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Gilles Cazabon, o.m.i. Mission "Ad gentes" Appels et défis: Une perspective canadienne
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Permettez-moi d'évoquer, au début de cette présentation, le souvenir de Mgr Marcello Zago, o.m.i., secrétaire de Congrégation pour l'Évangélisation des peuples, qui est décédé a Rome le 1er mars dernier. C'est lui qui devait dormer la conférence d'ouverture a ce congres. Or, le 3 mars, j'ai participé aux funérailles a la Basilique Saint-Pierre de Rome. J'ai eu le privilege de travailler pres de lui pendant six ans, alors qu'il était Supérieur général des Oblats et moi son Vicaire général. J'ai été témoin, entre autres, de son engagement dans la préparation de l'encyclique Redemptoris Missio que le Pape Jean Paul II a donnée a l'Église en 1990.
Personnellement, je retiens trois traits de la riche personnalité de Mgr Zago: sa profonde charité, son amour de la famille religieuse et missionnaire des Oblats de Marie-Immaculée et sa passion pour la mission. Les plus belles pages qu'il a écrites et elles sont nombreuses les plus profondes réflexions qu'il a partagées, les gestes les plus significatifs qu'il a posés se rapportent tous a la mission. J'ai appris beaucoup a son contact. II m'a communiqué un peu de sa passion pour la mission. Je garde de lui un souvenir impérissable.
"Je veux etre missionnaire"
Je suis devenu Oblat de Marie-Immaculée pour etre missionnaire. Jeune, des religieuses m'ont fait connaître le travail des Oblats dans le Nord canadien et d'autres parties du monde, par exemple au Basutoland, aujourd'hui le Lesotho, et en Afrique du Sud. Des missionnaires canadiens-français faisaient le tour des écoles et des colleges pour faire connaître leur travail missionnaire aupres des populations qui s'ouvraient au christianisme. Ils nous parlaient avec enthousiasme des peuples qu'ils évangélisaient, de leurs cultures, leurs langues et leurs croyances religieuses. Ils nous décrivaient tout ce qu'ils pouvaient faire dans leurs missions grâce a la générosité des bienfaiteurs du Canada.
En les écoutant, j'avais l'impression d'avoir devant moi comme des fondateurs d'Église, des éveques, des pretres, des missionnaires dont le but était d'implanter l'Église locale dans les peuples ou ils travaillaient. Dans mon intelligence et ma foi de jeune, devenir missionnaire c'était alors partir, quitter mon pays et aller vers les pays lointains. Je me souviens des fameux départs missionnaires annuels ou on baisait les pieds des missionnaires et disait au revoir a ces jeunes pretres nouvellement ordonnés qui s'embarquaient pour des terres lointaines, en Afrique, en Asie, en Amérique latine ou encore chez les populations amérindiennes et dans les missions du Grand-Nord. A ce moment-la, etre missionnaire pour moi c'était etre envoyé a l'étranger.
Etre missionnaire chez nous
Durant mes années de formation religieuse et d'études théologiques, je commence a découvrir que mon idée de mission devait évoluer et s'élargir. Elle ne pouvait pas se limiter au fait de quitter son coin du monde pour alter vers des terres étrangeres. J'entendais dire de tous côtés qu'il fallait etre missionnaire ici, dans son propre pays, autour de soi et aupres des gens de sa culture et d'autres cultures avec lesquels on vit et qu' on rencontre sur sa route. A ce moment-la, on parlait encore beaucoup du livre choc France, pays de mission ? qui faisait prendre conscience du phénomene croissant de la déchristianisation, non seulement en France mais dans plusieurs pays d'Occident, phénomene qui n'a cessé de croître jusqu'a aujourd'hui.
