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nouvelle évangélisation-retour

Francis George

L'Eglise dans le monde - L'Eglise catholique unie pour relever les defís de la mondialisation

(22 May 2000)

 

 

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Discours du cardinal Francis George au Ier Congres missionnaire américain

Le 30 septembre 1999, lors d’une allocution au Ier Congres américain de la mission qui s’est tenu a Parana en Argentine, le cardinal Francis George, archeveque de Chicago (États-Unis), a examiné les défis lancés a l’Église par la mondialisation. Quelques 2900 délégués participaient a ce Congres. Selon le cardinal, il est de la mission de l’Église de travailler a une mondialisation respectueuse de la personne humaine. Plus consciente que jamais de l’interdépendance des peuples de la terre, l’Église catholique doit rester unie, favoriser le dialogue interconfessionnel, pour créer de la solidarité, mieux effacer les divisions et faire en sorte que la mondialisation soit une chance pour l’homme, la justice et la paix. Voici le texte du cardinal George (Texte original anglais dans Origins du 16 décembre 1999. Titre et traduction de la DC) :

 

Au moment de clore cette décennie et ce siecle, il est de plus en plus clair qu’un nouvel ordre mondial prend forme. Au début de cette décennie, nous avons vu s’effondrer le communisme en Europe de l’Est et donc se terminer la Guerre Froide. Cet événement a mis fin a la division bipolaire du monde sur le plan politique et, en l’occurence, a son partage entre économies capitalistes et socialistes.

 

Ce qui a remplacé l’ordre mondial de la Guerre Froide, qui a duré pendant plus de quarante ans, c’est ce que l’on nomme, aujourd’hui, la mondialisation. Alors que celle-ci ne fait qu’émerger en tant que nouvel ordre mondial, les contours qu’elle redonne au monde et les directions qu’elle semble prendre nous paraissent progressivement plus clairs. Étant donné les effets de cet ordre mondial sur les personnes concretes, il revient a l’Église - qui a été chargée par le Christ de se soucier de tout - de s’y engager comme elle le fait dans toutes les cultures : a la fois pour affirmer ce qui est bon et noble dans celui-ci, et pour confronter ses carences et ses défauts a la lumiere et a la puissance de la Bible.

 

Au cours de cet exposé, je souhaite explorer les défis que la mondialisation lance aujourd’hui a la mission de l’Église. Vaste tâche, bien sur, qui ne peut etre entierement accomplie dans un tel exposé. Je vais donc essayer de définir a la fois les principaux défis lancés par la mondialisation et les ressources proposées par l’Église pour relever ces défis, dans la présentation de son message de Jésus-Christ. Je commencerai par une courte description de la mondialisation telle qu’elle se révele au monde aujourd’hui puis continuerai par une breve évaluation de ses aspects positifs et négatifs. Nous devrons ensuite preter attention a la maniere dont l’Église, dans sa mission d’évangélisation, devrait et peut répondre a ces défis. Je conclurai cet exposé par quelques réflexions sur la mondialisation a la lumiere de la nouvelle évangélisation et du grand Jubilé.

 

Qu’est-ce que la mondialisation ?

 

Beaucoup d’efforts sont faits, aujourd’hui, pour tenter d’expliquer ce qu’est la mondialisation. Il s’agit d’un phénomene tellement vaste, qu’essayer de le comprendre de maniere exhaustive peut mener a l’échec. Laissez-moi commencer par une image qui peut nous aider a comprendre la mondialisation au niveau technique comme au niveau spirituel.

En juillet, a été célébré le 30e anniversaire de l’un des événements les plus remarquables du XXe siecle : le jour ou un habitant de la terre a mis, pour la premiere fois, le pied sur une autre corps planétaire, la lune. Ce fut pour nous un événement porteur de multiples significations. Mais l’une des images les plus puissantes émergeant des aventures du voyage spatial, fut celle de notre propre planete terre que nous pouvions, pour la premiere fois, contempler a partir de l’espace. C’est aujourd’hui une image qui nous est, a tous, devenue familiere. Vue du vaisseau spatial Appolo 8, la terre est apparue telle un orbe de saphir, illuminé contre les ténebres de l’espace. Si l’on regarde cette gemme, on ne peut voir les lignes de partage politique, ni les autres délimitations ou barrieres qui marquent et parfois divisent la communauté humaine. Au contraire, il se dégage une profonde unité de l’image que nous percevons a partir de l’espace.

