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« Paris Toussaint 2004 » - Assemblée des Eveques a Lourdes - novembre 2004
Un rappel sur les débuts de cette initiative : un pacte a quatre, puis a cinq, entre archeveques de capitales dEurope. Pourquoi ceux-la et pas dautres ? Le hasard des rencontres. Un trait commun : ils parlent tous parfaitement le français et cela évite les traductions !
Cétait un défi : prendre a bras le corps la « nouvelle évangélisation » de nos villes européennes. Marquées par quinze a dix-sept siecles de christianisme, elles ont grandi a léchelle des mégapoles de lordre de deux millions dhabitants. Elles présentent a la fois les caractéristiques de lunivers urbain moderne et celles de vieux pays chrétiens. Elles ont entre elles, a ce titre, des analogies en dépit de différences évidentes en raison de leur culture, de leur histoire et de la situation de léglise.
Quel était le programme fixé ? Rassembler un congres international sur lévangélisation qui viendrait soutenir une mission effective dans la ville. Vienne a ouvert la voie en mai 2003 en organisant le premier congres missionnaire ; il serait tres intéressant den tirer les enseignements mais le temps me manque.
La question de lévangélisation nest pas nouvelle, ni en France, ni a Paris. On se souvient de lextraordinaire effort vers les banlieues entre les deux guerres mondiales au temps de Mgr Verdier (les Chantiers du Cardinal), puis, entre autres, de la Mission de Paris, de Paroisse, communauté missionnaire... Mais les cinquante dernieres années ont apporté quantité de bouleversements, de ruptures de génération, de changements déquilibre.
Déja, au milieu des années soixante-dix, comme latteste une Lettre du Cardinal Marty, les paroisses, considérées par certains comme des obstacles a la mission, étaient proposées pour en etre des points dappui. Depuis lors, les transformations de la Région parisienne ont permis de prendre conscience de la place nouvelle que les flux urbains qui parcourent la ville de Paris donnent aux communautés chrétiennes et aux églises (je me suis exprimé publiquement sur ce point, cf. Evangéliser Paris).
Certes, les communautés chrétiennes sont toujours tentées de se constituer en groupes qui se referment sur eux-memes. Dans le paysage urbain, les bâtiments-églises font partie de la mémoire vivante de la ville. Mais si la ville ancienne était comme une juxtaposition de villages, la transformation contemporaine de la ville appelle les paroisses a devenir autant de pôles auxquels les flux de parisiens et de franciliens qui y travaillent peuvent recourir pour y trouver paix, espérance, bienveillance, reperes pour leur vie. Cela suppose que chaque paroisse soit vivante et capable de témoigner de la foi, ouverte et accueillante pour tout passant, croyant ou incroyant. Organiquement liées les unes aux autres pour constituer la trame visible de lEglise a léchelle de la ville, les paroisses doivent aussi devenir sujet dinitiatives au service de la venue du Regne de Dieu.
Comment dans cette situation pouvions-nous concevoir cette mission urbaine de la Toussaint a Paris ? Il était clair que lon ne pouvait pas plaquer un projet missionnaire préfabriqué. Le projet devait venir de lintérieur et sinscrire dans lhistoire récente de Paris. En effet, depuis 1990, une succession dactions communes (Marche de lEvangile 1990, Synode diocésain 1993, JMJ de 1997, Assemblées diocésaines 2001-2003) ont peu a peu opéré un basculement, une prise de conscience quil est possible dannoncer lEvangile, a la mesure de la ville, avec tous les catholiques, pretres, laics responsables, mais aussi les chrétiens jusque-la inconnus qui représentent une force réelle.
Nous avions redécouvert aux JMJ de 1997 la force évangélisatrice des signes de la symbolique chrétienne, de la célébration des sacrements, de la Parole de Dieu. Nous avions aussi découvert quune foule de gens était dans lattente dentendre de façon neuve cette Parole. Nous avons été témoins de lappétit que cette Parole elle-meme peut creuser dans le cour de nos contemporains, déplaçant les frontieres dappartenance et les préjugés.