On commençait aussi a envisager autrement les retraites paroissiales. On en parfait comme d'une " grande mission", précédée souvent d'une enquete sociologique et donnée par une équipe de prédicateurs sur l'ensemble d'un territoire donné. Le diocese de Saint-Jérôme a été un pionnier dans ce domaine. Voici, ce qui, d'apres Mgr Émilien Frenette, fondateur du diocese, rendait nécessaire cette mission: "Transformation brusque et rapide des conditions de vie et donc aussi de sanctification: déracinement psychologique et social, industrialisation, entassement urbain, emprise démesurée des techniques de production et surtout de diffusion, déshumanisation du travail et des loisirs, dépérissement de la famille, laicisation des idées et des mours, bref, pression massive de tout un univers rétréci et solidaire ou Dieu est absent de la vie courante, remplacée par les valeurs matérielles de l'argent et du plaisir". Cette description de notre société remonte a 1959. Elle nous fait voir que la "grande mission" s'adresse aussi a des populations d'ici marquées par le phénomene de la déchristianisation.
L' étranger n'était donc plus au loin, mais chez nous ou, dans les années 50, s'introduisait petit a petit le phénomene du pluralisme culturel et religieux. Ce phénomene est allé en s'accentuant de maniere a devenir un trait marquant de notre société canadienne. Etre missionnaire dans ce contexte signifie etre envoyé a ceux qui sont autres par leur culture, leur religion et leur histoire, signifie également leur etre présent tout en étant changé soi-meme dans ce processus.
Une mission a plusieurs dimensions
Mon travail au plan international, comme Vicaire général des Oblats, m'a ouvert a la situation de l'Église duns les diverses parties du monde. C'est a cette époque que je me suis ouvert a la réalité complexe et diversifiée au plan social, culturel et religieux de l'immense continent de l'Asie. Par mes contacts avec les missionnaires en Inde, au Bangladesh, au Pakistan, en Thailande, aux Philippines, en Indonésie et a Sri Lanka, j'ai saisi que la mission dans ces divers pays devait s'ouvrir au dialogue avec des populations porteuses de valeurs humaines et religieuses souvent dignes de notre admiration.
Durant la meme période, j'ai eu le privilege de rendre visite a des confreres ouvrant au Sénégal, au Tchad, au Cameroun, au Zaire, aujourd'hui la République démocratique du Congo, au Lesotho et dans la République d'Afrique du Sud. Partout, j'y ai découvert de jeunes Églises en plein essor et désireuses d'incarner l'Évangile a la maniere du levain qui transforme les cultures de l'intérieur.
Mon tour du monde m'a conduit aussi dans le continent sud américain, au Chili, en Uruguay, en Argentine, au Paraguay, en Bolivie, au Brésil, au Pérou, au Mexique et en Haiti. Dans des pays ou richesse et grande pauvreté côtoient, je me suis rendu compte que l'évangélisation devait alter de pair avec la lutte pour la justice, que l'annonce de la Bonne Nouvelle devait ouvrir aussi des chemins de libération au plan humain, social et économique.
La marque de l'histoire
En somme, les choses étaient plus claires pour nous autrefois. Il y avait d'une part les pays chrétiens, ceux d'Europe et également ceux d'Amérique du Nord, et d'autre part les pays dits de mission, ceux d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine. Bien sur, dans l'histoire, le Canada a d'abord été un pays de mission ou les missionnaires venus de France, de Belgique, d'Irlande sont venus évangéliser les populations autochtones. Des missionnaires sont aussi venus d'Europe ou d'autres parties du monde pour travailler aupres de leurs compatriotes qui avaient été attirés au Canada par l'immigration. Puis, avec le temps, les communautés chrétiennes d'ici sont devenues a leur tour missionnaires. Aujourd'hui encore, il y a 2.603 missionnaires canadiens qui travaillent a l'étranger. Mais un phénomene nouveau et en croissance se produit: il y a actuellement 833 missionnaires originaires de pays étrangers qui travaillent au Canada. Etre missionnaire, c'est dormer aux autres et c'est aussi recevoir des autres.
Il faut bien le reconnaître, le mouvement missionnaire a travers le monde s'est développé en bonne partie grâce a l'expansion coloniale. Les missionnaires n'ont pas toujours été d'accord avec les pratiques des régimes coloniaux; its les ont meme souvent dénoncées. Les missions ont quand meme profité de l'organisation et des installations des divers régimes coloniaux. Les autochtones en sont venus a penser parfois que foi, culture et tique des puissances coloniales allaient de pair.