 

 

Je pense que la mondialisation, dans son sens le plus positif, c’est cette aspiration, ici sur terre, vers l’harmonie et l’unité telle qu’elle est perçue a partir de l’espace. Elle contient l’espoir et la promesse d’une famille humaine vraiment unie, alliée dans une profonde communion. Elle émane d’une telle image et recele un tel espoir que nous devrions sans tarder nous inspirer d’un processus qui a le potentiel de relier toute l’humanité d’une façon sans précédent. L’image de la terre vue du vaisseau Appolo 8 offre la base d’une spiritualité qui peut nous amener a relever les défis missionnaires que nous lance la mondialisation, une spiritualité plus adaptée a la vision que nous donne une vraie foi catholique.

 

Qu’est-ce donc que la mondialisation ? D’une maniere simple, on peut dire que la mondialisation est comme une extension et une compression simultanées du temps et de l’espace. D’un côté, la mondialisation a relié des gens et des lieux du monde entier, d’une maniere jusqu’ici inconnue de l’humanité. D’un autre côté, ces memes connexions ont créé une densité de relations pouvant devenir envahissantes et meme opprimantes pour la communauté humaine. L’ordinateur fournit une image de cette extension et de cette compression : Internet et la toile mondiale (Web) représentent cet état d’interconnexion étendue du monde ; la puce informatique, ou l’information est comprimée dans un tout petit espace, nous donne une image de ce que le monde est devenu.

 

Les forces ambivalentes de l’expansion et de la compression créent une puissante dynamique et révelent les profondes contradictions internes a la mondialisation, sur lesquelles je reviendrai dans un moment. Afin d’essayer de comprendre comment opere la mondialisation dans notre univers actuel, je parlerai brievement de la maniere dont elle implique quatre dimensions de notre vie : les dimensions technologique, économique, politique et culturelle.

 

La dimension technologique

 

Ce sont les avancées rapides en matiere de technologie de la communication qui ont permis la mondialisation. Le succes de l’ordinateur personnel dans les années 80 et la possibilité d’interconnexions offertes par la toile mondiale et Internet dans les années 90, ont créé une forme de communication pouvant transporter de grandes quantités d’information de façon extremement rapide. Cela a étendu le champ et réduit le temps de communication de façon spectaculaire. C’est cette possibilité de mettre en relation tant de gens et d’institutions, et de rendre cette interaction rapide et relativement aisée, qui est a la base de la mondialisation telle que nous la vivons. Le flot d’information que permet cette nouvelle technologie des communications en est la preuve. L’information est plus accessible et plus abondante pour un nombre toujours plus grand de personnes.

 

Par ailleurs, la facilité de se transporter sur de longues distances a entraîné a la fois la migration de populations désireuses d’améliorer leur sort économique et politique, et le mouvement rapide des capitaux et des biens de consommation. Bien sur, ces migrations et mouvements ne sont pas nouveaux. Mais ils interviennent a une échelle inconnue jusqu’ici.

 

La dimension économique

 

C’est sur le plan économique de la vie humaine que la mondialisation s’est fait particulierement ressentir. Le transfert rapide d’information et de capitaux permet d’accélérer et d’intensifier les transactions commerciales. L’ordre économique émergeant de cette possibilité est un capitalisme de marché mondial souvent appelé capitalisme néolibéral parce qu’il ressemble beaucoup au capitalisme libéral de la fin du XIXe siecle. C’est une forme de capitalisme de moins en moins contrôlé ou réglementé par des instances culturelles ou gouvernementales. Celui-ci a lié entre eux plus de pays que cela n’avait été possible auparavant. Il constitue cependant l’un des profonds paradoxes de la mondialisation. Malgré sa capacité a améliorer la vie de tous, il a - au moins jusqu’ici - élargi le fossé entre quelques groupes et individus immensément riches et un nombre toujours plus grand de gens emprisonnés dans les difficultés économiques ou meme la misere. Le rapport 1999 du programme de développement des Nations Unies indique que l’écart entre les riches et les pauvres se creuse de plus en plus au lieu de se resserrer. Je reviendrai sur ce point. De meme, malgré son aptitude a relier les gens dans cette nouvelle organisation économique, il a surtout mis en relation les plus privilégiés d’entre eux, que ce soit dans les pays riches ou dans les pays pauvres.