La perspective de la mission de la Toussaint nous a conduits a élaborer un projet difficile, a linverse du mode évenementiel des JMJ ! Les JMJ nous proposaient un projet constitué avec son programme relativement rigide, et nous demandaient daccueillir un afflux considérable de jeunes du monde entier. Autrement dit, il ny avait que peu de marge dinitiatives, hormis a lintérieur du schéma fixé : cest lévénement lui-meme avec le Pape qui mobilise les foules et suscite lénergie. « Paris Toussaint 2004 » a été voulu, en comparaison des JMJ, comme un « non-événement », sans grandes manifestations médiatisables. Tout reposait sur chaque communauté, paroisse, aumônerie, mouvement qui devait prendre, a sa place, fut-elle modeste, la responsabilité de cette mission, décider de ses initiatives.
Nous avons choisi la semaine qui précede la Toussaint et le Jour des morts. Ce moment de lannée garde lempreinte dune symbolique religieuse tres forte, largement antérieure au christianisme : limmémorial culte des morts sans cesse évangélisé depuis des siecles. Avec ces fetes, profondément enracinées dans la condition humaine et en meme temps spécifiquement chrétiennes, nous avions un espace de légitimité que personne ne pouvait nous contester. Lévangile de la Toussaint - les Béatitudes - évoqué par le verset du psaume 4 « Qui nous fera voir le bonheur ? », nous fait rejoindre la condition humaine et ouvre a son évangélisation.
Encore fallait-il que ces choix soient compris et assumés par les paroisses et le plus grand nombre possible de chrétiens. La préparation a été tres longue - plus dun an et demi. Il fallait, a chaque occasion, donner des éléments de réflexion, sensibiliser, vaincre la passivité, stimuler limagination de chacun, encourager a sortir des habitudes... Et aussi dépasser les peurs et les préjugés sur lévangélisation.
Dans ce domaine, la démarche qui venait le plus vite a lesprit était ce qui est communément nommé « lévangélisation de rue ». Mais cette démarche, devenue familiere a un certain nombre de mouvements, servait de prétexte a dautres pour ne pas se sentir concernés. Comment passer outre ? Il fallait que les paroisses inventent ce quelles pourraient faire par rapport a leur entourage, puis collecter ces projets et en faire une tres large annonce. Cela a pu etre réalisé. Un fascicule, tiré a 300.000 exemplaires et diffusé dans tout Paris, en a donné la belle illustration. Il présentait, jour par jour, toutes les initiatives. Dun seul coup, on voyait limagination, linventivité, la vitalité des communautés chrétiennes autour dun projet commun : annoncer la Bonne Nouvelle, le Bonheur.
Le « congres » proprement dit se déroulait le matin a Notre-Dame et lapres-midi, les « ateliers », dans les locaux de létablissement scolaire Stanislas. Six matinées de suite, les « congressistes » - parisiens, français, étrangers venus non seulement des quatre capitales partenaires mais aussi de bien dautres pays - ce sont réunis a Notre-Dame. Ils ont réfléchi aux fondements de lévangélisation dont la nécessité est aujourdhui mise en question par la pluralité des religions présentes dans lespace français et européen. Et aussi, comment articuler laction de solidarité avec lannonce évangélique ? Quel rapport entre le témoignage personnel et linstitution église ?... Ces questions, si elles demeurent sans réponse convaincante, pesent gravement sur la capacité apostolique des chrétiens. Elles sont bien souvent la cause dun blocage intérieur qui fait quils nosent pas parler de leur foi, quils craignent detre rangés parmi les fanatiques ou les sectaires. Nous disposons maintenant dans les travaux du Congres dun matériau, (textes, vidéos, CD...) accessible a tous pour commencer une réflexion sur ces préalables a lévangélisation.