Lé mouvement d' indépendance des pays colonisés a amené une résurgence des cultures et des religions locales, accompagnée d'une méfiance a l'égard de tout ce qui est étranger. Ce mouvement vers une plus grande autonomie a atteint aussi la vie des Églises et s'est traduit par une prise de conscience de la nécessité de tenir compte davantage de la culture des peuples dans le processus d'évangélisation.1 On assiste a un changement graduel du sens des mots "mission" et "missionnaire". Un nouveau modele de la mission a graduellement vu le jour.
L'héritage de Vatican II sur la mission
Avec Vatican II, l'Église elle-meme a mieux pris conscience de ce qu'elle est vraiment. Cette ecclésiologie a contribué a l'élaboration d'un nouveau modele de la mission, de ses défis et de ses appels que l'on retrouve dans quelques documents majeurs de l'Église parus depuis une trentaine d'années.2 Retenons quelques points qui se rapportent plus directement a notre sujet.3
1. Le salut en Jésus Christ est offert a toute personne de bonne volonté
Dans notre approche missionnaire, ne perdons pas de vue que "le Christ est mort pour tous et que la vocation derniere de l'homme est réellement unique, a savoir divine". Aussi, "l'Esprit Saint offre a tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'etre associé au mystere pascal du Christ" (GS 22). Toute personne étant créée a l'image de Dieu, l'humanité tout entiere a la meme origine et la meme destinée. Elle forme une "seule famille" appelée a "trouver en Dieu sa plénitude de vie" (DA 28). II s'ensuit que le salut est offert a tout etre humain qui y répond librement et en collaborant a la grâce divine qui agit mystérieusement en lui.
Avant Vatican II, dans le travail missionnaire, l'accent était souvent mis sur "sauver les âmes". La croyance populaire voulait que, pour etre sauvé, il soit nécessaire d'etre baptisé. De la découlait l' importance de baptiser le plus grand nombre possible de gens. Les autres religions étaient souvent vues comme dans l'erreur, donc a supprimer.
Je me souviendrai toujours de l'époque ou j'ai assumé mes fonctions comme Vicaire général des Oblats a Rome. C'était au début d'octobre 1986, environ deux semaines avant la Journée mondiale de priere pour la paix qui s'est tenue a Assise le 27 du meme mois, a l'initiative de Jean Paul II. Elle regroupait des représentants des diverses confessions chrétiennes et des grandes religions du monde. Mgr Marcello Zago, dont j'ai évoqué la mémoire au début de ma présentation, était alors secrétaire du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Il avait été tres engagé dans la préparation de cette rencontre. Le geste du Pape était vraiment prophétique. II reconnaissait que toute priere authentique, chrétienne ou non, est suscitée par l'Esprit Saint qui agit mystérieusement dans le coeur des personnel. II nous invitait aussi a regarder avec ouverture et respect les gens d'autres traditions religieuses et a faire place au dialogue interreIigieux dans la mission évangélisatrice de l'Église. Je pense a d'autres gestes du Pape avec la meme portée symbolique, comme sa visite récente a la mosquée de Damas et celle qu'il a faite au Mur des Lamentations a Jérusalem en 2000.
2. De par sa nature l'Église est missionnaire
Pour nous aujourd'hui, la mission n'est plus une fonction de l'Église parmi d'autres. C'est l'Église elle-meme qui est missionnaire. L'origine de sa mission est dans "la mission meme du Fils" et "la mission du Saint Esprit, selon le dessein meme de Dieu le Pere" (AG 2). Son but est de "faire participer les hommes a la communion qui existe entre le Pere et le Fils" dans leur commun Esprit d'amour (RM 23). "Par son Verbe et faction universelle de l'Esprit", Dieu est présent et "actif", depuis les origines, "dans le monde et dans les traditions religieuses" (AG 3). Tout chrétien se doit donc d'etre attentif "aux germes de bien" qui existent "dans le cour et la pensée" de toute Personne, dans les cultures et leurs rites propres (LG 17).