 

La dimension politique

 

La conséquence politique des technologies de communication et de transport, les forces puissantes du capitalisme mondial et les images culturelles envahissantes qui s’insinuent dans la vie quotidienne est un état-nation affaibli. Les communications sautent par dessus les frontieres nationales. Une économie de marché mondialisée limite le contrôle du gouvernement, réduisant l’importance et le pouvoir de l’état-nation. Par ailleurs, les accords économiques entre les nations ont créé des blocs qui restreignent la souveraineté nationale : l’Union Européenne, l’ALENA, et le Mercosur sont toutes des organisations bien connues. Enfin, l’effondrement du monde bipolaire de la Guerre Froide s’est accompagné d’un accroissement des conflits de petite échelle, qui, la plupart du temps, aujourd’hui, se déroulent a l’intérieur des États-nations et non plus entre eux. A cause de ces guerres, on assiste a un déferlement de personnes déplacées et de réfugiés sans équivalent depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

 

Alors que le pouvoir politique se déplace, l’État-nation ne disparaîtra pas tout de suite, mais ses pouvoirs et ses rôles sont en train de changer. Nous sommes également témoins de l’importance grandissante des organisations transnationales non contrôlées par l’état telles que les organisations non-gouvernementales dans la sphere politique. Celles accréditées par les Nations Unies ont une influence toute particuliere.

 

La dimension culturelle

 

De ce réseau d’interconnexions développé grâce aux technologies de la communication, est né une sorte de culture mondiale. Cette culture est surtout marquée par des signes de consommation : nourriture, habillement et loisirs. Beaucoup de ces signes de consommation ont pour origine - au moins au début - les États-Unis : les hamburgers de McDonald, le coca-cola, les tee-shirts, les chaussures de sport, la musique rock, les films vidéo et le cinéma. Parce qu’il s’agit de sociétés privées, elles appartiennent a des investisseurs répartis dans tout l’hémisphere et dans le monde entier. Bien que ces signes culturels soient reçus et interprétés différemment dans le monde, selon les cultures, elles créent un langage culturel commun, en particulier chez les jeunes. Alors que la gamme des produits culturels et des modes de vie est plus vaste, une sorte de scepticisme a l’égard de la capacité de l’intelligence humaine a saisir la vérité a surgi. L’esprit post-moderne déconstruit la synthese intellectuelle mais lui résiste.

 

Paradoxalement, la diversité post-moderne semble entraîner l’uniformisation de la culture. Les pouvoirs uniformisants des formes économiques de la mondialisation donnent l’impression qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme néolibéral. Cette économie de marché, décrite par le Pape Jean-Paul II dans Centesimus annus (cf. DC 1991, n. 2029, p. 518-532. NDLR) - fondée sur la propriété privée, le marché libre et l’initiative économique individuelle mais conçue de sorte que l’économie soit au service de le personne et non pas que la personne soit au service de l’économie - pourra-t-elle émerger de ce nouvel ordre économique mondial ? Les pouvoirs uniformisants de la mondialisation culturelle semblent venir a bout de formes d’art, de la musique et meme de la langue de cultures locales. Bien que l’espagnol reste la langue la plus parlée dans l’Église catholique, l’anglais est devenu la langue de la mondialisation.

 

Ces forces qui poussent a l’uniformisation sont profondément ressenties. Vu leur ampleur, bien des gens se sentent incapables de les contrôler. Parallelement, certains signes continuent d’indiquer que leur pouvoir englobant pourrait etre moindre qu’il n’y paraît aujourd’hui. Le Programme de développement des Nations Unies appelle a une plus grande réglementation de la mondialisation économique, ce qui montre une prise de conscience du probleme mais n’apporte pas de solutions. Des études indiquent également que des signes de culture mondialisée peuvent s’insinuer dans une culture, sans pour cela en éradiquer les expressions culturelles locales ; parfois meme, ils les intensifient. Il est, en fait, de plus en plus admis que pour comprendre la mondialisation, il ne faut pas se contenter de regarder ses aspects uniformisants. Il faut plutôt rigoureusement fixer notre regard sur le point d’intersection entre ce qui est mondial et ce qui est local. Tres peu de gens, a l’exception d’une petite élite dirigeante et culturelle, vivent exclusivement a l’échelle de la mondialisation. La plupart des gens en ressentent l’effet quand celle-ci entre en interaction avec leur environnement local.

