qu'elle demeure sans qu'on puisse la ravir; elle pourrit pour être féconde. La douleur est comme cette décomposition nécessaire àla naissance d'une oeuvre plus pleine. Qui n'a pas souffert d'une chose ne la connait ni ne l'aime. Et cet enseignement se résume d'un mot, mais il faut du coeur pour l'entendre le sens de la douleur, c'est de nous révéler ce qui échappe à la connaissance et à la volonté égoïste; c'est d'être la voie de l'amour effectif, parce qu'elle nous déprend de nous, pour nous donner autrui et pour nous solliciter à nous donner à autrui.

 

802