Cette affirmation de Vatican II situe la mission de l'Église a partir de sa source, le mystere trinitaire. Elle nous aide a devenir conscients que les moindres gestes de notre action en Église tirent leur origine de la mission du Fils, l'Envoyé du Pere, et de l'Esprit Saint, le protagoniste de la mission. Notre mission consiste a nous situer tout entier dans le courant d'amour de Dieu pour l'humanité, a discerner la présence de l'Esprit a l'ouvre dans le monde et a ajuster notre "etre" et notre "faire" a l'Évangile que nous avons pour mission d'annoncer. J'y vois pour le missionnaire un appel a etre contemplatif dans son service de la mission.
3. Chaque Église locale est responsable de la totalité de la mission
Une vision renouvelée de la mission nous fait prendre conscience que l'unique Église du Christ est vraiment présente dans toutes les communautés chrétiennes locales a travers le monde qui, convoquées par la Parole de Dieu et unies a leurs pasteurs, reçoivent le nom d' "Églises" (LG 26). II en découle que toute l'Église et "chaque Église locale est responsable pour la totalité de la mission" d'annoncer la Bonne Nouvelle. On voit alors que la mission en vient a désigner toute activité de l'Église (DA 58).
Les congres missionnaires de l' Amérique latine COMLAS traduisent bien a leur façon cette prise de conscience que chaque Église locale, que meme l'Église au niveau de tout un continent est responsable de la totalité de la mission. Des themes comme "Amérique, ton heure est venue d'etre missionnaire" (Bogota, Colombie 1987), "Amérique latine, a partir de ta foi envoie des missionnaires" (Lima, Pérou 1991) et " Amérique, avec le Christ, sel de la terre, Amérique avec le Christ, sors de ta terre" (Parana, Argentine 1999) sont évocateurs du souffle missionnaire qui est l'âme de l'Église. Le Synode de l'Amérique nous a tous ouverts a la réalité de l'Église en Amérique et nous a fait prendre conscience que nous appartenons a un meme continent.
4. La réciprocité de la mission
Dans le passé, nous étions habitués a distinguer entre une Église qui envoie des missionnaires et une Église qui reçoit des missionnaires. L'affirmation de Vatican II, a savoir que l'Église est par nature missionnaire, nous conduit a voir autrement le mouvement missionnaire. Le peuple de Dieu "vivant et visible" en toute communauté chrétienne, rend témoignage au Christ "devant toutes les nations" et rayonne de sa charité en tous lieux et aupres de ses propres membres (AG 37). Lors qu'elle s'ouvre aux besoins des autres, une Église locale est a la fois "une Église qui envoie et qui reçoit". La collaboration et la réciprocité entre les Églises locales est source d'enrichissement dans tous les secteurs de la vie ecclésiale (RM 64). Les "Églises anciennes" partagent leur force et leur expérience avec les jeunes Églises. Les "jeunes Églises" partagent leur fraîcheur et leur dynamisme avec les Églises anciennes (RM 62). II n'y a plus, pour ainsi dire, de centre géographique d'ou part la mission. Elle part de partout et va partout.
5. L'Église est ordonnée au Royaume de Dieu
L'Église est aujourd'hui plus consciente du lien qui existe entre elle et le Royaume de Dieu accompli dans la personne du Ressuscité. Dans la résurrection de Jésus d'entre les morts, "Dieu a vaincu la mort et, dans le Christ, il a inauguré définitivement son Regne". Par la Résurrection, le message, la mission et l'ouvre du Christ reçoivent "une portée universelle". Ce royaume s'instaure peu a peu en tout etre humain et dans le monde par un lien mystérieux avec le Christ (RM 16). "L'Église n'est pas a elle-meme sa propre fin". Elle existe en vue du Royaume de Dieu dont elle est "germe, signe et instrument" (RM 18).