 

L’une des attitudes les plus répandues relatives a la mondialisation, est la résistance par la réaffirmation de l’identité locale. C’est la l’une des causes de l’accroissement du nombre des conflits dans le monde aujourd’hui. Parfois, l’identité religieuse a été utilisée afin de rendre encore plus claire cette identité et cette différence locale vis-a-vis des voisins, ce qui a souvent entraîné la violence. En d’autres endroits, cela a aussi contribué au renouveau de langues et de coutumes. Dans les deux cas, ce qui est local est vécu plus intensément puisque contrarié par l’incursion de ce qui est mondial.

 

Cette interaction entre ce qui est mondial et ce qui est local s’est combinée a la migration des peuples (a la fois volontaire et forcée) pour créer des interactions inégalées au niveau de leur intensité et de leur étendue. De nombreux pays d’Amérique sont depuis longtemps multiculturels. Ce qui est nouveau, c’est l’intensité de l’interaction entre les cultures. Les États-Unis et le Canada sont maintenant les deuxieme et troisieme pays les plus multiculturels dans le monde (apres l’Australie). Les États-Unis sont également le cinquieme plus grand pays de langue espagnole au monde.

 

Le fait que les cultures se frottent les unes aux autres a entraîné une fragmentation culturelle et l’émergence de nouvelles formes de culture. Rappelons que les cultures ont toujours emprunté les unes aux autres. Mais ce que nous voyons aujourd’hui, c’est une fragmentation culturelle, surtout en milieu urbain.

La conjonction de sentiments d’impuissance face a la mondialisation, de résistance a ses empiétements et de peur de voir se fragmenter les valeurs culturelles de base font que, dans le monde, des groupes répliquent par ce l’on appelle parfois l’intégrisme. L’intégrisme est une réaffirmation de l’identité et de l’autonomie par la sélection de certains aspects anti-modernistes et anti-mondialistes de l’identité locale (et surtout religieuse) pour en faire a la fois les piliers sur lesquels est bâtie l’identité et la limite contre toute usurpation mondialiste supplémentaire. Si la mondialisation est responsable d’une uniformisation inacceptable, le monde post-moderne pourrait bien utiliser des phénomenes pré-modernes pour protéger ce qui est local. La liberté humaine pourrait ainsi se retrouver déconnectée de la modernité et un ordre post-moderne authentiquement nouveau pourrait naître du dialogue entre une culture pré-moderne telle que l’islam et la culture post-moderne de la chrétienté sécularisée.

 

Mondialisation : une évaluation

 

Apres avoir dit tout cela sur la mondialisation, comment devons nous l’évaluer ? Il y a une tendance, surtout dans les cercles religieux, a se focaliser sur les aspects négatifs. Une grande partie de cette évaluation est justifiée. Mais le fait de se focaliser exclusivement sur les aspects négatifs de la mondialisation empeche de percevoir deux choses importantes. Premierement, la mondialisation comporte des aspects positifs devant etre reconnus. Deuxiemement, on ne peut pas simplement condamner en bloc la mondialisation étant donné que tous les phénomenes culturels sont ambigus du point de vue de l’Évangile, et qu’aucune alternative n’est en vue. On ne peut ni passer sous silence la mondialisation, ni lui échapper facilement. Si l’Église veut s’engager dans le monde - comme il avait été clairement souligné qu’elle devait le faire au Concile Vatican II -, nous ne devons pas tout bonnement esquiver, ignorer ou meme condamner une force si considérable dans le monde d’aujourd’hui. C’est pourquoi je souhaite examiner a la fois les résultats positifs et négatifs de la mondialisation.