Lapres-midi, les ateliers réunissaient les congressistes pour permettre un partage dexpérience le plus réaliste possible : large éventail de sujets traités dans la perspective de lévangélisation. Cette formule a suscité un vif intéret : quel que soit le nombre de participants a un atelier, la joie de pouvoir échanger, fraternellement et en vérité, était profonde.
La tres grande place donnée a la priere, a ladoration, la beauté de la liturgie, le grand nombre et la diversité des propositions dans ce domaine (en particulier, le fait que les églises étaient largement ouvertes dans la journée, jour et nuit pour la cathédrale Notre-Dame, Montmartre et quelques autres sanctuaires), tout ce foisonnement spirituel a porté ces jours de mission.
Le vendredi, une « journée du pardon » (le mot « pardon » était accompagné des mots « écoute », « rencontre », « priere », « paix intérieure ») était organisée dans une quarantaine déglises. Lafflux de personnes les plus diverses, parfois depuis longtemps éloignées de la vie chrétienne, parfois meme non-baptisées, a été impressionnant, autant que le nombre de ceux qui demanderent le sacrement de Réconciliation.
Le samedi, pour la quatrieme année, a été consacré a Holywins organisé par les jeunes : toute la journée, large distribution dans la ville dun journal (500 000 exemplaires) sur les themes de la vie et de la mort, en préparation de la Toussaint ; le soir, un grand concert rock place Saint-Sulpice, avec dans léglise, adoration et confessions. Probablement pres de 80.000 jeunes sont passés entre 17 heures et 2 heures du matin.
Le dimanche 31, grand pelerinage diocésain a Notre-Dame. Cela a représenté un flux ininterrompu, de midi a 20h00. Les paroisses venaient apporter leurs « Livres de vie » et présenter les milliers dintentions pour les morts et les vivants, confiées par écrit par pres de 300.000 personnes durant les quinze jours précédents. Toutes les paroisses et communautés ont souligné combien les démarches liées au Livre de vie avaient rencontré ladhésion de la population, dans tous les quartiers.
Louverture et la clôture proprement dites de cette semaine missionnaire se déroulerent sur le parvis de Notre-Dame ou une tres grande croix a léchelle de la cathédrale (17 metres de haut), ouvre de Jean-Marie Duthilleul et Benoît Ferré, architectes, et Hubert Damon, peintre, saffirmait comme « larbre de vie », reprenant ainsi le theme iconographique de lantiquité chrétienne. Passé leffet de surprise, ce signe a marqué les esprits. La photo a été fréquemment reprise par la presse, plusieurs fois a la une. Pour les chrétiens, ce signe de la croix sur le parvis a conforté leur courage dans la foi ; lors du pelerinage du dimanche la joie paisible des fideles était comme tangible.
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Dans les témoignages que nous recueillons maintenant, les fruits spirituels apparaissent de façon souvent bouleversante. Ce sont vraiment les merveilles de Dieu. Le clergé, les fideles ont été profondément touchés de voir ce que Dieu faisait. Ils ont été surpris de découvrir quils pouvaient annoncer le Christ de bien des façons, aupres de beaucoup de gens, souvent inattendus.
Ce foisonnement, cest le foisonnement de léglise telle quelle est ! Foisonnement des approches, appelons cela des sensibilités, mais réconciliées dans le mystere du Christ. Chacun avait sa place, mais non pas comme la diversité des stands dans une foire exposition : le Christ lui-meme était le sacrement de cette unité manifestée. Jy vois une véritable conversion ecclésiale née de lexpérience effective de la mission : les chrétiens ont partagé avec tous ceux qui se présentaient le trésor de lamour de Dieu et de la charité. Dans tout Paris lannonce des Béatitudes - du bonheur - allait de pair avec un tres grand nombre de gestes daccueil, de partage avec les plus pauvres. La messe de la Toussaint célébrée pour les « gens de la rue », les vivants et les morts, en a été la plus belle conclusion.