En rendant visite a mes confreres missionnaires en divers lieux du monde, j'ai été témoin de gestes qui montrent que des petites cellules d'Église en milieu largement non chrétien se voient comme partie prenante de la société dans laquelle elles sont insérées. Par exemple au Bangladesh, des chrétiens et leurs missionnaires s'associent aux populations indigenes pour dénoncer l'action de leur gouvernement qui veut établir un parc écologigue sur une terre ancestrale, avec comme conséquence l'éviction d'environ deux mille personnel. Tout chrétien est membre du corps ecclésial et de la société oil il vit. Les combats de la société pour la justice sont aussi nos combats. La puissance de l'Esprit et de l'Évangile sont a l'ouvre dans l'Église et dans le monde. L'Église se voit au service de l'avenir de l'humanité.
6. Tout laic est missionnaire de par son bapteme
L'ecclésiologie de Vatican II a donné au laic sa juste place dans la mission de l'Église. Par le bapteme, le laic est incorporé au Christ, intégré au peuple de Dieu et fait participant de "la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ". Le laic exerce, pour sa part, dans l'Église et le monde la mission de tout le peuple chrétien (LG 31). Il travaille a ce que l'Évangile soit connu et reçu par tous, spécialement lorsque ce n'est que par le laic que ce message peut etre entendu et le Christ connu. N'oublions pas que c'est grâce a des laics missionnaires que certaines Églises du monde ont vu le jour (RM 71).
7. On devient pretre pour la mission universelle
Ce n'est pas seulement la vocation du laic qui est vue sous un jour nouveau, mais celle du pretre aussi. Par son ordination, le pretre est investi d' une mission de salut qui n'est pas "limitée et restreinte", mais "d'ampleur universelle", comme celle confiée "par le Christ aux Apôtres" (RM 67).
Sa vie spirituelle porte la marque de cet élan et ce dynamisme missionnaire. Les communautés chrétiennes qui lui sont confiées se caractérisent par un esprit missionnaire. L'effort considérable des Églises diocésaines du Canada dans l'envoi de pretres diocésains vers l'Amérique Latine, nous a ouverts a la vocation de tout pretre pour la mission universelle.
Ce rappel de quelques percées théologiques de Vatican II nous aide a prendre conscience de la nouveauté qui en découle en ce qui concerne l'activité missionnaire de l'Église. Les Églises diocésaines du Canada en ont largement bénéficié. Nos missionnaires ont été présents dans diverses parties du monde. La réciprocité de la mission nous a ouverts aux formes variées que prend la mission dans d'autres milieux ou elle s'exerce. Nos contacts avec l'Amérique latine nous ont fait découvrir que faction pour la justice et l'annonce de l'Évangile sont inséparables. Nos contacts avec l'Afrique nous ont familiarisés avec l'idée que la mission s'accomplit a la maniere d'une incarnation de l'Évangile dans les cultures. Nos contacts avec l'Asie nous ont rendus sensibles au mystere de l'action de Dieu dans les grandes religions du monde et au dialogue avec les croyants de ces groupes. Les théologiens de ces divers continents ont contribué a enrichir notre vision de la mission ainsi que nos pratiques missionnaires ici et ailleurs.
Trois situations pour la mission évangélisatrice
L'unique mission évangélisatrice de l'Église s'accomplit toujours en un lieu et un temps donnés. Elle est une mission en situation, en contexte social, culturel et religieux, changeant et complexe.
Elle peut se réaliser aupres de communautés chrétiennes "aux structures ecclésiales fortes et adaptées", rayonnantes de la foi et ouvertes a la mission universelle de l'Église. Dans ce contexte, on parle plutôt de l'activité pastorale de l'Église (RM 33).
L'évangélisation peut se faire aupres des baptisés qui ont perdu le sens de la foi et de l'appartenance a la communauté ecclésiale. Ceci n'est pas vrai seulement en Occident, mais également dans les pays du Sud, ou la premiere évangélisation compte déja plus d'un siecle d'histoire. Dans cette situation " intermédiaire", on parle alors de réévangélisation ou de nouvelle évangélisation (RM 33).