 

Aspects positifs : la mondialisation en tant qu’opportunité

 

Je souhaiterais ici insister sur deux aspects positifs de la mondialisation. Ils représentent a eux deux l’opportunité qu’offre la mondialisation. C’est tout d’abord la possibilité d’une plus grande interconnexion mondiale. Grâce aux technologies de communication et de transport dont nous bénéficions aujourd’hui, nous avons la chance de pouvoir vraiment devenir une famille humaine étroitement reliée. C’est primordial pour une Église qui se dit catholique. La possibilité qui s’offre a nous, c’est cette vision que l’on a de la terre a partir du vaisseau spatial Appolo 8. Comme nous le verrons, cela implique certaines choses qui ont été a maintes reprises exprimées par le Pape Jean-Paul II dans son appel a une plus grande solidarité humaine.

 

Cela nous permet d’aborder un deuxieme aspect positif de la mondialisation : l’acces a l’information et le resserrement des distances permettraient d’accroître les possibilités de développement humain. Les technologies de communication, dans cette nouvelle ere mondiale, ont permis de protéger les droits de l’homme de maniere effective. Le mouvement contre l’utilisation des mines antipersonnelles, par exemple, a été entierement mené sur Internet. Les reportages télévisés sur la famine et les souffrances provoquées par la guerre ont mobilisé l’opinion publique et forcé les gouvernements a réagir face a ces tragédies humaines. Sur le plan de la médecine, la mondialisation entraîne des campagnes d’éradication totale de certaines maladies. En d’autres termes, l’acces a l’information et le resserrement des distances peuvent améliorer la qualité de la vie humaine de maniere significative.

 

Aspects négatifs : la mondialisation en tant qu’idéologie

 

Trois domaines en particulier ont attiré l’attention des détracteurs de la mondialisation. Ce sont, en premier lieu, les valeurs qui ont souvent conduit a la mondialisation économique et culturelle : a savoir, la recherche du profit économique considéré comme l’objectif humain supreme et l’assimilation de l’etre humain a un consommateur. Si le seul profit - et plus particulierement le profit a court terme - est reconnu comme la valeur organisatrice d’un systeme économique, alors les etres humains et les sociétés humaines sont condamnés a souffrir.

De meme, estimer la valeur des etres humains essentiellement en fonction de ce qu’ils peuvent consommer, c’est réduire, de façon inacceptable, la dignité de la personne humaine. C’est faire affront au principe de base de l’anthropologie théologique, a savoir que nous sommes créés a l’image et a la ressemblance de Dieu. Définir les gens sur la base de ce qu’ils peuvent acheter et consommer annihile notre sens de la personne qui révele son etre véritable a travers la générosité et le don de soi. Il reste vrai, bien sur, que ces phénomenes négatifs ne sont pas uniquement liés a la mondialisation. Ils ont existé dans tous les systemes économiques depuis la chute d’Adam et Eve, mais leur étendue les rend, de nos jours, plus puissants.

 

Le second aspect négatif de la mondialisation, c’est le fossé toujours plus large entre les riches et les pauvres. L’économie mondiale promet a ceux qui se soumettent a ses lois, de meilleures conditions de vie économique. Mais ce que beaucoup expérimentent, c’est l’exclusion ou l’exploitation plutôt que la participation a cette richesse de plus en plus grande. En réponse, des voix toujours plus nombreuses appellent a une réglementation de cette économie afin que la richesse soit répartie plus équitablement. Le probleme, bien sur, c’est qu’il n’existe pas d’interlocuteur politique pour l’économie mondiale et qu’un gouvernement mondial n’est généralement pas souhaité non plus. En d’autres termes, les dynamiques économiques ne peuvent pas etre dissociées des facteurs politiques et culturels. Regardez, par exemple, les différences entre les économies post-marxistes de la Pologne et de la Hongrie et celle de la Russie. Les deux premieres bénéficiaient d’un contexte culturel permettant un revirement économique, ce qui n’était apparemment pas le cas de la Russie.

 

Le troisieme aspect négatif a trait a la fracture des cultures et des modes de vie que les forces uniformisantes de la mondialisation entraînent dans leur sillage. Une partie de la dignité humaine réside dans le droit a la culture, qui est une maniere authentique mais distinctive d’etre un etre humain. C’est un point sur lequel le Saint-Pere a insisté sans relâche lors de ses voyages autour du monde. Priver les peuples de leur langue et de leur mode de vie, les obliger a s’insérer dans d’autres schémas de vie, c’est leur dérober l’une des dimensions de base de leur humanité. Par ailleurs, la réponse intégriste a la mondialisation culturelle s’accompagne souvent d’outrages envers les droits de l’homme et de conflits.