Pour les chrétiens « anonymes » qui se sentent méconnus, humiliés, suspectés, ce fut comme un soupir de soulagement, « enfin ! ». Ce sentiment nétait en rien agressif ni « identitaire » : il était simplement le fait dune liberté retrouvée, liberté doser etre soi-meme, doser se dire, de pouvoir se dire et se donner. Ce partage du trésor que nous avons reçu vient de lamour que Dieu porte aux hommes et que Dieu nous porte, Amour qui ne peut quetre partagé, dans le prolongement effectif de lacte rédempteur du Christ.
Cette mission a été aussi une véritable expérience de communion : diversité des âges et des conditions sociales impressionnante, pretres et laics, pretres entre eux... Les communautés nouvelles et nouveaux mouvements ont trouvé leur place de façon paisible. A cet égard, la Communauté de lEmmanuel, a qui les archeveques des cinq capitales associées ont confié la mission dassurer la continuité des congres missionnaires, a été dun exemplaire désintéressement. Cest un service quelle a rendu a lensemble des chrétiens en raison de son expérience. Aucun signe de compétition na été perceptible, bien au contraire. Cela représente un pas décisif.
Trois remarques en guise de conclusion :
1. Cet événement nest pas seulement laboutissement de dix ou quinze années marquées par la prise de conscience de la nécessité dévangéliser. Il annonce et inaugure la « nouvelle » évangélisation de cette grande ville de Paris ! Il faut désormais aller plus loin avec audace et ténacité puisque Dieu a « ouvert la porte de la foi »...
2. Nos contemporains comprennent les questions que leur pose lEvangile, meme sils les rejettent. Ils les comprennent non pas parce quelles auraient été habillées ou adaptées, mais parce quelles touchent aux points essentiels de la condition humaine. Un bel exemple : lun des trois grands débats organisés aux Beaux Arts a permis daborder, en profondeur et en vérité, entre chrétiens et non-chrétiens, la question du pardon.
3. Le symbolisme chrétien est une richesse inouie dans notre univers dimages. Lexpérience de la grande croix « arbre de vie » la bien manifesté. Nous disposons dun symbolisme qui nest pas fragile ou fugitif comme tout ce quinvente notre culture publicitaire gouvernée par la loi du marché. Nos symboles sont riches dune histoire et dun contenu qui plongent loin leurs racines dans la mémoire humaine. Une anecdote : le premier samedi, la « marche des lycéens » de Paris débouchait sur le parvis pour inaugurer la croix. La célébration nous la faisait acclamer dans la joie. Lorsque la chorale se mit a chanter « Voici le bois de la croix », jai bien sur, pensé au Vendredi saint, et je me suis demandé si jallais embrasser la croix. Jhésitais car je craignais que la foule tres dense se précipite a ma suite. Il ny avait en effet aucune barriere, les marches du podium étaient accessibles de tous côtés. Surgit alors pres de moi un lycéen, Antillais ou Africain, revetu du tee-shirt des organisateurs. Il me dit : « Il faut embrasser la croix ! » Je lai pris par lépaule et nous avons vénéré la croix. Tout la foule aussitôt applaudit. Ce garçon était un envoyé du Seigneur. Le rite était retrouvé dans sa beauté et sa modernité ! Nous navons pas a défigurer nos signes et nos symbole ; ils gardent toute leur charge et leur force lorsque nous les exprimons avec les moyens daujourdhui.
La foi au Christ Sauveur était la source dune ouverture paisible, souriante, audacieuse, sur la ville. Les jeunes qui, en contre-point de la mission, avaient leurs propres activités en ont été des témoins privilégiés ; par leur présence et leur rayonnement, ils ont aidé a changer le visage de la ville.
Cest une grande action de grâce que je fais pour cette mission. Elle a révélé un mouvement profond dans la conscience des catholiques. Comment répondre a cet appel ? Comment poursuivre avec audace la mission, en permettant a toutes les forces dy collaborer ? Une mission qui sera dautant plus féconde quelle sera portée par la communion.
+Jean-Marie cardinal Lustiger |
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