L'évangélisation peut se faire chez des gens qui n'ont pas encore entendu la Bonne Nouvelle. On s'y réfere alors comme a la mission ad gentes ou "l'activité missionnaire spécifique de l'Église". II s'agit ici de "la mission permanente qui est celle de porter l'Évangile a tous ceux et ils sont des millions et des millions d'hommes et de femmes qui ne connaissent pas encore le Christ rédempteur de l'homme. C'est la tâche la plus spécifiquement missionnaire que Jésus ait confiée et confie de nouveau chaque j our a son Église" (RM 31).
Quel est le caractere propre de la mission ad gentes ? Il est fait de trois choses: "une action d'annonce du Christ et de son Évangile", l' "édification de l'Église locale" et la "promotion des valeurs du Royaume". Sa particularité lui vient du fait qu'elle s'adresse aux non-chrétiens. Il est important que cette activité missionnaire spécifique de l'Église "ne se dissolve dans la mission d'ensemble du peuple de Dieu tout entier et ne soit, de ce fait, négligée ou bien oubliée" (RM 34). La tâche est immense et loin d'etre achevée.
Charge pastorale, nouvelle évangélisation et activité missionnaire spécifique ne sont pas toujours clairement définissables dans la pratique. Elles échappent a une trop grande compartimentation et il est souvent difficile d'établir entre elles des frontieres précises. Ce qui est primordial, c'est de "rester tendu vers l'annonce de l'Évangile et la fondation de nouvelles Églises dans les peuples et les groupes humains ou il n'y en a pas encore, car telle est la tâche premiere de l'Église envoyée a tous les peuples, jusqu'aux extrémités de la terre" (RM 34).
Les changements continuels dans les situations humaines et sociales des peuples amenent aussi un changement de l'image qu'on se fait de la mission ad gentes. Qu'on pense aux phénomenes des grandes villes, de la croissance démographique, des migrations massives, des groupes humains marginaux, des situations de pauvreté extreme, de la croissance de population jeune dans les pays de l'hémisphere sud, sans oublier les nouvelles aires culturelles ou aréopages modernes, comme les moyens de communications (RM 37).
Dans ces divers contextes, l'Église propose a la liberté humaine la foi en Jésus Christ, dans le respect des personnes et des cultures. Jamais elle n'impose.
Dans un monde qui s'unifie toujours davantage
La mission évangélisatrice de l'Église s'accomplit dans un monde qui s'unifie toujours davantage. On assiste partout a une croissance rapide des communications entre les diverses parties du monde. Ce nouveau phénomene appelé mondialisation prend diverses formes, comme la mondialisation technologique, économique, politique et culturelle. Les moyens de communications, en particulier, contribuent a créer une culture a l'échelle du monde (EA 20).
Ce nouveau rapprochement a la grandeur de la terre fait prendre conscience d'un destin commun des peuples et des personnes entre elles, et de l'interdépendance des sociétés les unes vis-a-vis des autres. La mondialisation invite, dans l'esprit de l'Évangile, a surmonter les barrieres entre les pays, les langues, les cultures, a nous ouvrir aux richesses que les autres Églises locales du monde peuvent nous apporter et a l'horizon de l'Église universelle. On assiste ainsi a une mondialisation de la mission ad gentes, mondialisation de complémentarité, de solidarité et d'unité de sorte qu'aucun groupe culturel ne soit exclu de l'influence de l' Évangile (RM 39, 40; EA 55).
Une perspective canadienne
Dans la perspective canadienne, on peut distinguer la mission ad gentes ad extra et la mission ad gentes ad intra. La premiere consiste a s'engager aupres des populations qui n'ont pas encore entendu la Bonne Nouvelle. Elle est assurée encore par l'engagement des membres des sociétés missionnaires et des communautés religieuses. Des membres de ces groupes expulsés d'un pays ont meme accepté de repartir ailleurs, d' apprendre une nouvelle langue, de s'adapter a une autre culture, toujours dans le but de continuer la mission. La deuxieme concerne les populations canadiennes qui n'ont pas encore accueilli l'Évangile. Dans le contexte urbain, spécialement les mégapoles d'ici, pensons spécialement a ces nouveaux concitoyens des autres traditions religieuses dont le nombre augmente graduellement. C'est également vrai pour les personnel qui appartiennent a de nouveaux groupes religieux ou qui se disent agnostiques ou athées. L'une et l'autre des missions renferment un appel au dialogue interreligieux, a l'engagement pour la justice et l'annonce explicite de l'Évangile.