 

Les défis missionnnaires de l’Église a l’âge de la mondialisation

 

Que signifient alors les possibilités et les défis de la mondialisation pour la mission de l’Église aujourd’hui ?

 

Le Saint-Pere a, pour la premiere fois, parlé de mondialisation a l’occasion de la Journée mondiale de la Paix en 1998. Dans son message, il reconnaissait la maniere dont le monde changeait (cf. DC 1999, n. 2195, p. 1-6. NDLR). Au vu des changements politiques et surtout économiques, il a posé une série de questions sur l’intégration et la justice. Afin de créer une société plus équitable et de favoriser la paix dans le monde, il a avancé deux principes : premierement, avoir un plus grand sens de la responsabilité du bien commun et, deuxiemement, ne jamais perdre de vue la personne humaine qui doit etre au centre de tout projet social. En bref, il dit que relever le défi consiste a assurer une mondialisation de la solidarité, une mondialisation sans marginalisation. A la lumiere de ces paroles du Saint-Pere, je proposerais de nous concentrer sur deux tâches qui pourraient définir la mission de l’Église a l’âge de la mondialisation et permettre d’identifier trois types de ressources que l’Église pourrait proposer pour mener a bien ces deux tâches.

 

Deux tâches

 

1. Proclamer et défendre la personne humaine

 

A la base meme d’une mondialisation juste et équitable, se trouve la dignité de la personne humaine, un theme sur lequel le Pape Jean-Paul II est revenu sans cesse depuis sa premiere Encyclique, Redemptor hominis (1). Sans ce point de convergence, tout projet de société est voué a s’égarer et a réduire a l’esclavage plutôt qu’a libérer. Nous devons faire de la proclamation de la vérité sur la personne humaine le centre de notre proclamation missionnaire dans un univers mondialisé. La Rédemption que nous avons reçue en Jésus-Christ témoigne de la maniere dont Dieu perçoit et aime chaque etre humain.

 

2. Créer une culture de vie

 

Notre attitude vis-a-vis de la dignité humaine étant profondément influencée par les valeurs contenues dans la culture de chacun, la seconde tâche majeure d’une église est la conversion de la culture. Selon les termes de l’Exhortation apostolique Ecclesia in America, les cultures touchées par la mondialisation doivent etre guidées par une vision morale de « la dignité humaine, de la solidarité et de la subsidiarité » (2). Comme l’explique l’Exhortation apostolique, cette transformation pousse a la fois a inculquer ces valeurs positives dans chaque culture et en interaction entre les nations, ainsi qu’a réduire de façon concomitante les effets négatifs de la mondialisation sur les pauvres et les faibles. La conversion mondialisée de la culture implique également de soutenir les organisations internationales qui s’efforcent de créer et de soutenir une culture de vie.

 

Laissez-moi donner un exemple d’une réponse adéquate a un probleme crucial dans les pays d’Amérique : leur dette extérieure massive. Pour traiter de ce probleme central dans la vie des gens de nos pays, deux stratégies sont nécessaires. D’une part, nous devons atténuer les effets négatifs de la dette, qui draine les ressources d’un pays et nuit surtout aux pauvres. Des efforts concertés sont indispensables pour que les pays et les organismes créanciers réduisent la dette - ou meme l’annulent entierement dans certains cas. Alors que les institutions financieres mondiales et que les pays les plus industrialisés se sont efforcés d’admettre ce probleme, tous les efforts ont été jusqu’ici insuffisants. D’autre part, cependant, nous devons promouvoir une culture interne a chaque nation débitrice qui puisse garantir que les prets et les investissements consentis sont utilisés pour le bien commun et dans le but d’une vraie promotion humaine. Ainsi, les éléments culturels qui encouragent le copinage, la corruption et la fraude doivent etre éliminés a l’intérieur meme du pays. En tant que chrétiens, nous sommes appelés a travailler a ces deux dimensions.

 

Trois ressources

 

1. La catholicité de l’Église a une époque de mondialisation

 

L’une des grandes ressources qu’apporte l’Église catholique a la mission de l’évangélisation a l’âge de la mondialisation, c’est sa catholicité. J’entends ici catholicité sous ses deux dimensions théologiques : son épanouissement dans le monde entier et la plénitude de vérité qu’elle apporte a la famille humaine.