Se pose alors pour nous la question des ouvriers de la mission et le probleme des vocations a la vie religieuse et sacerdotale dans une perspective missionnaire. Heureusement, nos Églises locales du Canada continuent a donner naissance a des vocations missionnaires laiques en lien aver les sociétés missionnaires et les communautés religieuses d'ici. Il s'agit, dans plusieurs cas, de missions ad extra mais peut-etre pas toujours de missions ad gentes. Des laics d'ici travaillant dans d'autres pays s'ouvrent a la réalité d'autres traditions religieuses. Le phénomene du tourisme met aussi beaucoup de gens en contact avec des gens de cultures et de croyances religieuses différentes de la nôtre.
La mission ad gentes ad intra continue a se réaliser aupres des premieres nations de notre pays. Nous avons voulu leur apporter le message de l'Évangile et la foi en Jésus Christ. Des efforts énormes ont été faits pour "planter l'Église" dans leur milieu. Les missionnaires Oblats de Marie Immaculée que je connais mieux, ont eu a cour de connaître les langues et les cultures autochtones, et de fournir a ces populations les moyens de les préserver. Ils ont toujours essayé de transmettre les vérités de la foi dans la langue de ces gens.
On pensait les connaître et on croyait que l'inculturation de la foi était déja avancée. Mais avons-nous pris assez de temps pour les écouter et connaître les valeurs culturelles et religieuses qu'ils portent ? Avons-nous été assez attentifs aux cris des souffrances et des injustices dont ill ont été victimes ? Entendons-nous suffisamment les exigences de réconciliation entre eux et la société dans laquelle nous vivons ? La mission évangélisatrice de l'Église dans ses dimensions de nouvelle évangélisation, de dialogue interreligieux, d'engagement pour la justice et d'inculturation est ici plus que jamais d'actualité. Le chemin semble encore long avant d'en arnver a une authentique Église amérindienne au Canada.
"La foi s'affermit lorsqu'on la donne"
J'ai commencé ma conférence en vous disant comment j'en suis venu a désirer etre missionnaire. Je vous ai fait part ensuite du progres que j'ai fait dans ma façon de voir la mission. Devant vous, ce matin, je redis avec une conviction renouvelée: "Je veux etre missionnaire".
"La foi s' affermit lorsqu'on la donne", nous dit le Pape Jean Paul II (RM 2). La foi dans le Christ et son amour, je l'ai reçue comme un don de Dieu. Mes parents, ma famille, mes éducateurs et les diverses communautés chrétiennes ou j'ai vécu et exercé mon ministere comme pretre et éveque m'ont transmis ce trésor et m'ont accompagné dans ma démarche de foi. En me la communiquant, ces personnes ont affermi leur foi.
La foi, je la vis aujourd'hui encore comme une grande libération et un chemin d'espérance. Je voudrais tellement que le plus grand nombre de gens possible connaissent l'Évangile de Jésus Christ et deviennent ses arms. Le plus grand service que je puisse rendre aux personnes d'autres croyances religieuses, c'est de leur faire connaître l'amour de Dieu manifesté en Jésus Christ et la puissance de l'Esprit Saint. Le plus grand service que nous puissions rendre a l'humanité, c'est de travailler ensemble a l'avenement du Royaume de Dieu.
Je souhaite vivement que ce congres missionnaire canadien affermisse en nous le désir d'etre missionnaire dans l'aujourd'hui du monde et jusqu'aux confins de la terre, en proclamant par la parole et le témoignage que, dans le Christ, Dieu fait toutes choses nouvelles. Le temps est venu plus que jamais d'engager toutes les forces vives des Églises diocésaines du Canada dans la nouvelle évangélisation et la mission ad gentes (RM 3). |
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