En tant qu’Église présente dans le monde entier, l’Église catholique est elle-meme une institution transnationale qui apporte des ressources particulieres a un univers mondialisé. A une époque ou les institutions transnationales (telles que les ONG) peuvent rendre a l’humanité un service spécial que ne peut rendre aucune nation, l’Église dispose de réseaux de communication permettant de créer de la solidarité entre les nations et au sein de toute la communauté humaine. En tant qu’Église, nous avons un défi a relever : utiliser le réseau dont nous disposons déja de façon encore plus efficace. Les instituts et les organisations missionnaires ont ici un rôle particulier a jouer. La communion entre les églises locales doit etre le levain de la solidarité entre les peuples.

 

Le message de foi preché par l’Église offre une vision morale et spirituelle pour une société juste et équitable a une époque de mondialisation. Les vérités qu’elle a reçues du Christ encouragent l’Église a proclamer la dignité de la personne humaine, le caractere central de la personne humaine pour tout projet social, l’appel a la solidarité parmi tous les membres de la famille humaine, la présence a la fois du bien et du mal dans chaque culture et la mission de réconciliation de Jésus-Christ pour rassembler toutes choses sur terre en une offrande a Dieu (cf. Ep 1, 10; Col 1, 20).

 

Laissez-moi esquisser pour vous la maniere dont je vois la présentation de ces vérités. Une Église réellement catholique propose le message de salut a tout le monde, sans exception et sans distinction ; tous sont invités a la table du banquet du Royaume de Dieu. L’efficacité de cette proposition se fonde sur notre propre conversion permanente, sur un continuel « changement de mentalité » (metanoia), sur le fait de se détourner constamment de son moi radicalement autonome et isolé, un changement provoqué par la rencontre avec le Christ dans son corps, l’Église. Dans cette conversion et communion ecclésiale constantes, notre relation avec les autres dans le Christ est approfondie. L’inculturation de la foi - la conversion d’une société et d’une culture que permet le fait de precher qui est le Christ dans un langage compréhensible par le peuple - commence par l’identification des semina Verbi présentes dans toute culture puis continue par l’identification d’éléments démoniaques également présents dans toutes les cultures. Ce discernement apparaît dans la vie des évangélisateurs eux-memes, eux qui sont les témoins du pouvoir de la grâce de Dieu. De tels évangélisateurs catholiques doivent etre en profonde conversation avec le Christ mais aussi avec ceux qu’il a placés sur leur chemin.

 

2. L’appel a une nouvelle évangélisation

 

La nouvelle évangélisation a laquelle notre Saint-Pere a appelé pour la premiere fois lors d’une visite a Haiti, prend en compte la maniere dont le monde a changé et s’interroge sur la façon dont le message de salut de Jésus-Christ peut etre entendu par ceux qui, ayant a un moment donné accepté la Bible, l’ont maintenant délibérément mise de côté. Ce rejet conscient de la foi n’est pas seulement présent dans ce nouvel Aréopage des mass media et de la science dont parle le Pape dans son Encyclique Redemptoris missio (3). Il l’est aussi dans le point de vue différent de nombreux hommes et femmes d’aujourd’hui, de groupes entiers qui vivent dans un ordre mondial ou les anciens reperes ne permettent plus de s’orienter. Si nous gardons a l’esprit les principes de la nouvelle évangélisation, notre mission sera plus efficace dans un univers mondialisé : elle est biblique ; universelle dans son service aupres de tous les peuples ; dialogale dans son respect de la liberté de conscience ; culturellement adaptée tout en transformant les sociétés, innovatrice dans son utilisation des nouveaux moyens de communication; et elle releve de la responsabilité de tous les membres de l’Église.

 

La nouvelle évangélisation présuppose un dialogue a la fois oecuménique et interconfessionnel. Le Christ et son Église n’étant qu’un, la désunion ecclésiale est un scandale qui affaiblit la prédication de la Bible. Les économies, les sociétés, les cultures mondialisées ne répondront qu’a une Église réellement unifiée. Alors que, au cours du nouveau millénaire, les communautés de foi redeviendront les principaux façonneurs et levain de la culture, le dialogue interconfessionnel est d’autant plus impératif. Particulierement crucial est le dialogue entre le catholicisme et l’islam, tous deux en expansion. Les relations entre les catholiques et les musulmans détermineront la mondialisation plus profondément qu’aucun accord économique ou politique.

 

3. Célébration du grand Jubilé

 

La célébration du grand Jubilé est une troisieme ressource pour la mission dans un contexte de mondialisation. Le Jubilé est porteur de messages essentiels pour la mission. Tout d’abord, il exprime le caractere gratuit de l’amour de Dieu qui a offert son Fils pour le salut de notre monde. Dans un monde ou toute relation menace d’etre commercialisée, ou les actes généreux et gratuits sont considérés comme une perte éventuelle de profit, le message expliquant comment Dieu agit gratuitement pour sauver le monde nous conduit vers un nouveau monde plus authentique. En second lieu, dans la Bible, jubilé signifie remise de dette et renouveau. Si la vraie mondialisation est l’intégration et la participation, alors cette intégration et cette participation doivent etre rendues possibles en permettant aux pauvres de prendre un nouveau départ. L’Église apporte ses ressources pour soutenir ce reve de recommencement ou la justice puis, la paix auront plus de chance de réussir parce que toutes deux s’enracinent dans l’amour.

 

Conclusion

 

Afin de soutenir cette activité missionnaire, nous devons avoir une spiritualité missionnaire qui puisse nous soutenir, nous guider et nous nourrir dans notre appel. Je reviens ici a l’image de la terre vue de l’espace: notre monde est, apres tout, tres petit a l’échelle du cosmos. Il est fragile. Ses divisions et ses barrieres sont bâties par la main de l’homme et nous, croyants, devons etre ceux qui perçoivent d’ou vient le monde et ou il va.

 

Le monde, sous toutes ses dimensions, vient de Dieu. C’est la création de Dieu et elle porte l’empreinte de sa propre image. Il a donc une dignité, une bonté et une beauté indéniables, peu importe combien les péchés ont défiguré le visage du monde. Le monde est parti pour un voyage au-dela de ses ruptures et de ses divisions, vers une nouvelle harmonie et communion avec Dieu, un voyage que les Lettres de saint Paul aux Éphésiens et aux Colossiens appellent réconciliation. En pleine fracture que le monde ressent plus vivement a cause de la mondialisation, le message de réconciliation de toutes choses dans le Christ est une vérité que notre monde brule d’entendre.

 

Quelques décennies avant qu’il ne devienne commun de parler de mondialisation, Jean XXIII a appelé le Concile Vatican II a revitaliser la mission de l’Église dans le monde. Il a lancé cet appel pour que l’Église, en tant qu’assemblée globale, mondiale et universelle soit, de maniere plus visible, le sacrement de l’unité de la race humaine apres que les divisions nationales, culturelles et économiques nous ont entraînés dans des guerres et des carnages lors de la premiere partie du ce siecle. L’appel a une mission qui soit réellement catholique, c’est le véritable appel du Concile. Pour des raisons diverses, le Concile n’a pas encore été reçu comme un appel de l’Église a changer le monde. Beaucoup d’énergie a été dépensée pour changer l’Église selon divers schémas ; pas assez n’a été consacrée a nous changer, nous, avec l’aide de l’Église, afin que nous puissions changer le monde.

Ce changement commence avec Jésus-Christ et termine en lui. Il est le Royaume de Dieu dans sa personne. Le plus grand défi adressé a la mission de l’Église dans un nouvel ordre mondial, reste ce qui a été le plus grand défi de ces 2000 dernieres années : comment surmonter les obstacles qui nous empechent d’etre disciples et d’accepter le coeur joyeux la liberté que Jésus-Christ, Sauveur du monde, veut nous donner ? Dans n’importe quelle situation, les gens peuvent avoir peur d’espérer. En élargissant cette conférence a toute l’Amérique, vous donnez au monde une autre raison d’espérer et je vous en remercie.

 

1 Redemptor hominis (DC 1979, n. 1761, p. 301-323)

2 Ecclesia in America, 55 (DC 1999, n. 2197, p. 128)

3 Redemptoris missio ( DC 1991, n.2022, p. 152-191)

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